Almodis de la Marche

Almodis de la Marche[1] née vers 1023 et morte le 17 novembre 1071 à Barcelone est une femme de la haute noblesse méridionale médiévale. Elle fut successivement dame de Lusignan, comtesse de Toulouse, puis de Barcelone, par ses mariages. Elle affirma le caractère politique d'épouse du comte et joua un rôle important auprès de ses différents maris, ainsi que de ses enfants. Elle mena une vie mouvementée qui en fait, comme l'écrit Martin Aurell :

« [une] femme hors normes. Trois fois mariée, après avoir quitté à deux reprises un époux légitime en vie auquel elle avait donné une progéniture ; [...] usufruitière d'un vaste douaire [...] ; correspondante de l'émir musulman de Dènia ; présidant avec son époux aux synodes réformateurs [...] ; tuée enfin par son beau-fils... »

 Martin Aurell, Les Noces du comte, mariage et pouvoir en Catalogne (785-1213), p. 280.

Biographie

Famille

Almodis est la fille du comte de la Marche Bernard Ier (991-1047) et de son épouse prénommée Amélie, dont l'origine familiale est inconnue[2].

Elle a pour frères les comtes de la Marche, Audebert II (1039-1088) et Eudes Ier et pour sœurs Lucie et Rangarde de la Marche.

Dame de Lusignan

Almodis fut mariée vers 1035 à Hugues V, seigneur de Lusignan, dont elle eut deux fils, Hugues et Jourdain. Mais, pour des raisons de consanguinité, le mariage fut annulé[3]. La période correspond également à un changement d'alliance des comtes de la Marche, qui se rapprochent des comtes de Toulouse[4].

Comtesse de Toulouse

En 1040, Almodis épouse donc le comte de Toulouse, Pons. Elle lui donne plusieurs enfants : trois fils, les jumeaux Guillaume IV et Raymond IV, Hugues, et une fille, Almodis. Almodis de la Marche est encore la femme de Pons en juin 1053, puisqu'elle souscrit à cette date l'acte d'union de l'abbaye de Moissac à Cluny[5]. Mais peu après, Almodis fut enlevée par Raymond-Bérenger Ier, comte de Barcelone.

Comtesse de Barcelone

C'est en passant par Narbonne, avant de se rendre en pèlerinage à Rome, que Raymond-Bérenger Ier de Barcelone rencontre Pons et Almodis. Au retour de Rome, il enlève Almodis, qu'il aime[6], peut-être avec l'aide d'une flotte envoyée par son allié, l'émir musulman de Tortosa[7]. Ils se marient immédiatement, bien que leurs précédents conjoints soient encore vivants. À la demande de l'épouse répudiée de Raymond-Bérenger, Blanche, soutenue par la grand-mère de Raymond-Bérenger, la comtesse douairière Ermessende de Carcassonne, le pape Victor II excommunie Raymond-Bérenger Ier et Almodis pour ce mariage : la sentence est confirmée par un concile des évêques de la province de Narbonne réuni à Toulouse[8]. Raymond-Bérenger Ier et Almodis ont pourtant des fils jumeaux en 1054, Raymond-Bérenger et Bérenger-Raymond. En 1057, la comtesse Ermessende se réconcilie avec Raymond-Bérenger Ier et Almodis et leur prête hommage. Elle intercède également auprès du pape en faveur de la levée de l'excommunication. Raymond-Bérenger Ier et Almodis se rapprochent également des évêques catalans afin qu'ils écrivent au pape en sa faveur, en soutenant par exemple la reconstruction de la cathédrale romane de Barcelone. Finalement, le pape Victor II cède en 1057[9]. Almodis, dont le mariage est confirmé et qui a donné deux enfants au comte est alors solidement installée[10].

Raymond-Bérenger Ier de Barcelone et Almodis de la Marche, versant 2 000 onces d'or à Raimond de Cerdagne et son épouse Adélaïde, en échange de leurs droits sur le comté de Carcassonne en 1067[11].

Almodis joue un rôle véritable à la cour barcelonaise. Elle s'intéresse particulièrement au droit, en particulier aux textes wisigothiques, et participe à la rédaction des Usages de Barcelone[12]. Elle s'occupe également de renforcer le pouvoir de son époux vis-à-vis de ses vassaux catalans. En 1054, elle organise les noces de sa sœur, Lucie de la Marche, qui l'a suivie à la cour de Barcelone, avec le dangereux comte de Besalù, Guillaume II[13] : cette opération fait rentrer le comte dans la fidélité de Raymond-Bérenger Ier. En 1058, Lucie de la Marche est mariée au comte de Pallars Sobirà, Artaud Ier[14]. Enfin, Almodis noue même des relations étroites avec les émirs musulmans de Tortosa et de Dénia[15].

Comme Raymond-Bérenger Ier a eu un premier fils de sa première épouse Elisabeth, Pierre-Raymond, auquel est promis l'héritage barcelonais, Almodis s'occupe également de constituer un domaine pour ses fils. En 1066, Almodis se rend à Toulouse pour le mariage de sa fille Almodis de Toulouse avec Pierre Ier, comte de Melgueil[16], et elle souscrit même une charte en faveur des abbayes de Moissac et de Saint-Gilles avec ses deux fils, Guillaume IV et Raimond IV de Toulouse[17]. Entre 1067 et 1070, à la mort du comte de Carcassonne, Roger III, sans descendance, Almodis et Raymond-Bérenger Ier déboursent 50 000 mancus pour racheter les droits des sœurs du comte défunt, Ermengarde et Adélaïde de Carcassonne, la première épouse du vicomte d'Albi et de Nîmes, Raimond Bernard Trencavel, l'autre du comte de Cerdagne, Guillaume Raimond[18].

Décès

Finalement, Almodis essaie de placer ses deux fils, Raymond-Bérenger et Bérenger-Raymond, à la tête du comté de Barcelone, évinçant le premier fils de Raymond-Bérenger Ier, Pierre-Raymond. Celui-ci prend ombrage des tentatives de sa belle-mère. Il l'assassine lui-même à Barcelone le [19], crime pour lequel il est déshérité et exilé. Almodis est quant à elle enterrée dans la cathédrale de Barcelone.

Almodis laisse une longue postérité, où les rivalités font aussi place aux alliances. Ses enfants se retrouvèrent ensemble à plusieurs reprises dans des expéditions militaires : en 1096, Hugues VI de Lusignan, Raymond IV de Toulouse et Bérenger-Raymond II de Barcelone participèrent tous les trois à la Première Croisade.

Mariages et descendance

Hugues V de Lusignan

Almodis épouse vers 1035 Hugues V de Lusignan dit le Pieux (v. 1021-8 oct. 1060), seigneur de Lusignan et de Couhé et eut des fils jumeaux[3],[20] :

Pour des raisons de consanguinité, le mariage fut annulé[3].

C'est cependant de ce mariage que la famille de Lusignan va tirer ses prétentions sur le comté de la Marche tout au long du XIIe siècle, prétentions qui se concrétisent en 1199 lorsqu'Hugues IX le Brun, seigneur de Lusignan devient comte de la Marche[21],[22].

Pons de Toulouse

Vers 1040, Almodis se remarie avec Pons (v. 995/97-1060), comte de Toulouse. Ils eurent quatre enfants dont les jumeaux Guillaume et Raymond[20] :

Raymond-Bérenger Ier de Barcelone

Après avril 1053, Almodis épouse Raymond-Bérenger Ier (1023-26 mai 1076), comte de Barcelone. Ils eurent quatre enfants dont les jumeaux Raymond-Bérenger et Bérenger-Raymond[20] :

Almodis dans la fiction

L'historienne et romancière Tracey Warr a fait d'Almodis de la Marche l'héroïne de son premier roman, Almodis : The Peaceweaver (2011)[25].

Notes et références

  1. Almòdis de la Marcha en occitan.
  2. Peut être Amélie de Montignac.
  3. La Chronique de Saint-Maixent (751-1140) (éd. et trad. Jean Verdon), Paris, Les Belles Lettres, , p. 133 :
    « Per hec tempora Poncius, comes Tolosanus, acceperat Almodim uxorem, sororem Audeberti comitis de Marcha ; quam dedit ei Hugo Pius de Liziniaco, qui eam reliquerat causa parentele quique ex ea geminos filios habuit »
    Pons comte de Toulouse avait pris pour femme Almodis sœur de Audebert comte de la Marche. Elle lui fut donnée par Hugues le Pieux de Lusignan qui l'avait répudiée pour raison de parenté et qui eut d'elle deux fils jumeaux.
  4. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 259.
  5. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 260.
  6. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 262.
  7. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 274.
  8. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 263.
  9. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 266.
  10. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 267.
  11. Charles Julian Bishko, « Fernando I and the Origins of the Leonese-Castilian Alliance with Cluny » Cuadernos de Historia de España, n° 47, 1968, pp. 31-135 et n° 48, 1969, pp. 30-116.
  12. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 270-271.
  13. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 281 et 283-284.
  14. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 274 et 288.
  15. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 274-275.
  16. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 276.
  17. Hélène Débax, « Les comtesses de Toulouse... », p. 222.
  18. Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », p. 276-277.
  19. (es) Próspero de Bofarull, Los condes de Barcelona vindicados, vol. II, Barcelone, 1836, p. 46.
  20. Clément de Vasselot de Régné, Le "Parentat" Lusignan (Xe-XIVe siècles) : structures, parenté vécue, solidarités et pouvoir d’un lignage arborescent, vol. 1 : Texte (Thèse de doctorat en histoire médiévale, sous la direction de John Tolan et de Martin Aurell), Université de Nantes, (lire en ligne), p. 790 :
    « La naissance peut aboutir à une surprise, comme dans le cas d'Almodis de la Marche qui accouche de deux jumeaux, le futur Hugues VI et Jourdain, probablement à la fin des années 1030. La situation se reproduit pour certains enfants de ses deux époux suivants. De Pons de Toulouse, elle enfante les jumeaux Guillaume IV et Raymond IV de Toulouse et de Raymond-Bérenger Ier de Barcelone, les jumeaux Raymond-Bérenger II et Bérenger-Raymond II. »
  21. Bernadette Barrière (dir. Robert Favreau), « Le comté de la Marche, une pièce originale de l'héritage Lusignan », Isabelle d’Angoulême, comtesse-reine et son temps (1186-1246), Poitiers, CESCM, , p. 27-35 (lire en ligne)
  22. Foedera, Conventiones, Litterae et cujuscunque generis Acta Publica inter reges Angliae et alios quosvis imperatores, reges, &c., ab. A.D. 1101 ad nostra usque tempora habita aut tractata (éd. Thomas Rymer), t. I : pars I (1066-1272), Londres, Record Commission on Historical Manuscripts, (lire en ligne), p. 79
    1200, 28 janvier, Caen : Hugues [IX de Lusignan] le Brun, comte de la Marche et de Raoul [Ier d'Exoudun], comte d'Eu, font hommage lige à Jean, roi d'Angleterre, contre tout homme ou femme. Ils agiront fidèlement pour son honneur et son intérêt de tout leur pouvoir et pour rechercher, récupérer et maintenir ses droits et l'aider contre tous et contre ceux qui sont ou qui seront de leur famille. Ils feront en sorte que le roi d'Angleterre ne soit pas diminué pendant leur vie ou par leurs cousins ou par d'autres. En garantie de cela, ils font jurer plusieurs de leurs vassaux dont Joscelin de Lezay.
  23. Le comte Guigues (“Wigo comitis”) fait don à son épouse “Agnetis” de plusieurs propriété dont le château d'Albon en Viennois (“castellum Albionem…Moratum…et Vallem…in comitatu Viennensis”) dans une charte datée du “VI Id Mai, luna XXma VIa regnante Henrico rege” (1070). Le testament du comte Raymond-Béranger ("comitis Barchinone…Raimundi Berengarii") du 12 novembre 1076 indique qu'en cas de décès de ses trois autres enfants son comté reviendrait au fils que Guigues d'Albon avait eu de sa fille Agnès ("filium Guigonis de Albion quem habuit de filia sua Agnes").
  24. J. Roman (1886) Deux Chartes Dauphinoises inédites du XIe siècle (Grenoble) in: Le Bulletin de l´Académie Delphinale 3e série, T. XX, p. 15,
  25. Tracey Warr, Almodis : The Peaceweaver, Impress Books, 2011.

Bibliographie

  • Martin Aurell, « Almodis et Lucia de la Marche », Les noces du comte. Mariage et pouvoir en Catalogne (785-1213), Publications de la Sorbonne, Paris, 1995, pp. 258-295.
  • Fredric L. Cheyette, « The "Sale" of Carcassonne to the Counts of Barcelona (1067-1070) and the Rise of the Trencavels », Speculum, vol. 63, n° 4, , pp. 826-864 [lire en ligne] [lien alternatif de téléchargement]
  • Hélène Débax, « Les comtesses de Toulouse : notices biographiques », Annales du Midi, vol. 100, n° 182, 1988, p. 215-234 [lire en ligne]
  • Donald J. Kagay, « Countess Almodis of Barcelona: 'Illustrious and Distinguished Queen' or 'Woman of Sad, Unbridled Lewdness' », éd. Theresa M. Vann, Queens, Regents and Potentates, Boydell & Brewer, 1993, p. 37-47.
  • Clément de Vasselot de Régné, Le "Parentat" Lusignan (Xe-XIVe siècles) : structures, parenté vécue, solidarités et pouvoir d’un lignage arborescent, Thèse de doctorat en histoire médiévale, sous la direction de John Tolan et de Martin Aurell, Université de Nantes, 4 vol., 2 797 p., décembre 2018.[lire en ligne]
  • Philippe Wolff, « Deux maîtresses femmes dans la Marche d’Espagne au XIe siècle : Ermessende et Almodis »,Media in Francia, Recueil de mélanges offerts à K. F. Werner, Paris, 1989, p. 525-537.

Articles connexes

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