Culte de sainte Anne en Bretagne

Le culte de sainte Anne en Bretagne vénère une sainte bretonne qui fait partie de ces saints bretons de l'Armorique primitive. Si aujourd'hui elle est assimilée à sainte Anne, la mère de la Vierge Marie, les Armoricains ont promu comme patronne de leur nation une sainte Anne paronyme d'antiques déesses. Sainte Anne est en effet la christianisation tardive de la déesse indo-européenne Anna Pourna, c'est-à-dire Anna la Pourvoyeuse qui se retrouve sous différentes appellations (Danaé en Grèce, déesse Anna Perenna des Romains, fleuves Don et Danube, Tanit chez les Phéniciens, Dana/Ana en Irlande (crase probable pour De Ana « ta Déesse Ana »), déesse Ana en Bretagne)[1]. La racine indo-européenne ana, « souffle, âme » se retrouve ainsi dans l'anima latin et la déesse chtonique De Ana[2].

Statue de sainte Anne avec la Vierge Marie dans l'église paroissiale de Saint-Thégonnec.

Différentes traditions légendaires locales font de sainte Anne une princesse bretonne. C'est en effet une coutume fréquente de la région de gratifier miraculeusement ses saints « importés » d'une ascendance bretonne ou d'un séjour dans cette province[3]. Les Bretons de Haute comme de Basse-Bretagne la revendiquent pour leur compatriote : dans le Finistère, une légende née vers le Ve et VIe siècles fait d'elle une princesse cornouaillaise de sang royal vénérée à Sainte-Anne-la-Palud. Dans les Côtes-d'Armor, les habitants de Merléac affirment qu'elle est née chez eux, au village de Vau-Gaillard et qu'elle avait une sœur s'appelant Pitié[4]

Son culte en Armorique ne remonte pas au-delà du XIIe siècle mais eut une diffusion importante, généralement expliquée par la rémanence de l'antique déesse celtique Ana, le renouveau du culte des saints favorisé par la Contre-Réforme et une réponse au dogme de l'Immaculée Conception en 1854, la mère de Marie bénéficiant en retour de cette attention[5].

Considérée comme sainte patronne de la Bretagne depuis le XIXe siècle, elle en a reçu officiellement le titre par le Vatican en 1914, le , jour du pardon de Sainte-Anne-d'Auray.

Sainte-Anne-d'Auray est devenu le troisième au rang des pèlerinages français après Lourdes et Lisieux, la prééminence du hameau de Sainte-Anne- d'Auray sur les autres centres de pèlerinages bretons s'expliquant par le fait qu'il s'y déroule un pardon uniquement religieux, sans aucune partie foraine qui se développe dans les autres centres, à mesure que les croyances se font moins fermes[6].

Les pardons de Sainte-Anne

Sainte-Anne-la-Palud

Statue de Sainte-Anne La Palud (1548).

Selon une tradition locale légendaire, sainte Anne était réellement d'origine juive, mais, à la suite de persécutions ou pour faire pénitence, elle vient en Bretagne à la Palue, au fond de la baie de Douarnenez, où elle reçoit la visite de son petit-fils Jésus qui, sur le désir de son aïeule, fait jaillir une fontaine auprès de laquelle on bâtit la chapelle, qui devait être le refuge des infirmes et des misérables[7]. D'après cette tradition légendaire, le pèlerinage de Sainte-Anne la Palud aurait été établi au début du VIe siècle par saint Corentin et saint Gwénolé sur un terrain donné à sainte Anne par le roi Gradlon après la submersion de la Ville d'Is. La chapelle de Sainte-Anne-la-Palud de son ancien nom en 1518 Sancta-Anna-ad-Paluden dépendait jusqu'à la Révolution française de l'abbaye de Landévennec. On prétend que la chapelle remonte au temps de saint Guénolé. Une pierre du clocher de la chapelle du XVIIe siècle portait la date de 1419. La chapelle fut reconstruite plusieurs fois notamment au XVIIe siècle.

Le pèlerinage de Sainte-Anne a pris son essor dans seconde moitié du XVIIIe siècle.

L'hagiographie l'identifie à la mère de la Vierge Marie. Voici ce qu'en dit Gustave Geffroy en 1903 :

« Mariée à un seigneur méchant et jaloux qui détestait les enfants et ne voulait pas en avoir, Anne fut maltraitée et chassée une nuit par son époux, au moment où celui-ci s'aperçut de sa maternité prochaine. La pauvre femme abandonna le château de Moëllien[8] et se dirigea vers la mer où elle aperçut une lueur. C'était une barque que dirigeait un ange. Elle y monta, navigua longtemps, bien longtemps, et finalement débarqua en Judée où elle mit au monde la Vierge Marie. Elle revint en Armorique de la même façon, y fut accueillie avec des transports de joie, car on lui croyait le pouvoir d'apaiser les éléments et de guérir les maladies. Des années et des années après son retour, elle reçut la visite de son petit-fils, Jésus, venu pour solliciter sa bénédiction avant de commencer à prêcher l'Évangile. Jésus, sur le désir de son aïeule, fit jaillir une fontaine auprès de laquelle on bâtit la chapelle, qui devait être le refuge des infirmes et des misérables. Quand Anne mourut, on chercha partout, mais vainement, sa dépouille ; on ne la retrouva que bien des années plus tard baignant dans les flots, encroûtée de coquillages[9]. »

En raison de cette légende, sainte Anne est surnommée « Mamm gozh ar Vretoned » (la « grand-mère des Bretons ») et très vénérée en Bretagne.

Sainte-Anne-d'Auray

Une autre légende, complémentaire, concernant la même sainte, est à l'origine d'un autre lieu célèbre de pèlerinage en Bretagne: Sainte-Anne-d'Auray. Elle se serait manifestée à un paysan, Yves Nicolazic, en 1623 et apparue à plusieurs reprises en 1624 près d'Auray en Morbihan. Elle lui aurait demandé la construction d'une chapelle en son honneur, en ce lieu du village de Ker-Anna (qui en breton signifie Le village d'Anne) dans un champ sur lequel il y aurait déjà eu une chapelle dédiée à sainte Anne, détruite au début de l'année 700[10]. Ker-Anna est l'expression même de ce syncrétisme breton entre le vieux fond païen de la déesse Anna (le culte des sources, des forêts et des sommets où sont édifiés la plupart des chapelles chrétiennes est généralement associé à cette divinité pré-chrétienne) et le culte des saints chrétiens, en l'occurrence sainte Anne[11].

Dans la nuit du , Yves Nicolazic, son beau-frère et 4 voisins, parmi lesquels certains rapportent avoir vu un flambeau les guider, déterrent une statue en bois d'olivier fort mutilée. Cette statue était celle de la déesse romaine Bona Dea allaitant deux enfants mais elle est discrètement resculptée par les moines capucins d'Auray pour en faire l'image de sainte Anne trinitaire tenant sur ses genoux la Vierge et l'Enfant Jésus[12]. Le naïf Nicolazic est ainsi le jouet d'une supercherie de ces capucins qui retaillent la statue, la repeignent et la revêtissent pour en faire celle de sainte Anne alors qu'elle avait une origine païenne[13].

Malgré cette origine douteuse, l'évêque de Vannes Sébastien de Rosmadec, après enquête des moines et interrogatoires de Yves Nicolazic, autorise le culte de la sainte (premier pardon le )[14] et la construction de la chapelle qui reçoit le sa bénédiction solennelle par l'official de Vannes. En l'an 1865, la chapelle trop petite pour accueillir les fidèles (l'arrivée du chemin de fer dans les années 1860 favorisant ces pèlerinages) est détruite pour édifier à la place la basilique Sainte-Anne d'Auray[15].

La déesse Ana

La popularité de sainte Anne chez les Bretons est alimentée par la figure de l'antique déesse Ana/Dana (la déesse-mère des Tuatha Dé Danann en Irlande)[16].

Ana ou Dana est associée à la représentation de la Déesse mère, Mamm gozh, la mère de tous les autres dieux, et archétype des Matrones protectrices[17].

Sainte patronne de la Bretagne

En 1912, les évêques bretons, voulant accroître la piété envers sainte Anne, adressent une supplique au pape pour lui demander d'introduire l'invocation de la sainte dans la litanie des saints avant sainte Marie-Madeleine. Non seulement le pape Pie X accède à leur demande mais, deux ans plus tard le , la consacre officiellement « Patrona Provinciae Britanniae » (patronne de la province de Bretagne)[18].

Références

  1. Jean Markale, La grande épopée des celtes, Pygmalion, , p. 82
  2. Eric Muraise, Sainte Anne et la Bretagne, Fernand Lanore, , p. 26
  3. Georges Provost, La fête et le sacré. Pardons et pèlerinages en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Le Cerf, , p. 57
  4. Paul Sébillot, Petite légende dorée de la Haute-Bretagne, Société des bibliophiles bretons et de l'histoire de Bretagne, , p. 83
  5. Anne Brassié, Sainte Anne. De Jérusalem à Auray, Artege Editions, , p. 101
  6. Emile Gabory, Sainte-Anne d'Auray, Plon, , p. 25
  7. Emile Gabory, Sainte-Anne d'Auray, Plon, , p. 21
  8. Situé en Plonévez-Porzay, donc proche de Sainte-Anne-la-Palud
  9. Gustave Geffroy, "La Bretagne du centre" dans "Le Tour du monde", Hachette, Paris, juillet 1903, consultable https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k34446z/f198.pagination
  10. Emile Gabory, Sainte-Anne d'Auray, Plon, , p. 80
  11. Frañses Favereau, Bretagne contemporaine : langue, culture, identité, Skol Vreizh, , p. 110
  12. Louis Réau, Iconographie de l'art chrétien, Presses universitaires de France, , p. 92
  13. Eric Muraise, Sainte Anne et la Bretagne, Fernand Lanore, , p. 40
  14. Eric Muraise, Sainte Anne et la Bretagne, Fernand Lanore, , p. 41
  15. Patrick Huchet, La grande histoire de Sainte-Anne d'Auray, Editions Pierre Téqui, , p. 89
  16. Claude Sterckx, Mythologie du monde celte, page 220, Marabout, Paris, 2009, (ISBN 978-2-501-05410-2).
  17. Dictionnaire de mythologie celtique, Persigoult, 2009, page 25
  18. Anne Brassié, Sainte Anne. De Jérusalem à Auray, Artège Editions, , p. 101

Voir aussi

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Éric Muraise, Sainte Anne et la Bretagne, Fernand Lanore,
  • Anne Brassié, Sainte Anne. De Jérusalem à Auray, Artege Editions,

Liens externes

  • Charles Chassé, « Le culte breton de Sainte-Anne et la vénération des Vierges noires », Annales de Bretagne, no Tome 52, numéro 1, , p. 60-67 (lire en ligne)
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