Twittérature

La twittérature (mot-valise créé à partir de « Twitter » et de « littérature ») est une forme de littérature numérique pratiquée sur le réseau social Twitter. La plateforme est à la fois un support de diffusion et une contrainte inhérente, puisque les tweets sont restreints à 280 caractères. Les genres littéraires produits varient, même si la limite de caractères favorise la poésie et la micronouvelle.

Dans son article Ce que les réseaux font à la littérature[1], Alexandre Gefen affirme que le microblogging pousse la littérature à quitter les espaces pensés pour l’expression littéraire et à s’imposer à l’intérieur des dialogues sociaux :

« L’écriture par Twitter relève d’un détournement d’une technologie au profit d’un désir d’écriture, celui de produire une théorie d’états d’âme une météorologie de l’humeur du lieu, un flux atomistique d’autant plus transitoire qu’il accepte de dissoudre sa propre voix dans le bruit immense de la présence textuelle numérique d’autrui. Cette discontinuité, qui interdit de constituer le texte en une nappe unifiée dont la lecture serait prévisible et maîtrisable, produit des fragments qui s’exposent et se détachent poétiquement de la temporalité énonciative globale, de la timeline sociale pour acquérir une portée expressive. »

Littérature à contraintes

La twittérature est une littérature à contraintes par le choix même de son support, qui lui impose une limite de caractères. Il faut ajouter à cela qu’elle ne permet ni abréviation ni binette[2],[3]. Ces contraintes encouragent entre autres les twittérateurs à faire un usage créatif de procédés et de figures de style comme l’allusion, la litote, l’asyndète, la parataxe, le zeugme, la synecdoque, l’ellipse, le ouï-dire, le sous-entendu ou la délation[4]. En effet, « le tweet supporte toutes les stratégies de condensation[4] ». Dans la lignée de l’OULIPO, on voit ainsi dans la contrainte un stimulant à l’imagination[2],[4].

Histoire

La littérature sur Twitter existe dès les débuts du réseau social en 2006. Cependant, ce n’est que deux ans plus tard que le phénomène prend de l’ampleur et obtient l’attention des médias. Entre autres, c’est en 2008 que l’auteur Matt Richtel (@mrichtel) invente le mot « Twiller » (fusion de « Twitter » et « thriller ») pour décrire un roman à suspense écrit sur Twitter[5].

La plupart s'entendent pour dire que le terme twittérature lui-même est popularisé en 2009 par Alexander Aciman et d’Emmett Rensin[6] et leur livre Twitterature: The World's Greatest Books in Twenty Tweets or Less[7].

Les premiers romans Twitter

Selon les sources et les critères, trois œuvres de twittérature sont alternativement considérées comme le premier roman Twitter.

  • The Good Captain[8] (@goodcaptain) de Jay Bushman;
  • Small Places (@smallplaces) de Nicholas Belardes;
  • La quatrième théorie[9] de Thierry Crouzet (@tcrouzet).

Chronologiquement, The Good Captain, une adaptation de Benito Cereno d’Herman Melville, est le premier texte commencé () et terminé (). Cependant, Small Places, dont la publication débute en et se termine en avec 992 tweets, a été le sujet d'une thèse en tant que premier roman Twitter[10].

Enfin, La quatrième théorie, intitulé Croisade à l’origine, paraît pour la première fois de à avril 2010 sous la forme de 5200 tweets[11]. Le thriller est promu comme « le premier roman écrit sur Twitter[12] » lorsqu’il paraît chez Fayard en 2013. L’affirmation se tient si on postule que la relative brièveté de The Good Captain et de Small Places en fait des romans courts et que cela les exclut du genre du roman.

Du côté de la bande-dessinée, Executive Severance[13] de Robert K. Blechman (@RKBs_Twitstery; @MysteryTrilogyU) est le première BD Twitter.

L’Institut de twittérature comparée

En 2010, l'Institut de twittérature comparée Bordeaux-Québec[14] (ITC) est fondé par le journaliste français Jean-Michel Le Blanc (@Centquarante) et l’artiste multidisciplinaire et professeur québécois Jean-Yves Fréchette (@pierrepaulpleau; @JYFrechette)[15]. L’ITC publie son premier manifeste en 2010[16].

En 2011, l’Institut, en collaboration avec l’hebdomadaire de la twittérature Twittology de Stéphane Bataillon, lance le premier concours international de twittextes à l’occasion du Mois de la twittérature ()[17]. En 2012, il organise à Québec le premier Festival international de twittérature[18]. En 2013, la deuxième édition se tient à Bordeaux[19],[4].

Évènements et concours twittéraires divers

En 2012, le journal The Guardian met au défi 21 auteurs de renom de réaliser un roman sur Twitter[20].

Dès sa première édition en 2014, le Rendez-vous des écoles francophones en réseau (REFER) organise un concours de twittérature[21]. Plusieurs activités en lien avec la twittérature se sont ajoutées dans les éditions subséquentes[22].

En 2015, la première édition du concours de twittérature des Amériques[23], organisée par le Centre de la francophonie des Amériques en collaboration avec l’ITC, a lieu. La troisième édition, en 2017, a été la dernière.

De Twitter au livre

En 2008, Jay Bushman compile les tweets de The Good Captain en un livre numérique autoédité[8].

En 2009, Alexander Aciman et Emmett Rensin publie Twitterature: The World's Greatest Books in Twenty Tweets or Less chez Penguin Books. Cependant, quoique les textes respectent la limite de caractères imposée par Twitter, ils n’ont pas été publiés au préalable sur Twitter[15].

En paraît Electric Aphorisms[24] de John Roderick chez Publication Studio. Il s’agit du premier livre (non un roman) publié par une maison d’édition ayant d’abord été entièrement rédigé sur Twitter (de à ). La version en ligne a toutefois été supprimée à la parution du livre[25].

En 2011, les fondateurs de l’ITC publient des recueils de tweets chez L’Instant même : Tweet rebelle[26] de Jean-Yves Fréchette et Le compte des mille et un tweets[27] de Jean-Michel Le Blanc.

En 2013, La quatrième théorie de Thierry Crouzet paraît chez Fayard.

De nombreuses autres œuvres de twittérature ont fait l’objet d’une publication en autoédition ou par des maisons d’édition.

De 140 à 280 caractères

En , la limite de caractères des tweets passe de 140 à 280 caractères[28],[29].

Jean-Michel Le Blanc délaisse son compte @Centquarante et crée @deuxcents80.

C’est aussi à cette époque que l’auteur Patrick Baud se joint au réseau social et débute l’écriture de ses nanofictions (@nanofictions), qui seront ensuite publiées chez Flammarion en 2018[30].

Voir aussi

Bibliographie

  • Olivier Belin, « Vers une poésie commune? Les poètes amateurs de Twitter, Instagram et Wattpad », Nouvelle revue d'esthétique, vol. 1, no 25, , p. 57-66 (ISSN 1969-2269, lire en ligne)
  • (en) Carmen Bozga, « Digital Literature in the Contemporary Society: Looking at Twitterature Through the First Twitter Novel, Small Places by Nicholas Belardes » (Thèse), Ludwig-Maximilians-University of Munich, (lire en ligne)
  • Annie Côté, « Twittérature et genres », Québec français, no 173 « L’auteur et ses doubles », , p. 74-75 (ISSN 0316-2052 et 1923-5119, lire en ligne)
  • Annie Côté, « Tweeto ergo scribo », Les Cahiers de L’AQPF, vol. 4, no 3, , p. 35-37 (ISSN 1925-9158, lire en ligne)
  • Jean-Yves Fréchette, « Gazouiller à l'heure du tweet », Inter, no 114, , p. 34-37 (ISSN 0825-8708 et 1923-2764, lire en ligne)
  • Jean-Yves Fréchette et Annie Côté, « Qu'est-ce que la twittérature ? », Québec français, no 168, , p. 42-45 (ISSN 0316-2052 et 1923-5119, lire en ligne)
  • Alexandre Gefen, « Ce que les réseaux font à la littérature : Réseaux sociaux, microblogging et création », Itinéraires, no 2 « Les blogs. Écritures d’un nouveau genre ? », , p. 155-166 (ISBN 978-2-296-12012-9, DOI 10.4000/itineraires.2065, lire en ligne)

Œuvres de twittérature

  • (en) Alexander Aciman et Emmett Rensin, Twitterature : The World's Greatest Books in Twenty Tweets or Less, Londres, Penguin Books, , 224 p. (ISBN 978-0-14-311732-2)
  • Patrick Baud, Nanofictions, Paris, Flammarion, , 128 p. (ISBN 978-2-08-139003-4, EAN 9782081390034, lire en ligne)
  • (en) Jay Bushman (@goodcaptain), The Good Captain, The Loose-Fish Project, 2008 2007-2008, 69 p. (lire en ligne)
  • Thierry Crouzet, La quatrième théorie, Paris, Fayard, coll. « Fayard Noir », 2013 2008-2010, 544 p. (EAN 9782213672342, lire en ligne)
  • (en) Jennifer Egan, Black Box, The New Yorker, (lire en ligne)
  • Jean-Yves Fréchette (@pierrepaulpleau), Tweet rebelle, Québec, L’Instant même, coll. « Twittérature », , 176 p. (ISBN 978-2-89502-316-6, lire en ligne)
  • Jean-Yves Fréchette (@pierrepaulpleau) et Patrick St-Hilaire (@BlacksmithPat) (préf. Gilles Pellerin), Ne sois pas effrayé par le pollen dans l'œil des filles, Québec, L'Instant même, coll. « Twittérature », , 170 p. (ISBN 978-2-89502-363-0)
  • Chantale Gingras (@ChaginTonic), La vie est brève, Québec, L'Instant même, coll. « Twittérature », , 90 p. (ISBN 978-2-89502-375-3)
  • (en) Robert K. Blechman, Executive Severance (The Twistery Twilogy, 1), Amazon autoédition, 2011 2009, 148 p. (ISBN 978-0-9832747-5-9 et 0983274754)
  • (en) Robert K. Blechman, The Golden Parachute (The Twistery Twilogy, 2), Amazon autoédition, 2017 2016 en kindle ebook, 185 p. (ISBN 978-1-5203-3292-5 et 1520332920)
  • (en) Robert K. Blechman, I Tweet, Therefore I Am (The Twistery Twilogy, 3), Amazon autoédition, , 360 p. (ISBN 978-1-5204-1519-2 et 1520415192)
  • Jean-Michel Le Blanc (@Centquarante), Le compte des mille et un tweets, Québec, L'Instant même, coll. « Twittérature », , 176 p. (ISBN 978-2-89502-317-3, lire en ligne)
  • (en) David Mitchell (@david_mitchell), The Right Sort, Sceptre Books, (lire en ligne)
  • (en) John Roderick, Electric Aphorisms, Portland, Publication Studio, , 365 p. (ISBN 978-0-9843060-5-3)

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Alexandre Gefen, « Ce que les réseaux font à la littérature : Réseaux sociaux, microblogging et création », Itinéraires, no 2 « Les blogs. Écritures d’un nouveau genre ? », , p. 155-166 (ISBN 978-2-296-12012-9, DOI 10.4000/itineraires.2065, lire en ligne)
  2. Jean-Yves Fréchette et Annie Côté, « Qu'est-ce que la twittérature ? », Québec français, no 168, , p. 42-45 (ISSN 0316-2052 et 1923-5119, lire en ligne)
  3. Annie Côté, « Tweeto ergo scribo », Les Cahiers de L’AQPF, vol. 4, no 3, , p. 35-37 (ISSN 1925-9158, lire en ligne)
  4. Jean-Yves Fréchette, « Gazouiller à l'heure du tweet », Inter, no 114, , p. 34-37 (ISSN 0825-8708 et 1923-2764, lire en ligne)
  5. (en) Matt Richtel, « Introducing the Twiller », The New York Times, (lire en ligne, consulté le )
  6. Annie Côté, « Twittérature et genres », Québec français, no 173 « L’auteur et ses doubles », , p. 74-75 (ISSN 0316-2052 et 1923-5119, lire en ligne)
  7. (en) Alexander Aciman et Emmett Rensin, Twitterature : The World's Greatest Books in Twenty Tweets or Less, Londres, Penguin Books, , 224 p. (ISBN 978-0-14-311732-2)
    Il s’agit d’une compilation de 75 résumés de classiques littéraires comme les œuvres de Voltaire ou de Shakespeare et même la série Harry Potter de JK Rowling. La traduction française de l’ouvrage, La twittérature : les chefs-d’œuvre de la littérature revus par la Génération Twitter, paraît en 2010 en France aux éditions Saint-Simon. Elle est préfacée par Erik Orsenna, un membre de l'Académie française.
  8. (en) Jay Bushman (@goodcaptain), The Good Captain, The Loose-Fish Project, 2008 2007-2008, 69 p. (lire en ligne)
  9. Thierry Crouzet, La quatrième théorie, Paris, Fayard, coll. « Fayard Noir », 2013 2008-2010, 544 p. (EAN 9782213672342, lire en ligne)
  10. (en) Carmen Bozga, « Digital Literature in the Contemporary Society: Looking at Twitterature Through the First Twitter Novel, Small Places by Nicholas Belardes » (Thèse), Ludwig-Maximilians-University of Munich, (lire en ligne)
  11. Thierry Crouzet, « Twittérature », sur Thierry Crouzet (consulté le )
  12. « La quatrième théorie, Thierry Crouzet », sur Fayard, (consulté le )
  13. (en) Robert K. Blechman, Executive Severance (The Twistery Twilogy, 1), Amazon autoédition, 2011 2009, 148 p. (ISBN 978-0-9832747-5-9 et 0983274754)
    Executive Severance de Robert K. Blechman est le premier tome de The Twistery Twilogy. Il s’agit d’une œuvre de twistery (fusion de « Twitter » et « mystery » en anglais) dont le premier tweet a été publié le 6 mai 2009. The Golden Parachute et I Tweet, Therefore I Am, les deuxième et troisième tomes de la trilogie, ont respectivement été publiés en autoédition avec Amazon en 2016 et 2017.
  14. Le site de l'ITC n'est plus disponible, mais les archives de leur compte Twitter (@Twittexte) sont toujours en ligne.
  15. Stéphane Bataillon, « Twittérature, la littérature sur Twitter : un état des lieux », sur Stéphane Bataillon, (consulté le )
  16. Le manifeste, pour faire écho à la limite de 140 caractères, comprend 14 principes (« Manifeste de l'Institut de Twittérature Comparée », 14 août 2010, consulté le 24 septembre 2020).
  17. Stéphane Bataillon, « Twittology #4 : Numéro spécial "Mois de la Twittérature" », sur Stéphane Bataillon, (consulté le )
  18. « Tables rondes du 1er Festival international de twittérature de Québec », ICI ARTV, (lire en ligne)
  19. « Les résultats du concours du Festival international de twittérature de Bordeaux », sur Je twitte, tu twittes, il et elle twittent, (consulté le )
  20. (en) « Twitter fiction: 21 authors try their hand at 140-character novels », The Guardian, (lire en ligne)
  21. REFER, « Concours de twittérature 2014 », sur Rendez-vous des écoles francophones en réseau, (consulté le )
  22. Par exemple en 2019, TwittenRimes, Twoulipo et Twictée (REFER, « Activités de classe 2019 », [lire en ligne (page consultée le 24 septembre 2020)]).
  23. « Un tout nouveau concours de twittérature des Amériques! » [Communiqué], sur Centre de la francophonie des Amériques, (consulté le )
  24. (en) John Roderick, Electric Aphorisms, Portland, Publication Studio, , 365 p. (ISBN 978-0-9843060-5-3)
  25. (en) John Roderick, « Electric Aphorisms », sur The Long Winters, (consulté le )
  26. Jean-Yves Fréchette (@pierrepaulpleau), Tweet rebelle, Québec, L’Instant même, coll. « Twittérature », , 176 p. (ISBN 978-2-89502-316-6, lire en ligne)
  27. Jean-Michel Le Blanc (@Centquarante), Le compte des mille et un tweets, Québec, L'Instant même, coll. « Twittérature », , 176 p. (ISBN 978-2-89502-317-3, lire en ligne)
  28. « Twitter généralise les messages en 280 caractères », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
  29. « Twitter fait passer de 140 à 280 son nombre de caractères », Journal de Montréal, (lire en ligne)
  30. Patrick Baud, Nanofictions, Paris, Flammarion, , 128 p. (ISBN 978-2-08-139003-4, EAN 9782081390034, lire en ligne)
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