Union franco-britannique

L'Union franco-britannique est un projet éphémère d'union globale entre le Royaume-Uni et la France, élaboré à Londres par Jean Monnet et Winston Churchill, et proposé au gouvernement français le .

Carte de l'Union franco-britannique telle que proposée en 1940.

Union improbable

La construction d'un axe franco-britannique avait été tentée à plusieurs reprises durant l'entre-deux-guerres, achoppant la plupart du temps sur des problèmes de politique intérieure[1]. De surcroît, la Grande-Bretagne ne souhaitait pas se trouver engagée dans un jeu d'alliances continentales du fait des amitiés françaises en Europe de l'Est (soutien à la Petite Entente liant la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Yougoslavie).

Les discussions à ce sujet se trouvaient toutefois ravivées depuis la déclaration commune de guerre à l'Allemagne nazie le 3 septembre 1939, et l'engagement interallié du à ne pas conclure de paix séparée avec l'ennemi[2]

Les armées franco-britanniques s'effondrent pendant la campagne de France, et entre le et le . Arguant de la faillite du commandement français, la Grande-Bretagne décide, pour pouvoir défendre son propre territoire d'un éventuel débarquement allemand, de replier son armée en rembarquant par Dunkerque la totalité de son corps expéditionnaire de 200 000 hommes, ainsi que 139 229 Français, tandis que le reste de l'armée française tient le front afin de permettre cette retraite, avant de devoir capituler face aux Allemands, qui capturent 2 472 canons, près de 85 000 véhicules, 68 000 tonnes de munition, 147 000 tonnes de carburant, 377 000 tonnes d'approvisionnements et font prisonniers 35 000 soldats français n'ayant pu être embarqués.

Jean Monnet, qui présidait à Londres depuis décembre 1939 le comité de coordination visant à mettre en commun les capacités de production de la France et du Royaume-Uni en vue de préparer et de coordonner l'effort d'armement, fait alors le projet d'une union franco-anglaise pour la durée de la guerre, qui fut suivi par Winston Churchill, qui considère qu'il n'y a rien à perdre et s'enthousiasme pour l'idée[2]. Le , la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni propose l'union des gouvernements du Royaume-Uni et de la République française pour continuer « la défense commune de la justice et de la liberté ».

Le jour même de cette délibération, Charles de Gaulle, qui se trouve à Londres en qualité de sous-secrétaire à la Défense et à la Guerre pour des négociations, fut chargé de lire le lendemain au téléphone la note intitulée Suggested Declaration of Anglo-French Unity au chef du gouvernement français Paul Reynaud, replié avec son gouvernement à Bordeaux. Alors qu'un vif débat sur la conduite à tenir face à la débâcle oppose M. Reynaud (partisan d'une poursuite de la guerre en Afrique du Nord) au maréchal Pétain, vice-président du Conseil, et au général Weygand, chef d'état-major des armées françaises (soutiens d'un armistice), les premiers mots que De Gaulle prononce au téléphone laissent présager un coup de théâtre[2] :

« Je viens de voir Churchill. Il y a quelque chose d'énorme en préparation au point de vue entité entre les deux pays. Churchill propose la constitution d'un gouvernement unique franco-britannique et vous, Monsieur le Président, pouvez être président du cabinet de guerre franco-britannique[3]. »

Un témoin présent lorsque Paul Reynaud écoute cette conversation raconte sa réaction : « Ses sourcils se sont levés si haut qu'ils sont devenus impossibles à distinguer de ses cheveux coiffés avec soin »[2].

La note qui suit évoque une union fusionnant les deux pays en une seule nation, avec la formation d'une armée unique et d'un Parlement unique, ainsi que la mise en commun des ressources naturelles. De cette manière, la puissante flotte française ne serait plus un risque pour le Royaume-Uni. Mais le jour suivant la transmission de cette proposition, Paul Reynaud, qui selon De Gaulle devait signer le document avec Churchill à Concarneau[4], est limogé de ses fonctions par le président Albert Lebrun. Le maréchal Philippe Pétain le remplace le jour même et entame aussitôt des négociations d'armistice avec l'Allemagne, enterrant le projet d'union. Par ailleurs, la plupart des ministres de Paul Reynaud avaient rejeté l'idée, tandis que sa maîtresse Hélène de Portes lui avait soutenu que la France n'allait pas suivre Isabeau de Bavière, qui en 1420 avait déshérité son fils pour livrer la France à l'Angleterre. Pétain s'était aussi opposé à cette possibilité, d'autres y voyant acte de sujétion à l'égard du Royaume-Uni[2].

Dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle replace cet épisode historique dans le contexte précédant l'Appel du 18 juin. Selon lui, l'Union franco-britannique n'était pas un projet sérieux à long terme mais avait pour objectif de rendre espoir et énergie à ceux qui souhaitaient poursuivre la lutte[5]. Il écrit : « Ni Churchill ni moi n'avons eu la moindre illusion ». Pour l'historien Julian T. Jackson, de Gaulle « avait à la fois raison et tort. La proposition n'était pas un mythe ; elle a bien existé. Mais, il est vrai, ni de Gaulle ni Churchill ne se faisaient d'illusion : il s'agissait d'un geste symbolique plus que d'un véritable acte politique »[2].

Texte de la proposition

La note Anglo-French Unity que le général de Gaulle transmet à Paul Reynaud est ainsi formulée[6] :

« À l'heure de péril où se décide la destinée du monde moderne, les gouvernements de la République française et du Royaume-Uni font cette déclaration d'Union indissoluble et proclament leur inébranlable résolution de continuer à défendre la Justice et la Liberté contre l'asservissement à un régime qui abaisse l'homme à vivre une vie d'automate et d'esclave.
Les deux gouvernements déclarent que la France et la Grande-Bretagne ne sont plus désormais deux nations, mais une Union franco-britannique.
La Constitution de l'Union instituera des organes communs, pour la défense et la direction de la politique extérieure.
Chaque citoyen français jouira immédiatement de la nationalité britannique, chaque sujet anglais deviendra citoyen français.
Les deux pays porteront ensemble la charge de réparer les dévastations de la guerre en quelque point de leur territoire qu'elles aient eu lieu, et leurs ressources communes serviront également à cette réparation.
Pendant la guerre, il n'y aura qu'un seul cabinet de guerre et toutes les forces de l'Angleterre et de la France, sur terre, sur mer et dans les airs, seront placées sous sa direction. Le cabinet gouvernera d'où il pourra.
Les deux Parlements seront formellement associés.
Les nations de l'Empire Britannique forment déjà de nouvelles armées et la France maintiendra ses forces sur terre, sur mer et dans l'air.
L'Union fait appel aux États-Unis pour qu'ils renforcent les ressources économiques des Alliés et pour qu'ils apportent leur puissante aide matérielle à la cause commune.
L'Union concentrera toutes ses énergies contre la puissance de l'ennemi en quelque lieu que la bataille se poursuive.
Et ainsi nous vaincrons. »

La version anglaise de cette note est disponible publiquement dans les archives nationales du Royaume-Uni, à la suite de leur ouverture au-delà de 30 ans[7],[8].

Enfin, le général de Gaulle aurait annoncé le à Jean Monnet : « Monsieur Monnet, voulez-vous marier le président Lebrun au roi George VI ? »[9].

Projet philatélique

Projet de timbre-poste, réalisé par Henry-Lucien Cheffer.

Dès la fin de l'année 1939, l'idée d'une émission conjointe naît chez certains pour montrer la solidarité entre les deux États alliés. Au cours d'une intervention radiodiffusée, l'écrivain Jean Giraudoux, alors « Commissaire général à l'information » du gouvernement français, propose d'illustrer un timbre commun avec le léopard anglais et le coq gaulois[10]. L'idée est relayée par le Times de Londres et, finalement, les ministres respectifs des Postes lancent officiellement le projet.

Le , le Français Henry Cheffer fournit un timbre de grand format illustré des portraits du roi George VI à gauche et du président Albert Lebrun, tous deux en costumes officiels. Autour d'eux, les symboles rappellent les forces des deux pays : la marine en arrière-plan du roi, l'agriculture derrière le président. Entre, une allégorie tenant dans ses mains les deux médaillons avance vers l'avant[10],[11]. Installé au Royaume-Uni, le Français Edmund Dulac corrige le dessin pour qu'il puisse être aisément imprimé en photogravure[10],[11].

L'émission est prévue pour le avec des valeurs de 2,5 pence et de 2,50 francs permettant l'affranchissement d'une lettre pour l'étranger[11]. Cependant, l'armistice demandé par le maréchal Pétain le conduit à l'abandon du projet. Le timbre devient un projet non émis.

Des essais dentelés en bleu, en rouge et en deux autres couleurs sont conservés par des musées postaux dans les deux pays.

Seconde proposition

La France (bleu) et le Royaume-Uni (rouge) en 2020.

En 1956, une union similaire aurait été proposée secrètement par Guy Mollet alors président du conseil auprès du Premier ministre Anthony Eden[12], qui aurait refusé[2] et indiqué préférer une entrée dans le Commonwealth. Cette proposition est à mettre en relation avec la perte d'influence des deux puissances dans leur sphère coloniale (guerre d'Algérie, crise de Suez), et avec une certaine crainte pour l'indépendance de la France face aux États-Unis et à l'URSS[13]. L'existence d'une telle proposition a été révélée en 2007 par la BBC et The Times qui parle de « Frangleterre »[14], provoquant la stupeur de nombreux historiens[15]. En réalité, plusieurs publications antérieures mentionnent cet épisode ambigu des relations diplomatiques franco-britanniques[16].

Sources

Références

  1. Bellon 2007, p. 12-13
  2. Julian T. Jackson, « 16 juin 1940 : la Franco-British Union », L'Histoire n°471, mai 2020, p. 56.
  3. Guichard 2008, p. 373
  4. De Gaulle 2000, p. 68
  5. Duroselle 1955, p. 183
  6. Lefort 2001, p. 31
  7. Record Type: Conclusion Former Reference: WM (40) 169 Attendees: W... | The National Archives
  8. (en) Reproduction du texte proposé par le Parlement britannique (références : Great Britain, Parliament, Parliamentary Debates, Fifth Séries, Volume 365. House of Commons Official Report Eleventh Volume of Session 1939-40, (London, His Majesty's Stationery Office, 1940), columns 701-702).
  9. « mediapart », sur mediapart, (consulté le )
  10. Le projet de timbre sur le site du British Postal Museum and Archive ; page consultée le 8 mars 2021.
  11. « Projet de timbre franco-anglais », article du Patrimoine du timbre-poste français sous la direction de Jean-François Brun, Flohic éditions, décembre 1998, p. 265.
  12. Anthony Eden était secrétaire à la Guerre (ministre) du cabinet britannique lors de la 1re proposition en juin 1940.
  13. Associated Press, John Leicester et Jamey Keaten, « Frangland? UK documents say France proposed a union with Britain in 1950s : LONDON: Would France have been better off under Queen Elizabeth II? », The International Herald Tribune,
  14. Denis Lefebvre, Les secrets de l'expédition de Suez : 1956, Librairie Académique Perrin, , p. 74
  15. (en) When Britain and France nearly married, BBC News
  16. « Le projet d'union franco-britannique de 1956, une véritable révélation de la BBC (RADIO 4)? », article de Jean-Michel Guieu (université Paris I Panthéon Sorbonne).

Bibliographie

  • J.-P. Guichard, Paul Reynaud, un homme d'État dans la tourmente, septembre 1939 - juin 1940, Paris, L'Harmattan, (lire en ligne)
  • C. Bellon, « Le Plan Briand d'Union fédérale européenne », dans Penser et Construire l'Europe de 1919 à 1992, Paris, Ellipses,
  • J.-B. Duroselle, « Gaulle (Général de) - Mémoires de guerre. I, L'Appel (1940-1942) », Revue française de science politique, vol. 5, no 1, (lire en ligne)
  • Charles de Gaulle, Mémoires, Gallimard,
  • B. Lefort, Une Europe inédite, documents des Archives Jean Monnet réunis et introduits, Paris, Presses universitaires du Septentrion,
  • Léon Noël, « Le projet d'union franco-britannique : de juin 1940 », Revue d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, no 21 (6e année), , p. 22-37 (JSTOR 25731563).

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