Affaire Sacco et Vanzetti

L’affaire Sacco et Vanzetti est le nom d'une controverse judiciaire survenue dans les années 1920 aux États-Unis, concernant les anarchistes d'origine italienne Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, condamnés à mort et exécutés. Leur culpabilité fut extrêmement controversée aussi bien à l'époque que par la suite, et plusieurs œuvres artistiques leur rendent hommage. Leur jugement a été invalidé sur la forme par le gouverneur du Massachusetts Michael Dukakis le mais leur culpabilité ou leur innocence n’a pas été définie pour autant.

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Vanzetti (à gauche) et Sacco (à droite).

Contexte

Comme en Europe, les années 1919 et 1920 sont difficiles aux États-Unis car il faut reconvertir l'économie de guerre et faire face à l'inflation. La fin du dirigisme étatique mis en place en 1917 et la montée du syndicalisme provoquent de nombreuses grèves dans tout le pays. En 1919, on recense 4,1 millions de grévistes qui réclament de meilleurs salaires et une réduction du temps de travail. Les grèves dégénèrent en violences et donnent lieu à des affrontements dans plusieurs grandes villes, comme à Boston[1].

Dans ce climat social, l'année 1920 est marquée par de nombreux attentats anarchistes. Les responsables politiques sont touchés, comme le maire de Seattle ou celui de Cleveland, chez lequel une bombe explose. Les bureaux de la banque Morgan à Wall Street sont soufflés par un attentat qui fait 38 morts et 200 blessés[2]. Les autorités prennent des mesures de répression contre les anarchistes mais aussi contre les communistes et les socialistes américains. Certains sont emprisonnés, d'autres contraints de s'exiler. L'opinion publique amalgame les grévistes, les étrangers et « les Rouges ». Elle craint la progression du bolchévisme en Europe, le terrorisme de gauche et se méfie des immigrés récemment arrivés qui parlent à peine l'anglais. Cette période est connue sous le terme de « Peur rouge ».

Début de l'affaire

En 1919 et 1920, deux braquages ont lieu dans le Massachusetts : le premier est un hold-up manqué contre un camion qui transporte 16 000 $, la paye des 500 ouvriers de la fabrique de chaussures L.Q. White, à Bridgewater le , le gang motorisé de trois personnes armées engage une fusillade mais un tramway fait écran entre eux et le camion, si bien que les trois braqueurs battent en retraite ; l'autre à South Braintree, dans la banlieue de Boston, le . Ce dernier braquage fait deux morts : Frederic Parmenter, caissier de la manufacture de chaussures Slater and Morril, et son garde du corps Alessandro Berardelli. Ils sont abattus à coups de revolver par deux hommes dans la rue principale. Les 15 000 $ correspondant à la paye des ouvriers sont volés[3].

Les soupçons de la police se portent immédiatement sur Sacco et Vanzetti. Bien qu'aucun des deux n'ait un casier judiciaire, les autorités les connaissent comme des militants radicaux favorables au terrorisme révolutionnaire dont le principal représentant est l'avocat Luigi Galleani. La police relie les crimes récents au courant galléaniste, spéculant que les voleurs sont motivés par la nécessité de financer leurs attentats par des braquages. Elle suspecte notamment Ferruccio Coacci, ouvrier italien qui a travaillé pour les deux manufactures et dans la maison duquel elle retrouve des cartouches 7,65 × 17 mm Browning identiques à celles retrouvées dans le corps des deux convoyeurs[4].

Le brigadier de police de Bridgewater, Michael E. Stewart, soupçonne Mario Buda, colocataire de Coacci et propriétaire d'une voiture supposée avoir été utilisée lors du braquage de South Braintree. Le , la police tente d'appréhender Mario Buda et trois autres hommes (par la suite identifiés comme Sacco, Vanzetti et Riccardo Orciani) alors qu'ils viennent récupérer cette voiture en réparation dans un garage de la région, le garagiste ayant alerté la police après s'être aperçu que la plaque d'immatriculation était fausse. Ils tentent de fuir, mais la police parvient à rattraper Sacco et Vanzetti, détenteurs d'armes à feu, qui sont inculpés pour les deux braquages[3].

Procès

Manifestation de soutien à Sacco et Vanzetti.

Le premier procès débute le . Un certain nombre de témoins à charge qui n'ont vu le braquage que de loin affirment avoir « reconnu » des Italiens, notamment l'un portant une moustache comme celle de Vanzetti, le débat portant sur la longueur de cette moustache. Les témoins à décharge, des immigrés italiens supposés être d'accointance avec les milieux anarchistes, fournissent un alibi à Vanzetti mais sont déstabilisés par le procureur[1].

Le , Vanzetti seul est condamné pour le premier braquage de 12 à 15 ans de prison, Sacco ayant pu prouver qu'il avait pointé à l'usine le jour de ce premier braquage.

Le second procès, qui a lieu à Dedham du 31 mai au , met surtout en scène l'expertise en balistique, encore balbutiante à cette époque, Vanzetti porte selon l’accusation un pistolet de calibre 38 qui aurait appartenu à l’une des victimes et Sacco un Colt automatique de calibre 32, soit le même que les quatre balles trouvées sur les lieux du braquage. Ce second procès, dont le verdict a été fortement influencé par l'attentat anarchiste de Wall Street du , les condamne tous les deux à la peine capitale pour les crimes de South Braintree, malgré le manque de preuves formelles. Carlo Tresca et Aldino Felicani (vieil ami de Vanzetti), deux militants de l'Industrial Workers of the World et quelques représentants de la bourgeoisie libérale de Boston lancent une campagne médiatique nationale et internationale en leur faveur. Ils montent, dès le , un comité de défense qui parviendra à lever pendant 7 ans un fonds de 300 000 dollars qui financera leur avocat californien Fred Moore, spécialisé dans les procès politiques, pour effectuer ses propres enquêtes[5].

Dès lors, des comités de défense se mettent en place dans le monde entier pour sensibiliser l'opinion sur cette injustice. L'affaire passionne en particulier l'opinion italienne et en 1921, les fascistes demandent au gouvernement italien d'aider les deux anarchistes, qu'ils jugent persécutés en tant qu'Italiens. Une fois arrivé au pouvoir l'année suivante, Benito Mussolini intercède en faveur de Sacco et Vanzetti en écrivant à Channing H. Cox, gouverneur du Massachusetts, pour demander leur grâce et en demandant à l'ambassadeur d'Italie aux États-Unis d'intervenir auprès du président Calvin Coolidge[6],[7], qui était également le prédécesseur de Cox comme gouverneur du Massachusetts. Outre l'impact de cette affaire sur l'opinion publique italienne, le soutien de Mussolini à Sacco et Vanzetti peut s'expliquer par l'estime et même l'admiration pour le mouvement anarchiste que le dirigeant fasciste avait conservé de ses engagements de jeunesse à gauche[7],[8].

Comme Sacco en 1923, Vanzetti est placé début 1925 en hôpital psychiatrique. Le , leur condamnation à mort est confirmée. En , un bandit dénommé Celestino Madeiros, cependant déjà condamné à mort dans une autre affaire[9], avoue de sa prison être l'auteur, avec des membres du gang de Joe Morelli, du braquage de South Braintree, mais le juge Webster Thayer (en), vieil Américain qui n'aimait ni les Italiens ni les anarchistes[10], refuse de rouvrir le dossier. Malgré une mobilisation internationale intense[11] et le report à plusieurs reprises de l'exécution, Nicola Sacco, Bartolomeo Vanzetti et Celestino Madeiros sont exécutés sur la chaise électrique dans la nuit du 22 au , à la prison de Charlestown (en) dans la banlieue de Boston, par le célèbre bourreau Robert G. Elliott[12], suscitant une immense réprobation[10].

Carte de soutien à la campagne de solidarité pour Sacco et Vanzetti, éditée par la section française du Secours rouge international (SRI), en 1927.

En France, les manifestations et les pétitions en faveur des condamnés étaient nombreuses. Louis Lecoin, cofondateur et secrétaire du Comité de défense Sacco-Vanzetti, fit un coup d'éclat peu de temps après au sein du congrès de l'American Legion (regroupant les anciens combattants américains de la Première Guerre mondiale). Après avoir infiltré les lieux au prix d'un déguisement de militaire (Lecoin étant suivi par la police), il s'installa au sein du congrès. Le président prit la parole, et Lecoin se leva et répéta trois fois « Vivent Sacco et Vanzetti ! ». Il fut arrêté. Toutefois, le ministre de l'Intérieur dut rapidement le remettre en liberté, toute la presse ayant pris fait et cause pour Sacco et Vanzetti et donc pour Lecoin.

Le Secours rouge international mène lui-aussi campagne pour « les martyrs Sacco et Vanzetti ».

Suites

Des galléanistes ont réagi violemment les années suivantes, se vengeant en plaçant des bombes au domicile des participants au procès, dont un juré du procès de Dedham, un témoin à charge, le bourreau, Robert G. Elliott et le juge Thayer. Le , un paquet de dynamite détruit la maison de Thayer à Worcester (Massachusetts). Thayer resta indemne, mais son épouse et un concierge furent blessés[13].

Le , exactement 50 ans jour pour jour après leur exécution, le gouverneur du Massachusetts, Michael Dukakis, absout les deux hommes, les réhabilite officiellement et déclare que « tous les déshonneurs devaient être enlevés de leur nom pour toujours »[14]. André Kaspi reste toutefois en désaccord sur la question de l'innocence ou de la culpabilité des deux hommes[1]. L'écrivain américain Francis Russell, s'appuyant sur une enquête de balistique réalisée en 1961, défend l'idée selon laquelle seul Sacco était coupable. Selon lui, le dirigeant anarchiste Carlo Tresca aurait confirmé cette thèse peu avant sa mort (cf. F. Russel, op. cit., dans la bibliographie)[source insuffisante].

D'après une émission de la National Public Radio (États-Unis) en date du [15], l'écrivain Upton Sinclair, qui avait beaucoup écrit en faveur de Sacco et Vanzetti, avait fini par avoir des doutes sur leur innocence et avait interrogé leur avocat, Fred Moore. Dans une lettre découverte par un collectionneur dans les lots d'une vente publique, Sinclair aurait écrit : « Seul avec Fred dans une chambre d'hôtel, je lui demandai toute la vérité. Il me dit alors que les hommes étaient coupables et il me raconta dans les moindres détails comment il avait monté une série d'alibis en leur faveur. » Sinclair se serait trouvé des excuses pour ne pas se dédire. L'invité de la National Public Radio qui faisait état de cette lettre était Tony Arthur, biographe de Sinclair.

Dans la culture

Détail de la mosaïque.
  • Louis Aragon consacre un poème à Sacco et Vanzetti, intitulé Intermède français[16] qui narre la déception d'Aragon après une manifestation de soutien à Sacco et Vanzetti à Dieppe ne rassemblant que trop peu de personnes. Il a été chanté par Marc Ogeret sous le titre Le jour de Sacco-Vanzetti.
  • Giuliano Montaldo retrace leur histoire dans le film Sacco et Vanzetti. Dans la bande originale du film, la chanson Here's to you de Joan Baez (musique d'Ennio Morricone) fait référence aux paroles de Vanzetti au juge Thayer.
  • En 1966, Armand Gatti crée Chant public devant 2 chaises électriques au Théâtre national populaire (Palais de Chaillot). Cette pièce chorale donne une dimension universelle au combat de Sacco et Vanzetti.
  • Georges Moustaki a repris la chanson de Joan Baez en adaptant les paroles en français sous le titre de Marche de Sacco et Vanzetti.
  • Tino Rossi enregistre sur disque Columbia 2C006-11730M, le , La marche de Sacco et Vanzetti (du film Sacco et Vanzetti).
  • Leny Escudero les a également chantés sous le titre Sacco et les autres.
  • Les Compagnons de la chanson ont interprété la chanson La marche de Sacco et Vanzetti en 1998.
  • Woody Guthrie a consacré tout un cycle de chansons à l'affaire, en donnant des détails sur le procès et sur la vie des deux militants. Une chanson de Scott Walker, intitulée The ballad of Sacco and Vanzetti, leur est également consacrée.
  • Le titre Here's to you est également présent dans deux jeux de la série Metal Gear : Metal Gear Solid 4: Guns of the Patriots, ainsi que Metal Gear Solid: Ground Zeroes.
  • Dans le film Mes meilleurs copains (1989), lors du « happening politique » à l'usine, Jean-Michel s'écrie « Libérez Sacco et Vanzetti ! » (18e minute du film).
  • Dans la série animée Les Zinzins de l'espace, l'extra-terrestre Candy hurle « Libérez Sacco et Vanzetti ! » pendant la révolte de la basse-cour prolétarienne contre le cochon capitaliste (saison 1, épisode 18).
  • Un épisode (Les Fantômes de Noël) de la série télévisée Les Brigades du Tigre a pour fond l'affaire Sacco et Vanzetti.
  • Dans le poème America de Allen Ginsberg (1956), ce dernier fait référence à ces deux personnages : « Amérique, Sacco et Vanzetti ne doivent pas mourir ».
  • John Dos Passos place le personnage de Mary French au centre du combat pour la libération de Sacco et Vanzetti, dans le troisième volume La grosse galette de sa trilogie U.S.A..

Citation

Vanzetti, condamné avec Sacco à l’électrocution, répond le au juge Thayer :

« Si cette chose n'était pas arrivée, j'aurais passé toute ma vie à parler au coin des rues à des hommes méprisants. J'aurais pu mourir inconnu, ignoré : un raté. Ceci est notre carrière et notre triomphe. Jamais, dans toute notre vie, nous n'aurions pu espérer faire pour la tolérance, pour la justice, pour la compréhension mutuelle des hommes, ce que nous faisons aujourd’hui par hasard. Nos paroles, nos vies, nos souffrances ne sont rien. Mais qu’on nous prenne nos vies, vies d'un bon cordonnier et d'un pauvre vendeur de poissons, c'est cela qui est tout ! Ce dernier moment est le nôtre. Cette agonie est notre triomphe. »


« (If it had not been for these things, I might have lived out my life talking at street corners to scorning men. I might have died, unmarked, unknown, a failure. Now we are not a failure. This is our career and our triumph. Never in our full life could we hope to do such work for tolerance, for justice, for man's understanding of man as now we do by accident. Our words — our lives — our pains — nothing! The taking of our lives — lives of a good shoemaker and a poor fish-peddler — all! That last moment belongs to us — that agony is our triumph.) »

Notes et références

  1. André Kaspi, « Affaire Sacco et Vanzetti », émission L'heure du crime sur RTL, 29 mars 2013.
  2. A. Kaspi, Les États-Unis au temps de la prospérité, 1919-1939, 1994, p. 40.
  3. Pierre Milza, « Sacco et Vanzetti : autopsie d'une affaire (1921-1989) », L'Histoire, no 126, , p. 18.
  4. (en) Paul Avrich, Anarchist Voices: An Oral History of Anarchism in America, AK Press, (ISBN 1-904859-27-5), p. 132-133.
  5. (en) Bruce Watson, Sacco and Vanzetti: The Men, The Murders, and the Judgment of Mankind, Viking, , p. 64.
  6. « Mussolini segreto : aiuto Sacco et Vanzetti », Corriere della Sera, 12 mars 1996.
  7. Sergio Romano, « SACCO, VANZETTI E MUSSOLINI DILEMMI DI UN ANARCHICO FALLITO », Corriere della sera, 27 août 2012.
  8. Philip V. Cannistraro, « Mussolini, Sacco-Vanzetti, and the Anarchists: The Transatlantic Context », The Journal of Modern History, vol. 68, no 1, , p. 31–62 (lire en ligne, consulté le )
  9. Cette confession tardive peut faire penser qu'il espérait un autre procès pour retarder son exécution.
  10. A. Kaspi, Les États-Unis au temps de la prospérité, 1919-1939, 1994, p. 46.
  11. Une pétition en leur faveur recueille trois millions de signatures.
  12. (fr) « Robert Greene Elliott », sur www.worldlingo.com (consulté le ).
  13. « "Bomb Menaces Life of Sacco Case Judge", September 27, 1932 », The New York Times, accessed Dec. 20, 2009.
  14. source sur schoolnet.co.uk.
  15. Debbie Elliott, « Sacco and Vanzetti: Guilty After All? », National Public Radio, 4 mars 2006, en ligne.
  16. Louis Aragon, Le Roman inachevé, Gallimard, (ISBN 978-2-07-030011-2), pp 133 134

Voir aussi

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

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