Georges Laplace

Georges Laplace est un préhistorien français né le et décédé le à Pau (Pyrénées-Atlantiques). Il a apporté des contributions substantielles en archéologie préhistorique concernant le Paléolithique supérieur Européen et l'analyse des industries lithiques préhistoriques, et animé la revue Dialektikê. Cahiers de typologie analytique.

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Biographie

Il naît à Pau, d'une mère couturière et d'un père cheminot[2]. Il passe par l'École normale d'instituteurs de Lescar (actuel lycée Jacques-Monod)[réf. nécessaire] et devient instituteur à Esquiule (Basses-Pyrénées) en 1938[3]. Il est appelé sous le drapeau en 1938, participe à la Seconde Guerre mondiale en 1939-1940 et est démobilisé en septembre 1940[2]. Arrêté en septembre 1941 pour actes de résistance, il est libéré et s'inscrit à l'université de Montpellier en 1942. Mais en 1943 il reprend la lutte comme chef de Corps Francs à Dieulefit (Drôme), puis instructeur dans les équipes volantes de l'école des cadres d'Uriage devenue clandestine (maquis du Vercors)[2]. Il se retrouve aussi dans les rangs de l'ORA comme lieutenant chargé de l'instruction et d'opérations dans le Dauphiné et la Savoie, puis sur le front des Alpes dans les rangs de la 25e Division alpine en 1944.[réf. nécessaire] Il est ensuite affecté dans les organisations de Résistance intérieure (« Nouvelles Équipes de Résistance Française ») puis se retrouve dans l’armée régulière. Mai 1947 le voit retourner à la vie civile ; trois mois plus tard en août il est promu lieutenant de réserve[2].

À partir de 1947, il entreprend des études supérieures aux universités de Toulouse et Bordeaux et obtient une licence de lettres qui inclut géographie générale, géographie régionale, cartographie, histoire moderne et contemporaine, et archéologie préhistorique. En septembre de cette année-là, il participe pour la première fois à un chantier de fouilles[4], auprès de son professeur[5] Louis Méroc dans les grottes de Montmaurin (Haute-Garonne)[4]. En 1948, il est admis comme membre de la Société préhistorique française grâce à Louis Méroc et Raoul Cammas[6]. En 1950, Méroc intercède en sa faveur auprès de l'abbé Breuil et de Henri Vallois ; il entre au CNRS comme attaché de recherche sous la tutelle de Henri Vallois. Il poursuit des recherches de terrain en Algérie, en Tunisie, et dans les Pyrénées aux côtés de José Miguel de Barandiarán y Ayerbe.

En 1954, il est nommé membre correspondant de la Commission supérieure des monuments historiques pour le département des Basses-Pyrénées[4]. De 1956 à 1958, il est membre de l'École française de Rome, sur proposition de H. Breuil et R. Lantier et présente, en 1959, son mémoire de l'École française de Rome à l'Institut de France. Revenu en France, il soutient son doctorat d'État en sciences naturelles en 1961 à l'université de Poitiers, Recherches sur l'origine et l'évolution des complexes leptolithiques[7]. Vers 1960, il se dispute avec Louis Méroc à propos de la publication des fouilles de la grotte des Abeilles. Méroc cesse alors de l'inviter sur le site de Montmaurin[8].

En 1968, il est nommé maître de recherche au CNRS, et fonde le Centre de recherches d'Arudy (renommé en 1973 Centre de palethnologie stratigraphique « Eruri », contraction de paléo-ethnologie, en référence à la paletnologia italienne). Ce centre n'est pas créé sous tutelle du CNRS, mais en accord avec le maire d'Arudy[9], Georges Houraa, qui est de ses amis, et l'administration du parc national des Pyrénées, nouvellement créé, et dont il joint le conseil scientifique[10]. À partir de 1971, il assure un enseignement à l'université de Pau. En 1973, paraît le premier volume de la revue Dialektikê. Cahiers de typologie analytique dont il dirige la publication jusqu'en 1987. Il devient directeur de recherche honoraire au CNRS en 1983.

Il fait don de ses collections particulières au Musée national de Préhistoire des Eyzies en 1993.

Le , il est décoré Chevalier de la Légion d'honneur.

Méthode de fouille

Dès 1930, dans ses fouilles des grottes du Volp, Henri Bégouën, professeur de Louis Méroc, a commencé à employer une méthode de repérage précis pour chaque objet collecté. Méroc perfectionne cette méthode aux grottes de Montmaurin, l'exposant dès 1946 à Henri Breuil, dans une lettre datée du 7 mai 1946[11],[12]. Sa procédure repose sur l'utilisation de coordonnées cartésiennes dans un repère orthonormé :

  • la zone fouillée est subdivisée en carrés de m de côté (carroyage) au sein desquels les pièces sont repérées par deux coordonnées (x et y) comprises entre 0 et 100 cm ;
  • la troisième dimension (z) correspond à l'altitude des pièces et est mesurée par rapport à un niveau de référence[13].

Il s'agit donc pour Méroc d'établir premièrement un cadre chronostratigraphique fiable, dans lequel réaliser ensuite l'analyse typologique des objets à partir des données de terrain enregistrées. Son innovation méthodologique est contemporaine de celle réalisée par André Leroi-Gourhan, qui emploie une méthode d'enregistrement des données chronostratigraphiques similaire dans son école de fouilles aux grottes d'Arcy-sur-Cure, débutée en 1946.

De même, de 1946 à 1961[14], Méroc fait de ses recherches aux grottes de Montmaurin une école de fouilles[15], favorisant ainsi la diffusion de sa méthode d'enregistrement parmi les archéologues qui viennent y travailler[16]. C'est le cas de Laplace, qui y participe en 1947[4], pour appliquer ensuite, dès 1948, cette méthode aux fouilles qu'il mène à la Tute de Carrelore à Lurbe[17]. Laplace complète et systématise sa méthode d'enregistrement de Méroc, qui sera dès lors dite « méthode Laplace-Méroc » du fait de la publication signée par les deux archéologues en 1954[16]. Cette méthode constitue un outil d'analyse établissant un rapport entre les couches archéologiques et la stratigraphie générale du lieu étudié[18]. La systématisation opérée par Laplace, perfectionnée dans une publication de 1971[19], accroît le niveau d'abstraction des données enregistrées lors des fouilles[20] en y ajoutant les éléments suivants :

  • une distinction entre les diagrammes de position et les coupes stratigraphiques, établis en parallèle lors de la fouille ;
  • des diagrammes de position frontal ou latéral, total ou partiel, dont :
    • des coupes stratigraphiques frontale ou latérale, normale ou intermédiaire ;
    • l'utilisation exclusive des plans et plans-diagrammes pour les couches minces ou les sols caractérisés ;
  • le report des coordonnées numériques sur le carnet de fouille ;
  • la représentation conventionnelle des éléments des couches et de l'accroissement des espèces d’éléments représentés.

Cette approche introduit le recours aux mathématiques dès la première étape de fouilles[20]. Elle est appliquée par Laplace et ses collaborateurs à la fouille de plusieurs gisements, dont la Tute de Carrelore à Lurbe, la grotte du Poeymaü à Arudy, la grotte de Gatzarria à Ossas-Suhare, l'abri Olha 2[21] à Cambo-les-Bains, etc.

La typologie analytique et structurale

Jusqu'aux années 1970, de vives controverses opposent les archéologues préhistoriens à propos de la définition des différents types d'industries lithiques[22]. La « typologie analytique et structurale », initialement élaborée par Laplace dans les années 1950[23], puis constamment complétée et améliorée par ses collaborateurs jusqu'à la fin des années 1990, est une contribution à ces débats. L'intitulé « typologie analytique et sructurale » recouvre un ensemble articulé de méthodes comprenant :

  • une taxonomie,
  • un ensemble de coefficients métriques et leur méthode de représentation graphique,
  • une notation codée pour la description des pierres, et
  • un ensemble articulé de procédures statistiques permettant l'analyse des données codées.

Les « Séminaires de typologie » organisés par Laplace de 1969 à 1987 permettent d'apporter de nombreuses améliorations méthodologiques à cette approche. La marque du structuralisme, référence alors omniprésente dans les milieux scientifiques et intellectuels, se traduit par l'appellation « typologie analytique et structurale » donnée à la méthode à partir de 1973[24]. La notion de structure fait référence à la formalisation mathématique. Dans cette approche, cette formalisation concerne, d'une part, la composition typologique des ensembles d'objets lithiques associés aux couches archéologiques et, autre part, l'évolution de ces compositions d'une couche à l'autre. En typologie analytique, les types d'objets lithiques ne sont pas établis a priori mais sont obtenus en combinant des critères de description élémentaires (dits « types primaires »)[25]. Les procédures quantitatives employées empruntent aux statistiques descriptives, à la théorie de l'information, à l'analyse des données, et à la classification automatique[26].

La typologie analytique et structurale aura surtout été adoptée et employée hors de France : en Italie et en Espagne principalement (en Catalogne et au Pays Basque). En France, elle resta d'un emploi marginal parmi les archéologues préhistoriens, utilisée par exemple par François Lévêque lors de son étude des industries lithiques de la Grande Roche à Quinçay[27],[28].

Le « Groupe international de typologie » et les séminaires d'Arudy

Entre 1969 et 1987, la méthode de typologie analytique est développée collectivement dans le cadre des « Séminaires de typologie », tenus annuellement au Centre de palethnologie stratigraphique d'Arudy. Ces séminaires permettent la formation d'un « Groupe international de typologie » rassemblant principalement des chercheurs français, italiens et espagnols[29], ainsi que la publication d'une revue. Le premier fascicule paraît en 1972 sous le titre de Cahiers de typologie analytique. Dès l'année suivante, en 1973, elle est renommée Dialektikê. Cahiers de typologie analytique, et continue de paraître jusqu'en 1987.

Publications

  • « Laplace-Jauretche, G. », six publications, sur persee.fr.
  • [Laplace & Méroc 1954] Georges Laplace-Jauretche et Louis Méroc, « Application des coordonnées cartésiennes à la fouille d'un gisement », Bulletin de la Société Préhistorique Française, vol. LI, , p. 58-66 (lire en ligne [sur persee]).
  • [1966] « Recherches sur l'origine et l'évolution des complexes leptolithiques » (monographie, 574 p.), Publications de l'École française de Rome, Mélanges d'Archéologie et d'Histoire, Paris, Éd. de Boccard, no suppl. 4, (lire en ligne [sur persee]).
  • [1971] « De l'application des coordonnées cartésiennes à la fouille stratigraphique », Munibe, vol. XXIII, , p. 223-236 (lire en ligne [PDF] sur citeseerx.ist.psu.edu, consulté le ).
  • [1974] « La typologie analytique et structurale : base rationnelle d'étude des industries lithiques et osseuses », dans Banques de données archéologiques (Colloques nationaux du CNRS), , p. 91-143.
  • [Laplace & Saenz 2002] Georges Laplace et Andoní Sáenz de Buruaga, « Typologie analytique et structurale des complexes du Moustérien de la grotte de Gatzarria (Ossas-Suhare, Pays basque) et de leurs relations avec ceux de l'abri Olha 2 (Cambo, Pays basque) », Pyrenae, nos 33-34, 2002-2003, p. 81-163 (lire en ligne [PDF] sur core.ac.uk, consulté le ).

Notes et références

  1. « Laplace, Georges (1918-2004) », Notice, sur idref.fr (consulté le ).
  2. Plutniak 2017(b), p. 6.
  3. Plutniak 2017(a), p. 117.
  4. Plutniak 2017(b), p. 7.
  5. Plutniak 2017(a), p. 110.
  6. Plutniak 2017(a), p. 121.
  7. Laplace 1966.
  8. [Vialet 2019] Amélie Vialet, « Interruption dans le processus de transmission du savoir : exemple des grottes préhistoriques de Montmaurin (Haute-Garonne) fouillées par Louis Méroc (1904-1970) », dans Michel Sot (dir.), Pratiques de la médiation des savoirs, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, , sur books.openedition.org (ISBN 9782735508983, lire en ligne), paragr. 27.
  9. Plutniak 2017(b), p. 126.
  10. Plutniak 2017(b), p. 127.
  11. Vialet 2019, paragr. 12.
  12. Vialet 2019, paragr. 6.
  13. Laplace & Méroc 1954, p. 59-61.
  14. [Serra-Joulin 2002] Danielle Serra-Joulin, « Les industries lithiques de la grotte de la Terrasse à Montmaurin (Haute-Garonne) », Préhistoires méditerranéennes, vol. 10-11, (lire en ligne [sur journals.openedition.org], consulté le ), Introduction.
  15. Vialet 2019, paragr. 17.
  16. Laplace & Méroc 1954, p. 58.
  17. Georges Laplace-Jauretche, « Gisement azilien de la Tute de Carrelore, à Lurbe (Basses Pyrénées). Découvertes et outillages », Bulletin de la Société de sciences naturelles de Toulouse, vol. 84, , p. 227-236
  18. Vialet 2019, paragr. 28.
  19. Laplace 1971, p. 224.
  20. Plutniak 2017(b), p. 4.
  21. Laplace & Saenz 2002.
  22. Georges Laplace, « Autorité et tradition en taxinomie », Zilsel, vol. 7, no 2, , p. 397 (ISSN 2551-8313 et 2553-6133, DOI 10.3917/zil.007.0397, lire en ligne, consulté le ).
  23. Georges Laplace-Jauretche, « Typologie analytique. Application d'une nouvelle méthode d'étude des formes et des structures aux industries à lames et lamelles », Quaternaria, vol. 4, , p. 133-164
  24. [Laplace 1974] Georges Laplace, « De la dynamique de l'analyse structurale ou la typologie analytique », Rivista di Scienze Preistoriche, vol. XXIX, no 1, , p. 3-71.
  25. Laplace 1974.
  26. [Laplace 1981] Georges Laplace, « Algorithme de segmentation dans la matrice d’homogénéité », Dialektikê, no 8, , p. 15-28 (ISSN 1169-0046, DOI 10.5281/zenodo.2584146).
  27. [Roussel & Soressi 2010] Morgan Roussel et Marie Soressi, « La Grande Roche de la Plématrie à Quinçay (Vienne). L'évolution du Châtelperronien revisitée », dans Jacques Buisson-Catil et Jérôme Primault, Préhistoire entre Vienne et Charente - Hommes et sociétés du Paléolithique, Association des Publications Chauvinoises, Mémoire 38, , sur researchgate.net (lire en ligne), p. 203-219, p. 206.
  28. [Lévêque 1980] François Lévêque, « Note à propos de trois gisements castelperroniens de Poitou-Charentes », Dialektikê, Cahiers de typologie analytique, no 7, , p. 25-40 (lire en ligne [sur zenodo.org], consulté en ).
  29. Plutniak 2019.

Voir aussi

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • [Cabon 2004] Christine Cabon, « Georges Laplace (1918-2004) », Paléo, vol. 16, , p. 9-22.
  • [Demars 2011] Pierre-Yves Demars, « François Bordes versus Georges Laplace : deux visions de l'outillage lithique », dans Françoise Delpech et Jacques Jaubert (dir.), François Bordes et la Préhistoire, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, , p. 22-24.
  • [Lippé 2010] Renaud Lippé, « Pierres à convictions : Georges Laplace et la polymorphie des complexes leptolithiques », dans Sophie Archambault de Beaune (dir.), Écrire le passé. La fabrique de la préhistoire et de l'histoire à travers les siècles, Paris, CNRS Éditions, , sur academia.edu (ISBN 978-2-271-07012-8, lire en ligne), p. 309-321.
  • [Plutniak 2017(a)] (en) Sébastien Plutniak, « The Professionalisation of Science – Claim and Refusal: Discipline Building and Ideals of Scientific Autonomy in the Growth of Prehistoric Archaeology. The Case of Georges Laplace's Group of Typologie Analytique, 1950s-1990s », Organon, no 49, , p. 105-154 (ISSN 0078-6500, DOI 10.5281/zenodo.1164932, lire en ligne [PDF] sur ihnpan.waw.pl, consulté le ).
  • [Plutniak 2017(b)] Sébastien Plutniak, « L'innovation méthodologique, entre bifurcation personnelle et formation des disciplines : les entrées en archéologie de Georges Laplace et de Jean-Claude Gardin », Revue d'histoire des sciences humaines, vol. 31, , p. 113-139 (ISSN 1622-468X, DOI 10.5281/zenodo.1164953, lire en ligne [sur hal.archives-ouvertes.fr]).
  • [Plutniak 2019] Sébastien Plutniak, « Le « Groupe international de recherches typologiques » et le développement de l'archéologie préhistorique (années 1950-1990). Revendication et refus de la professionnalisation d'une science entre construction disciplinaire et idéaux d'autonomie scientifique », Préhistoires méditerranéennes, vol. 7, (ISSN 1167-492X, HAL hal-02342214, lire en ligne [sur journals.openedition.org]).

Liens externes

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