Thérapie génique

La thérapie génique ou génothérapie est une stratégie thérapeutique qui consiste à faire pénétrer des gènes dans les cellules ou les tissus d'un individu pour traiter une maladie. La thérapie génique vise à remplacer ou complémenter un allèle mutant défectueux par un allèle fonctionnel ou à surexprimer une protéine dont l'activité aurait un impact thérapeutique.

Thérapie génique à base d'un vecteur adénovirus (virothérapie).
Un nouveau gène est inséré dans un vecteur dérivé d'un adénovirus, lequel est utilisé pour introduire l'ADN modifié dans une cellule humaine. Si le transfert se déroule correctement, le nouveau gène élaborera une protéine fonctionnelle qui pourra alors exprimer son potentiel thérapeutique.

Historique

Jusqu'au premier essai

Le concept de thérapie génique – réparer ou modifier le patrimoine génétique pour traiter une pathologie – est réellement évoqué par la communauté scientifique à la fin des années 1960[1]. Mais si tous les éléments théoriques sont présents, le niveau technologique ne permet pas encore de réaliser pratiquement cette approche. L’amélioration des connaissances concernant les liens entre certains gènes mutés et certaines pathologies, la création de systèmes de transfert de gènes à partir de virus sécurisés, l’amélioration des technologies de manipulation de l’ADN – en bref toutes les avancées de ce tissu de concepts et techniques que l’on appelle aujourd’hui la biotechnologie – permettent à cette idée théorique de voir le jour sous la forme d’un premier essai clinique initié par S. Rosenberg aux États-Unis à la fin des années 1980.

Engouement et désenchantement

Les années 1990 et le début du XXIe siècle voient éclore une kyrielle d’essais cliniques dans des pathologies très diverses : cancer, maladies cardiaques et vasculaires, infections virales, immunodéficiences héréditaires… associée à un engouement majeur du public (notamment à travers le Téléthon) et des investisseurs. Mal servie par une communication faisant peu la part des choses entre la réalité du terrain et les hypothèses, face à des acteurs industriels ou à des patients qui attendent des résultats positifs immédiats, la thérapie génique est rapidement confrontée au constat amer se dégageant de cette période : aucun bénéfice réel n'est observé pour les quelque 4 000 patients enrôlés dans les 400 à 600 essais réalisés durant cette période. Des difficultés de communication entre la communauté scientifique académique et celle de l’industrie, un désengagement progressif des capitaux-risqueurs sur les approches de thérapie génique, une méfiance concernant le réel potentiel de cette stratégie domine la fin de la dernière décennie du XXe siècle.

1999 voit le premier décès à cause de la thérapie génique : Jesse Gelsinger. Il a accepté d'être le sujet d'une étude sur la thérapie génique, étude qui lui a été fatale.

Premiers succès

Le succès thérapeutique du protocole de Alain Fischer sur le traitement des enfants-bulles atteints d’immunodéficience sévère dans les années 2000, démontrant formellement l'intérêt du concept mais mitigé par certains effets secondaires graves (développement de leucémie ou de cancer[2]), ne parviendra pas à relancer totalement les efforts de l'ensemble des acteurs de ce domaine (cf. plus bas). Aujourd’hui, dans une phase plus mature, moins médiatisée, plus réfléchie, plus consciente des nombreuses années – voire décennies – nécessaires pour que cette idée s'inscrive dans une routine thérapeutique, de nombreuses équipes internationales continuent à travailler pour faire de la thérapie génique un outil supplémentaire dans la panoplie des traitements hospitaliers[3][4]. Les efforts de ces équipes s'illustrent dans plusieurs essais cliniques de traitements de diverses pathologies comme l'amaurose de Leber[5], l'adrénoleucodystrophie (mené par Patrick Aubourg, Nathalie Cartier, et l'équipe d'Alain Fischer)[6], ou le syndrome de Wiskott-Aldrich[7] qui, en apportant de réelles contributions au traitement de ces maladies, laissent supposer qu'une nouvelle phase de développement et de réflexion autour de la thérapie génique voit le jour.

La révolution CRISPR-Cas9

En 2012, Emmanuelle Charpentier, en s'alliant avec sa consœur Jennifer Doudna, de l'université de Berkeley, aux États-Unis innove grâce aux séquences CRISPR pourtant mises en évidence depuis 1987[8]. Elle réussit à fabriquer en laboratoire un « ARN guide » correspondant au gène que l'on souhaite cibler, puis de l'arrimer à une enzyme Cas9. Cette dernière découpe alors le gène. CRISPR-Cas9 met immédiatement en émoi la communauté scientifique car cet outil est un peu la baguette magique qui permet à l'humanité de modifier ses propres gènes à volonté[9].

De nombreuses cibles

Le concept de thérapie génique est né de l'idée de traiter des pathologies héréditaires. Il s'est rapidement orienté vers le traitement de toutes les affections, héréditaires ou non, dans lesquelles il était possible d'imaginer que certains gènes étaient défectueux ou qu'il était possible d'envisager un rôle pour de nouveaux gènes. Les cancers, les infections virales, la douleur, les affections cardiaques, les atteintes traumatiques du système nerveux… Conceptuellement, il n'est pas une pathologie qui ne pourrait pas bénéficier d'une approche de thérapie génique, que ce soit par une stratégie de restauration d'une activité génétique défaillante ou par la production d'une activité supplémentaire qui puisse avoir un impact thérapeutique.En 2013, près de 2000 essais cliniques auraient été proposés au niveau international[10]. L'analyse cumulée des données montre que, depuis le premier essai clinique (qui s'intéressait alors au traitement du cancer), environ 65 % des essais se focalisent sur le traitement du cancer, et 35% sur des pathologies très variables comme les infections virales, les maladies neurologiques, les pathologies oculaires, les maladies liées à des déficiences au niveau du système sanguin... Si le jeu des statistiques est tentant, il faut toutefois se garder de tirer des conclusions claires de l'analyse globale de ces protocoles qui s'intéressent à des pathologies, des technologies et des concepts très diversifiés. De plus, le peu de données exhaustives qu'il est possible d'obtenir pour ces protocoles rend difficile l'estimation du nombre réel de protocoles cliniques effectivement réalisés, du nombre de patients, du niveau de divulgation des résultats du protocole dans des journaux scientifiques, voire du réel intérêt thérapeutique des protocoles réalisés.

Transporter un gène : la problématique des vecteurs en thérapie génique

Une fois le gène sélectionné pour son potentiel thérapeutique face à une pathologie, une étape cruciale de la thérapie génique est de faire pénétrer la nouvelle information génétique dans l'organisme du patient.

Vecteurs viraux

L'utilisation de virus modifiés pour transporter un gène thérapeutique repose sur le constat d'efficacité des virus pour transférer leur propre matériel génétique dans les cellules humaines. Pour produire des vecteurs viraux, on utilise des virus modifiés génétiquement, dits sécurisés. Le principe consiste à éliminer les séquences du virus qui codent des protéines, notamment celles associées à un éventuel comportement pathogène du virus, et à ne conserver que celles qui sont utilisées pour construire la particule virale et assurer le cycle d'infection. Le génome du virus est reconstruit pour porter les séquences du gène thérapeutique. Les protéines virales qui potentiellement manqueraient à la formation des particules virales thérapeutiques sont fournies par des cellules dites productrices ou d'encapsidation lors de la phase de production des vecteurs.

Vecteurs adénoviraux

L’adénovirus est un virus à ADN. Il présente la caractéristique de faire pénétrer son matériel génétique dans la cellule cible sans attendre la mitose (division cellulaire) et sans insérer la nouvelle information génétique dans le génome de la cellule cible. Bien que très utilisés dans de nombreux essais cliniques, les chercheurs n’arrivent toujours pas à ce jour à le débarrasser complètement de ses gènes, maintenant ainsi un caractère potentiellement pathogène au vecteur construit[11]. Ce vecteur, très utilisé dans les années 1990 est aujourd'hui beaucoup moins envisagé en thérapie génique.

Vecteurs rétroviraux

Les rétrovirus sont utilisés comme vecteur en thérapie génique car ils permettent d'insérer la nouvelle information génétique dans le génome de la cellule cible. Le nouveau gène se transmet alors de cellules mères en cellules filles de manière égale sans « dilution » de l'information génétique dans le temps. Le génome des rétrovirus est composé de molécules d'ARN (acide Ribonucléique) et non d'ADN comme le génome des cellules humaines. L'infection par un rétrovirus implique une étape de rétrotranscription de l'ARN en un fragment d'ADN qui pourra être associé (étape d'intégration) aux chromosomes après pénétration dans le noyau cellulaire. Une combinaison de protéines virales et de protéines de la cellule cible assure cette étape de transfert des molécules d'ADN du cytoplasme cellulaire vers le noyau et l'intégration dans le génome de l'hôte. Une fois intégré, le génome du rétrovirus sous sa forme ADN est stable et transmis de manière mendélienne comme n'importe quel gène de la cellule.

Si la plupart des essais cliniques ont été réalisés avec des vecteurs dérivés de rétrovirus de souris, certains essais cliniques sont actuellement en cours utilisant des vecteurs dérivés du virus VIH (traitement de l'adrénoleucodystrophie par l'équipe Cartier-Aubourg à Paris depuis 2007, traitement de l'infection à VIH aux États-Unis depuis 2000, traitement d'hémoglobinopathies par l'équipe Leboulch-Beuzard à Paris). Ce dernier type de vecteur, dit vecteur lentiviral, dérivé d'un virus humain mais totalement sécurisé, est un vecteur particulièrement en vogue. En effet, il est capable de modifier génétiquement des cellules au repos, ouvrant ainsi des possibilités de manipuler par des neurones, des cellules hépatiques, toute une gamme de populations cellulaires inaccessible aux vecteurs rétroviraux dérivés de virus murins[12].

L'intégration des vecteurs rétroviraux dans le génome de la cellule cible, si elle est un atout majeur pour la pérennisation et la transmission de l'information génétique, représente néanmoins une difficulté en termes de sécurité. Deux essais cliniques utilisant les vecteurs rétroviraux murins pour modifier les cellules hématopoïétiques (traitement de l'immunodéficience liée à une mutation portée par la chaîne gamma-c du récepteur à l'interleukine-2 (voir plus bas), et traitement de la maladie de Gaucher) ont conduit à l'apparition de formes de leucémies chez les patients.

Vecteurs dérivés de virus adéno-associés

Les vecteurs dérivés de virus adéno-associés, ou AAV (pour adeno associated virus) sont des vecteurs permettant le transfert de petites unités d'expression génétique. Majoritairement, ce transfert se fait sans intégration à l'ADN de la cellule hôte. Le virus natif est capable d'intégrer le génome de la cellule hôte, toujours au même endroit dans le chromosome 19. Une insertion non contrôlée pouvant entraîner d'importants désordres dans la fonction cellulaire, ces vecteurs ont été fortement développés pour leur potentiel sécuritaire bien qu’ils ne soient capables que de transférer des petits gènes. Bien que la construction du vecteur à partir du virus élimine cette propriété de ciblage de l'insertion, les vecteurs dérivés des AAV ont été beaucoup utilisés au niveau clinique. Longtemps considérés comme inoffensifs, à l'inverse des vecteurs adénoviraux et rétroviraux (voir plus loin), les vecteurs dérivés de l'AAV ont connu un fort développement[13]. Le décès au cours de l'été 2007 d'un patient dans un essai clinique de traitement de la polyarthrite rhumatoïde par des vecteurs dérivés de l'AAV a permis aux détracteurs de cette stratégie de pointer le doigt sur ce type de vecteur[14]. Mais il reste à noter que les vecteurs dérivés des AAV ont été testés dans de nombreuses approches thérapeutiques avec des succès obtenus, notamment entre 2007 et 2010, lors d'essais de traitements d'une forme d'Amaurose congénitale de Leber de modèles animaux canins et finalement de jeunes patients (voir plus loin). En 2013, le vecteur de type AAV apparait comme un vecteur intéressant dont le développement de l'utilisation dans les prochaines années est prévisible.

Vecteurs dérivés d’autres virus

Au-delà de ces vecteurs fréquemment utilisés en clinique, de nombreuses tentatives d’utilisation de vecteurs à partir de virus sont décrites dans la littérature. On relèvera de nombreux travaux concernant l’utilisation du virus Herpes Simplex (HSV), des poxvirus (actuellement en développement clinique), de virus animaux apparentés au VIH, du virus de la grippe… Ces diverses tentatives témoignent d'une part de l'inexistence d'un vecteur viral universel poussant les scientifiques à tester de nouvelles voies, et d'autre part de la volonté pour certains industriels de se positionner dans le domaine avec des brevets propriétaires.

Vecteurs non viraux

Différentes stratégies ont été élaborées pour ne pas recourir aux virus et utiliser directement la molécule d'ADN :

La plupart des stratégies combinent des molécules chimiques (polycations) et la molécule d'ADN pour faciliter la traversée de la membrane des cellules et la rentrée des molécules d'ADN. Ces vecteurs produits par des bactéries, facilement purifiables, sont des particules inertes et n'ont pas les caractères potentiellement pathogènes des virus qui sont à l'origine des vecteurs viraux. À l'inverse des vecteurs viraux, ils sont plus faciles à produire, à manipuler et à stocker et sont caractérisables comme des produits pharmaceutiques classiques. Cependant, leur efficacité est bien moindre que celle des virus pour transférer une information génétique dans une grande population de cellules, rendant difficile leur utilisation dans certains cas (modification d'une grande partie des cellules d'une tumeur par exemple). En outre, ils n'ont qu'une capacité très réduite à intégrer l'information génétique dans le génome, les rendant ainsi inutiles pour des modifications génétiques pérennes de populations cellulaires en prolifération active. Cette technologie peut être cependant parfaitement adaptée à certaines stratégies thérapeutiques reposant sur le déclenchement d'une cascade d'évènements à partir de quelques cellules modifiées génétiquement (activation du système immunitaire, par exemple).

Administration du vecteur

De nombreux essais cliniques de thérapie génique ont utilisé une stratégie de protocole dite ex vivo, c'est-à-dire en prélevant des cellules cibles de l’individu et en les soumettant aux vecteurs de transfert du gène thérapeutique en dehors de l'organisme. Les cellules sont ensuite réinjectées au patient. Cela permet aux chercheurs dans certains cas d'évaluer l'ampleur de la modification génétique tant au niveau du pourcentage de cellules modifiées génétiquement qu'au niveau de l'expression des protéines thérapeutiques, ou de présélectionner des populations cellulaires particulières (ex.: les cellules souches sanguines). Néanmoins, certaines stratégies, notamment celles visant à éliminer des tumeurs, ou celles visant à modifier génétiquement des cellules qu'on ne peut manipuler hors de l'organisme, utilisent une approche dite in vivo en injectant directement le vecteur dans le tissu ciblé et en le laissant agir librement.

Des stratégies sans limites

La thérapie génique, comme toutes les approches de biotechnologie, repose sur la recherche fondamentale. Les mécanismes biologiques mis en évidence, et leurs origines génétiques sous-jacentes, permettent d’imaginer des stratégies de réparation ou de supplémentation. La réussite de ces stratégies dépend donc autant des capacités à mettre en place des techniques adéquates (transfert de gène efficace, expression cohérente du gène…) que de la justesse avec laquelle sont appréhendés les mécanismes en cause. Leur limite ne dépend que de l’imagination de la communauté scientifique et médicale. Dans cet esprit, on peut distinguer plusieurs grandes approches.

Une maladie, un gène muté, la stratégie phare de la thérapie génique

La « réparation » d’une activité génétique est envisagée ou a été testée au niveau clinique dans de nombreuses pathologies. Certaines immunodéficiences liées à des déficits dans le gène codant l’Adénosine Déaminase, ou dans celui codant la chaîne gamma-c du récepteur à l’Interleukine-2 (protocole Fischer, voir ci-dessous) ou les béta-thalassémies (premier grand succès en 2010[15]). Les hémophilies de type A et B sont respectivement associées à des défauts de production des facteurs VIII et IX de la chaîne de coagulation qui pourraient être produites par des cellules musculaires ou hépatiques libérant ces facteurs dans le sang. Le traitement de la mucoviscidose est envisagé par l’expression du gène codant le CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane Conductance Regulator) par certaines cellules pulmonaires.

Une maladie, un contexte génétique mal connu, des « gènes de secours » possibles

Certaines pathologies sont plus complexes en apparence. Ainsi, le traitement de la maladie de Parkinson est abordé de diverses manières dans la mesure où le lien entre la dégénérescence des neurones et une mutation génétique n’est pas clairement établi. Il est par exemple proposé d’exprimer la Décarboxylase de l'acide glutamique (GAD), la Décarboxylase de l'acide aminé aromatique (AADC) ou la Neurturine pour au minimum limiter la dégénérescence.

Cancer, maladie à la génétique trop complexe

Le cancer est essentiellement abordé à travers le concept de destruction directe ou indirecte des cellules cancéreuses. De nombreux protocoles cliniques ont été réalisés en insérant dans les cellules cancéreuses des gènes codant des protéines sensibilisant les cellules cancéreuses à des drogues. Ainsi, le gène codant la thymidine kinase du virus Herpes simplex sensibilise les cellules à un produit normalement inoffensif, le ganciclovir. Les cellules cancéreuses sont modifiées directement dans l’organisme en injectant les vecteurs in vivo et le ganciclovir est administré dans un second temps. Reposant plus sur les évolutions de la recherche fondamentale des vingt dernières années, certaines approches proposent d’utiliser des mécanismes de protection naturelle pour éradiquer les cellules cancéreuses. La stimulation du système immunitaire par la surexpression de cytokines (GM-CSF, Interféron…), ou le rétablissement de chaînes biologiques dite de « mort cellulaire programmée » ou apoptose (surexpression de p53…), font partie de ces stratégies.

Bloquer des processus en transférant un gène

De nombreuses stratégies de blocage biologique ont vu le jour dans les années 1990 essentiellement pour contrer l’infection par le VIH. Expression de protéines virales mutées (leurre) interférant avec les protéines naturelles du virus, expression d’ARN anti-sens capables d’inhiber la traduction de protéines virales, expression de molécules de protection naturelle de la cellule (interférons, protéines de déclenchement de l’apoptose…)… toutes ces stratégies reposent sur une interférence entre les diverses phases du cycle de multiplication du virus et une protéine ou un ARN dont la production est assurée par un vecteur exogène transféré dans les lymphocytes T du patient. Dans un autre domaine, de nombreux groupes travaillent sur l’expression de protéines impliquées dans les mécanismes immunitaires pour bloquer les rejets de greffe (production d’inhibiteur du complément, de cytokines immunosuppressives dérégulant le mécanisme de réponse immunitaire, d’inhibiteurs des interactions entre greffon et cellules immunitaires…). Bien que peu développées, certaines approches s’intéressent également à l’inhibition de la douleur avec par exemple l’expression de la pré-proenképhaline.

Manipuler le développement

Des approches récentes se sont portées sur l’expression de protéines impliquées dans le développement embryonnaire (protéine NeuroD ou protéine PDX1) pour modifier le statut des cellules hépatiques et les transformer quasiment en cellules pancréatiques afin de redonner au patient diabétique des cellules capables de produire de manière régulée de l’insuline.

Réussites, échecs, effets secondaires : un bilan mitigé associant espoir et prudence

La plupart, sinon la totalité, des essais cliniques de thérapie génique peuvent être considérés comme des échecs dans la mesure où ils n'ont que très rarement, et que brièvement, amélioré l'état clinique des patients, et ils n'ont jamais abouti à la mise en place de thérapeutiques reconnues et utilisées au niveau international. Seules quelques stratégies peuvent être considérées comme des réussites ou au moins des avancées thérapeutiques.

Premier succès de la thérapie génique, le traitement des enfants atteints du SCID-X (SCID, Severe Combined Immunodeficiency liée au chromosome X)est rapidement devenu le protocole clinique emblématique de la thérapie génique avec cependant une situation complexe car cette stratégie est parfois à l'origine d'effets secondaires graves. En 1998-99, de très jeunes enfants atteints du SCID-X et souffrant d’une immunodéficience sévère(des "bébé bulles") ont reçu un traitement de thérapie génique visant à rendre actifs leurs lymphocytes T déficients. Chez ces patients,la mutation de certaines protéines associées au récepteur de l'interleukine-2 affecte profondément les cellules impliquées dans la réponse immunitaire. Ces malades ne disposent pas d’une réaction immunitaire efficace les rendant sensibles à toutes les infections opportunistes. La thérapie a consisté à transférer dans les cellules sanguines de ces patients un gène fonctionnel restaurant la fonctionnalité du récepteur à l’interleukine-2. Dans un premier temps, l’entreprise s’est révélée être une réussite totale avec la guérison des patients[16]: la plupart des bébés ont pu sortir de leurs bulles et vivre normalement. Cependant, quatre de ces patients sur la vingtaine d'enfants traités par ce type de thérapie ont développé une leucémie après quelques années. De nombreuses données convergent pour penser que le type de vecteur utilisé pourrait s'intégrer dans des régions sensibles du génome, et en dérégulant certains gènes, comme le proto-oncogène LMO2[17] (un gène fréquemment retrouvé activé dans des lymphomes naturels) pourrait participer à ces formes de leucémies induites. On peut corréler cette intégration du vecteur à la multiplication anarchique des globules blancs encore indifférenciés à l’origine de la leucémie. Il s'agirait donc bien d'un effet secondaire direct imputable à la stratégie elle-même, même si le développement de ce type de leucémie n'a pas été décelé dans la majorité des patients impliqués dans les divers essais cliniques de ce type réalisés par le monde.

Cet essai clinique "phare" de la thérapie génique a eu plusieurs répercussions. Il a tout d'abord montré que le concept de thérapie génique était pertinent et qu'une stratégie de manipulation du génome pouvait avoir un impact thérapeutique. Mais il a mis aussi en évidence la nécessité d'améliorer les stratégies (utilisation de nouveaux vecteurs limitant les insertions génotoxiques, réduction de la quantité de cellules exposées au vecteur puis réinjectées au patient...) et l'appréhension des risques qui pouvaient être associés à la thérapie génique. Enfin, et de manière très inopportune, il a aussi fortement freiné le développement d'une thérapie génique qui commençait à souffrir d'une mauvaise réputation étant donné le peu de réussites observées dans les protocoles cliniques. Ces événements sont entrés en synergie avec le décès d'un patient aux États-Unis en 1999, Jesse Gelsinger, lors de l'injection de fortes doses d'un vecteur dérivé d'un adénovirus, qui a ébranlé la communauté scientifique et médicale, et celui en 2007 d'un patient traité par un vecteur dérivé de AAV.

Durant la première décennie du XXIe siècle de nombreuses équipes, à la fois portées par plusieurs années d’investissement dans une approche thérapeutique, et par de profondes convictions quant à l'intérêt de la thérapie génique, ont continué, plus discrètement, à développer l'approche de thérapie génique. Ces approches contribuent à mettre en avant le potentiel de la thérapie génique en permettant de réelles avancées thérapeutiques dans des pathologies souvent difficiles, voire impossibles, à traiter. Mis en avant avec notamment en 2007-2008 des essais cliniques sur des pathologies de la vision, ou des pathologies neuronales infantiles (LINCL ou late infantile neuronal ceroid lipofuscinosis) dans lesquels des signes positifs d'amélioration clinique avaient rapportés[18], le traitement de pathologies oculaires a connu un gain d'intérêt très fort depuis l'amélioration de la vision de jeunes patients atteints de certaines formes d'Amaurose de Leber par le transfert intraoculaire du gène RPE65[5]. Dans l'adrénoleucodystrophie liée à au chromosome X, le transfert avec un vecteur lentiviral du gène ABCD1 montre chez deux jeunes patients un arrêt de la démyélinisation responsable de cette pathologie[6]. De récents travaux de traitement de lymphomes par le transfert de gènes codant des molécules artificielles capables de rediriger des lymphocytes T à l'encontre de cellules leucémique laisse aussi penser, malgré 15 années d'échecs, que le traitement de certains cancers pourrait être effectivement envisagé à moyen-terme par la thérapie génique[19],[20].

Comme pour toutes les conclusions provenant d'essais cliniques, la prudence est de mise et ces résultats restent toutefois à confirmer, ou pour certains à améliorer. De plus, l'annonce d'un résultat positif n'implique pas forcément que l'on soit proche des requis thérapeutiques pour que le traitement puisse prendre sa place dans un contexte hospitalier classique. Le début de la seconde décennie du XXIe siècle, avec les quelques succès récents, voit toutefois les sociétés de biotechnologie se rapprocher à nouveau de cette stratégie thérapeutique laissant imaginer le maintien d'un soutien financier pertinent pour le développement clinique de cette approche. De plus, le « tout-thérapie génique » passant de mode, il est possible d'imaginer que cette approche se positionne de manière pertinente dans des niches stratégiques lui permettant un développement plus serein, ou en tous les cas loin des excès de communication que l'on a pu constater dans les années 1990[21].

En 2017, une équipe de médecins européens est parvenue à remplacer 80 % de l’épiderme d’un petit garçon - atteint d’épidermolyse bulleuse - grâce à la thérapie génique. Il est le deuxième patient en 12 ans à bénéficier de ce traitement expérimental[22].

Thérapie génique et société

Au-delà de quelques protocoles cliniques pertinents, alors que la thérapie génique fonctionne bien dans le modèle animal (souris, chiens…), elle est le plus souvent inefficace chez l'homme en raison de la combinaison de plusieurs paramètres : l'inefficacité des vecteurs à transduire un pourcentage important de cellules, la difficulté de créer des vecteurs qui permettent de reproduire les cinétiques complexes d'expression des gènes, parfois l'utilisation de gènes thérapeutiques inadéquats en raison d'erreurs conceptuelles concernant les mécanismes de la maladie, l'état de santé de certains patients pour lesquels la thérapie génique ne pourrait de toute façon rien apporter… Cette inefficacité rend plus aigües les considérations éthiques, sociologiques, et sécuritaires… avec une question sous-jacente: les recherches doivent-elles être arrêtées? Les problèmes liés au risque de diffusion du virus vecteur dans la population, ainsi que celui d'une transmission germinale (qui conduirait à transmettre à l'enfant du malade les nouveaux gènes lors de la fécondation) sont actuellement pratiquement inexistants, et les effets secondaires, s'ils restent dramatiques au niveau humain, sont globalement très rares et ne justifient pas un arrêt des efforts de R & D. Les diverses instances impliquées dans le contrôle des essais en thérapie génique (l'ANSM en France, Le RAC aux États-Unis) commencent à adopter des cadres réglementaires permettant une protection optimale du patient et de son entourage, et on peut considérer aujourd'hui que la thérapie génique n'est « pas plus risquée » que les autres approches thérapeutiques expérimentales[23].

Un problème sociologique et éthique, classique de toute approche médicale reposant sur la biotechnologie, est celui du coût et de l'effort financier que la société consent au développement de la thérapie génique. Encore inexistant d'un point de vue commercial, le coût de la thérapie génique est actuellement assuré par les organismes publics caritatifs ou gouvernementaux, et surtout par l'industrie. Considérée comme une thérapie de pays riches, ne pouvant pas faire état d'un bilan très positif ni médicalement ni commercialement, et face aux difficultés de financement de la recherche scientifique de nombreuses voix s'élèvent pour demander une redistribution de l'argent alloué à la thérapie génique, et arrêter les investigations. Le contexte n'est dans les faits pas aussi manichéen que l'on pourrait imaginer. Par exemple, si le développement de la thérapie génique est le fait de pays riches, certaines études basent leur concept sur l'utilisation de vecteurs de type ADN nu (non viraux) qui pourraient être facilement produits, stockés, envoyés et de coût relativement bas permettant ainsi à des pays pauvres d'accéder à des traitements qui aujourd'hui reposent sur des approches médicamenteuses lourdes au niveau financier.

Enseignement, études : en France

L'enseignement de la thérapie génique ne compose pas une part importante des cours des facultés de sciences de la vie. Cette stratégie est souvent abordée dans les cours de certaines disciplines dans lesquelles la thérapie génique s'est investie durant ces vingt dernières années. En médecine, les internes en biologie médicale peuvent se sensibiliser à ce domaine avec les enseignements de thérapie cellulaire, qui englobent la thérapie génique, au cours de leurs deux derniers semestres d'internat.

Notes et références

  1. Joshua Lederberg et Edward Tatum, Reflections on Research and the Future of Medicine, Columbia University, 1966.
  2. Jean Rosa, D'une médecine l'autre, Odile Jacob, , p. 302
  3. Réflexions sur l'avenir de la thérapie génique. Heard, J.M. ; Danos, O. ; Marc Peschanski, Médecine/sciences, 2000, vol.16, n°12, pp. 1305-9
  4. Claude Bagnis La Recherche, hors-série, juillet 2003, Les Chausses-trappes de la thérapie génique.
  5. Gene Therapy for Leber Congenital Amaurosis Caused by RPE65 Mutations: Safety and Efficacy in 15 Children and Adults Followed Up to 3 Years. Jacobson SG et al. Archives of ophthalmology (en) 2011
  6. Gene therapy of x-linked adrenoleukodystrophy using hematopoietic stem cells and a lentiviral vector. Cartier Net al. Bull Acad Natl Med. 2010 Feb;194(2):255-64
  7. Lentiviral hematopoietic stem cell gene therapy in patients with Wiskott-Aldrich syndrome. Aiuti et al. Science. 2013 Aug 23;341(6148)
  8. La recherche - La modification de l'ADN à la portée de tous - par Jean-Philippe Braly dans mensuel n°495 daté de janvier 2015 à la page 60
  9. CRISPR-CAS9, une révolution biologique qui divise. JT de 20 h - France 2 - 8/03/16
  10. Journal of Gene Medicine, Wiley Intersciences
  11. Campos SK, Barry MA. Current advances and future challenges in Adenoviral vector biology and targeting. Curr. Gene Ther. 2007 Jun; 7(3):189-204.
  12. Trono D. Lentiviral vectors: turning a deadly foe into a therapeutic agent. Gene Ther. 2000 Jan; 7(1):20-23.
  13. Carter BJ. Adeno-associated virus vectors in clinical trials. Hum. Gene Ther. 2005 May; 16(5):541-50.
  14. Therapy on trial. Virginia Hughes. Nature Medicine. 2007 Volume 13 Number 9, pp. 1008-1009
  15. Claire Peltier, « Premier grand succès de la thérapie génique contre la bêta-thalassémie », sur Futura-sciences, (consulté le 17 septembre 2010)
  16. Marina Cavazzana-Calvo, Salima Hacein-Bey, Geneviève de Saint Basile, Fabian Gross, Eric Yvon, Patrick Nusbaum, Françoise Selz, Christophe Hue, Stéphanie Certain, Jean-Laurent Casanova, Philippe Bousso, Françoise Le Deist et Alain Fischer, « Gene Therapy of Human Severe Combined Immunodeficiency (SCID)-X1 Disease », Science, vol. 288, n° 5466, 28 avril 2000, pp. 669-672.]
  17. S. Hacein-Bey-Abina A. Fischer, M. Cavazzana-Calvo et al., « « LMO2-associated clonal T cell proliferation in two patients after gene therapy for SCID-X1 », [[Science (revue)|Science]], vol. 302, n° 5644, 17 octobre 2003, pp. 415 -419. »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?)
  18. Wilson JM, Gansbacher B, Berns KI, Bosch F, Kay MA, Naldini L, Wei YQ. Good news on the clinical gene transfer front. Hum. Gene Ther. Mai 2008 ; 19(5):429-30.
  19. Engineered T cells for the adoptive therapy of B-cell chronic lymphocytic leukaemia. Koehler P et al. Adv hematol, 2012
  20. Chimeric antigen receptor-modified T cells in chronic lymphoid leukemia. Porter DL et al. N Engl J Med. 25 août 2011 ;365(8):725-33
  21. Gene therapy finds its niche. Sheridan C. Nat Biotechnol. 2011 Feb;29(2):121-8
  22. Matthieu Garcia, « Condamné à une mort certaine, cet enfant a survécu grâce à un traitement révolutionnaire », Daily Geek Show, (lire en ligne)
  23. Le contrôle de la qualité des produits de thérapie génique : approche de l'ANSM. Chenivesse X.; Ridoux V.; Tissier M.H. médecine/sciences, 2003, vol.19, n°4, pp. 481-8

Voir aussi

This article is issued from Wikipedia. The text is licensed under Creative Commons - Attribution - Sharealike. Additional terms may apply for the media files.