Discours de Dominique de Villepin aux Nations unies

Le discours de Dominique de Villepin aux Nations unies est un discours prononcé par le ministre des Affaires étrangères de la République française, Dominique de Villepin, le , devant le Conseil de sécurité des Nations unies à New York. Il y exprime l'opposition de son pays face à une éventuelle intervention militaire alliée contre l'Irak.

Dominique de Villepin

Contexte

Un conflit latent avec l'Irak

En 2002, à la suite des attentats du , les États-Unis accusent l'Iraq de détenir des armes de destruction massive. La France cherche dans un premier temps à éviter un conflit diplomatique avec les États-Unis, et soutient donc la résolution 1441 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui autorise l'ONU à envoyer des inspecteurs en Irak[1]. Cependant, George W. Bush et Tony Blair affirment sur la scène internationale que l'Irak empêche les inspections, et commencent à évoquer une intervention militaire[1].

L'année 2003 commence sous le signe d'un éloignement franco-américain au sujet de l'Irak, ainsi que d'un rapprochement diplomatique entre la France, l'Allemagne et la Russie, qui sont opposés à une éventuelle guerre[1],[2]. Le président Jacques Chirac craint qu'une intervention déstabilise la région et qu'« une multitude de mini-Ben Laden soit créée ».

Un conflit diplomatique avec les États-Unis

Colin Powell tenant une fiole d'anthrax lors de la session du du Conseil de sécurité, prétendant que l'Irak est susceptible de posséder des armes de destruction massive.

Le , Colin Powell, secrétaire d'État des États-Unis, réussit à remporter l'adhésion du Conseil de sécurité en montrant au Conseil et à la télévision une fiole, prétendue preuve de la possession par l'Irak d'armes biochimiques[3]. Le discours de Dominique de Villepin doit aussi répondre au secrétaire américain de la Défense, Donald Rumsfeld, qui avait déclaré en janvier que la France et l'Allemagne relevaient désormais de « la vieille Europe », par opposition à une Europe de l'Est émergente constituant « la nouvelle Europe »[4].

Le président Jacques Chirac décide d'envoyer son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, pour défendre la position de la France.

Discours

Rédaction

Le discours est préparé en France par le ministre et son équipe, dont notamment Bruno Le Maire[5]. Il est revu et corrigé par le président[6]. Son contenu n'est pas communiqué aux alliés de la France afin de provoquer un effet de surprise[7]. Il est retravaillé jusqu'à la dernière minute[8]. Gérard Araud écrit au sujet de la rédaction du discours que « Des allers-retours sans fin entre le rédacteur et le ministre, des dossiers qui volent, des bouleversements de dernière minute [...] ; en un mot, l'enfer, mais un enfer qui pouvait déboucher sur un grand discours »[9].

Dominique de Villepin s'exprime après Hans Blix (ONU), Mohamed el-Baradei (AIEA), Farouk el-Chareh (Syrie), et avant Soledad Alvear (Chili), Tang Jiaxuan (Chine), Ana Palacio (Espagne), Igor Ivanov (Russie), Jack Straw (Royaume-Uni) et Colin Powell[10].

Le refus d'une guerre et la préférence pour l'inspection

Dominique de Villepin exprime l'opposition catégorique de la France face à une éventuelle intervention militaire alliée contre l'Irak en l'état actuel de la situation. Il met en avant les résultats positifs des inspections des émissaires de l'ONU[4].

La remise en question des affirmations étasuniennes

Villepin remet également en question l'affirmation de Powell selon laquelle il existerait un lien entre le régime irakien et Al-Qaïda, en se basant sur les sources de la DGSE[11].

Quelques semaines plus tard, la guerre d'Irak est néanmoins déclenchée, emmenée par les États-Unis, sans aval de l'ONU.

Postérité

Accueil positif

Le discours est applaudi par son auditoire, fait rare dans l'enceinte du Conseil de sécurité[2]. Pour certains auteurs, il s'agit du premier applaudissement dans cette enceinte où il est d'ordinaire de coutume de ne pas applaudir[12].

L'historien Henri Amouroux remarque que l'insistance de Dominique de Villepin sur le fait que « personne ne peut [...] affirmer aujourd'hui que le chemin de la guerre sera plus court que celui des inspections » sera vérifié dans les années suivantes, le conflit en Irak s'enlisant[13].

Dans son ouvrage How the French think, Sudhir Hazareesingh souligne le caractère très français de ce discours. Il est construit sur un rythme d'opposition binaire entre conflit et harmonie, intérêt privé et intérêt général, morale politique et politique de puissance ; il utilise des valeurs considérées comme universelles comme base d'une réflexion politique[14].

Tensions franco-américaines

Le discours provoque des tensions entre la France et les alliés des États-Unis[3]. Il accentue la rupture entre la France et le Département d'État des États-Unis, courroucé et inquiet par la revitalisation du camp opposé à la guerre par le discours de Villepin[15]. Il tend considérablement les relations entre Powell et de Villepin, qui ne se rétabliront que l'année suivante[16],[17]. Afin de se venger de l'affront français, les États-Unis s'opposent à la nomination de français dans les instances internationales et cessent d'inviter le chef d’État-major français à certaines réunions[9].

Le discours lance une vague de francophobie aux États-Unis, alimentée par des ouvrages écrits par des conservateurs étasuniens, tel que The French Betrayal of America en 2005[18]. Afin de réduire les tensions entre les deux alliés et faire comprendre aux Américains sa position, Jacques Chirac donnera ensuite une interview au Time[6].

Un moment marquant de la diplomatie française

Les chercheurs en relations internationales Jeremy Shapiro et Philip Gordon voient dans le discours de Villepin l'influence gaulliste du président Jacques Chirac[19].

Dans la culture populaire

Ce discours est considéré comme un moment fort de la politique étrangère de la France et apparaît à ce titre dans la culture populaire française. La bande dessinée Quai d'Orsay (tome 2, 2011) et le film qui en est adapté (2013) y font référence[20]. Le discours apparaît dans des manuels de culture générale[4].

Notes et références

  1. (en) Charles Sowerwine, France since 1870, Palgrave, (ISBN 978-1-137-40611-8, lire en ligne)
  2. Frédéric BOZO, Histoire secrète de la crise irakienne: La France, les États-Unis et l'Irak, 1991-2003, Place des éditeurs, (ISBN 978-2-262-04353-7, lire en ligne)
  3. Leah Pisar, Orage sur l'Atlantique: La France, les Etats-Unis face à l'Irak, Fayard, (ISBN 978-2-213-66064-6, lire en ligne)
  4. Paul Saegaert, Une année de culture générale aux toilettes, Leduc.s Humour, (ISBN 978-2-36704-084-4, lire en ligne)
  5. Olivier Biscaye, Bruno Le Maire, l'insoumis, Editions du moment, (ISBN 978-2-35417-438-5, lire en ligne)
  6. (en) Jacques Chirac, My Life in Politics, St. Martin's Publishing Group, (ISBN 978-1-137-08803-1, lire en ligne)
  7. (en) Jeffrey Eric Jenkins, The Best Plays Theater Yearbook, Limelight Editions, (ISBN 978-0-87910-346-0, lire en ligne)
  8. Thierry Desjardins, Villepin, le cauchemar de Sarkozy, Fayard, (ISBN 978-2-213-66469-9, lire en ligne)
  9. Gérard Araud, Passeport diplomatique : trente-sept ans au Quai d'Orsay, (ISBN 978-2-246-82111-3 et 2-246-82111-8, OCLC 1131680792, lire en ligne)
  10. Françoise Boursin, « Dominique de Villepin et Colin Powell : Deux rhétoriques face à face », Communication et Langages, no 145, 3e trimestre 2005, p. 95–106 (DOI 10.3406/colan.2005.3361).
  11. (en) Bruce P. Montgomery, Richard B. Cheney and the Rise of the Imperial Vice Presidency, ABC-CLIO, (ISBN 978-0-313-35621-6, lire en ligne)
  12. (en) Peter Schmidt, A Hybrid Relationship: Transatlantic Security Cooperation Beyond NATO, Peter Lang Publishing, (ISBN 978-3-631-57236-8, lire en ligne)
  13. Henri Amouroux, Trois fins de règne, Metvox Publications, (ISBN 979-10-94787-46-5, lire en ligne)
  14. (en) Sudhir Hazareesingh, How the French Think: An Affectionate Portrait of an Intellectual People, Penguin Books Limited, (ISBN 978-0-14-197480-4, lire en ligne)
  15. (en) O. Seliktar, The Politics of Intelligence and American Wars with Iraq, Springer, (ISBN 978-0-230-61040-8, lire en ligne)
  16. (en) Karen DeYoung, Soldier, Knopf Doubleday Publishing Group, (ISBN 978-0-307-26593-7, lire en ligne)
  17. (en) Time, Time Incorporated, (lire en ligne)
  18. (en) Kenneth R. Timmerman, The French Betrayal of America, Three Rivers Press, (ISBN 978-1-4000-5367-4, lire en ligne)
  19. (en) Philip Gordon et Jeremy Shapiro, Allies At War, McGraw Hill Professional, (ISBN 978-0-07-144690-7, lire en ligne)
  20. (en) FilmInk Digital July 2014 v9.31: Australia's Best Movie Magazine, FilmInk, (lire en ligne)
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