Agrainage

L’agrainage est une pratique cynégétique consistant à nourrir des animaux sauvages, dans leur environnement (plus souvent dans la forêt et plus rarement dans les champs). Le mot « agrainage » est plutôt réservé aux sangliers, mais il est parfois utilisé pour les cervidés ou les oiseaux chassables.

Étymologiquement, il s'agit de mettre à disposition du grain (blé, orge, seigle, maïs…), mais cette expression recouvrait aussi une alimentation par d'autres types de nourriture : carottes, betteraves, foin, pommes et parfois déchets agroalimentaires, aujourd'hui totalement interdits. La nourriture peut être déposée au sol (concentrée, ce qui n'est pas recommandé, ou dispersée). Elle peut aussi être rendue disponible via un distributeur, dit « agrainoir », plus ou moins sophistiqué (en particulier quand l'agrainage cible une espèce particulière).

Dans la plupart des régions d'Europe, de fortes augmentations de populations de sangliers et chevreuils sont constatées depuis quelques décennies. L'agrainage abondamment pratiqué dans les années 1980/1990 a été développé afin de limiter leurs dégâts en plaine.

En termes de bilan global ou de coûts-avantages, l'intérêt et les modalités de l'agrainage sont discutés en raison de plusieurs effets pervers sur les populations animales et sur leur santé, autant que sur la forêt (équilibre sylvo-cynégétique), car il n'existe pas de méthode fiable pour évaluer le point d'équilibre.
En France cette pratique est très réglementée, et son intérêt discuté, sauf là et quand on a fait la preuve de son utilité, et à certaines conditions[1].

Espèces cibles

L'agrainage vise généralement, avec plus ou moins de succès une ou plusieurs espèces cibles :

Les agrainoirs

Ils sont le plus souvent bricolés sur place avec des bidons de plastique et des tôles pour les protéger de la pluie.
Certains types d'agrainoirs peuvent assez efficacement empêcher certaines espèces d'accéder à la nourriture au profit d'autres espèces.

Objectifs

L'agrainage a (ou a eu) plusieurs objectifs, souvent complémentaires, mais parfois contradictoires :

  • nourrir des animaux migrateurs de passage (pour les fixer sur un site où ils seront plus faciles à chasser, ou simplement pour les aider dans leur migration)
  • agrainer pour le tir, visant à compléter d'autres modes de chasse devenus insuffisamment "efficaces" (par exemple, à cause d'un manque de chasseurs et/ou de rabatteurs, d'un contexte urbain ou à risque d'accident de chasse dans une forêt très fréquentée) ou pour effectuer des tirs sélectifs. Cette solution n'est pas durable, car les chevreuils et sangliers apprennent vite à reconnaitre un site qui serait trop « dangereux » pour eux. Exceptionnellement, des aliments sont utilisés pour endormir des animaux ou des fléchettes narcotiques peuvent être utilisées pour certaines études. Il ne s'agit alors pas de tuer les animaux
  • agrainer pour dissuader, il concerne surtout le sanglier qu'il s'agit d'affourager régulièrement en des points fixes et habituels, pour qu'il évite d'aller manger (et « retourner » le sol) sur d'autres territoires. Parfois, dans les forêts privées ou publiques, ce sont des cultures cynégétiques qui sont directement implantées au milieu de la forêt pour ne pas avoir à distribuer la nourriture, mais le risque est cette fois d'habituer les animaux à consommer du maïs ou d'autres plantes appétentes qu'ils pourraient ensuite aller rechercher dans les zones agricoles. Il convient aussi d'utiliser un site propre (ex. : En forêt de Verdun, de nombreuses billes de plomb toxique (shrapnells) et des obus non explosés, à demi apparents ont été trouvés sur des sites d'agrainage).

Effets pervers

Un agrainage s'il est excessif s'apparente à un élevage extensif et peut contribuer à la surpopulation des animaux cibles (ou non-ciblés dans le cas des rongeurs). Le constat est que les plans de chasse instaurés par les chasseurs dans les années 1960/1970 en Europe et dans certains états d'Amérique du Nord, en plus des réintroductions locales de gibier, associées à des dizaines de milliers de points d'agrainage ont permis la restauration d'un important cheptel de cervidés et de sangliers, qui a même dépassé les espérances des chasseurs et des sylviculteurs (qui tirent souvent un revenu secondaire mais important de la chasse).

Cependant, cette population a parfois des bases génétiques appauvries. Elle a de plus grandi au point de faire d'importants dégâts dans les cultures et dans les forêts, posant des déséquilibres sylvocynégétiques, des risques épidémiologiques (par exemple, la peste porcine) et des accidents de circulation (ainsi les collisions sanglier-véhicule sont en forte augmentation en France).

Bien que visant à contribuer à limiter les dégâts aux cultures, l’agrainage, s'il est pratiqué trop abondamment, notamment près des lisières, peut en fait involontairement les exacerber via les pullulations de rongeurs, de sangliers et de chevreuils ; il augmente aussi d'autres risques, comme les risques sanitaires[2]. En effet, toute tentative de sédentariser une population animale sauvage expose cette population à un risque accru de parasitoses et de maladies infectieuses contagieuses, éventuellement transmissibles à l'homme (zoonoses) : « la technique est efficace pour limiter les dégâts au moment des semis ou des récoltes, mais elle se transforme souvent en nourrissage à l’année, une dérive qui alimente le cycle prolifique de la reproduction »[2].

Ainsi, quand l'agrainage est trop et/ou mal pratiqué (apports concentrés en quelques points, dépôts au sol, distributeurs non spécifiques), il profite souvent aussi aux petits rongeurs (souris, campagnols, rats, mulots, lérots…), ce qui pose plusieurs problèmes :

  • pillage par ces rongeurs d'une partie des aliments apportés,
  • surpopulation de petits rongeurs autour des points d'agrainage, avec renforcement du nombre d'individus et de leur promiscuité, ce qui en l'absence de prédation et de sélection naturelle par les prédateurs favorise l'apparition et la diffusion de certaines maladies transmissibles et de leurs vecteurs (tiques, puces, taons, moucherons et autres moustiques hématophages…), voire de maladies émergentes (la plupart étant de plus des zoonoses).
  • dégâts aux cultures, en effet, certains de ces rongeurs peuvent à leur tour être responsables de dégâts aux cultures (campagnols notamment) ou de déprédations de graines ou racines de plants d'arbres. Ces problèmes sont exacerbés quand l'agrainage est associé à des campagnes de piégeage des mustélidés ou à une chasse ou déterrage des renards, car la disparition de ces prédateurs encourage aussi la pullulation et la diffusion de maladies vectorielles par les rongeurs et leurs parasites (échinococcose alvéolaire, maladie de Lyme, ehrlichiose, babesiose, hantavirose, etc.).

L'agrainage est utilisé comme complément aux mesures de prévention des dégâts.

Dans certaines régions très pauvres en forêt, des agrainoirs sont parfois installés en zone ouverte et dégagée.

  • C'est exposer les oiseaux qui s'y nourrissent à leurs prédateurs.
  • C'est risquer d'y favoriser les rongeurs qui peuvent être des déprédateurs pour les cultures avoisinantes,

Législation et perspectives règlementaires

En France, des arrêtés préfectoraux réglementent l'agrainage et l'affouragement du gibier[3], et parfois l'interdisent [4].
L'ONF commence localement (via les règlements de baux de chasse) à interdire l'agrainage ponctuel et imposer de disperser le grain. Parallèlement, l'ONF est plus exigeant sur la réalisation des plans de chasse.
À la suite notamment du « plan sanglier » engagé en France en 2009, le CGEDD et le CGAAER (conseil général de l'alimentation de l'agriculture et des espaces ruraux), interrogés sur ce point ont formulé[1] en 2012 10 recommandations de révision des politiques concernant ces dégâts [5], le CGEDD propose notamment de « prévenir le développement incontrôlé des dégâts : en interdisant l’agrainage sauf lorsqu’il est purement dissuasif et que sa nécessité a été démontrée (en ligne, inférieur à des densités maximales autorisées, effectué uniquement aux périodes de sensibilité des cultures) »[1]. Ceci pourrait se faire en complétant l'article L425-5 du Code de l'environnement ou par une disposition règlementaire à créer[1].

Le nourrissage des sangliers (mais non l'agrainage dissuasif pour la protection des cultures en période de sensibilité de celles-ci, hors saison de chasse) a été interdit en 2019 par la loi créant l’Office français de la biodiversité (OFB)[6]

En Suisse et Allemagne, après avoir souvent recommandé l'agrainage, les autorités et conseillers cynégétiques ne le recommandent plus qu'avec prudence[7]. Il reste néanmoins très pratiqué sur le terrain.

Voir aussi

Articles connexes

Notes et références

  1. Pierre Rathouis, coordonnateur, Armelle de Ribier, Jean Lévêque, CGEDD, Michel de Galbert, Alain Monnier, CGAAER Rapport no 007966-01 "Mission sur les dégâts de grand gibier" (PDF, 1,4 Mo) rendu en janvier 2012, publié le 19 mars 2012, consulté 2012-03-22
  2. David Servenay, « « Les chasseurs deviennent des viandards » : la prolifération des sangliers hors de contrôle », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  3. exemple d'arrêtés préfectoraux
  4. exemple d'arrêté interdisant l'agrainage, contesté des chasseurs
  5. Propositions pour une politique territoriale efficace. Face au développement non maîtrisé du grand gibier et des dégâts qu'il occasionne, le CGEDD propose la mise en place d'une politique territoriale qui permettrait un retour à la normale dans les trois à cinq ans (selon Actu-Environnement), 21 mars 2012
  6. Code de l'environnement - Article L425-5 : "L'agrainage et l'affouragement sont autorisés dans des conditions définies par le schéma départemental de gestion cynégétique. Le nourrissage en vue de concentrer des sangliers sur un territoire est interdit. Le schéma départemental de gestion cynégétique peut autoriser des opérations d'agrainage dissuasives en fonction des particularités locales."
  7. Exemple Recommandations du groupe de travail OFEFP « Sanglier et Gestion » (2 pages, pdf, en français)
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