Contrôle des loyers
Le contrôle des loyers consiste en des lois et règlements qui fixent des limites aux niveaux des loyers, ou aux augmentations qu'on peut leur appliquer. Ils constituent de fait une forme de prix plafonds.
Histoire et géographie du contrôle des loyers
En Allemagne
Depuis 1971, le « Mietspiegel » (miroir des loyers) est évalué quartier par quartier. Il est interdit de dépasser de 20 % ce montant[1]. Depuis 2015 à Berlin, il est interdit d'augmenter de plus de 10 % le loyer en passant d'un locataire à l'autre. À partir de 2019, le land de Berlin décide de geler la hausse des loyers pour une durée de cinq ans.
Aux États-Unis
Les premiers contrôles des loyers ont été adoptés à la suite des pénuries post Seconde Guerre mondiale, ou en rapport avec le contrôle des prix et des salaires imposé par Richard Nixon en 1971. Ils sont toujours en place dans les villes comportant une forte population locataire, comme New York, San Francisco, et Washington. Certaines villes plus petites en ont aussi, notamment Santa Monica et West Hollywood en Californie, tout comme plusieurs petites villes du New Jersey. Ces dernières années, plusieurs villes, dont Boston et Cambridge (Massachusetts), ont abandonné leurs contrôles.
Dans certaines régions, le contrôle des loyers est plus souvent adopté pour les « parcs » de maisons mobiles parce que leurs propriétaires louent les terrains et que des hausses prohibitives les obligeraient à déplacer leurs maisons, ce qui entraînerait des coûts importants et une perte de valeur. En Californie, par exemple, seulement 13 municipalités ont des contrôles des loyers pour les appartements, mais plus de cent en ont pour les maisons mobiles.
L'étendue des contrôles est généralement limitée dans les législations courantes. Ils peuvent n'affecter par exemple que les plus grands ou les plus anciens immeubles. La fréquence et le niveau des augmentations de loyer sont encadrés par la loi, habituellement limités au taux d'inflation défini par l'indice des prix à la consommation ou à une fraction de celui-ci (San Francisco, par exemple, permet des augmentations annuelles de loyer à 60 % de l'IPC).
Certaines juridictions permettent des augmentations de loyer non réglementées à l'arrivée d'un nouveau locataire. Le propriétaire a alors une occasion de démontrer qu'il ne reçoit pas un juste profit, par exemple en prouvant une augmentation des coûts (telles que des améliorations de capital) qui devrait être transmise au locataire. Celui-ci peut aussi réclamer qu'une baisse de services ou le manque de réparations soit compensé par une réduction de loyer.
Dans certains cas, il peut être demandé aux propriétaires d'enregistrer les niveaux courants de loyer ou de fournir d'autres informations sur les augmentations de loyer ou des arrêts de location.
En France
Entre 1622 et 1649, sept arrêtés ont été pris pour imposer la réduction des loyers à Paris. L'économiste Henri Baudrillart note : « Les propriétaires n'en tinrent nul compte, et l'on assiste alors à une de ces luttes instructives entre la loi naturelle qui régit les intérêts selon les fluctuations de l'offre et de la demande, et la loi positive qui prétend la faire céder à des considérations d'humanité ou de politique »[2] ».
En France, après une libéralisation des loyers au cours de la deuxième moitié du XXe siècle , avec l'extinction des logements relevant de la loi de 1948, de nouvelles mesures d'encadrement des loyers ont été mises en place dans les années 2010, dont principalement la limitation de la hausse des loyers dans certaines grandes villes depuis 2012 et toujours en vigueur[3].
Loi ALUR
Une première tentative d'encadrement des loyers du secteur privé est introduite par la loi ALUR en 2014. Malgré la loi du sur les rapports locatifs et malgré la « loi DALO », la ministre Cécile Duflot de chercher à « éliminer les excès, contenir une évolution des prix supportable et ainsi protéger le budget des Français » dans les zones de tensions sur les montants des loyers[4]. La loi désigne certaines zones comme « tendues » (28 agglomérations de plus de 50 000 habitants)[5], dans lesquelles elle souhaite imposer un encadrement des prix des loyers (application de la taxe sur les logements vacants).
Un arrêté préfectoral annuel doit alors fixer (par catégorie de logement et par quartier), trois indicateurs de loyers :
- un loyer médian de référence ;
- un loyer médian de référence majoré de 20 %, au-delà duquel le propriétaire ne pourra pas aller ;
- un loyer médian de référence minoré ; loyer plancher (inférieur de 30 % au loyer médian) en deçà duquel le propriétaire pourra demander une hausse.
Sur la base d'observatoires locaux des loyers[6]. doit être défini un loyer de référence. Un « complément de loyer exceptionnel » pourra être ajouté au loyer de base pour des logements jugés particulièrement « bien situés » ou plus confortables, mais le locataire pourra le contester auprès de la commission départementale de conciliation[7].
Ce dispositif est applicable pour les logements privés (meublé, nu) mais n’est pas applicable pour les logements HLM ou les locations saisonnières. Cet encadrement pour tout nouveau contrat et renouvellement de contrat permet de limiter un prix excessif des loyers par un loyer médian qui peut être dépassé de 20 % de la médiane[8].
Après l'annulation de la mesure par la Justice fin 2017, il est constaté dans les mois suivants une forte hausse des loyers à la relocation à Paris, le taux de loyers conformes chutant de 40 % à 13 %[9]
Loi ELAN
De nouvelles dispositions sont introduites par la loi ELAN votée en novembre 2018. Leur non-respect peut entraîner par le préfet une amende administrative de 5 000 euros pour un bailleur privé qui refuserait de se mettre en conformité avec l’arrêté des loyers et de 15 000 euros pour une personne morale[10]. Un décret du 12 avril 2019[11] permet que l'encadrement des loyers soit de nouveau effectif à Paris depuis le 1er juillet 2019[12] et à Lille depuis le 1er mars 2020[13].
Comité scientifique de l'observation des loyers
Le comité scientifique de l'observation des loyers[14], créé le 5 novembre 2014[15] est placé auprès du ministre chargé du logement. Il est garant de la qualité statistique des données diffusées par les observatoires. Le comité est composé de cinq experts choisis en raison de leur qualification en matière économique dans le domaine du logement ou des statistiques.
Aux Pays-Bas
Chaque logement se voit attribuer un certain nombre de points, qui dépendent de sa surface, mais également de son confort et de son équipement : le loyer ne doit pas dépasser une somme correspondant au nombre de points[1].
Au Royaume-Uni
L'encadrement des loyers est mis en place en 1915 à la suite des pénuries de la Première Guerre mondiale, et est prolongé pendant la Seconde Guerre mondiale[16]. Le dispositif est progressivement adouci jusqu'en 1989 où il est supprimé totalement.
En Suède
Jusqu'en 2011, dans chaque ville, les syndicats de locataires et les conseils municipaux définissaient un prix annuel, que les loyers ne devaient pas dépasser de plus de 5 %[1]. En 2011, la Commission européenne a considéré cela comme une entrave à la libre concurrence, et les intérêts des propriétaires doivent être pris en compte. La Suède reste le pays d'Europe avec la régulation des loyers la plus stricte. Le pays est victime d'une forte pénurie de logements : il faut neuf ans en moyenne pour obtenir un logement[17].
Débats sur la pertinence du contrôle
Arguments pour
Le contrôle des loyers est défendu pour des raisons essentiellement sociales :
- Politiques :
- défense d'un droit au logement, de valeur conçue comme supérieure au droit de propriété et justifiant, à ce titre, un contrôle politique fort pour assurer un juste prix ;
- conception politique selon laquelle (au risque de la caricature) le propriétaire nanti dispose de pouvoir et de moyens de pression pour abuser le locataire qui, sans la protection de la loi, subirait loyers excessifs et expulsion inique.
- conception politique selon laquelle, en général, le marché est défaillant et doit être dirigé ;
- électoralisme : les locataires sont plus nombreux que les propriétaires-bailleurs et leur poids électoral est plus fort ; le blocage des loyers donne donc, à court terme, un avantage électoral.
- Conjoncturelles : en cas de crise ou de guerre, le marché peut réagir très fortement, avec des effets socialement très négatifs (baisse des revenus mais hausse de la demande et de certains loyers), que l'autorité peut tenter d'empêcher par le blocage des prix en général, et notamment pour des denrées de première nécessité telle que le pain et le logement.
- Économique : le maintien d'un stock de logements à prix abordable serait essentiel à la croissance de l'emploi.
- Mixité sociale : le maintien de quartiers diversifiés en termes d'âge et de statut économique serait souhaitable, et serait rendu possible par le contrôle de certains loyers.
Arguments contre
- après les bombes incendiaires, le contrôle des loyers [est] le plus sûr moyen de raser une ville[19].
Les économistes considèrent que le blocage des loyers a souvent des effets pervers, diminuant l'entretien et la construction, et aggravant ainsi la pénurie de logements[20]. Pour le professeur d'économie Alexandre Delaigue, le consensus des économistes contre le contrôle des loyers dépasse les clivages, et les conséquences négatives sont souvent validées par les études empiriques[21].
Dans le détail, le contrôle des loyers est critiqué pour une large palette de raisons :
- Pragmatique : même en adhérant aux objectifs et aux conceptions qui précèdent, en faveur d'une intervention publique, il importe de juger cette technique d'intervention par rapport aux autres qu'on peut envisager (subvention et autres aides aux locataires, aux bailleurs, aux constructeurs ; accession à la propriété ; etc.), sur la durée, en tenant compte du coût d'opportunité (ce qui est investi dans cette technique ne sera pas disponible pour une autre). En pratique, il faudrait donc prouver que le contrôle des loyers est au moins équivalent à toute autre technique ayant les mêmes buts, alors que l'évidence empirique montre que la situation globale se dégrade pour tous (dégradation qualitative et quantitative du parc), même si évidemment il y a un gain pour les locataires au moment de la mise sous contrôle (et non pour les mal-logés en général)
- Politiques :
- défense du droit de propriété, notamment pour des raisons financières (le blocage des loyers réduit la rentabilité et donc la valeur du bien immobilier) ; les effets d'un blocage des loyers sont de ce point de vue similaires à une expropriation partielle sans compensation. Aux États-Unis, beaucoup[réf. nécessaire] de contestations judiciaires ont été basées sur de tels arguments, mais les tribunaux ont généralement maintenu les législations.
- conception politique selon laquelle (au risque de la caricature) le locataire peut (et n'a qu'à) devenir propriétaire ou trouver une autre location, s'il n'est pas satisfait des conditions offertes par son propriétaire.
- conception politique selon laquelle, en général, l'intervention politique est défaillante et n'est pas capable de corriger les (éventuels) défauts du marché, mais plutôt de les accroître ou de les créer (libéralisme).
- Conjoncturelles : en cas de crise, il faudrait que le marché réagisse, pour adapter la société aux conditions nouvelles ; les adaptations demandées sont évidemment désagréables, voire douloureuses, mais l'absence d'adaptation produit des effets encore pires en offrant des rentes de situation, un terrain propice à l'illégalité (marché noir…), à la corruption (passe-droit…), etc.
- Économique : le maintien d'un loyer en accord avec la demande réelle est essentiel
- côté investisseurs : pour maintenir une motivation économique à la construction neuve et à la rénovation, sans laquelle la quantité et la qualité des logements sont limitées (Cf. malthusianisme)
- côté locataires : pour ne pas distordre artificiellement la demande, ne pas créer de rentes de situation en faveur de ceux qui sont déjà logés au détriment de ceux qui cherchent à se loger, laisser le partage se faire objectivement entre les locataires (adéquation entre la taille de la famille et la taille des logements, notamment)
- Mobilité sociale : le blocage des loyers est aussi un frein à l'ascenseur social, en faveur des anciens bénéficiaires du système (qui peuvent conserver un logement correspondant à leur ancien statut), au détriment des populations en phase ascendante.
- Lutte contre la spéculation : le blocage des loyers crée une possibilité de déblocage, dont résulterait une création de valeur artificielle, propice à la spéculation immobilière.
- Lutte contre l'illégalité, la corruption, la discrimination, etc. : toute réglementation offre un avantage à ceux qui sont capables (en pratique et moralement) de la violer. Le blocage des loyers permet notamment des pratiques de « pas-de-porte » et de « reprise » (on exige du nouveau locataire un versement occulte, qui échappe au fisc, à l'entrée dans les lieux, respectivement en faveur du propriétaire et du locataire sortant), de « piston » ou, inversement, de discrimination. Offrir un logement (de fonction par exemple) devient un complément de rémunération d'autant plus appréciable que sa valeur réelle est bien supérieure à sa valeur officielle (celle qui sert de base pour le fisc). Une nouvelle occasion de corruption et de financement illégal des partis politiques apparaît. Toutes ces pratiques nuisent au climat moral général dans la société.
- Certains logements sont exclus car ils sont devenus rares.
- Mixité sociale: avantage pour les riches locataires occupant depuis longtemps un appartement de choix. Ils sont gagnants car le prix de leurs locations a diminué.
- Équité: les bénéficiaires d'un loyer modéré en raison du plafonnement ne sont pas nécessairement ceux qui en ont le plus besoin.
Références
- Youssr Youssef, « Encadrement des loyers : ce qui se fait en Europe », sur Les Échos, (consulté le ).
- Henri Baudrillart, Histoire du luxe privé et public, depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, Tome IV, Librairie Hachette et Cie, 1881, p.40. Lire en ligne
- « IMMOBILIER : L'ENCADREMENT DES LOYERS EST DE RETOUR », sur Capital, (consulté le )
- « Alur, entrée en vigueur des principales mesures en urbanisme et planification », (PDF- 258.5ko)
- « Zone tendue en loi ALUR », sur la-loi-alur.org (consulté le )
- Art. 6, avec Légifrance
- « La loi Alur », sur locservice.fr (consulté le )
- Agence France Presse, « Les principales mesures du projet de loi Alur adopté ce jeudi », sur 20minutes.fr, (consulté le )
- Noémie Bonnin et Sophie Auvigne, « Paris : les prix des locations s'envolent depuis la fin de l'encadrement des loyers », sur francetvinfo.fr, (consulté le )
- Nathalie Coulaud, « L’encadrement des loyers revient par la – petite – fenêtre », sur lemonde.fr, (consulté le )
- [https://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=LOGL1906248D Décret no 2019-315 du 12 avril 2019 fixant le périmètre du territoire de la ville de Paris sur lequel est mis en place le dispositif d’encadrement des loyers prévu à l’article 140 de la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique]
- Charlie Cailloux, « Encadrement des loyers à Paris : c'est reparti ! », sur De Particulier à Particulier, (consulté le )
- Charlie Cailloux, « L’encadrement des loyers en vigueur à Lille au 1er mars 2020 », sur De Particulier à Particulier, (consulté le )
- « Le comité scientifique de l'observation des loyers », sur observatoires-des-loyers.org
- Décret n° 2014-1334 du 5 novembre 2014 relatif aux observatoires locaux des loyers, aux modalités de communication et de diffusion de leurs données et à la création du Comité scientifique de l'observation des loyers
- (en) Wendy Wilson, « A short history of rent control », sur Parlement britannique, (consulté le ).
- (en) Maddy Savage, « The city with 20-year waiting lists for rental homes », sur BBC.com, (consulté le ).
- Judith Duportail, « Quatre pays européens encadrent les loyers », sur Le Figaro, (consulté le ).
- The housing shortage. A study of the price system in the housing market – 1963, Assar Lindbeck (économiste suédois, président du comité « Nobel d'économie »), cité par Vincent Bénard in LOGEMENT : Crise publique, remèdes privés
- (en) « Europe embraces rent controls, a policy that never works », sur economist.com, (consulté le ).
- Alexandre Delaigue, « Les loyers, la politique et les économistes », sur France Info, (consulté le ).
Voir aussi
Bibliographie
- Vincent Bénard, Le logement : crise publique, remèdes privés, Romillat, (ISBN 978-2-87894-136-4)
- (en) John I. Gilderbloom (dir.), Rent Control : A Source Book, Center for Policy Alternatives, , 3e éd. (ISBN 0-938806-01-7)
- Henry Hazlitt (trad. de l'anglais par Mme Gaëtan Pirou et M. Hervé de Quengo), L'Économie Politique en une Leçon, Paris, Institut Charles Coquelin, , 185 p. (ISBN 2-915909-06-7, présentation en ligne, lire en ligne), chap. XVIII (« Les résultats du contrôle des loyers »), p. 113-
- (en) Paul Krugman, « A Rent Affair », The New York Times, (lire en ligne, consulté le )
- (en) Paul L. Niebanck (dir.), The Rent Control Debate, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, , 160 p. (ISBN 978-0-8078-4142-6, présentation en ligne)
- (en) Alex Williams, « Rent Asunder », New York Magazine, (lire en ligne, consulté le )
Liens externes
- Trevor Burrus, « Will The Supreme Court End New York's Rent Control Laws? », sur YouTube, ReasonTV, (consulté le )
- Milton Friedman, George J. Stigler, « Des toits ou des planchers ? La crise actuelle du logement », sur Institut Coppet, (consulté le )
- Pascal-Emmanuel Gobry, « Contrôle des loyers : retour au Moyen Âge économique », sur Atlantico, (consulté le )
- (en) Rent Control History in Ontario and Canada
- (en) Anti-rent control research from the libertarian/conservative Cato Institute
Liens internes
- Logement social
- Loi de 1948 (France)
- Glossaire de l'immobilier
- Gouvernement de Jorge Pacheco Areco (Uruguay, 1967-1971)
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