Chiffrage des accords

Le chiffrage des accords est une notation représentant les accords dans la musique tonale.

Utilisé à l'origine à la période baroque (XVIIe et XVIIIe siècles) pour construire la basse continue, il sert à partir du XXe siècle pour improviser le jazz et à la retranscription des grilles harmoniques de rock et de pop, ainsi qu'à l'analyse harmonique[1].

Chiffrage classique

En harmonie tonale, le chiffrage sert à décrire et analyser les accords dans leur contexte tonal[2]. Les signes conventionnels placés au-dessus ou au-dessous de la partie analysée sont[2] :

Chiffres du chiffrage

Chaque chiffre désigne une note, ou plus précisément, l'intervalle — « 2 », pour une seconde, « 3 » pour une tierce, « 4 », pour une quarte, etc. — situé entre cette note et la basse de l'accord, cet intervalle pouvant être éventuellement redoublé (exemple A ci-dessous).

  • Les chiffres représentent les intervalles que forment les notes de l'accord « par rapport à la basse », et non pas par rapport à la fondamentale.
Par exemple, le chiffrage de l'accord de trois sons do-fa-la (deuxième renversement de fa-la-do, dont la fondamentale est fa), est effectué au moyen de deux chiffres, un « 4 » et un « 6 », au-dessus du do de la basse ; le « 4 », signifiant une « quarte », représente la fondamentale — fa —, et le « 6 », signifiant une « sixte », représente la tierce — la :
Il est donc très prudent, lorsqu'on parle par exemple d'une « tierce », de préciser s'il s'agit de la tierce « de l'accord » — autrement dit, la tierce de la fondamentale — ou bien s'il s'agit de la tierce « de la basse », représentée par le chiffrage, ceci, afin d'éviter tout malentendu en cas d'accord renversé.
  • Exemples :
  • Ordinairement, en cas de pluralité de chiffres, ceux-ci sont disposés de manière ascendante et par ordre croissant : « 2, 3, 4, 5, etc. » (exemple A). La réalisation de l'accord au-dessus de la note de basse est alors laissée au libre choix de l'exécutant, lequel peut doubler la note qu'il veut, opter pour la position serrée ou large, redoubler éventuellement certains intervalles, etc. (exemple B).
  • Si les chiffres ne se suivent pas dans l'ordre croissant, c'est que l'accord réclame une disposition spéciale, voulue, soit par le compositeur lui-même (exemple C), soit par les propres règles de réalisation de ce type d'accord.
Certains accords de cinq notes en effet, exigent une disposition spéciale ; dans ce cas, l'ordre ascendant des chiffres représente cette disposition.
  • L'armure permet de déterminer le qualificatif de l'intervalle en question — majeur, mineur, juste, etc. —, toutefois un intervalle diminuéquinte et septième, essentiellement — est généralement indiqué par un chiffre barré (exemple D).
  • Certains chiffres peuvent être sous-entendus. C'est très souvent le cas de la tierce de la basse (exemple E), ou encore celui de la quinte de la basse lorsque celle-ci est juste. En conséquence, lorsqu'il n'y a aucun chiffre, c'est l'accord parfait — donc, fondamental, majeur ou mineur, selon le cas — qui est voulu (exemple F).

Symboles annexes du chiffrage

  • Une altération accidentelle devant un chiffre affecte la note représentée par ce chiffre (exemple A). Une altération accidentelle non suivie d'un chiffre affecte la tierce de la basse qui est alors sous-entendue (exemple B).
Certains chiffrages spéciaux ne comportent aucune altération accidentelle : il s'agit essentiellement des accords de quatre et cinq notes placés sur la dominante. Dans ce cas en effet, le chiffrage, suffisamment précis par lui-même — il indique et le chiffre et le qualificatif de chaque intervalle de l'accord à réaliser —, rend toute altération superflue.
  • Une ligne horizontale après un chiffre indique la prolongation d'une ou plusieurs notes de l'accord, sans interdire d'éventuels changements de position (exemple D).
  • Une ligne horizontale avant un chiffre est employée exceptionnellement pour le chiffrage du retard de la basse.
  • Un zéro indique une absence d'harmonie (exemple E).
  • Exemples :

Chiffrages historiques de la basse continue

Les chiffrages d'accords tels qu'ils sont décrits ci-dessus sont le dernier état d'une évolution. En réalité, à l'époque de la basse continue, ils pouvaient être différents : la septième de dominante ne s'écrivait pas 7/+ mais 7, on n'écrivait pas +6/3 mais 6 barré, etc.

Usage pédagogique

Abandonné par les compositeurs dès le début du XIXe siècle, le chiffrage des accords n'est plus utilisé depuis que comme procédé pédagogique dans les cours d'harmonie et d'analyse harmonique. Il convient de noter cependant, que si cette ingénieuse sténographie permet à coup sûr d'identifier la structure d'un accord, elle est en revanche incapable de faire apparaître sa fonction : par exemple les accords de trois sons situés sur les degrés I et V, sont chiffrés de la même façon alors qu'ils ont des fonctions différentes — respectivement tonique et dominante.

C'est pourquoi on ajoute habituellement (en France) les chiffres romains, représentant les fondamentales, au-dessous du chiffrage d'accord en chiffres arabes : c'est le chiffrage des degrés.

Certains auteurs — Jacques Chailley, entre autres — préconisent l'usage d'un autre mode de chiffrage, capable d'indiquer à la fois la structure et la fonction des accords, et donc, pouvant être utilisé comme moyen d'analyse harmonique : le « chiffrage de fonction ». Dans ce nouveau mode de chiffrage, chaque accord est représenté par un chiffre romain surmonté de points, et suivi d'un chiffre. Le chiffre romain représente le degré de la fondamentale de l'accord, le chiffre symbolise la famille de cet accord — pas de chiffre, pour un accord de trois sons, « 7 », pour un accord de quatre sons, etc. —, les points enfin, indiquent l'état de l'accord en question — pas de point pour l'état fondamental, un point pour le premier renversement, deux pour le second, etc.

Un autre système, introduit par Hugo Riemann en 1893 et généralement répandu en Allemagne donne la priorité à la désignation de la fonction, le chiffrage restant le même tout au long des renversements, la note de basse étant désignée par le numéro de la note assigné à cette basse. La désignation des fonctions se fait par un système élaboré fondé sur des fonctions de base et des modificateurs de ces fonctions, ainsi qu'un langage particulier de signes décrivant l'évolution d'une progression harmonique.

Cependant le système chiffré(s) (accord) / chiffre romain (degré) reste le plus communément utilisé en France, malgré la limite représentée par la confusion du degré et de la fonction : ainsi l'accord de quarte-et-sixte cadentiel, qui se chiffre , mais qui, fonctionnellement, appartient à la dominante, est souvent incorrectement chiffré par des analystes. Pour remédier à ce problème, Claude Abromont[3] propose, en synthétisant le chiffrage français et l'écriture issue de la théorie des fonctions de Hugo Riemann, de noter différemment le degré (chiffre romain) et fonction (lettre). (Dans le cas de la quarte-et-sixte : .)

Chiffrage moderne

En harmonie du jazz et dans les musiques apparentées telles que la pop music et le rock'n roll, les signes conventionnels sont utilisés d'une manière similaire à l'harmonie classique. Et ce pour:

Les qualités d'accords et les renversements sont décrits selon un système partiellement standardisé fait de lettres de l'alphabet latin, de chiffres romains, et de symboles spéciaux empruntés à la notation musicale et à l'alphabet grec[4].

Formule d'accord

On se sert de chiffres arabes pour indiquer la composition d'un accord à l'aide de ses intervalles constitutifs, définis à partir de la fondamentale. Chaque chiffre décrit l'intervalle de la gamme majeure correspondant. Les altérations usuelles permettent de spécifier les intervalles altérés. La triade majeure est donc décrite par la séquence 1-3-5. La triade mineure est décrite par la séquence 1-b3-5[4].

Intervalles de référence
Chiffre Intervalle
1 Unisson
2 Seconde Majeure
3 Tierce Majeure
4 Quarte Juste
5 Quinte Juste
6 Sixte Majeure
7 Septième Majeure
Formules des principaux accords à trois sons
Nom Formule Exemple
Triade majeure 1-3-5 Do - Mi - Sol
Triade mineure 1-b3-5 Do - Mi bémol - Sol
Triade diminuée 1-b3-b5 Do - Mi bémol - Sol bémol
Triade augmentée 1-3-#5 Do - Mi - Sol dièse

Degrés

Les degrés sont décrits en utilisant les chiffres romains. Les degrés de la gamme majeure sont les degrés de référence. Les degrés altérés sont décrits en ajoutant les altérations usuelles[4]. Dans l'analyse d'un morceau jazz, du fait de l'abondance de dominantes secondaires et autres emprunts, il est d'usage de spécifier la qualité de l'accord en ajoutant, à la suite du chiffre romain désignant le degré de la fondamentale, les symboles de chiffrages décrits ci-dessous.

Chiffrage des qualités d'accords

Dans le jazz et dans nombre de musiques improvisées, ce chiffrage joue un rôle particulièrement important puisque utilisé souvent sous la forme d'une grille harmonique pour définir un cadre aux improvisations[5]. La connaissance des conventions du chiffrage d'accords fait partie de la théorie du jazz. La réalisation sonore de l'accord, voicing, est déterminée par les contraintes qui découlent de l'instrumentation, du style, et de la conduite des voix.

Le système de notation anglo-saxonne qui utilise des lettres à la place des noms de notes sert à définir la note fondamentale de l'accord[4].

Nom de Note Lettre
Do C
D
Mi E
Fa F
Sol G
La A
Si B

Sans précision supplémentaire, l'accord correspondant est un accord parfait majeur, ou triade majeure. Les précisions apportées après la fondamentale servent à modifier l'accord de référence, à apporter des éléments supplémentaires, ou à en enlever.

Qualité d'accords

Les qualités majeure, mineure, augmenté, diminué sont indiquées par un symbole spécifique.

Symbole Qualité Exemple Notes Formule
Pas de symbole Majeur C do - mi - sol 1 - 3 - 5
, m ou min Mineur C–, Cmin do - mi bémol - sol 1 - b3 - 5
+, aug Augmenté C+, Caug do - mi- sol dièse 1 - 3 - #5
°, dim Diminué , Cdim do - mi bémol - sol bémol 1 - b3 - b5
sus, sus4 Suspendu Csus, Csus4 do - fa - sol 1 - 4 - 5

Accords à quatre sons

La quatrième note doit être décrite explicitement soit à l'aide d'un symbole, soit à l'aide d'un chiffre.

Symbole/Chiffre Qualité Exemple Notes Formule
Δ, Maj7 De septième majeure do - mi - sol - si 1 - 3 - 5 - 7
–Δ, –M7, –Maj7[6] De septième majeure avec tierce mineure C–Δ do - mi bémol - sol - si 1 - b3 - 5 - 7
7 De septième mineure C7 do - mi - sol - si bémol 1 - 3 - 5 - b7
–7, min7 Mineur 7 C–7 do - mi bémol - sol - si bémol 1 - b3 - 5 - b7
Ø , –7b5 Demi-diminué CØ, C–7b5 do - mi bémol - sol bémol - si bémol 1 - b3 - b5 - b7
6 De sixième C6 do - mi - sol - la 1 - 3 - 5 - 6
–6, min6 Mineur 6 C–6 do - mi bémol - sol - la 1 - b3 - 5 - 6
sus suspendu C7sus4 do - fa - sol - sib 1 - 4 - 5 - b7

Les accords suspendus se notent : Csus4 = Do-Fa-Sol ou Csus2 = Do-Ré-Sol. On remplace ici la tierce par une quarte (sus4) ou une seconde (sus2).

Les accords avec note ajoutée se notent : Cadd2 = Do-Ré-Mi-Sol, Cadd4 = Do-Mi-Fa-Sol, Cadd9 = Do-Mi-Sol-Ré, etc.

Renversements

Les renversements sont chiffrés en spécifiant l'accord et la note la plus grave du renversement, c'est-à-dire la note qui aura une fonction de basse à la place de la fondamentale. Une barre oblique "/" sépare les deux indications.

Chiffrage Renversement Notes
C Position fondamentale Do - Mi - Sol
C/E Premier renversement Mi - Sol - Do
C/G Deuxième renversement Sol - Do - Mi

Extensions des accords

Enfin notons que dans le jazz sont fréquemment utilisées des extensions de l'accord, c'est-à-dire que l'on continue à empiler des tierces après la septième. On peut ainsi trouver des accords avec une neuvième (9), une onzième (11) ou une treizième (13) -parfois altérées-, qui donnent plus de couleurs à l'accord. Les jazzmen prennent d'ailleurs parfois des libertés quant à la composition de l'accord, substituant la quinte par une treizième ou jouant un accord de septième de dominante b9b13 afin d'accentuer les tensions.

Accords hybrides

« The simplest definition of a slash chord is "a triad over a bass note". »[7]

Accords hybrides et renversement utilisent le même principe de notation, à savoir une triade, une barre oblique, une basse. Mais, à la différence des renversements, les accords hybrides sont construits avec des basses qui n'appartiennent pas à la triade. Par ailleurs, la configuration la plus commune étant d'utiliser le deuxième renversement de la triade[7].

Notes et références

  1. Abromont 2001, p. 157
  2. Gouttenoire et Guye 2006, p. 26
  3. Abromont 2001, p. 185
  4. Jaques Siron, Bases des mots aux sons, Paris, Outre mesure, , 207 p. (ISBN 2-907891-23-5, notice BnF no FRBNF39158462), p. 15-16
  5. Philippe Baudoin, Jazz Mode d'emploi, 1990, Outre Mesure, pp.29
  6. « Accord Mineur septième majeure », sur Théorie musicale (consulté le )
  7. (en) Mark Levine, The jazz theory book, Sher Music, (ISBN 1883217040, OCLC 34280067, lire en ligne), p. 104

Annexes

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Claude Abromont et Eugène de Montalembert, Guide de la théorie de la musique, Librairie Arthème Fayard et Éditions Henry Lemoine, coll. « Les indispensables de la musique », , 608 p. [détail des éditions] (ISBN 978-2-213-60977-5)
  • Philippe Gouttenoire et Jean-Philippe Guye, Vocabulaire pratique d'analyse musicale, DELATOUR FRANCE, , 128 p. (ISBN 978-2-7521-0020-7)
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