Égyptomanie

L’égyptomanie est un concept qui décrit la fascination pour la culture et l'histoire de l'Égypte antique. Bien que cette fascination ait pris naissance immédiatement après la période pharaonique (importation de momies dès le Moyen Âge, collection d'objets dans des cabinets de curiosités des XVIe et XVIIe siècles), ce mot se réfère plus particulièrement au regain d'intérêt européen pour l'Égypte antique (en) à partir du récit de voyage Voyage en Égypte et en Syrie (1787) et des Ruines, ou Méditations sur les révolutions des empires (1791) de Volney, ce dernier ouvrage influençant le ministre des relations extérieures Talleyrand qui incite le général Bonaparte à conduire la campagne d'Égypte de 1798 à 1801. De son retour de l'expédition d'Égypte, Vivant Denon rédige son Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte publié en deux volumes en 1802 et qui a connu quarante rééditions au cours du XIXe siècle. Parmi les soldats de cette expédition, un jeune Italien, Bernardino Drovetti, est subjugué par la beauté des paysages et fasciné par les vestiges pharaoniques. Il revient en Égypte en 1802 en tant que consul de France ; dès les premiers mois de son séjour, il se ruine en objets antiques et se constitue une collection de première valeur. Dès 1815, c'est la « guerre des consuls égyptomaniaques » avec l'arrivée d'Henry Salt, consul d'Angleterre. Le tourisme de masse, initié en Égypte par l'agence Cook qui organise la première croisière sur le Nil à bord d'un bateau à vapeur en 1869, développe cette égyptomanie.

Le Luxor Hotel de Las Vegas témoigne de la persistance de l'imaginaire égyptien dans le monde contemporain.

Terminologie

Pour Claude Aziza, l'égyptophilie désigne la passion pour l'Égypte antique qui traverse les époques, tandis que l'égyptomanie correspond à la forme particulière que prend l'égyptophilie dans la culture occidentale à partir du XIXe siècle, à la suite de la formation de l'égyptologie[1].

Histoire

Antiquité

Claude Aziza fait remonter l'égyptophilie aussi loin que l'antiquité romaine et plus précisément l'empire romain : pour lui, les initiations au culte d'Isis relevaient déjà d'une forme d'égyptomanie[1].

Époque moderne

L'Egyptologie avait balbutié ses premiers mots au XVIIe siècle. Valeriano, Kircher, Casali avaient exercé leur génie sur les hiéroglyphes. Pignoria avait en 1670 publié la Mensa isiaca, une étude sur la célèbre Table isiaque que les voyageurs admiraient au musée égyptologique de Turin. On y trouvait un véritable arsenal de représentations égyptiennes : sphinx, Horus, Anubis, prétresses d'Isis, etc. Les amateurs réunissaient des bibelots égyptiens : la collection de Hans Sloane fut un des premiers fonds du British Museum, et, en France, celle du duc de Sully passa en partie à Caylus qui parlait avec satisfaction des « pièces distinguées » que contenait sa collection[2].

Égyptomanie dans l'art

Architecture

Statue néo-égyptienne (1831) à la fontaine-lavoir de Mauvages (Meuse)

L’égyptomanie à la manufacture de Sèvres

En 1800, Alexandre Brongniart est appelé à la direction de l'ancienne Manufacture royale de porcelaine de Sèvres. Au retour de sa campagne en Égypte, Bonaparte renoue avec la tradition des grands services royaux et commande à la manufacture un somptueux service inspiré de l'expédition d'Égypte. L'entreprise en est confiée à Dominique Vivant Denon ; les plus grands peintres et artisans de la manufacture sont mobilisés, mais également des collaborateurs extérieurs comme l'architecte Jean-Baptiste Lepère qui participa à l'expédition d'Égypte aux côtés de Vivant Denon.

Le service se compose de soixante-douze assiettes d'un beau bleu orné de motifs égyptiens en or, le fond étant peint en grisé de copies de scènes et paysages rapportés d'Égypte. Il comprend également quatre sucriers à figure égyptienne, deux seaux à glace, deux corbeilles à palmes, deux autres en forme de lotus, douze compotiers ornés des signes du zodiaque, deux confituriers-boules à griffes de lion, une splendide assiette peinte d'un planisphère égyptien et deux cabarets[note 1] à thé et à café composés chacun de trente-six pièces à motif égyptien. S'y ajoute la pièce la plus imposante du service : un surtout, ou milieu de table, réalisé par Lepère qui s'inspire des planches préparatoires de la description de l'Égypte. Cette composition de 6,64 × 0,76 m en biscuit de Sèvres[note 2] présente en maquette le kiosque du temple de Philæ flanqué de quatre obélisques, les temples de Dendérah et d'Edfou reliés par des colonnades à pylônes et prolongés par les deux colosses de Memnon et d'une allée de sphinx à tête de bélier.

D'autres objets fabriqués à Sèvres relèvent du goût égyptien : des vases offerts par Napoléon à l'archiduc d'Autriche Ferdinand III ou des copies d'ouchebtis.

La porcelaine de Paris est gagnée par la mode égyptienne et le style se pérennise sous la Restauration, puis sous la Monarchie de Juillet, qui commande à la manufacture de Sèvres des vases de style égyptien exécutés sous le contrôle de Champollion en 1832.

Souvenirs d’Égypte à La Malmaison

Resté intact malgré sa fragilité, le cabaret[note 1] égyptien de l'impératrice Joséphine[note 3], réalisé en 1808 par la manufacture impériale de porcelaine de Sèvres[note 4], est aujourd'hui exposé au Musée de la Malmaison. Ce musée consacré à l'histoire napoléonienne abrite les souvenirs de l'expédition de Bonaparte en Égypte et les témoignages de l'« égyptomania » qui en résulta. La modeste collection d'antiquités égyptiennes rassemblées à l'époque de Joséphine était surtout constituée des objets rapportés de la campagne de 1799. Dans la « salle des Antiques », Joséphine avait mis une statue-cube en grès du Moyen Empire, qui se trouve aujourd'hui au Musée de Brooklyn à New York, un scarabée en granit rouge et un torse en basalte noir figurant un prêtre d'Osiris. Dans la Grande Galerie se trouvait la statue de scribe transférée plus tard au Louvre et un « hippopotame en albâtre blanc saucée dans une couverture bleue ». La momie entière qui était dans le « cabinet d'histoire naturelle », fut aussi transférée au Louvre.

Littérature

La très grande majorité des récits ayant pour cadre l'Égypte antique se déroulent dans le cadre de la XVIIIe dynastie ; en particulier, la prépondérance du thème des momies montre que ce courant littéraire souffre de conformisme et puisent leur inspiration à la même source, Le Roman de la momie de Théophile Gautier[1]. L'exception notable est l'œuvre d'Agatha Christie La mort n'est pas une fin, qui se déroule durant la XIe dynastie[1].

La poésie française sous le charme de l'Égypte

L'école romantique découvre au retour de l'expédition d'Égypte les vestiges archéologiques qui vont permettre aux poètes de décrire les lieux antiques qui les fascinent. Dès le début du XIXe siècle, l'archéologie égyptienne accomplit des progrès considérables et il n'est pas nécessaire de faire le voyage pour s'informer. Des ouvrages illustrés paraissent, le plus complet étant le « Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte » de Dominique Vivant Denon, dont Victor Hugo s'inspire largement dans ses « Orientales » publiées en 1829. Le recueil des Orientales ouvre à la poésie française au baroque des pays lointains, aux religions mystérieuses et à la démesure que Victor Hugo décrit :

« C'est vouloir hautement le désordre, la profusion, la bizarrerie, le mauvais goût (...) là en effet tout est grand, riche, fécond, comme le Moyen Âge, cette autre mer de poésie. »

Leconte de Lisle va connaître une grande renommée avec la publication en 1852 du recueil « Poèmes antiques ». L'Égypte hante le poète avec Néferou-Ra, paru en 1862 dans les « Poèmes barbares », Le Voile d'Isis, long poème conçu comme un dialogue entre le pharaon mourant et un prêtre.

S'ils aiment évoquer les pharaons, les poètes français ne peuvent s'empêcher de célébrer les charmes de Cléopâtre : la reine d'Égypte devient au XIXe siècle une muse de la poésie française. Là encore Victor Hugo donne l'exemple dans « La Légende des siècles », ou il fait parler les dix sphinx de marbre blanc qui soutiennent le trône sur lequel est assis le sultan d'Égypte, lui signifiant que sa grandeur n'est rien devant la mort ; le neuvième sphinx fait le portrait de Cléopâtre.

La mythologie égyptienne est aussi une source de choix pour les poètes qui cherchent plus à exprimer les sentiments que leur inspire une religion fascinante et peu connue qu'à s'en faire les exégètes méthodiques. Ayant chanté Antoine et Cléopâtre, José-Maria de Heredia dresse dans « La Vision de Khém », un fascinant tableau d'une Égypte hiératique et lumineuse, plongée dans ses rites anciens.

Critique de l'égyptomanie

La ferveur excessive vis-à-vis des mystères égyptiens de la part des grecs anciens comme de l'occident moderne a été analysée par Roger Caratini dans son ouvrage L'Égyptomanie, une imposture (voir bibliographie). L'objectif du regain régulier d'égyptomanie est selon l'auteur de vendre du papier. Il est rappelé que les Égyptiens n'ont pas inventé grand chose que cela soit dans le domaine de l'écriture, des mathématiques ou des systèmes sociaux, comparativement aux Sumériens. En revanche, les Égyptiens ont laissé des monuments et des hiéroglyphes qui, parce qu'ils ont été longtemps incompris ont attiré de tous temps les curieux de toute nature. Après le déchiffrage par Jean-François Champollion, la communauté scientifique s'est rapidement aperçue que les textes des monuments étaient exclusivement à la gloire des pharaons. D'après Roger Caratini, c'est un peu comme si l'on déchiffrait les inscriptions des monuments élevés à la gloire de Staline pour comprendre l'histoire de la Russie.

Notes et références

Notes

  1. Le terme cabaret désigne à la fois le service et le meuble sur lequel il prend place.
  2. Le biscuit de Sèvres est une porcelaine blanche non émaillée, cuite au four, imitant le grain du marbre.
  3. Depuis la mort de Joséphine en 1814, le service à thé était dans des collections privées ; c'est en 1965 qu'il a été localisé chez un collectionneur alsacien, Alexandre Grunelius, dont les descendants l'ont proposé aux enchères de Sotheby's le où il a été acquis par le Musée de la Malmaison.
  4. Six autres services égyptiens, analogues à celui de la Malmaison, ont été réalisés : un service de table, offert au tsar Alexandre Ier, exposé aujourd'hui au musée de la céramique de Kouskovo en Russie ; un autre livré aux Tuileries pour le mariage de Napoléon et de Marie-Louise, emmené par l'empereur dans son exil à Sainte-Hélène, et maintenant exposé au Musée du Louvre ; un autre livré à la Malmaison en 1811 et trois autres offerts en cadeaux d'étrennes à des proches du couple impérial.

Références

  1. Claude Aziza, Guide de l'Antiquité imaginaire : roman, cinéma, bande dessinée, Paris, Les Belles lettres, , 367 p. (ISBN 978-2-251-44621-9 et 2251446214, OCLC 965372657, lire en ligne)
  2. Louis Hautecœur, Rome et la renaissance de l'antiquite à la fin du XVIIIe siècle, Fontemoing, , p. 102

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Roger Caratini, L’égyptomanie, une imposture, Albin Michel, Paris, 2002, 264 p. (ISBN 2-226-13073-X)
  • Jean-Marcel Humbert (dir.), L’égyptomanie à l'épreuve de l'archéologie : actes du colloque international organisé au musée du Louvre, par le Service culturel, les 8 et , Musée du Louvre Éd., Paris ; Éd. du Gram, Bruxelles, 1996, 697 p. (ISBN 90-5349-148-1)
  • Mario Perniola, Énigmes. Le moment égyptien dans la société et dans l'art, La Lettre Volée, Bruxelles, 1995.
  • Jean-Marcel Humbert, L’égyptomanie : sources, thèmes et symboles. Étude de la réutilisation des thèmes décoratifs empruntés à l'Égypte ancienne dans l'art occidental du XVIe siècle à nos jours, Université de Paris 4, 1987, 1 557 p. (thèse d'État)
  • N. Howard, Hollywood-sur-Nil, Fayard, 1978
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