Hiérarchie des normes en droit français

La hiérarchie des normes en droit français est une vision hiérarchique des normes juridiques françaises ainsi que de l'application des traités signés par la France. Cette hiérarchie, représentée sous la forme d'une pyramide au sommet de laquelle se trouve la Constitution, ne prend tout son sens que si son respect est contrôlé par un juge.

Il existe deux types de contrôle de ces normes juridiques : par voie d'exception ou par voie d'action.

Historique

Avant la Constitution de 1958, malgré la supériorité théorique de la Constitution et des traités internationaux sur la loi, le législateur demeurait souverain. Jusque-là, aucune juridiction n'était en mesure de rendre tangible la valeur supra-législative de ces deux types de normes. Mais depuis 1958, la supériorité effective de la Constitution sur la loi est assurée par le Conseil constitutionnel, qui est chargé de vérifier le respect, par le législateur, des règles posées dans la norme fondamentale.

Description

La notion de hiérarchie des normes a d'abord été formulée par le théoricien du droit Hans Kelsen (1881-1973)[1]., auteur de la Théorie pure du droit, fondateur du positivisme juridique, qui tentait de fonder le droit sans faire appel à la morale et au jusnaturalisme, ceci afin d'élaborer une science véritable du droit (donc axiologiquement neutre, c'est-à-dire indépendante des présupposés subjectifs et des préjugés moraux de chacun). Selon Kelsen, toute norme juridique reçoit sa validité de sa conformité à une norme supérieure, formant ainsi un ordre hiérarchisé. Plus elles sont importantes, moins les normes sont nombreuses : la superposition des normes (circulaires, règlements, lois, Constitution) acquiert ainsi une forme pyramidale, ce qui explique pourquoi cette théorie est appelée pyramide des normes.

Cet ordre est dit « statique », car les normes inférieures doivent respecter les normes supérieures, mais il est également « dynamique », car une norme peut être modifiée en suivant les règles édictées par la norme qui lui est supérieure. La norme placée au sommet de la pyramide étant, dans de nombreux systèmes juridiques, la Constitution. Puisque la Constitution elle-même ne pouvait recevoir son caractère obligatoire que d'une norme supérieure, et qu'une telle norme n'existait pas, Kelsen faisait intervenir le concept de « norme fondamentale », qui consiste principalement en un présupposé méthodologique nécessaire afin de donner un caractère cohérent à la théorie du droit.

Cette théorie de la hiérarchie des normes ne peut s'appliquer que pour les Constitutions dites « rigides ». Dans un État à Constitution « souple », la Constitution est généralement élaborée, votée, et révisable par l'organe législatif habituel, de la même façon qu'une loi ordinaire. De ce fait, ces deux normes ont une valeur juridique identique, et la loi n'est donc pas inférieure à la Constitution. À l'inverse, dans un État à constitution « rigide », la Constitution est élaborée et/ou votée par un organe spécialisé (gouvernement, groupe de travail), voire adoptée par référendum. Sa procédure de révision fait également intervenir un organe spécial et/ou le peuple, qui dispose du pouvoir constituant dérivé. C'est pourquoi elle a une force juridique particulière, supérieure aux autres normes, qui devront dès lors la respecter.

Schéma en droit français

Le bloc de constitutionnalité stricto sensu inclut la Constitution de 1958, le préambule de 1946, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, la Charte de l'environnement (depuis le ), les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (cf : CC, 1971, Liberté d'association), ainsi que les Objectifs de Valeur Constitutionnelle (cas de conflits de normes, donnent une assise constitutionnelle à une loi pour pouvoir la concilier avec une disposition constitutionnelle), et enfin les Principes Constitutionnels. Ces derniers sont vivement critiqués par la doctrine, car ils sont une œuvre purement prétorienne, et surtout ne trouvent aucune assise dans un texte constitutionnel.

Le bloc de constitutionnalité lato sensu, quant à lui, comprend les normes de valeur constitutionnelles précitées, les lois organiques et les principes dégagés par l'accord de Nouméa de 1998. D'un point de vue juridique, il ne serait pas surprenant d'y inclure les règlements intérieurs des assemblées (Assemblée nationale, Sénat, Congrès), mais le Conseil constitutionnel s'est, jusqu'à présent, refusé à le faire.

Le terme de « bloc de constitutionnalité » a été créé par le doyen de la faculté d'Aix-en-Provence Louis Favoreu. Cette expression traduit le fait que l'ensemble des normes précitées sont théoriquement de même niveau dans la hiérarchie des normes, à savoir de niveau constitutionnel.

Cette construction a été critiquée, notamment par George Vedel, qui appelle le Conseil constitutionnel à appliquer « toute la Constitution, rien que la Constitution ».

Le bloc de conventionnalité est constitué du droit international, c'est-à-dire des traités et conventions internationales, à l'exclusion de la coutume (CE, , Aquarone), mais aussi (pour la France comme pour tous les États membres de l'Union européenne) du droit communautaire, c'est-à-dire les traités et le droit dérivé, directives et règlements.

Il existe en France un projet de dématérialisation de la production normative, mais son périmètre, défini en 2005, ne concerne que les lois et décrets, sans inclure le circuit des directives européennes, ce qui en limite la portée.

Les normes constitutionnelles sont au sommet de la pyramide des normes, mais, paradoxalement, en constituent la base. En effet, une règle de droit doit être soumise à la règle hiérarchiquement supérieure lors de son entrée en vigueur. De cette façon, chaque organe de pouvoir est soumis à la norme supérieure aux normes qu'il peut créer. Ainsi, l'organe détenant le pouvoir législatif dans son œuvre de création de lois est soumis à la Constitution, le pouvoir administratif à la loi, puisque les circulaires sont en dessous de la loi dans la hiérarchie des normes. Cette situation est appelée État de droit, et signifie que toute personne physique ou morale, publique ou privée, est soumise à la loi, à commencer par l'État lui-même.

Robespierre et Saint-Just estimaient inacceptable qu'on pût utiliser la jurisprudence dans une démocratie, celle-ci leur paraissant une interférence anormale du pouvoir judiciaire avec le législatif, et donc une atteinte au principe de séparation des pouvoirs. D'où la nécessité d'adopter des normes de valeur supérieure (comme le sont la Constitution, la loi...)[2].

Différentes formes de contrôle

Le contrôle de ces normes peut prendre plusieurs formes:

  • Le « contrôle par voie d'exception » se fait par les juges ordinaires. La question de l'inconstitutionnalité d'une norme juridique sera soulevée lors d'un litige précis, et étudiée à cette occasion, et à cette occasion uniquement. Dans ce cas de figure, si le juge estime que la norme contrôlée est inconstitutionnelle, il ne l'appliquera pas. Cependant elle ne sera pas annulée et la jurisprudence ainsi créée pourrait ne pas être suivie par d'autres Cours,[réf. nécessaire] à moins qu'elle n'émane de la juridiction suprême. Ce type de contrôle est utilisé par exemple aux États-Unis.
  • Le « contrôle par voie d'action » fait intervenir un organe spécifique qui, en déclarant inconstitutionnelle la norme en question, empêche son entrée en vigueur. C'est le type de contrôle utilisé en France, avec la création en 1958 du Conseil constitutionnel qui peut censurer la loi soumise soit totalement, soit partiellement, ou alors la déclarer constitutionnelle sous réserve. La censure n'est possible qu'à la condition que la loi n'ait pas encore été promulguée. Avant la création du Conseil constitutionnel, la constitution n'était la norme suprême que de façon théorique, puisque le juge administratif ne pouvait se permettre de juger de la constitutionnalité d'une loi (arrêt Arrighi de 1936 du Conseil d'État qui fonde la théorie de la « loi-écran »).

La révision constitutionnelle du instaure, en plus du contrôle a priori, un contrôle de constitutionnalité a posteriori par le biais du mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La question relative à la constitutionnalité d'une loi peut être posée devant tout juge. Elle est alors immédiatement transmise au Conseil d'État (pour les juridictions relevant de l'ordre administratif) ou à la Cour de cassation (pour les juridictions relevant de l'ordre judiciaire)et l'instance est suspendue. Les deux juridictions suprêmes font office de filtre et transmettent les questions jugées recevables[3] au Conseil constitutionnel. Il s'agit d'un contrôle par voie d'exception[4].

Outre le fait que le Conseil constitutionnel ne pouvait, jusqu'à la révision de 2008, écarter une loi qu'avant sa promulgation, le juge constitutionnel se refuse aujourd'hui, de fait, à contrôler la constitutionnalité d'une loi adoptée par référendum (loi référendaire), invoquant le respect de la souveraineté populaire. Toutefois, il devra vérifier la conformité à la Constitution de la proposition de loi soumise au référendum d'initiative parlementaro-populaire instauré en par le nouvel article 11, entré en vigueur le [5].

Enfin, jusqu'à la révision constitutionnelle de 2008, le contrôle par voie d'action était le seul possible de la constitutionnalité d'une loi, la jurisprudence Arrighi n'ayant jamais fait l'objet d'un revirement. Et il a fallu attendre jusqu'en 1989 (CE, 1989, arrêt Nicolo) pour que le Conseil d'État (CE) accepte la suprématie absolue des normes européennes sur les lois postérieures (tandis que la Cour de cassation l'acceptait depuis l'arrêt Jacques Vabre du ).

La primauté des normes constitutionnelles, même lorsqu'elle est reconnue et affirmée, est souvent mise en œuvre de manière limitée. Certains systèmes juridiques organisent un contrôle de constitutionnalité pouvant être appliqué par voie d'action avant la fin de la procédure législative, mais ne prévoient aucun moyen (ni par voie d'action, ni par voie d'exception) de s'opposer à l'application d'une loi inconstitutionnelle dès lors que cette loi a été promulguée. C'était notamment le cas en France, où le contrôle de constitutionnalité pouvait être exercé par le Conseil constitutionnel avant promulgation d'une loi, mais où il n'était pas possible, pour le justiciable, de se fonder sur la Constitution (ou sur un élément quelconque du « bloc constitutionnel ») pour s'opposer à l'application d'une loi. Cette possibilité est considérée par certains comme le seul moyen de garantir effectivement le respect des principes fondamentaux, et par d'autres comme un renforcement excessif du pouvoir du juge au détriment de celui du législateur, et comme un risque de contestation permanente de la loi. Cette situation a donné lieu en , après plusieurs tentatives qui n'ont pas abouti en 1990 ou encore en 1993 à la mise en place du principe de la question prioritaire de constitutionnalité.

Hiérarchie des normes et droit de l'Union européenne

Un important débat doctrinal a lieu actuellement quant à la place dans la hiérarchie des normes du droit communautaire en droit français.

En effet, une décision du Conseil constitutionnel du , Loi pour la confiance dans l'économie numérique, a estimé que « la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution ». Sur le plan juridique, ce considérant de principe consacre clairement la supériorité formelle de la Constitution sur les normes du droit de l'Union européenne, même si sa formulation invite instamment le pouvoir législatif à se conformer autant que faire se peut à celui-ci, au cas présent par la transposition des directives.

L'arbitrage entre Constitution et droit de l'Union européenne dans la hiérarchie des normes soulève d'importants débats de principe, qui ne pourront être tranchés qu'au regard de la jurisprudence ultérieure ainsi que de l'évolution future du droit européen.

Actuellement, la jurisprudence judiciaire et administrative française accorde une valeur supérieure à la Constitution sur le droit international dans l'ordre interne français : l'arrêt du Conseil d'État d'Assemblée du Sarran, Levacher et autres[6] a par ailleurs rappelé ce principe : « la suprématie conférée par l'article 55 aux engagements internationaux ne s'applique pas dans l'ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle ». La Cour de cassation, dans son arrêt "Fraisse" du 2 juin 2000, a dégagé une solution identique, en indiquant "que la suprématie conférée aux engagements internationaux ne [s'applique] pas dans l'ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle"[7].

La suprématie des traités ou accords internationaux sur la loi, même postérieure, a d'abord été affirmée en 1975 dans l'arrêt "Cafés Jacques Vabre" de la Cour de cassation[8]. Elle n'a été reconnue que 14 ans plus tard par le Conseil d'Etat dans son arrêt "Nicolo" de 1989[9], abandonnant ainsi la « jurisprudence des semoules », selon laquelle les dispositions d'une loi postérieure au traité l'emportaient sur les dispositions de ce dernier (CE, , Syndicat général des fabricants de semoules de France). Le Conseil d'État a ensuite étendu la jurisprudence Nicolo au droit communautaire dérivé : supériorité sur les lois des règlements communautaires (CE, , Boisdet), puis des directives communautaires (CE, Ass. , S.A. Rothmans International France et S.A. Philip Morris France).

Depuis la ratification la réforme constitutionnelle de 1992, l'article 88-1 de la Constitution pose au rang des normes constitutionnelles l'obligation des pouvoirs publics de transposer les directives et d'adapter la législation aux règlements de l'Union européenne. Toutefois, la supériorité de la Constitution sur les traités ou accords internationaux (et donc sa place suprême dans la hiérarchie des normes) a été réaffirmée au sujet des normes de l'Union européenne (CE, Ass., , Association La Quadrature du Net et Autres[10]). La position de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, , Simmenthal) a pour principe fondamental la primauté des normes communautaires, originelles ou dérivées, sur toutes les normes de droit interne, donc y compris les constitutions nationales. Toutefois, l'application à la Constitution du principe de primauté dégagé par le juge de l'Union européenne reste concrètement tributaire de la position des juridictions nationales. Or, pour l'heure, les juridictions françaises ne l'admettent pas et considèrent au contraire que la Constitution française n'admet aucune norme d'autorité supérieure à elle. Dès lors, on peut considérer qu'en droit positif la Constitution prime sur les normes juridiques de l'Union européennes.

La conception de la hiérarchie des normes varie ainsi selon le point de vue adopté : celui du juge constitutionnel national ou celui du juge de l'Union européenne. Cette dissymétrie peut virtuellement générer des conflits de normes, même si les exemples sont rarissimes. Ce point est parmi ceux qui différencient fondamentalement l'Union européenne d'un Etat fédéral, dans lequel une articulation claire existe entre les normes de l'État fédéral et celles des entités fédérées.

Une partie majoritaire de la doctrine juridique estime encore à ce jour que le droit de l'Union européenne ne peut primer sur les constitutions nationales, seules celles-ci représentant un pouvoir souverain à la différence de l'Union européenne, laquelle ne présente pas tous les attributs d'un État souverain (même si elle forme une fédération ou association d'États assortie de délégations de souveraineté).

Notes et références

  1. La hiérarchie des normes au cœur des débats : qu’est-ce que c’est ? Université de Cergy-Pontoise, 3 octobre 2017
  2. Séance publique de l'académie des sciences morales et politiques sur « La France et les Droits de l'Homme », 2001.
  3. Texte de la loi organique no 2009-1523 du 10 décembre 2009.
  4. Présentation générale Conseil Constitutionnel
  5. Le référendum d'initiative populaire, vaine promesse de Sarkozy en 2007 Le Monde, 24 février 2012
  6. Le texte de la décision sur Légifrance - 30 octobre 1998
  7. Cour de cassation, Assemblée plénière, 2 juin 2000, pourvoi n°99-60.274, Bulletin A.P. 1999, n°4
  8. Cour de cassation, Chambre Mixte, 24 mai 1975, pourvoi n°73-13.556, Bulletin Chambre Mixte 1975, n°4
  9. CE, Ass., 20 oct 1989
  10. Conseil d'État, Assemblée, 21 avril 2021, 393099, https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-04-21/393099

Annexes

Liens externes

Bibliographie

  • Le droit international, le droit européen, et la hiérarchie des normes. Terry Olson, Paul Cassia. Droit et justice. PUF. (ISBN 2-13055-494-6).
  • Une possible histoire de la norme : les normativités émergentes de la mondialisation, Karim Benyekhlef, Mathieu Amouroux, Antonia Pereira de Sousa, Karim Seffar; Les Éditions Themis. (ISBN 978-2-89400-249-0)

Articles connexes

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