Vertu cardinale

Une vertu cardinale est une vertu qui joue un rôle charnière (l'adjectif « cardinal » vient du latin cardo qui signifie « charnière, pivot ») dans l'action humaine, notamment dans la doctrine morale chrétienne, et détermine les autres vertus. Les vertus cardinales sont au nombre de quatre, à savoir la prudence, la tempérance, la force d'âme et la justice. Connues et louées par les philosophes avant le christianisme, elles forment avec les trois vertus théologales de celui-ci les vertus catholiques.

La Prudence et la Justice, par Le Pérugin, Collegio del Cambio, Pérouse.
La Force et la Tempérance, par Le Pérugin, Collegio del Cambio, Pérouse.

La prudence est la sagesse qui dispose la raison pratique[1] à discerner, en toutes circonstances, le véritable bien et à choisir les justes moyens de l'accomplir.

La tempérance assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et maintient les désirs dans les limites de l'honnêteté, procurant ainsi l'équilibre dans l'usage des biens.

La force d'âme, elle, correspond au courage ou à la force morale, également appelée fortitude, qui permet, dans les difficultés, la fermeté et la constance dans la poursuite du bien en affermissant la résolution de résister aux tentations et de surmonter les obstacles.

Finalement, la justice correspond à la constante et ferme volonté de donner moralement à chacun ce qui lui est universellement dû.

Origines

Selon Platon[2], les biens, soit existent par eux-mêmes, soit sont le résultat d'une perception. La seconde espèce ici décrite découlant de la première : ce sont les vertus. La prudence, la justice, le courage et la continence[3]. Des quatre vertus, la prudence est la première et la principale. Les vertus sont des attitudes fermes, des dispositions stables, des perfections habituelles de l’intelligence et de la volonté qui règlent les actes, ordonnent les passions et guident la conduite. Elles procurent facilité, maîtrise et joie pour mener une vie moralement bonne. L’homme vertueux est celui qui librement pratique le bien. Ce groupe de quatre vertus fut mis en évidence par Platon, suivi par Aristote et les philosophes stoïciens. Pour Aristote, « la vertu est essentiellement ce dans et par quoi l'homme se rend supérieur au destin, grâce à la maîtrise de ses passions et à l'exploitation de ses possibilités d'action »[4].

L'ordre d'importance platonicien est le suivant[5] : la prudence, la tempérance, la justice et la force.

Ces quatre vertus sont également présentes dans le judaïsme hellénistique (Philon d'Alexandrie, IVe livre des Maccabées) et chez les Pères de l'Église.

D'après le philosophe Marcel Conche, Confucius énonce lui aussi quatre vertus « inhérentes à l'homme » : humanité, justice ou équité, prudence, vaillance[6].

Chez les pères chrétiens

On attribue souvent à saint Ambroise d'intégrer la liste des quatre vertus cardinales dans la morale chrétienne :

« Quel devoir des vertus fondamentales fit défaut à ces hommes ? De ces vertus, ils mirent au premier rang la prudence qui s'applique à la découverte du vrai et inspire le désir d'une science plus complète ; au second rang, la justice qui accorde son dû à chacun, ne réclame pas le bien d'autrui, néglige son utilité propre, afin de sauvegarder l'équité entre tous ; en troisième lieu, la force qui se distingue dans les activités de la guerre et dans la paix, par la grandeur et l'élévation de l'âme, et qui se signale par la vigueur physique ; au quatrième rang, la tempérance qui observe la mesure et l'ordre en tout ce que nous estimons devoir faire ou dire[7]. »

Saint Augustin, contemporain d'Ambroise, reprend les vertus cardinales en les articulant à la fin ultime de l'homme, à savoir l'amour de Dieu :

« Si la vertu est le chemin du bonheur, que peut être la vertu sinon amour souverain pour Dieu ? Quand donc on dit qu'elle est quadruple, je crois qu'on l'entend des divers états de cet amour. (…) La tempérance, c'est l'amour se donnant tout entier à l'objet aimé ; la force, c'est l'amour supportant tous les maux à cause de l'objet aimé; la justice, l'amour soumis au seul objet aimé, et par suite régnant sur tout le reste avec droiture ; enfin, la prudence, c'est l'amour faisant un choix judicieux de ce qui peut lui être utile à l'exclusion de ce qui peut lui être nuisible. (Saint Augustin, Des mœurs de l’église catholique, livre 1, ch.15). »

Vertus cardinales et vertus théologales

Giotto, La Force (fortitudo), avec le bouclier, arme défensive, et la peau de lion d'Hercule.

Dans le christianisme, ce groupe de quatre vertus humaines, cardinales, est complété par trois autres vertus dites vertus théologales (foi, espérance et charité), car surnaturelles, données par Dieu même, desquelles elles dépendent et qui les rendent plus parfaites. Leur ensemble est parfois appelé celui des sept vertus catholiques. Vertus proprement morales et tournées vers la société, les vertus cardinales ont été opposées par Charles Péguy aux saintes vertus surnaturelles que sont les vertus théologales, qu'il appelle « vertus divines, filles de Dieu »[8] ; elles se rapportent en effet directement à Dieu, or il y a antinomie entre la grâce et la vertu.

Dans la perspective chrétienne, les vertus humaines acquises par l’éducation, par des actes délibérés et par une persévérance toujours reprise dans l’effort, sont purifiées et élevées par la grâce divine. Avec l’aide de Dieu, elles forgent le caractère et donnent aisance dans la pratique du bien. L’homme vertueux est heureux de les pratiquer. Les vertus sont les fruits et les germes des actes moralement bons ; elles disposent toutes les puissances de l’être humain à communier à l’amour divin. Vertu cardinale, la justice est appelée « vertu de religion » quand il s'agit de justice envers Dieu.

Saint Paul rappelle que les vertus théologales ne sont pas toutes trois destinées à durer éternellement. À la fin des temps selon le christianisme, le retour de Dieu sera une évidence – et la foi n'aura donc plus de raison d'être, aucun doute ne pouvant subsister sur ce dont on est en permanence témoin. L'espérance, ne sera pas davantage de mise puisque, tout étant accompli, il n'y aura plus lieu d'espérer quoi que ce soit de supplémentaire. Seule subsistera donc, dit-il, la charité – ou amour[9].

Elles sont directement évoquées dans le Livre de la Sagesse (8,7), livre tardif de rédaction grecque de l'Ancien Testament, non inclus au canon juif ni protestant :
« Aime-t-on la rectitude ? Les vertus sont les fruits de ses travaux, car elle enseigne tempérance et prudence, justice et force. »

Histoire de l'art — Attributs des vertus cardinales

Dans les œuvres littéraires et les œuvres d'art du Moyen Âge et de la Renaissance, les vertus sont généralement représentées sous les traits de femmes. Les vertus sont représentées avec des attributs symboliques, qui varient selon les artistes et les auteurs. Néanmoins certains attributs donnent lieu à de nombreux réemplois, par exemple :

  • pour la prudence : miroir et serpent ;
  • pour la tempérance : deux récipients avec l'eau passant de l'un à l'autre ;
  • pour la force : glaive ou couronne ;
  • pour la justice : balance ou épée.

Un moyen mnémotechnique pour retenir est : « Pour Jésus, Fais Tout ! », les premières lettres de chaque mot donnent les quatre vertus cardinales.

À la Renaissance, certains ouvrages se sont attachés à normaliser ces attributs ou à les recenser tout en fournissant des explications sur leur origine et leur symbolique. Le plus connu est l’Iconologia (1593) de Cesare Ripa, qui sera suivi de nombreux autres livres d'emblèmes.

On peut voir les 4 vertus cardinales au portail central de l'Hôtel de ville de Bruxelles, et dans la cathédrale de Nantes : le tombeau de François II, duc de Bretagne et de Marguerite de Foix, exécuté entre 1502 et 1507 par Michel Colombe, met en scène les 4 vertus d'une manière symbolique très originale.

Notes et références

  1. La raison en tant qu'elle détermine ce qui est moral ou non.
  2. Platon, Ménon.
  3. La continence et ses variantes : le premier nom donné à la continence est tempérance ; cette tempérance sous-entend, entre autres synonymes, la continence, la pudeur et la prudence.
  4. Baldine Saint Girons, Article "Le mythe vertuiste", Encyclopaedia Universalis, .
  5. Apulée, De la doctrine de Platon, Livre II.
  6. Lao Tseu (trad. Marcel Conche), Tao Te King, Paris, PUF, coll. « Quadrige », , 384 p. (ISBN 9782130735281), p. 125.
  7. Ambroise de Milan, Les devoirs, Livre 1)
  8. Charles Péguy, « La Ballade du cœur qui a tant battu », Œuvres poétiques complètes, Bibliothèque de La Pléiade, 1975, p. 1361.
  9. Saint Paul, Première épître aux Corinthiens, chapitre 13, verset 13.

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