Impératif catégorique

L'impératif catégorique est un concept de la philosophie morale d'Emmanuel Kant. Énoncé pour la première fois en 1785 dans Fondements de la métaphysique des mœurs, il sera ensuite repris dans d'autres ouvrages d'éthique de l'auteur. Maintes fois critiquée, cette notion a aussi été reprise par nombre de philosophes. L'impératif est généralement connu essentiellement pour ses multiples formulations[1], dont certaines sont célèbres :

  • « Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle. » (IIe section, IV, 421, in Œuvres philosophiques, t. II, éd. F. Alquié, Gallimard, Pléiade, 1985, p. 285[2]), parfois résumé par « Agis de telle sorte que le principe de ton action puisse être érigée en loi universelle »[3].
  • « Agis de façon telle que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen[4]. »
  • « L'idée de la volonté de tout être raisonnable conçue comme volonté instituant une législation universelle[5].  »
  • « Agis selon les maximes d'un membre qui légifère universellement en vue d'un règne des fins simplement possible[6]. »

Bien que ces quatre énoncés soient différents, ils sont tous des formulations du même impératif catégorique, qui lui est unique.

Deux types d'impératifs

Kant distingue deux types d'impératifs : un impératif peut être hypothétique ou catégorique.

  • L'impératif catégorique (ou apodictique) correspond à ce qui doit être fait inconditionnellement. Seules des actions dont la maxime sera conforme à ce principe seront morales. Il n'y a pas ici de fin instrumentale, l'impératif catégorique s'impose de lui-même sans autre justification.
  • Les impératifs hypothétiques correspondent à ce qu'il faut faire en vue d'une fin particulière. Pour réussir tel projet « X » il faut accomplir telles actions « Y », « Z », etc. Il s'agit d'obligations instrumentales, qui sont liées à un but poursuivi. Elles ne sont obligations que dans la mesure où ce but est recherché et n'ont aucune composante morale.

On voit donc qu'il y a une opposition tranchée entre les impératifs hypothétiques, qui peuvent être nombreux et qui sont reliés à une fin externe, et l'impératif catégorique unique qui vaut par lui-même et non par rapport à un élément extérieur.

Impératif catégorique

  • L'impératif catégorique s'inscrit dans une critique de la philosophie eudémoniste propre à plusieurs auteurs antiques, notamment Aristote, selon laquelle le bonheur serait le souverain bien et la fin ultime de l'existence humaine[réf. nécessaire] : la moralité devant se défaire de tout motif empirique, le bien (au sens moral) et le bonheur doivent être distingués, et le bonheur n'intervient plus que comme une conséquence souhaitable (mais néanmoins secondaire) de l'action bonne. (Par ailleurs, le fait qu'il puisse exister un lien entre l'application rigoureuse de l'impératif catégorique et le bonheur suppose l'idée de Dieu.)
  • Selon Kant l'action morale doit être jugée non pas en fonction de son résultat mais selon ses motivations ; si la volonté qui la commande est bonne, l'action est moralement juste. L'impératif catégorique de Kant consiste en l'accomplissement du devoir, c'est-à-dire que l'action juste est inexorablement gratuite et désintéressée.
  • L'acte gratuit est selon Kant possible du fait même de la liberté humaine. En effet, bien que l'opinion commune pense que la morale s'oppose à la liberté, selon Kant la moralité consiste à s'affranchir des instincts égoïstes pour agir raisonnablement, pour être libre.
  • Le devoir n'a pas de contenu fixe mais seulement une forme : il est universalisable. Ce qui est juste pour l'un doit être juste pour tous.
  • L'action conforme au devoir dans les faits n'est pas nécessairement moralement juste : par exemple, respecter la loi par peur du châtiment est conforme au devoir, mais non moral car intéressé.
  • Il est donc impossible de juger la valeur morale des actes d'autrui puisqu'il est impossible de connaître toutes les motivations de ses actes. Il est d'autre part extrêmement difficile de juger ses propres actes du fait de la difficulté de l'introspection nécessaire.

Impératifs hypothétiques

Kant distingue d'autre part deux espèces d'impératifs hypothétiques :

  • L'impératif problématique représente une action comme nécessaire pour atteindre une des innombrables fins possibles ; quand une fin est possible pour nous, un impératif énonce comment nous pouvons atteindre cette fin. Par exemple : « Pour te rendre à tel endroit, tu dois prendre tel trajet ».
  • L'impératif assertorique représente une action comme nécessaire pour arriver au bonheur, c'est-à-dire à une fin qu'on peut supposer réelle chez tous les hommes. Ainsi, une proposition indiquant la façon d'être heureux n'est pas un impératif catégorique (c'est-à-dire inconditionné), mais un impératif hypothétique, puisqu'il concerne le choix des moyens en vue de son bonheur et est donc relatif. Il constitue une étape supérieure et s'approche davantage de ce que Kant appelle la moralité, mais sans y parvenir tout à fait. Il reste instrumental, hypothétique, mais envisage toutefois des objectifs communs à l'humanité, et non pas des fins singulières. Nous ne sommes plus ici dans l'arbitraire particulier. Cependant les fins qu'il incite à réaliser ne concernent l'humanité qu'en tant qu'espèce biologique ou animale. Par exemple la santé, le bonheur. Pour Kant (et, d'ailleurs, en y réfléchissant, pour nous) ce n'est pas encore la moralité (il s'agit là de la morale antique). Il n'est pas immoral de fumer ou de boire de l'alcool bien que je sache que cela nuise à la santé.

On obtient donc une tripartition, qui se décline à différents niveaux :

  • impératif problématique / impératif assertorique / impératif catégorique
  • ordre technique / ordre pragmatique / ordre moral.
  • habileté / prudence / morale
  • règles / conseils / commandements

Critiques de l'impératif catégorique

C'est Benjamin Constant qui formula les premières critiques de l'impératif catégorique dans Des réactions politiques (1797). Il affirme dans cet ouvrage que l'impératif catégorique ne prend pas en compte le résultat de l'action, et qu'il est totalement inconditionnel. Pour Constant le devoir n'est applicable qu'envers ceux qui y ont droit : par exemple dire la vérité n'est un devoir qu'envers ceux qui la disent aussi. Il est, selon lui, en effet indubitable que lorsque les devoirs sont en contradiction les uns par rapport aux autres, il est nécessaire de les hiérarchiser pour éviter les paradoxes que produirait un impératif catégorique.

Une autre critique formulée contre l'impératif catégorique est celle inspirée par ce que Kant appelle « les morales du bonheur » (eudémonisme) qu'il trouve chez Aristote indépendamment de la poursuite d'un bien qui motiverait l'agir. De fait on voit alors mal pourquoi il faudrait être moral, puisque rien ne nous y enjoint. Si dans les morales antiques, on voit très bien ce qui motive l'agir (la recherche du bien), on ne voit pas du tout l'attractivité de la motivation kantienne, qui ne saurait reposer sur un tel bien. L'intention morale kantienne trouve son ressort dans la dignité morale. Mais pourquoi rechercher une telle dignité, si ce n'est que la dignité recherchée est celle qui convient à l'être humain, en tant qu'il est meilleur pour lui de s'accomplir en agissant selon la vertu. Indépendamment d'une philosophie du bien, il semble peu concevable à certains que la morale kantienne puisse être une morale praticable, ou même servir de fondement à une pratique réelle.

Une formule devenue célèbre de Charles Péguy exprime une nouvelle objection contre la morale kantienne :

« Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

 Pensées, octobre 1910

Le kantisme serait donc, en pratique, tout simplement inapplicable ; il serait moralement "pur", mais seulement de par son inefficacité à penser l’action morale concrète. C'est d'ailleurs sur cette base que se fonde la critique que fait Hegel de la morale kantienne dans les Principes de la philosophie du droit.

Récemment, en économie, la théorie de Kant (Kantian Economics) est évoquée pour résoudre l'épineux problème de la coordination des agents. Mais l'économie s'éloigne quelque peu du kantisme, car elle n'en retient que certains principes (généralisation, réciprocité, inconditionnalité)[7].

Bibliographie

Notes

  1. Stanford Encyclopedia of Philosophy, Kant's Moral Philosophy distingue 4 formulations : la première centrée sur l'idée de législation universelle, la seconde sur l'idée d'humanité, une troisième sur l'autonomie, et la dernière sur le règne des fins.
  2. Fondation de la métaphysique des mœurs in Métaphysique des mœurs, I, Fondation, Introduction, trad. Alain Renaut, p. 97.
  3. Encyclopédie Larousse, article Impératif catégorique.
  4. Op. cit., p. 108.
  5. Op. cit., p. 111. La note 52, p. 199, précise qu'il s'agit la troisième formulation
  6. Op. cit., p. 121.
  7. Pour une discussion renouvelée sur la portée de E. Kant en économie, cf. Jérôme Ballet et Damien Bazin :
    • « Can Homo Economicus Follow Kant’s Categorical Imperative? A Comment », Journal of Socio-Economics, vol.34, no 4, p. 572-577, August 2005.
    • « Business Ethics and Ethics of Care », Zagreb International Review of Economics and Business, vol.7, no 2, p. 43-54, November 2004.

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