Catherine Mavrikakis

Catherine Mavrikakis, née le à Chicago[1], est une écrivaine et essayiste québécoise. Elle est aussi professeure au département des littératures de langue française de l'Université de Montréal depuis , après avoir été professeure à l’Université Concordia de 1993 à 2003.

Biographie

Née d'une mère française et d'un père d'origine grecque qui a grandi en Algérie, Catherine Mavrikakis eut une formation en littérature comparée, pour laquelle elle obtint un doctorat en 1989. Sa thèse intitulée « Langue familière, langue étrangère : de la pureté d'une langue à sa traduction », porte sur la langue, la folie et la fondation de la littérature nationale dans le corpus suivant : Mallarmé, Nodier, Freud et Schreber, Khlebnikov, Hölderlin, Heidegger et les Romantiques allemands.

Elle a également travaillé sur différents sujets, tels la filiation, le deuil, la maladie dans l’écriture moderne. Son mémoire de maîtrise a pour titre « La question de la fin de l'histoire dans Le dernier homme de Maurice Blanchot ». Ses recherches tentent de penser le discours littéraire et social sur la santé actuelle (Foucault), les idées de contamination, contagion et influence dans les écrits du sida et l’imaginaire de l’aveu, de la souffrance à nommer dans le récit contemporain (Christine Angot, Chloé Delaume, Guillaume Dustan, Anne-Marie Alonzo). En ce moment, elle travaille plus spécifiquement sur la place de la photographie dans l’« autofiction ». Elle s’intéresse aussi au processus créateur dans la théorie psychanalytique et dans le discours tenu par les écrivains. Elle participe depuis longtemps au festival littéraire international Metropolis bleu.

Œuvre

Romans

  • Deuils cannibales et mélancoliques, Laval, Éditions Trois, 2000 ; nouvelle édition, Montréal, Héliotrope, 2009.
    Traduit en anglais sous le titre A Cannibal and Melancholy Mourning, par Nathalie Stephens, Toronto, Coach House, 2004 (roman). (ISBN 1-5524-5140-2 et 978-1-5524-5140-3)
  • Ça va aller, Montréal, Leméac, 2002 ; réédition, Bibliothèque québécoise, 2013, 168 p. (ISBN 978-2-8940-6343-9)
  • Fleurs de crachat, Montréal, Leméac, 2005 (ISBN 978-2-7609-3271-5)
  • Le Ciel de Bay City, Montréal, Héliotrope, 2008 (ISBN 978-2-9235-1112-2)
    • Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2009, (ISBN 978-2-8480-5074-4)[2]
  • Les Derniers Jours de Smokey Nelson, Montréal, Héliotrope, 2011, 304 p. (ISBN 978-2-9235-1135-1)
    • Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2012, 336 p. (ISBN 978-2-8480-5101-7)[3]
      Sélection Prix Femina.
  • La Ballade d'Ali Baba, Montréal, Héliotrope, 2014, 212 p. (ISBN 978-2-92397-543-6)
    • Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2014, 200 p. (ISBN 978-2-84805-165-9)
  • Oscar de Profundis, Montréal, Héliotrope, 2016, 328 p. (ISBN 978-2-924666-00-5) ; Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2016, 312 p.
  • Ce qui restera, Montréal, Québec-Amérique, 2017, 128 p. (ISBN 978-2-7644-3524-3)
  • L'annexe, Montréal, Héliotrope, 2019, 249 p. (ISBN 9782924666791)
  • L'absente de tous bouquets, Montréal, Héliotrope, 2020 (ISBN 9782898220203)

Théâtre

  • Omaha Beach, Montréal, Héliotrope, 2008 (ISBN 978-2-9235-1126-9)[4]

Essai-récit

  • Ventriloquies (essai-récit, en collaboration avec Martine Delvaux), Leméac, 2003, 192 p. (ISBN 2-7609-6506-6 et 978-2-7609-6506-5)

Essais

  • La Mauvaise Langue, Seyssel (France), Champ Vallon, 1996, 164 p. (ISBN 2-8767-3147-9 et 978-2-8767-3147-9)
  • (Dir., en collaboration avec L. Lequin) La Francophonie sans frontière : une nouvelle cartographie de l'imaginaire au féminin, Paris (France), L'Harmattan, 2001, 544 p. (ISBN 2-7475-1713-6)
  • Condamner à mort. Le meurtre et la loi à l'écran, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2005[5]. (ISBN 978-2-7606-1961-6)
  • Sublime, forcément sublime Christine V. de Marguerite Duras, éditions Héliotrope, 2006.
  • En collaboration avec Catherine Morency, dossier « Échos et résonances », Protée, vol. 35, no 1, printemps 2007.
  • En collaboration avec Patrick Poirier, Un certain genre malgré tout, Pour une réflexion sur la différence sexuelle à l'œuvre dans l'écriture, Québec, Nota bene, 2006. (ISBN 2-8951-8258-2 et 978-2-8951-8258-0)
  • L'Éternité en accéléré, Montréal, Héliotrope, 2010, 279 p. (ISBN 978-2-9235-1122-1)
  • En collaboration avec Nicolas Lévesque, Ce que dit l'écorce, Québec, Éditions Nota bene, 2014. (ISBN 978-2-8951-8480-5)
  • Diamanda Galás. Guerrière et gorgone, Montréal, Héliotrope, coll. Série K, 2014, 112 p. (ISBN 978-2-923975-40-5)

Articles et chapitres de livres récents

  • « Trahir la race : portrait de l’intellectuel québécois en Judas », Liberté, vol. 50, n°1, (279) 2008, p. 35-44. 
  • « À la manière de Régine. Déambulations, errances et "cyberwalks" dans l'œuvre de Robin », dans Caroline Désy, Véronique Fauvelle, Viviana Fridman et Pascale Maltais (dir.), Une œuvre indisciplinaire, Mémoire, texte et identité chez Régine Robin, Presses de l'Université Laval, 2007, p. 113-130.
  • Présentation, Protée, « Échos et résonances », vol. 35, n° 1, printemps 2007, p. 5-11.
  • « Échos aériens dans l'œuvre de Marie-Claude Bouthillier. Une présentation de Catherine Mavrikakis », Protée, « Échos et résonances », vol. 35, n° 1, printemps 2007, p. 49
  • « Préface », L'Oiseau, le Vieux-Port et le Charpentier de Michel van Schendel, Montréal, l'Hexagone, 2006, 48 p.
  • « Duras aruspice », préface à Marguerite Duras, Sublime, forcément sublime, Éditions Héliotrope, Montréal, 2006, p. 11-40.
  • « L'Apparition du disparu. La disparate du poétique et du photographique dans deux recueils de Denise Desautels », Études françaises, « Figures et frictions. La littérature au contact du visuel », vol. 42, n° 2, 2006, p. 47-60.
  • « Nier son nom. Les dispositifs du reniement et de l'affirmation de soi dans l'œuvre de Denis Vanier », Voix et Images, « Denis Vanier », n° 94, automne 2006, p. 25-36.
  • « "Le-Livre-que-je-n'Écris-pas" qui l'écrit ? L'appel des commencements et des fins dans l'œuvre de Cixous », Feminismo(S), n° 7, Revista del Centro de Estudios sobre la Mujer de la Universidad de Alicante, junio 2006, p. 119-132.
  • « Qu'on en finisse donc..., l'inscription du posthume, de la survivance et du prénatal modernes », dans Ginette Michaud et Élisabeth Nardout-Lafarge (dir.), Constructions de la modernité au Québec. Actes du colloque international tenu à Montréal les 6, 7 et , Lanctôt Éditeur, 2004.
  • « L'Inhôpitalité de l'hôpital », dans Lise Gauvin, Pierre l'Hérault et Alain Montandon (dir.), actes du colloque Le dire de l'hospitalité, Presses universitaires Blaise Pascal, 2004.
  • « Souffrances modernes », Zagadnienia Rodzajow Literakich, Les problèmes des genres littéraires, XLVII-2, Lodz, 2003.
  • « Quelques mots sur l'éthique et littérature », Dalhousie French Studies, vol. 64, fall 2003, numéro sur l'éthique, préparé par Irene Oore et Lucie Lequin, en collaboration avec Martine Delvaux.
  • « À bout de souffle. Vitesse, rage et pornographie. Parcours rapide des textes d'Hervé Guibert et de Christine Angot », Sites, The Journal of 20th-Century/Contemporary French Studies, University of Connecticut, .
  • « L'Empire du passé. Nostalgie, deuils et ruminations de l'histoire au Québec et en Autriche », Le transfert culturel et scientifique entre l'Autriche et le Canada, Zentrum für Kanadastudien an der Universität Innsbruck, Leopold-Franzens Universitat, 2003.
  • « Les Mauvaises Influences de John Walker Lindh », dans Pierre Ouellet (dir.), Politique de la parole. Singularité et communauté, Trait d'union, 2002.
  • « Politiques culturelles de la visibilité ou comment le spectre des classes sociales vient encore hanter le spectacle du multiculturel », Journal of Canadian Studies, Revue d'études canadiennes, volume 35, numéro 3, 2000. Locating Canadian Cultures in the Twenty-First Century.
  • « La Face de la métaphysique », dans Alexis Nouss, Simon Harel et Michael La Chance (dir.), L'infigurable, Montréal, Éditions Liber, 2000.
  • « Plus rien ne m'étonne. Et autant le dire tout de suite : Cela ne m'étonne pas... », dans Francine Belle-Isle, Simon Harel et Gabriel Moyal (dir.), L'Étonnement, Montréal, Liber, 2000, p. 155-168.

Analyse de l’œuvre Ce qui restera (2017)

Structure de l’œuvre

Ce qui restera est un court récit s’articulant en trois parties représentant chacune un souvenir de l’autrice. Il s’agit d’ailleurs d’une contrainte imposée par la maison d’édition[6], Québec Amérique. L'ajout d'un incipit de quelques pages intitulé L’avant-premier souvenir a cependant été alloué en guise d'entorse au format prédéterminé[7]. Les autres souvenirs représentés correspondent à une aventure urbaine secrète d’enfance pour acheter des fleurs à une voisine dans Des fleurs pour Solange, à la naissance d’une amitié d’adolescence dans un contexte familial claustrophobique dans Comme dans un film de Bonello et à un ensemble de réflexions personnelles et historiques pas strictement chronologiques dans Le souvenir dont je ne me souviens pas[7].

Traumatisme et écriture

Catherine Mavrikakis dit[8] avoir mis beaucoup d’elle-même et de sa vie dans ses textes, elle précise que tout y est modifié, rendu étranger à elle-même. Elle voit dans l’écriture une proximité au rêve. Fantômes, fées, malédictions et bouleversements habitent son imaginaire. Pour créer ses textes, elle puise dans un tourbillon de sensations, de visions, de vérités. Elle pense que rater et échouer sont de bonnes choses et affirme que « c’est ce que l’on a découvert avec le temps qui est important »[9]. Cette position s’inscrit dans sa posture d’auteur[10].

Son récit Ce qui restera[7] est un assemblage de faits vécus et d’éléments imaginés. La narratrice et protagoniste se remémore trois souvenirs marquants de ses jeunes années. L'histoire est une incursion intimiste dans le monde de l'enfance, de la famille et de l'amitié entre femmes. La locutrice ne craint pas de dévoiler son passé familial, ni son impuissance à s’y arracher. Peu à peu dans le texte, nous découvrons une jeune personne déterminée et courageuse qui se raconte avec une franchise désarmante. Ces qualités appréciables participent à l’ethos[11] ou image de soi de la locutrice. Une représentation qui inspire confiance.

Jetons un regard sur l’enfance de la narratrice et protagoniste. Au début du récit, celle-ci se remémore ses jeunes années entre un père menteur, importateur de chaussures élégantes, trop souvent absent, et une mère névrosée qui couve ses enfants, lave et repasse inlassablement. Ici, le lien émotionnel que des parents établissent avec leurs enfants, afin de leur procurer le sentiment de sécurité propice à un développement favorable, semble fort ténu. Lorsque ce lien d’attachement est défaillant, il y a pourtant risque de voir les enfants manifester plus tard des troubles comportementaux[12]. Les épisodes dépressifs de la protagoniste, ainsi que l’anémie dont elle souffre, sont indéniablement significatifs d’un mal-être.

Cela dit, la famille parfaite n’existerait qu’en pensée. La famille est plutôt décrite par des psychanalystes comme « …un lieu où chacun arrive avec des pans d’histoire incomplets, où les parents oublient souvent qu’ils ont été petits, où les enfants brodent ce qui manque à leurs récits. » Un lieu de construction fantasmatique dans lequel on tente de se forger une identité, entre la famille que l’on croit avoir eue et celle que l’on aurait aimé avoir, entre des représentations idéalisées et une réalité inévitablement décevante[13] ».

Revenons au récit Ce qui restera et à ce qui a pu motiver l’auteure à opter pour cette forme de narration. Plus spécifiquement, regardons du côté du mouvement de contestation féministe[14] des années 1970 qui a lutté pour que cesse la violence faite aux femmes. À la suite de ce mouvement, naît une écriture, dite féminine, où les femmes sont encouragées à faire entendre leur voix de femme. « Dès lors, la porte étant ouverte à toutes sortes de discours, les écrivaines n’ont cessé d’écrire sur leurs relations humaines, sur leurs désirs sexuels, sur leur corps, leurs expériences et, de plus en plus, sur les traumas[15],[16]».

Ainsi, la forme du récit procurerait un moyen d’évacuer des souvenirs traumatiques[17]. Toutefois, la tâche de mettre en mots des drames personnels n’est pas si aisée, « …la mise en récit de l’événement traumatique[18] est une étape paradoxale puisqu’elle exhausse de la même manière l’envie de dire et le désir d’oublier[19] ». Mais ce qui pousse à continuer dans cette voie semble évident puisque « …l’écriture du souvenir d’enfance se révèle être une forme de thérapie personnelle et nécessaire pour la reconstruction identitaire de l’adulte [20]».

Un auteur désireux de faire le récit de sa vie fait souvent appel au genre autobiographique. Néanmoins, lorsqu’il s’agit de raconter des passages difficiles, une façon détournée pour un auteur de dire l’indisable est de se dissocier du personnage principal, de celui qui exécute l’action. Cela vient modifier la notion d’autobiographie, soit une personne réelle racontant elle-même sa vie, sans pourtant rien enlever à la véracité du récit, et la raison pour agir ainsi est que « …l’autobiographie pure et juste ne suffit pas toujours… La fiction permet d’évacuer le trop-plein en soi sans trop se dévoiler aux autres »[21].

Nous retrouvons cette façon de faire dès les premières lignes du récit Ce qui restera de Catherine Mavrikakis, alors que la narratrice-protagoniste s’exprime de manière énigmatique : « Au tout début, il y aurait l’avant-premier souvenir. Celui dont je ne me souviens pas, celui que je n’ai en quelque sorte pas vécu ».

Nous observons donc que l’écriture peut également servir à faire entendre des blessures émotionnelles, gardées sous silence trop longtemps. Ainsi exhumées, ces blessures seront peut-être partiellement pansées.

Entre l'autobiographie et l'autofiction

Dans l’œuvre de Catherine Mavrikakis Ce qui restera (2017), de nombreux éléments littéraires pourraient nous laisser croire que nous nous trouvons en face d’une œuvre autobiographique, car elle contient de nombreuses références à la vie de son auteure. En effet, l’auteure Catherine Mavrikakis nous présente, tout au long de son récit, une série d’événements en lien avec son enfance, son adolescence et sa vie adulte. De plus, elle nous évoque son entourage immédiat et la folie de ses parents. Cependant, il ne faut pas s’y tromper, car beaucoup de ces événements contiennent aussi des éléments de fiction. Son récit a donc l’air de chevaucher deux genres, soit l’autobiographie et l’autofiction, car la ligne qui sépare les deux semble très mince.

Le genre autobiographique

Pour comprendre le concept de l’autobiographie, il importe de d’abord lui donner une définition :

Le récit autobiographique développe une réflexion critique sur la genèse du sujet, sur son identité, sur sa précarité, sur ses mutations. Mais, l’écriture du moi ne se réduit pas à l’introspection. Elle peut aussi se tourner vers les autres, pour faire leur apologie, leur procès, ou simplement leur portrait, mais, la plupart du temps, dans une perspective axiologique. Si on élargit encore la focale, l’écriture du moi dépasse le niveau interpersonnel pour s’intéresser aux rapports du sujet avec le monde. S’appuyant sur une expérience personnelle pour décrire des faits ou des phénomènes sociaux, politiques, économiques, culturels, l’écriture prend alors valeur de témoignage[22].

Philippe Lejeune affirme que pour qu’il y ait autobiographie, il faut qu’il y ait identité de « l’auteur, du narrateur, et du personnage[23],[24].» Certaines pratiques de Mavrikakis pourraient nous laisser croire que nous nous trouvons dans le genre de l’autobiographie. Par exemple, le fait que l’auteure, la narratrice et le personnage principal aient le même nom et prénom, en plus de partager des événements communs de leur vie. En effet, « La seule concordance des noms installe une référence au réel qui est plus qu’explicite. [...] Mavrikakis affirme [même] d’emblée dans Ventriloquies son refus de la fiction : " Je déteste l’écriture imaginaire ou encore l’imaginaire de l’écriture. Celle qui nous drape dans la représentation littéraire. "[25] » De plus, ce qui nous porte à croire que son récit penche plus vers le genre autobiographique est le fait que dans son entrevue radiophonique à Radio-Canada avec Michel Désautels, Mavrikakis affirme que dans Ce qui restera, les trois souvenirs qu’elle raconte sont assez proches de la vérité et qu’elle n’a pas beaucoup d’imagination, c’est pourquoi elle raconte toujours les mêmes histoires.

Il y a de nombreux éléments dans le récit pouvant être qualifiés d’autobiographiques. Tout d’abord, il est important de mentionner que les dates et lieux de naissance de l’auteure et du personnage principal dans le récit concordent. En effet, tous deux sont nées le 7 janvier 1961, à Chicago, aux États-Unis. Ensuite, elle a choisi trois souvenirs qui l’ont formée en tant que femme; ils reposent donc sur une base de vérité[6]. Dans son enfance et son adolescence, elle a réellement contredit ses parents et s’est en quelque sorte « révoltée ». Elle dit avoir eu la force de tout changer et de faire face à son père, par exemple lorsqu’elle lui dit qu’il n’essaiera plus d’assassiner sa famille, « sinon il aura affaire à elle »[6]. Elle n’a pas hésité à mettre de l’avant dans son récit sa relation conflictuelle avec ses parents. Elle mentionne qu’elle n’a « pas à protéger [ses] parents dans le texte, parce qu’ils n’ont pas à l’être. Ils ne [l]’ont pas beaucoup protégée eux-mêmes, [elle n’a] pas pensé à leurs réactions, puisque [son] père est mort et [sa] mère ne lit pas ce qu’[elle] écrit[26]. » L’espace de la littérature est un espace où peuvent se vivre des choses contradictoires; nous ne sommes pas obligés de faire un hommage positif aux parents[6].

Le fondement du genre autobiographique repose sur le pacte de lecture, aussi appelé « pacte autobiographique », qui est une sorte de contrat entre l’auteur et le lecteur[27]. Ce pacte consiste en «l’engagement de l’auteur à raconter sa vie dans un esprit de vérité. Il s’agit du "pacte référentiel", qui consiste en une entente envers le lecteur, un peu comme si l’auteur était devant un tribunal où il jurait de dire toute la vérité, rien que la vérité[28]. » Dans Ce qui restera, il n’est jamais fait mention que l’auteure nous racontera que la vérité. Nous n’avons pas droit à des phrases de types « je vais dire la vérité telle qu’elle m’apparaît » ou « je vais dire la vérité dans la mesure où je peux la connaître, en essayant d’éviter les oublis, les erreurs ou les déformations »[28]. Nous ne pouvons donc affirmer que Mavrikakis s’inscrit totalement dans le genre de l’autobiographie. D’ailleurs, elle affirme elle-même qu’elle ne pourrait pas faire un texte entièrement autobiographique, car elle ne sait pas si cette pratique est valable[6]

Le genre autofictionnel

Nous ne pouvons avancer que Ce qui restera n’est que de l’autobiographie, car l’auteure remodèle et refait ses souvenirs. Certains épisodes de sa vie sont racontés, oui, mais elle invente des noms et des personnages[29]. Nous pourrions donc penser qu’elle s’inscrit davantage dans le genre autofictionnel, mais qu’est-ce que ce genre ? Trois définitions sont en constante compétition dans le milieu littéraire. En effet, nous pouvons retrouver la définition des spécialistes Vincent Colonna et Gérard Genette affirment que l’autofiction est « une fiction inscrite dans le cadre de vie biographique de l’auteur[30].» Philippe Gasparini, un essayiste français spécialiste de l'écriture de soi en littérature et en particulier, de l'autobiographie et de l'autofiction, adopte une définition différente en déclarant que le genre de l’autofiction est plutôt « une « hybridité », c’est-à-dire un "pacte de double affichage", où la fiction et la réalité coexisteraient[30].» Enfin, l’auteur Arnaud Schmitt va avancer que :

[l]’autofiction telle qu’elle est pratiquée par Doubrovsky, mais aussi par tous ceux qui lui ont emboîté le pas, est tout simplement la fusion d’une narration romanesque et d’un contenu autobiographique qui, du fait de cette fusion, subit des modifications drastiques, selon les critères habituels du vraisemblable[31]

Si on s’intéresse à l’ensemble de l’œuvre de Mavrikakis, elle s’inscrirait davantage dans l’autofiction, ce qui pourrait nous indiquer que Ce qui restera est une continuité de cette écriture autofictionnelle. En effet, si nous nous fions aux autres œuvres littéraires de Catherine Mavrikakis telles que Deuils cannibales et mélancoliques (2000), elle utilise davantage l’autofiction puisque celle-ci aiderait à l’écriture du deuil : « C’est de l’impossibilité de dire que jaillit ici une mémoire faite de simulacres, c’est en elle que peut se faire, par le langage, un travail du deuil[32].» En effet, « la mémoire simulée s’inscrirait comme une stratégie pour contourner le lieu de la perte et l’écriture aurait d’abord un effet de détournement[32]. » De plus, dans son roman Deuils cannibales et mélancoliques (2000), son personnage est un élément qui ancre son œuvre davantage dans l’autofiction :

« Catherine » est en effet une construction romanesque, à la fois alter ego et personnage, et comme auront tendance à le confirmer les héroïnes des opus suivants de l’écrivain, elle appartient à une lignée de figures féminines typiquement mavrikakiennes. Les indices de ces deux niveaux de lecture (le basculement du particulier dans l’universel et l’emploi du narrateur non seulement comme alter ego mais également comme truchement romanesque) sont nombreux au sein du roman[33].

Nous pouvons transposer ces considérations sur l’œuvre Ce qui restera. Effectivement, il existe de nombreuses raisons qui font en sorte que ce récit s’inscrit aussi dans le genre autofictionnel, telles que :

Le fait qu’un texte ne peut être entièrement objectif. En effet, les souvenirs peuvent être déformés et de ce fait, l’auteure ne peut entièrement avancer la véracité des faits. C’est pourquoi une œuvre ne peut être considérée comme complètement autobiographique. Serge Doubrovsky, critique littéraire et écrivain ayant inventé le terme de « l’autofiction », avance l’idée que « l’écriture autobiographique est affaire de reconstruction selon une vision du monde, une idéologie, un système de valeurs. Quels que soient les souvenirs, et leur fiabilité, ils sont triés, élucidés, organisés en fonction des outils critiques dont dispose l’auteur »[34]. Doubrovsky mentionne donc que peu importe la volonté de l’auteure de ne dire que la vérité sur les faits, celle-ci subit toujours une distorsion. C’est pourquoi, « dans son second article d’autocritique intitulé "Autobiographie/vérité/psychanalyse", Doubrovsky affirme que "l’autobiographie classique" est "discréditée sur le plan aléthique", c’est-à-dire sur le plan de la vérité »[35]. Toute représentation objective de soi est impossible, d’où l'impossibilité de créer un genre uniquement et véridiquement autobiographique.

Toute écriture autobiographique ou autofictionnelle engendre nécessairement le dédoublement du pronom « je », qui fait en sorte que nous avons une auteure en temps réel qui écrit et un « je » raconté plus jeune. « Il y a donc deux situations d’énonciation qui se côtoient. D’une part il y a "le moi ici et maintenant" qui raconte les faits marquants antérieurs et d’autre part il s’agit de moi, personnage du passé, qui est le fruit de l’imaginaire et de la mémoire[36].» Cette dualité du « je » fait en sorte qu’en tant que lecteurs, nous faisons face à un « je » associé à l’écrivaine réelle, soit Catherine Mavrikakis, et un « je » associé au personnage principal du récit. Ceci a pour effet que nous nous retrouvons davantage face à une œuvre autofictionnelle, car il y a une complexité qui fait en sorte qu’il devient difficile de définir les frontières entre la réalité et la fiction. En effet, « Deux "je" ici se juxtaposent, l'un écrivant l'autre et s'écrivant lui-même, comme autre[37]

Catherine Mavrikakis elle-même ne s’inscrit pas parmi les auteurs qui pratiquent le genre autobiographique. D’ailleurs, elle affirme qu’elle fait tout le contraire de l’autobiographie; elle réinvente :

Je pense que souvent on m’a reproché de faire très autobiographique, ce qui n’est pas tout à fait le cas, je pense que je fais exactement comme on fait avec les inscriptions sur les pierres tombales de gens qu’on ne connaît pas. Je prends des morceaux et à partir de ça, je réinvente des vies[38].

Toujours selon ses dires, elle ne fait pas de recherche sur les gens avant d’écrire sur eux, elle aime inventer des vies à partir de morceaux et elle aime cette liberté de la mémoire. L’auteure va plutôt qualifier son œuvre d’autofictionnelle. À ses yeux, pour qu’un genre soit autofictionnel, il doit respecter une convention très précise, soit le fait que le nom de l’auteur soit le même que celui du personnage du récit[38]. Donc, si nous nous fions à ses dires, Ce qui restera s’inscrirait dans le genre de l’autofiction puisqu’il respecte cette convention. Pour appuyer cette dite convention, nous remarquons que l’auteure ne qualifiera pas ses œuvres comme réellement autofictionnelles « au sens strict du genre » celles dont le « je » ne porte pas son nom et n’est pas celui de l’auteure, mais celui de la narration[38].
Dans le cadre d’un entretien réalisé à l’Université de Montréal pour le cours FRA2183 - Histoire de la littérature des femmes, l’auteure Catherine Mavrikakis affirme que dans son récit, il y a des effets de lecture qui font en sorte que le lecteur croit que c’est réellement elle dont il est question dans l’œuvre, et ce n’est pas quelque chose avec laquelle elle est mal à l’aise parce que pour elle, l’écriture est très superficielle, c’est une vision de soi. Il y a donc un jeu avec la distance qui est important; écrire c’est à la fois mettre quelque chose à nu, mais aussi se cacher parce que l’écriture est un artifice. Bref, toute écriture est une mise à distance, un travail, quelque chose d’artificiel. Cette mise à distance consiste en fait à changer les noms et les événements parce qu’en ce qui concerne les faits, tout est vrai, mais le travail qui est fait sur ce matériau fait en sorte qu’une part de fictionnel prend le dessus sur un dit vécu, un fait ou un souvenir[6].

Toujours selon ses dires lors de l’entretien, son écriture s’apparente davantage à un exercice de création, ce qui l’éloignerait de l’autobiographie. Elle a en effet joué avec ses souvenirs, puisque pour créer, il faut détourner les règles et ne pas toujours répondre aux contraintes scolaires et stéréotypées. La création consiste à s’approprier la contrainte et en faire autre chose. Les contraintes, ici, étaient d’avoir à répondre à une commande de la maison d’édition Québec Amérique, soit de se soumettre à un format imposé par celle-ci, qui était d’écrire trois souvenirs[6].

De plus, pour écrire Ce qui restera, elle dit avoir choisi des scènes qu’elle a écrites toute sa vie et qui l’ont formée, mais elle a changé des noms, des choses. Elle a télescopé, c’est-à-dire déplacé et condensé, mais elle avance que son récit est vrai parce qu’elle l’a justement réinventé. En effet, dans l’enfance, il y a quelque chose de terrible qu’on oublie. Grandir c’est oublier la sauvagerie de l’enfance, c’est pourquoi elle réinvente son histoire pour qu’elle soit plus conforme à cette sauvagerie[6]. Par ces changements, pour rendre son récit plus réel selon sa vision, l’auteure, en fait, s’approcherait de l’autofiction par ce procédé de création.

Le genre à l'oeuvre dans Ce qui restera

À plusieurs égards, Ce qui restera est une œuvre explicitement féministe. C’est donc au moins partiellement consciemment de la part de l’autrice que la question du genre sexué, ou gender, constitue une trame sur laquelle s’articulent les motifs du récit. Sans chercher à déterminer si Ce qui restera est une œuvre qu’on pourrait qualifier de féminine dans une perspective essentialiste[39], il s’agit plutôt de traquer les manifestations et performances[40] des rôles genrés dans l’œuvre, qu’il s’agisse de ceux des personnages ou de la posture prise par l’autrice, sans contredit consciente de tels enjeux[41],[6].

Genre littéraire et genre sexué

Le statut générique hybride de l’œuvre, entre l’autobiographie et l’autofiction, établit un horizon d’attente intimiste, où le vécu de l’autrice est le cœur du propos. Particulièrement dans les deux premiers tiers du texte, Mavrikakis invite le lecteur dans l’espace domestique, dans la sphère privée. Les propos contenus dans la portion du récit identifiée comme le troisième souvenir (mais abordant en réalité de nombreux espaces temps, identifiés entre autres par des dates), eux, sont déployés dans un style pulsionnel, tout en méandres et en emboîtements. Il s’agit, dans les deux cas, d’attitudes typiquement associées à la féminité, voire à l’écriture dite féminine ou au féminin.

En ce qui concerne le cadre privé et domestique du récit, le contexte familial donné aux événements les rattache au domaine de la femme, voire de la femelle reproductrice et des mythes qui y sont associés, théorisés par Simone de Beauvoir dès 1949 dans Le Deuxième Sexe[42] : « [i]nerte, impatiente, rusée, stupide, insensible, lubrique, féroce, humiliée, l’homme projette dans la femme toutes les femelles à la fois.»[43] Cette association entre écriture de soi et statut d’altérité n’est pas étranger à Mavrikakis, qui soulève ce problème dans plusieurs de ses textes théoriques[44],[45],[46],[47]. Dans ses mots et ceux de Ledoux-Beaugrand, « [l]'autofiction reste une pratique davantage associée à ceux qui ne sont pas dans la littérature majeure et qui font dans le mineur et la minorité, les femmes, les homosexuels, et le reste... »[48] D’ailleurs, le rôle des femmes écrivant sur leur vécu familial, parfois abusif, est décrit par Mavrikakis comme s’apparentant à un débordement de leur part « dans l’espace social »[49]. L'autrice, en prenant parole sur la sphère privée par l’écriture, adoptent un rôle plus complexe que celui de victime systématique que leur attribuent certaines théories féministes de la deuxième vague à l’instar de celle de Catharine MacKinnon[40] et incarne plutôt symboliquement un pouvoir dangereux, une « menace »[50], redéfinissant activement leur genre par leurs actions, leur posture d’auteur et donc leur performance genrée, dans une perspective butlerienne[40].

Dans Le souvenir dont je ne me souviens pas, Mavrikakis invoque l’influence d’Hélène Cixous[7], représentante de la deuxième vague du féminisme exhortant les femmes à l’écriture dans certains de ses textes[51]. Elle adopte dans cette partie du récit un style associé à cette écrivaine se réclamant d’une écriture féminine, une écriture subversive, hétérogène et surtout ayant sa source dans l’inconscient[51].

Telle la méduse de Cixous ou l’Antigone[52] des Grecs, Mavrikakis, dans sa prise de parole personnelle, joue avec les définitions généralement acceptées de la féminité, en se plaçant comme autrice de l’intime, d’abord en en adoptant les contenus typiques, puis en adoptant une des formes suggérées pour elle. Le résultat est que l’ethos de femme écrivante adopté par Mavrikakis se construit dans Ce qui restera comme dans le reste de son oeuvre, par le décloisonnement des frontières entre réalité et fiction, en symbole de lui-même[53]. Comme le souligne Robin à propos des pratiques autofictives, « [r]eprésenter, c’est mettre à la place d’une chose réelle un élément abstrait, son représentant ou une allégorie, un symbole, un emblème »[54]; c’est ce mécanisme qui est ici à l’œuvre.

Les concepts de féminin, de masculin et d’androgynie dans l’œuvre

Le jeu sémiotique des genres – féminin, masculin et indécodable ou contradictoire – et des rôles qui leur sont attribués est porteuse de sens dans Ce qui restera. Certains concepts codés culturellement comme le propre des femmes sont ici dotés d’un second, voire d’un troisième degré. Inversement, Mavrikakis s’approprie certaines idées associées aux hommes ou, du moins, à l’Homme, les fait siennes et, ce faisant, questionne l’identité genrée attribuée à ces symboles et faits réels.

La maternité, par exemple, a longtemps agi et continue d’agir comme symbole de féminité. Cependant, le caractère immuable sa valeur genrée est parfois remis en question dans Ce qui restera.

Au cours des premières pages du récit, la naissance de la narratrice est évoquée. Curieusement, sa mère est à peine mentionnée, sauf avec un pronom indéfini (« la mère »[7], au sens général du terme) ou pour exprimer que son père n’avait pas voulu assister à son accouchement, donc par l’absence programmée des autres autour d’elle[7]. C’est plutôt grand-mère paternelle, l’éponyme de la narratrice, représentant la filiation masculine d’un père détesté et, en héritage, le destin tragique de mort hâtive résultant d’une longue agonie qui est omniprésente au cours de ces premières pages[7]. Encore une fois, l’absence caractérise la situation de cette mère, mentionnée dès les premières lignes du récit de Mavrikakis. D’ailleurs, cette comparaison entre le nourrisson qu’est la narratrice et la grand-mère, figure symboliquement spectrale et donc asexuée, est infligée par le père, qui est comparé, lui, à la fée Carabosse[7]. Dès le premier abord, Mavrikakis joue avec les codes du genre.

Tout au long des deux premiers souvenirs, la mère de la narratrice est contrainte par sa situation, puis, manifestement, prend goût à jouer différents rôles : celui de la femme trompée, de la mère névrosée, de la française davantage cultivée que la plèbe québécoise, etc. C’est un jeu, aux sens ludique et théâtral, que la narratrice apprend à débusquer au cours de son adolescence, ce qu’elle relate dans Comme dans un film de Bonello : « ce n’est que du Feydeau que nous répétons depuis des années. »[7] Notons par ailleurs qu’en s’identifiant fortement comme mère émigrante (malgré son complexe de supériorité), la mère de la narratrice s’impose une position marginale mais permettant l’invention de soi[55], la pluralité des identités[56] et, par conséquent, sortant du cadre strict et binaire des genres sexués pour revêtir une position de double altérité et donc caractère potentiellement inquiétant, vaguement monstrueux.

Même si le concept de Nation est généralement associé au masculin, en s’en inquiétant, la mère de la narratrice ne subvertit cependant pas tous les codes genrés, puisqu’elle le fait à titre de gardienne de la morale sociale et culturelle[57]. C’est souvent le cas de la figure de la mère dans la littérature québécoise[58]. Dans l’œuvre de Mavrikakis en particulier, elle est également porteuse du secret familial[59]. Ces considérations à propos de la mère de la narratrice, d’ailleurs restée sans nom propre tout au long du récit, toujours évoquée en fonction de son lien familial avec la narratrice, sont révélatrices si on compare celle-ci à la figure de Thérèse Patenaude, dont la médiocrité aimante suscite l’envie de la petite fille des voisins[7]. Témoin impuissant de la mort de son mari et mère de nombreuses filles, il s’agit d’une figure maternelle et d’un symbole important des rôles féminins dans le texte; ses filles, elles, représentent leur féminité d’une façon moins conventionnelle : « [l]es filles Patenaude ont mauvais genre »[7] (nous soulignons).

Finalement, la narratrice elle-même agit comme une mère idéalisée pour Nadja: après l’avoir empêchée de se suicider, à l’instar du parent donnant la vie, la narratrice fournit des soins à Nadja, du soutien et lui permet de devenir indépendante d’elle sans résister, dans un geste sacrificiel[7]. Cela l’imbibe de multiples rôles traditionnellement considérés comme féminins. Cependant, comme le lien qui unit la narratrice à Nadja n’est pas biologique mais inscrit dans l’Histoire (« Tu ne trouves pas qu’il y a eu assez de femmes mortes comme cela dans les écoles la semaine dernière? »[7], lui demande-t-elle, quelques jours à peine après la tuerie l’École polytechnique de Montréal), donc dans le domaine masculin plutôt que féminin.

L’idée de prophétie est, elle aussi, très importante dans l’œuvre de Mavrikakis[52]. Il s’agit d’un concept généralement associé au genre féminin, étant donné le caractère intuitif de la divination, et à l’androgynie : étant donné le caractère insaisissable du futur pour les humains, ceux y ayant accès sont imbus d’un caractère extraordinaire dépassant la bête sexuation binaire. Dans Ce qui restera, il est question d’une telle figure dès l’incipit sous les traits de Cassandre[7], qui personnifie chacun des souvenirs relatés. Un tel choix évoque le caractère regrettable des prophéties suggérées par le récit et le sacrifice vain que leur mise par écrit représente. Le personnage de Tiresia évoque, pour sa part, l’oracle Tiresias de Thèbes, une figure qui représente à la fois un homme et plus ou autre chose qu’un homme dans son adoption de rôles qui, nous venons de le déterminer, sont, sur plusieurs plans, associés au genre féminin. C’est ce que Lebrun identifie comme « un retour à un féminin marginal et à une radicalité »[60] par l’appel à la prophétie comme outil de filiation féminine chez Mavrikakis.

Sur cette question, importante dans l’ensemble de son œuvre[61], le nom hérité de la grand-mère paternelle a déjà été évoqué. Il est représentatif de ce fantasme d’une filiation féminine jamais réalisé dans Ce qui restera. En effet, ce sont plutôt les caractéristiques du père qui sont attribuées à la narratrice par sa mère[7], puis mises à profit pour mettre fin à la violence de ce même père[7].

Pour compenser cet échec, la narratrice se situe, dans chacun des souvenirs, en relation avec des communautés plus ou moins larges de femmes : celles du bloc à appartements, du groupe d’amies, de l’Université de Montréal et, finalement, dans la dernière partie du récit, celles présentes lors d’autres événements historiques violents. De l’aveu même de l’autrice, la question d’une communauté au féminin pose plusieurs problèmes[62], différents de ceux associés aux communautés masculines : « [s]i, pour Freud, il faut que les fils tuent le père pour fonder le social, quelle société des filles peuvent-elles fonder? […] Qui doivent-elles tuer? »[63] Cette question apparaît comme particulièrement intéressante en regard de la menace proférée par la narratrice à son père de le tuer, conférant à celle-ci un rôle hors de ceux traditionnellement attribués à son genre par l’utilisation d’une violence de laquelle ses parents avaient le monopole jusqu’à maintenant. Comme c’est souvent le cas dans la littérature faisant état de violence commise et écrite par des femmes, la représentation de cette dernière permet la dénonciation d’autres actes violents[64].

Prix et distinctions

Pour son roman Le Ciel de Bay City :

Pour son oratorio Omaha Beach :

  • Finaliste, Prix du Gouverneur général, catégorie Théâtre (2008)

Pour son essai Condamner à mort. Le meurtre et la loi à l'écran, Catherine Mavrikakis a remporté les prix suivants :

Pour son roman, Les Derniers Jours de Smokey Nelson:

Pour son essai coécrit avec Nicolas Lévesque, Ce que dit l'écorce:

Membre de l'Académie des lettres du Québec, 2017

Projets de recherche en cours

Notes et références

  1. Date et lieu de naissance révélés, en sa présence, dans l'AUDIO FIL « Peut-on apprendre à devenir écrivain? », à l'émission radiophonique « Plus on est de fous, plus on lit! » de Marie-Louise Arsenault, sur Radio-Canada, le 24 septembre 2013.
  2. [vidéo] « Catherine Mavrikakis : Le ciel de Bay City », présentation, interview de l'auteure par Olivier Barrot, 2 min 53 s, sur ina.fr le 19 novembre 2009.
  3. [vidéo] « Catherine Mavrikakis : Les Derniers Jours de Smokey Nelson », présentation, interview de l'auteure par François Busnel, 10 min 20 s, sur La grande librairie de France 5 le 20 septembre 2012.
  4. « Entrevue audio : Catherine Mavrikakis, Les derniers jours de Smokey Nelson et Omaha Beach », interview par Caroline Legal, émission La Librairie francophone, sur Radio-Canada, 2011.
  5. Recensé par Patrick Poirier, Érudit (édition)
  6. Entretien avec Catherine Mavrikakis mené par Andrea Oberhuber, dans le cadre du cours FRA2183 - Histoire et littérature des femmes, Université de Montréal, 30 octobre 2019.
  7. Catherine Mavrikakis, Ce qui restera, Montréal, Québec Amérique, coll. « III »,
  8. Entrevue par Claudine St-Germain, « Les fantômes de Catherine Mavrikakis », L’Actualité, 7 août 2019.
  9. La Fabrique culturelle, capsule, « Catherine Mavrikakis, enseigner l’impossible », sur Tété-Québec,
  10. Voir : Jérôme Meizoz, « Posture d'auteur », sur Fabula / La recherche en littérature, (consulté le )
  11. Voir : Jérôme Meizoz, « «Postures» d’Auteur et Poétique», sur Vox-poetica (consulté le )
  12. Voir : Marinus van IJzendoorn, Ph.D. Éditeur au développement du thème, « Attachement », sur Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants, Leiden University, actualisé : mai 2012 (consulté le )
  13. Laurence Lemoine, « On n’a jamais la famille qu’on voudrait », sur Psychologies, mis à jour le 17 août 2019 (consulté le )
  14. Voir:, « Le Mouvement de libération des femmes (MLF) », sur ADF (consulté le )
  15. Valérie Dusaillant-Fernandes, « L'inscription du trauma dans le récit d'enfance autobiographique au féminin en France depuis 1980 », sur Université de Toronto, thèse de doctorat, , p. 32
  16. Voir: Mounir Samy, M.B., B. Ch. ; FRCPC, psychiatre et psychanalyste, professeur agrégé à l’Université McGill, « Trauma et évènement traumatique », sur Association canadienne pour la santé mentale – Filiale de Montréal,
  17. Voir:, « les souvenirs traumatiques », sur m.20-bal,
  18. Voir:, « souvenirs refoulés » (consulté le )
  19. Valérie Dusaillant-Fernandes, « L'inscription du trauma dans le récit d'enfance autobiographique au féminin en France depuis 1980 », sur Université de Toronto, thèse de doctorat, , p. 3
  20. Valérie Dusaillant-Fernandes, « L'inscription du trauma dans le récit d'enfance autobiographique au féminin en France depuis 1980 », sur Université de Toronto, thèse de doctorat, , p. 7
  21. Valérie Dusaillant-Fernandes, « L'inscription du trauma dans le récit d'enfance autobiographique au féminin en France depuis 1980 », sur Université de Toronto, thèse de doctorat, , p. 71
  22. Phillipe, Gasparini « Autofiction vs autobiographie », Tangence, n°97, p. 11-12, En ligne, (page consultée le 2 novembre 2019).
  23. Philippe, Lejeune, Le Pacte autobiographique, p.15 cité dans Maxime, Collins (dir. Catherine Leclerc), Autobiographie, autofiction et « Roman du Je » suivi de « Comme si de rien n’était », Montréal, Université de McGill, (mémoire de maîtrise langue et littérature française), 2010, p. 3. (PID 86983), En ligne, (page consultée le 20 novembre 2019).
  24. Valérie, Dusaillant-Fernandes, L'inscription du trauma dans le récit d'enfance autobiographique au féminin en France depuis 1980, thèse de doctorat, Université de Toronto, 2010; En ligne,  (page consultée le 2 novembre 2019).
  25. Martine Delvaux et Catherine Mavrikakis, Ventriloquies, Montréal : Leméac Éditeur, 2003 cité dans Marie-Claude, Gourde, « Simulacres d’une mémoire de soi : archive, deuil et identité chez Sophie Calle et Catherine Mavrikakis. » Mémoire de M.A., Université du Québec à Montréal, 2009, http://archipel.uqam.ca/id/eprint/2509, (page consulté de 23 octobre 2019), p. 61.
  26. Samuel, Larochelle, « Ce qui restera : Catherine Mavrikakis déjoue la malédiction de sa mort », entrevue, DIVERTISSEMENT31/10/2017 13:09 (EDT Actualisé 31/10/2017 13:12 ED), 31 octobre 2017, [En ligne], (page consultée le 2 novembre 2019).
  27. Valérie, Dusaillant-Fernandes, L'inscription du trauma dans le récit d'enfance autobiographique au féminin en France depuis 1980, thèse de doctorat, Université de Toronto, 2010; En ligne, (page consultée le 2 novembre 2019).
  28. Maxime, Collins (dir. Catherine Leclerc), Autobiographie, autofiction et « Roman du Je » suivi de « Comme si de rien n’était », Montréal, Université de McGill, (mémoire de maîtrise en langue et littérature française), 2010, p. 4. (PID 86983), En ligne, (page consultée le 20 novembre 2019).
  29. Michel, Désautels, Quand réel et fiction s’entremêlent, Montréal, 19 novembre 2017, 10 m 34 secondes. 47590/quand-reel-fiction-entremelent-ce-qui-restera-catherine-mavrikakis En ligne, (Page consultée le 2 novembre 2019).
  30. David, Bélanger, « L’autofiction contestée : Le romancier fictif et l’autarcie littéraire », Voix et Images (ISSN 1705-933X), 40 (3), 2015, p. 118, [Lire en ligne (page consultée le 20 novembre 2019)].
  31. Arnaud, Schmitt, Je réel/Je fictif. Au-delà d’une confusion postmoderne, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2010, p.83 cité dans David, Bélanger, « L’autofiction contestée : Le romancier fictif et l’autarcie littéraire », Voix et Images (ISSN 1705-933X), 40 (3), 2015, P.115-130 [Lire en ligne (page consultée le 20 novembre 2019)].
  32. Marie-Claude, Gourde, « Simulacres d’une mémoire de soi : archive, deuil et identité chez Sophie Calle et Catherine Mavrikakis. » Mémoire de M.A., Université du Québec à Montréal, 2009, http://archipel.uqam.ca/id/eprint/2509, (page consultée de 23 octobre 2019), p.5.
  33. Mélikah, Abdelmoumen, L’autofiction québécoise. Pastiche et mise en abyme chez Catherine Mavrikakis et Nelly Arcan, Montréal, ENS Éditions, 2013, p.65-75, En ligne, (page consultée le 23 octobre 2019).
  34. Philippe, Gasparini, « Autofiction vs autobiographie », Tangence, n° 97, 2011, p. 16, En ligne, (page consultée le 2 novembre 2019).
  35. Philippe, Gasparini, « Autofiction vs autobiographie », Tangence, n° 97, 2011, p. 15, En ligne, (page consultée le 2 novembre 2019).
  36. Arndís Lóa Magnúsdóttir, (dir. Irma Erlingsdóttir), « Le rôle et l’image du corps dans l’autofiction féminine », Islande, Université d’Islande (Mémoire pour un BA en études françaises), p. 34. (Kt. : 091194-2289), En ligne, (page consultée le 23 octobre 2019).
  37. Propos de Martine Delvaux, citée dans Arndís Lóa Magnúsdóttir, (dir. Irma Erlingsdóttir), « Le rôle et l’image du corps dans l’autofiction féminine », Islande, Université d’Islande (Mémoire pour un BA en études françaises), 50 p. (Kt. : 091194-2289), En ligne, (page consultée le 23 octobre 2019).
  38. Aurélie, Freytag, « Entretien avec Catherine Mavrikakis », Montréal, 3 septembre 2010, En ligne, (page consultée le 2 novembre 2019).
  39. Catherine Mavrikakis et Patrick Poirier, « Présentation : Un certain genre, malgré tout et malgré nous », dans Mavrikakis, Catherine et Poirier, Patrick (dir.), Un certain genre malgré tout : pour une réflexion sur la différence sexuelle à l’œuvre dans l’écriture. Québec : Éditions Nota Bene, 2006, p. 13
  40. Judith Butler, « Faire et défaire le genre », conférence donnée le 25 mai 2004 à l'Université de Paris X-Nanterre, dans le cadre du CREART (Centre de Recherche sur l'Art) et de l'École Doctorale "Connaissance et Culture"), traduction de Marie Ploux, en ligne (page consultée le 5 décembre 2019)
  41. Catherine Mavrikakis et Patrick Poirier, « Présentation : Un certain genre, malgré tout et malgré nous », dans Mavrikakis, Catherine et Poirier, Patrick (dir.), 2006, p. 11
  42. Elizabeth Fallaize, « Une sarabande d’images : les faits et les mythes de la biologie dans Le Deuxième Sexe », dans Lucie Lequin et Catherine Mavrikakis (dir.), La francophonie sans frontière : une nouvelle cartographie de l’imaginaire au féminin. Paris : L’Harmattan, 2001, p. 147. (ISBN 2747517136)
  43. Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 1949, dans Elizabeth Fallaize, dans Lucie Lequin et Catherine Mavrikakis (dir.), 2001, p. 147.
  44. Mavrikakis, Catherine. « Le sexe des fœtus, ou comment faire à Artaud le coup du genre », dans Mavrikakis, Catherine et Poirier, Patrick (dir.), 2006, p. 221-237;
  45. Mavrikakis, Catherine et Poirier, Patrick, dans Mavrikakis, Catherine et Poirier, Patrick (dir.), 2006, p. 7-14
  46. Mavrikakis, Catherine. « Portrait de groupe avec dames ou comment penser une communauté de femmes », dans Lequin, Lucie et Mavrikakis, Catherine (dir.), 2001, p. 307-316.
  47. Ledoux-Beaugrand, Evelyne et Mavrikakis, Catherine. « Les écrits de l’intime: l’écrivaine en justicière et criminelle ». Women in French Studies, vol. 17, 2009 En ligne
  48. Evelyne Ledoux-Beaugrand et Catherine Mavrikakis, 2009, p. 120
  49. Evelyne Ledoux-Beaugrand et Catherine Mavrikakis, 2009, p. 117.
  50. Evelyne Ledoux-Beaugrand et Catherine Mavrikakis, 2009, p. 127
  51. Hélène Cixous, « Le rire de la méduse », L’Arc, no. 61, 1975, p. 39-54
  52. Valérie Lebrun, « Je (ne) suis (pas) Antigone : Les filles et le tragique dans Ça va aller et Fleurs de crachat de Catherine Mavrikakis », Mémoire de maîtrise en littératures de langue française. Université de Montréal, 2012, en ligne (page consultée le 5 décembre 2019)
  53. Mélikah Abdelmoumen, « L’autofiction québécoise: pastiche et mise en abyme chez Catherine Mavrikakis et Nelly Arcan », dans Gauvin, Lise, Van den Avenne, Cécile, Corinus, Véronique et Selao, Ching (dir.), Littératures francophones : Parodies, pastiches, réécritures. Lyon : ENS Éditions, 2013, p. 65-66 et 74-75
  54. Régine Robin, « En lieu et place de soi », Le golem de l’écriture : De l’autofiction au cybersoi, Montréal, XYZ, coll. Théorie et littérature, 1997, p. 37
  55. Armelle Chitrit, « Le chant mère-fille de l’émigrante : éléments pour une fiction théorique du passage », dans Lucie Lequin et Catherine Mavrikakis (dir.), 2001, p. 537-544.
  56. Julia Kristeva, « Des femmes: pour quelle civilisation? Palin, l’impénétrable pouvoir de la matrone phallique », Libération, 25 septembre 2008, http://www.kristeva.fr/palin.html en ligne] (page consultée le 5 décembre 2019)
  57. Katherine A Roberts, « Femmes, écriture et appartenance nationale : pour une redéfinition des enjeux », dans Lucie Lequin et Catherine Mavrikakis (dir.), 2001, p. 428
  58. Rebecca Linz, « Maternités et identités : Representations of Motherhood and National Identity in Literary Texts of Quebec ». Thèse de doctorat. The City University of New York, 2013, https://search.proquest.com/docview/1315241096?accountid=12543 en ligne], p. 1 (page consultée le 5 décembre 2019)
  59. Rebecca Linz, 2013, p. 172
  60. Valérie Lebrun, 2012, p. 10
  61. Maude Leclerc Guay, « Intervalle suivi de Filiations et ruptures chez Catherine Mavrikakis: le cas de Ça va aller ». Mémoire de maîtrise en études littéraires. Université Laval, 2019, disponible en ligne, p. ii (page consultée le 5 décembre 2019)
  62. Catherine Mavrikakis, « Portrait de groupe avec dames ou comment penser une communauté de femmes », dans Lucie Lequin et Catherine Mavrikakis (dir.), 2001, p. 307-315.
  63. Catherine Mavrikakis, dans Lucie Lequin et Catherine Mavrikakis (dir.), 2001, p. 307
  64. Yannick Resch, « Quand les femmes écrivent la violence : Colette et Marie-Claire Blais », dans Lequin, Lucie et Mavrikakis, Catherine (dir.), 2001, p. 358

Voir aussi

Liens externes

Littérature

  • Danielle Dumontet: La comédie de la peine de mort. "Les derniers jours de Smokey Nelson" de Catherine Mavrikakis. En: À la carte: Le roman québécois (2010-2015). Ed. Gilles Dupuis, Klaus-Dieter Ertler. Peter Lang, Berne 2017, pp. 349–368
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