Yunâni

La médecine yunâni ou médecine unani est une médecine traditionnelle indienne dont l'origine remonte à la médecine gréco-romaine et qui provient de la traduction en persan de la forme arabisée du galénisme. Malgré la rivalité de la médecine moderne, la médecine yunani continue à être pratiquée en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et en Iran[1]. Elle a aussi laissé une influence durable dans d'autres médecines traditionnelles de pays musulmans.

Ouvrage de physiologie yunani en ourdou (1868)

Étymologie

Yūnānī « grec » est un adjectif arabe utilisé en Inde, surtout à partir de l'époque coloniale, pour désigner la médecine galénique. Il fut emprunté par beaucoup de langues d'Asie : ourdou, hindoustânî, pachto,persan, tamil, etc. Le mot qui vient du grec Ιωνία Ionia Ionie, une région historique du monde grec antique située sur la côte d'Asie mineure, en est venu, dans ces langues, par métonymie, à désigner toute la Grèce.

Histoire

Aux IXe – XIe siècles, les penseurs de l'Âge d'or islamique, Rhazès, Haly Abbas et Avicenne, firent une synthèse en langue arabe de la pensée médicale grecque antique. Le système médical de Galien, intimement lié à celui d'Hippocrate, tel qu'il fut élaboré au Moyen Âge à Byzance, à Bagdad et en Europe est connu sous le nom de galénisme. Il a donné lieu à un corpus de textes médicaux importants en langue arabe durant l'Âge d'or islamique. Avicenne (Ibn Sina, 980-1037), réussit dans le « Canon de la médecine » une brillante synthèse du corpus de Galien, d'une cohérence si remarquable, qu'elle séduisit les esprits pendant des siècles. Mais Avicenne qui se considérait avant tout comme philosophe, l'avait obtenue plus par un effort de reconstruction logique que par de nouvelles observations. Le noyau théorique de la médecine fut figé pour longtemps et n'eut plus d'autre horizon que spéculatif[2].

À partir du XIIIe siècle, ces textes furent ensuite traduits de l'arabe en persan en Inde [3]. Ils avaient donné lieu à peu près à la même époque à des traductions en latin à Europe du Sud (cf.Galénisme).

Les études médicales musulmanes qui ont commencé à se développer durant le sultanat de Delhi (1206-1526) se sont épanouies sous les Moghols (1526-1858). À cette époque la littérature indo-musulmane, rédigée essentiellement en persan (la langue officielle), s'affirme comme l'une des plus importantes du monde musulman[4]. Les souverains attirent de nombreux médecins éminents de Perse, patronnent la production de textes, et font édifier des hôpitaux à Delhi, Agra, Bidar, Ahmadabad, ou Hyderabad.

Dans les textes médicaux de langue persane et arabe de la période pré-coloniale, l'adjectif yūnānī est assez rare et s'emploie en référence aux philosophes grecs. La médecine est simplement appelée tibb « médecine ». La première œuvre médicale indo-persane connue qui emploie le terme yūnānī dans son titre est Takmila-yi yūnānī « La perfection grecque », un traité de thérapeutique composé par Shāh Ahl Allāh (~1776). Ce médecin était le frère de Shāh Walī Allāh, un responsable religieux important de la madrasa de Delhi[5]. À la même époque, l'adjectif yūnānī sert à qualifier les médecins émigrés provenant des régions de l'Empire ottoman correspondant à la Grande Grèce.

Après la constitution de l'Empire britannique des Indes en 1858, les médecines indiennes sont confrontées à la médecine moderne européenne. Accusés par les médecins coloniaux d'avoir une médecine non scientifique, les médecins musulmans réagissent en insistant sur l'origine commune grecque yūnānī des médecines indienne et européenne. La médecine traditionnelle indienne galénique fut alors régulièrement appelée tibb yūnānī (ourdou: طب یونانی) « médecine grecque ».

L'idée d'une origine commune facilita l'assimilation de la médecine moderne par les médecins unani (forme anglicisée de yūnānī) qui adoptèrent la technologie moderne, les communications scientifiques publiées dans des revues spécialisées ou faites lors de colloques. Le qualificatif de yunani servait aussi à différentier l'absorption musulmane de la science rationnelle grecque (la tibb yūnānī) de la tradition médicale religieuse, appelée tibb-i nabawī « médecine prophétique » fondée sur les dits du prophète Mahomet et des pratiques magiques de la médecine populaire de la société indo-musulmane.

Un processus de dé-islamisation commença au XVIIIe siècle avec des traductions des écrits médicaux islamiques en sanskrit et l'implication d'érudits hindous dans l'écriture d'ouvrage sur la tibb en persan puis en ourdou durant la période coloniale. La médecine yunani essaya par ailleurs d'assimiler les concepts scientifiques et les techniques venus de l'Occident. Ce processus culmina lorsque le Ministère de la santé indien reconnut officiellement la médecine yunani et ses institutions, avec l'objectif de rendre cette médecine traditionnelle valide au regard de la science moderne[5]. Le mouvement de dé-islamisation est donc inséparable du mouvement qui cherche à la rendre aussi scientifique que la médecine occidentale.

De nos jours, la médecine Yûnânî occupe une grande place dans la médecine traditionnelle en Inde à côté de l'Ayurveda. Après son introduction en Inde, elle a alors intégré quelques données de la médecine ayurvédique, en particulier au niveau de sa thérapeutique. Cette médecine s’est développée principalement au sein de la communauté musulmane et a connu son apogée au XVIIe siècle à la cour de l'empire moghol.

Jadis, l'enseignement médical yunani n'était pas institutionnalisé. Il reposait sur un hakim, un médecin, qui enseignait à trois ou quatre disciples les textes et la pratique médicale. La médecine yunani est aujourd’hui pratiquée et enseignée de la même façon que la médecine ayurvédique. Ses lieux de formation sont situés à Aligarh avec le Tibbi College de la Muslim University, à Hyderabad avec le Nizamiah Tibbi College, à Delhi avec l’Université Hamdard[6],[7],[8]. L'institutionnalisation de la médecine yunani s'est développée à travers des écoles universitaires, des hôpitaux, dispensaires, centres de recherche et industries pharmaceutiques publiques et privées. Il y avait en 2006, 38 institutions en Inde offrant des cours conduisant au diplôme en médecine yunani (BUMS). Depuis 1979, le budget de l'État pour la médecine yunani a progressivement augmenté, bien qu'irrégulièrement[3].

En Inde, six systèmes de médecine traditionnelle ont reçu une reconnaissance officielle : ayurveda, exercice yoguique (en), naturopathie, unani, siddha (en),et homéopathie. Elles ont toutes droit à l'institutionnalisation de leur système éducatif, à travers 508 écoles (colleges) admettant annuellement 25 600 étudiants[9].

La forme indo-musulmane du galénisme a été adoptée dans diverses régions de culture musulmane du monde. Outre l'Inde, elle reste bien vivante aux Pakistan, Bangladesh et Iran[5]. Cette forme yunani du galénisme se retrouve aussi dans nombre de médecines traditionnelles aux Sri Lanka, Xinjiang (Chine), Iraq, Afghanistan, Malaisie, Asie centrale et Moyen-Orient[10],[11]. C'est ainsi que les fondements de la « médecine traditionnelle ouïghour » du Xinjiang remontent à la médecine yunani, bien qu'actuellement on cherche à la déconnecter de l'islam[12].

En Europe, le galénisme qui avait dominé la médecine pendant presque un millénaire et demi, ne survécut pas aux nouvelles méthodologies expérimentales développées à partir du XVIIe siècle. Les expérimentateurs réussirent peu à peu à proposer des modèles du système cardiovasculaire, respiratoire, digestif et nerveux, basés solidement sur des observations expérimentales. Quant à la pharmacologie galénique, c'est la chimie et la biochimie qui lui portèrent un coup fatal.

Caractéristiques

La médecine yunani, est basée sur la théorie des quatre humeurs (akhat) d'origine galénique : le sang, la bile jaune, la bile noire et le phlegme. La configuration individuelle de ces substances dans le corps explique l'état de santé. Un excès ou une insuffisance de l'une d'elles peut être la cause de maladie alors que l'équilibre est signe de bonne santé.

L'homme est constitué de sept catégories de composantes[3] :

  • les quatre éléments (anāsir) : feu, air, eau, terre
  • les tempéraments : cholérique, mélancolique, phlegmatique, et sanguin
  • les humeurs (akhat) : sang, bile jaune, bile noire, phlegme.
  • les membres du corps, les organes : cœur, cerveau, foie, gonades
  • les puissances ou facultés (quwwa) : naturelle, vitale et psychique
  • les actions (fi'l) : la fonction du cœur est la pulsation, celle de l'estomac de recevoir les aliments etc.
  • les divers esprits (ruh)

La doctrine repose sur la théorie des correspondances entre les quatre éléments (feu, eau, air, terre), les quatre qualités ou natures (chaud, froid, humide, sec) et les quatre humeurs.

Le diagnostic repose sur la prise du pouls et sur l'examen des urines.

Notes et références

Notes

    Références

    1. Joseph E. Pizzorno Jr. ND, Michael T. Murray ND, Textbook of Natural Medicine, Churchill Livingstone, , 1944 p.
    2. Vivian Nutton, « chap. 14 The fortunes of Galen », dans R.J. Hankinson (ed.), The Cambridge Companion to Galen, Cambridge University Press,
    3. Fabrizio Speziale, Soufisme, religion et médecine en Islam indien, Karthala,
    4. Frédéric Landy, Dictionnaire de L'Inde contemporaine, Armand Colin,
    5. Fabrizio Speziale, « Linguistic strategies of de-Islamisation and Colonial science: Indo-Muslim physicians and the yūnānī denomination », International Institute for Asian Studies Newsletter,, , p. 18
    6. Francis Doré. La vie indienne, 2e éd. [mise à jour]. Paris : P.U.F., 1984. 127 p. (Que sais-je ? ; no 1721).
    7. Jacques Dupuis. L’Inde : une introduction à la connaissance du monde indien, Pondichéry : Éditions Kailash, 1992. 217 p.
    8. Guy Mazars. La médecine indienne. Paris : P.U.F., 1995. 127 p. (Que sais-je ? no 2962).
    9. « WHO traditional Medicine Strategy 2014-2023 WHO, printed in Hong Kong »
    10. « Essential Medicines and Health Products Information Portal »
    11. G. Bodeker (Auteur), Gemma Burford, Who Global Atlas : of Traditional, Complementary And Alternative Medicine : Text and Map volumes, World Health Organization; Pck,
    12. SHOJIRO FUJIYAMA, « Pluralistic medical system in Xinjiang and the Uyghur ethnic identity »

    Voir aussi

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