Prudence (vertu)

La prudence (en grec phronêsis, puis en latin prudentia[n 1]) est un concept de la philosophie grecque qui a trouvé sa définition théorique la plus aboutie dans la philosophie d'Aristote. La phronêsis est ensuite devenue un concept central de la philosophie morale et politique, et la première des quatre vertus cardinales chez les Chrétiens.

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La Prudence, représentation du gisant de François II de Bretagne
La Prudence. Statue de Frison pour l'Opéra de Paris (1875).
Photo Durandelle

La prudence dans la philosophie grecque

La phronêsis

Étymologiquement, la phronêsis (φρόνησις) désigne l'acte de penser[1]. Selon le philologue allemand Werner Jaeger (Paideia, 1933), c'est Héraclite d'Éphèse qui le premier a utilisé le concept de prudence en philosophie, la mettant au même rang que la sagesse (sophia, σοφία.)[2]

Chez Platon

Selon Les Lois : « Dans l'ordre des biens divins, le premier est la prudence ; après vient la tempérance ; et du mélange de ces deux vertus et de la force naît la justice, qui occupe la troisième place ; la force est à la quatrième. Ces derniers biens méritent par leur nature la préférence sur les premiers ; et il est du devoir du législateur de la leur conserver[3]. »

Chez Aristote

La prudence est une vertu intellectuelle : c'est la disposition qui permet de délibérer sur ce qu'il convient de faire, en fonction de ce qui est jugé bon ou mauvais[4].

Chez Épicure

C'est de la prudence que proviennent toutes les autres vertus[5].

Chez les stoïciens

Diogène Laërce mentionne que selon les stoïciens, « de la prudence viennent la maturité et le bon sens[6]. » Ils y voyaient une science, celle des choses à faire et à ne pas faire[4].

La prudence chez les chrétiens

Allégorie du temps gouverné par la prudence (Le Titien, 1565). Cette allégorie indique que, informé du passé (vieil homme), le présent agit avec prudence (homme mûr) et se prépare au futur (jeune homme).

Cicéron transmettra la notion de prudence dans la pensée chrétienne, spécialement chez saint Ambroise, saint Augustin, saint Thomas d'Aquin[4].

Selon Thomas d'Aquin, la prudence est celle des vertus cardinales qui doit diriger les trois autres[4].

Selon saint Augustin, « la prudence est l'amour qui sépare avec sagacité ce qui lui est utile de ce qui est nuisible[7]. »

Spinoza et la prudence

Le sceau de Spinoza.

La devise de Spinoza, inscrite sur son sceau de correspondance, est le mot latin Caute : méfie-toi, sois prudent. Plusieurs interprétations sur la signification de ce terme existent. Selon Robert Misrahi, c'est une recommandation au niveau de l'usage des concepts : Spinoza recommande de ne donner aux concepts qu'il emploie que le sens strict inscrit dans la définition qu'il propose[8]. Pour d'autres, cette injonction à la prudence est rendue nécessaire du fait des menaces qui pèsent sur Spinoza : il est victime d'un attentat, et des attaques de théologiens l'obligent à retarder sa publication de l'Éthique[9].

Dans la Préface du Traité théologico-politique (1670), on trouve cet appel à la prudence :

"C'est pourquoi je décidai sérieusement d'examiner à nouveau l’Écriture d'une âme pure et libre, de n'en rien affirmer et de n'en rien admettre comme constituant sa doctrine qui ne soit clairement énoncé par elle. Avec cette précaution, j'ai formé une méthode pour interpréter les Livres saints" - Traité théologico-politique, 1670, Préface, §10, trad. J. Lagrée et P.-F. Moreau, Œuvres, III, PUF, p. 69

Selon l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert

« Par rapport à soi, toute prudence étant pour arriver à une fin, il faut en chaque affaire nous proposer un but digne de notre soin. [...] En se proposant une fin telle que nous l’avons dite, il est encore plus important d’examiner s’il est en notre pouvoir de l’atteindre. [...] La troisième règle de prudence est appliquer à l’avenir l’expérience du passé ; rien ne ressemble plus à ce qui se fera que ce qui s’est déjà fait. [...] Une quatrième maxime est d’apporter tellement à ce qu’on fait toute son application, qu’en même temps on reconnaisse qu’avec cela on se peut tromper [...].
Les règles de prudence par rapport aux autres, sont principalement de ne s’entremettre des affaires d’autrui que le moins qu’il est possible, [...] à moins qu’un devoir évident ne l’exige, ou que nous n’y soyons directement appelés par les intéressés[10]. »

 L'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1751.

La prudence aujourd'hui

Selon André Comte-Sponville : « Elle relève moins de la morale, pour les modernes, que de la psychologie, moins du devoir que du calcul. » On l'utilise dans le langage courant dans le sens de « précaution » pour éviter des dangers[4].

Bibliographie

Auteurs anciens

Études modernes

  • Pierre Aubenque, La Prudence chez Aristote, PUF, Quadrige, Paris, 2004 (4e éd.)
  • Chantal Jacquet, Spinoza ou la prudence, Quintette, 2004
  • Gil Delannoi, Éloge de la prudence, Berg International, Paris, 1993

Notes et références

Notes

  1. Selon Cicéron prudentia vient de providere, qui signifie « prévoir » ou « pourvoir » (Des Lois, XXIII).

Références

  1. Cf. Gill Delannoy, Éloge de la prudence, p.20, note 4.
  2. G. Delannoy, op. cit., p.20.
  3. Les Lois, Livre I, 631c-d.
  4. André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus, Seuil, , « La prudence ».
  5. Lettre à Ménécée, 132.
  6. Vie des philosophes illustres, livre VII, 126.
  7. De moribus catholicae Ecclesiae, Desclée, 1936, p. 62.
  8. Robert Misrahi, Éthique, éditions de l’éclat, (lire en ligne), p. 447.
  9. Anne-Lise Polo, La Nef Marrane : Essai Sur le Retour du Judaïsme Aux Portes de L'Occident, PUQ, (lire en ligne), p. 100.
  10. Article « Prudence » de L'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers.

Voir aussi

Articles connexes

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