Tupaia (navigateur)

Tupaia ou Tupai'a, né vers 1725 dans l'île de Raiatea (aujourd'hui en Polynésie française) et déclaré mort par l'explorateur britannique James Cook le à Batavia (actuelle Jakarta), est un navigateur et ari'oi polynésien. Ses talents de navigateur et sa connaissance géographique du Pacifique furent employés par James Cook lors de son premier voyage et sa renommée parmi les Maoris en fait un personnage important de l'histoire de Nouvelle-Zélande.

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Origines et connaissances

Originaire de Raiatea et d'ascendance noble (ari’i), Tupaia reçoit une éducation exigeant que l'histoire des ancêtres (donc le peuplement des îles de Polynésie) et la généalogie soient précisément mémorisées[1]. Il est initié dès l'enfance à la navigation sur canoé et à l'apprentissage des méthodes d'orientation traditionnelles, sans cartes ni instruments, mais basées sur l'observation du ciel et des courants[1],[2]. Tupai'a, sans avoir quitté les îles proches de Tahiti, avait ainsi une connaissance historique et géographique du triangle polynésien[1]. À l'adolescence, il intègre le culte des arioi, une congrégation très sélective d'artistes autorisés à mener une vie sexuelle très libérée mais sans progéniture[2]. Exilé dans l'île voisine de Tahiti, il devient le prince consort de la reine Purea[1]. Chef de guerre, il est blessé plusieurs fois au combat. Cook rapporte qu'en 1757, il avait été percé de part en part par une javeline à pointe d'os, qui était rentrée par le dos et sortie au-dessus de la poitrine[1],[2].

Avant l'arrivée de Cook, Tupa'ia avait déjà eu des contacts avec des Européens lors des passages du navire britannique Dolphin, commandé par Samuel Wallis en 1767[1],[2] et du navire français La Boudeuse de Bougainville en 1768[1]. Il est probable qu'il ait aussi été en contact avec des Espagnols[1].

Embarquement avec l'expédition Cook

À la demande de Sir Joseph Banks, Tupaia lors de l'escale à Tahiti du HMB Endeavour en 1769, se joint à l'expédition, accompagné d'un page, une enfant ou un adolescent dénommé Taaita[3]. Tupaia accepte de Banks l'offre, persuadé qu'il pourra en tirer des bénéfices personnels et partager de nouvelles connaissances avec son peuple[4]. Cook est initialement réticent à l'embarquement d'un personnage aussi important et qu'il imagine encombrant. Mais il ne peut s'opposer à la volonté de Banks, naturaliste mais aussi mécène de l'expédition et proche du comte de Sandwich, Premier lord de l'Amirauté. Ayant apprécié les talents de Tupaia lors des trois mois d'escale de l'Endeavour à Tahiti, Banks s'engage à couvrir les frais d'embarquement occasionnés, d'autant plus que celui-ci jouit déjà auprès des Anglais d'une forte réputation[1]. Il semble que le but de Tupaia était d'aller jusqu'en Europe[3].

Tupaia établit une carte détaillée du Pacifique Sud, permettant à Cook de « découvrir » plusieurs îles encore inexplorées par les Européens, dont Niue[5],[6],[7].

Cook écrit à son propos :

« [Il] sait plus de choses sur la géographie des îles situées dans ces mers, sur la production, les lois religieuses et les coutumes de leurs habitants, que n’importe qui d’autre que nous ayons rencontré[8]. »

Tupaia a en effet mémorisé la position précise de centaines d'îles sur un espace maritime considérable, équivalent de la superficie des États-Unis[1]. Il n'est pas rapporté qu'il ait indiqué aux Britanniques la position d'Hawaii, de l'île de Pâques et de la Nouvelle-Zélande, les trois extrémités du triangle polynésien. Cela ne signifie pas qu'il n'en avait pas connaissance mais peut simplement marquer la volonté de Cook et de l'Amirauté de ne pas attribuer la gloire de ces découvertes à un « sauvage »[1].

Bien que les officiers britanniques aient été silencieux sur les activités de Tupaia à bord[9], il impressionne l'équipage en étant capable, où que soit le navire, à donner rapidement l'azimut de Tahiti, opération qui nécessite temps, calculs et utilisation d'instruments pour les officiers britanniques[1].

Lorsque l'Endevaour arrive en Nouvelle-Zélande, il sert d'interprète et de médiateur entre les Maoris et les Britanniques grâce aux origines communes des Maoris et des Tahitiens et aux similitudes entre sa langue maternelle et celle des autochtones[10],[4]. Son rôle diplomatique se révèle crucial lorsque des altercations éclatent. Le , l'équipage de Cook débarque près de l'actuelle Gisborne. À la suite d'un malentendu, ils tuent d'une balle en plein cœur le Maori Te Maro. L'intervention de Tupaia permet de désamorcer les tensions jusqu'à ce que William Munkhouse, le chirurgien naval, ne blesse mortellement le chef maori Te Rakau pour avoir pris l'épée de l'astronome Charles Green[4],[2]. Selon le journal du Capitaine Cook, Tupai est horrifié par le cannibalisme des Maori, et tenta de les persuader que cette coutume est mauvaise[11]. Malgré tout, il partage avec eux ses connaissances culturelles et le récit oublié de leurs ancêtres communs[7],[12]. Il sert par la suite de diplomate auprès des Aborigènes d'Australie, bien qu'il ne comprenne pas leur langue[13].

Dans le cadre de ce voyage, Tupaia devient le premier polynésien à peindre à l'aquarelle, une technique qu'il apprend du peintre Sydney Parkinson. Des œuvres qui lui sont attribuées sont aujourd'hui détenues au musée de la British Library à Londres. Ces dessins décrivent les premiers contacts entre les Anglais, les Polynésiens et les Aborigènes d'Australie et la vie sur les îles. Tupaia est aussi le premier Polynésien à apprendre l'écriture latine[1],[7],[9],[14].

Les conséquences de la mort de Tupaia sont controversées. L'Endeavour fait une escale pour se réapprovisionner et faire des réparations à Batavia (actuelle Jakarta) dans l'île de Java. Atteint du scorbut à bord, Tupaia aurait contracté le paludisme. Lui et son page, ainsi que de nombreux membres d'équipage, y auraient succombé. Cook enregistre le décès de Tupaia dans son journal de bord le , et écrit: « C’était un homme intelligent, perspicace, ingénieux, mais également fier et obstiné ». Cependant, l'auteur Joan Druett souligne que Joseph Banks évoque la mort de Tupaia dès le . Selon elle, Tupaia, affaibli par le scorbut, serait possiblement mort de la fièvre typhoïde plus tôt que ne l'a déclaré Cook, celui-ci souhaitant faire croire qu'aucun membre de son équipage ne serait mort du scorbut à bord[2].

En 1774, lors d'une visite à Raiatea, terre natale de Tupaia, Cook le mentionne de nouveau dans son journal. Il écrit que Tupaia lui a été d'une aide précieuse pour comprendre les coutumes religieuses polynésiennes, et que, en son absence, l'équipage britannique ne pouvait que faire des observations et interprétations hasardeuses:

« Nous n’avons plus jamais rencontré un homme qui ait autant de savoir que lui, et en conséquence nous n’avons rien pu ajouter à ce qu’il nous a dit de leur religion [celle de Raiatea], si ce n’est des notions superstitieuses[15]. »

Postérité

Bien que peu mentionné par Cook, Tupaia, compagnon de voyage polynésien d'étranges visiteurs blancs, devint célèbre parmi les Maoris. Lorsque Cook visite à nouveau la Nouvelle-Zélande en 1773, des peuples maoris avec qui ni Cook, ni Tupaia n'avaient eu de contact s'enquièrent à son sujet[16]. Cette célébrité semble être due au fait que Tupai'a venait du lieu d'origine des Maoris et que leurs traditions avaient conservé le souvenir de cette terre sacrée[1]. Aujourd'hui, Tupaia est un personnage important pour l'histoire des Maoris de Nouvelle-Zélande et l'anniversaire de son arrivée dans le pays sera commémorée par le gouvernement néo-zélandais en 2019[12].

Bien qu'il y eût plusieurs peintres à bord de l'Endeavour, aucun ne semble avoir fait de portrait de Tupai'a[1].

Plusieurs œuvres récentes ont été consacrées à Tupaia. En 2010, l'auteur néo-zélandaise Joan Druett a écrit un livre sur ce personnage, traduit en français. En 2015, la réalisatrice néo-zélandaise Lala Rolls lui a consacré un documentaire de 52 minutes intitulé Tupaia coproduit par des Néo-Zélandais et des Tahitiens, notamment Oceania Films et Polynésie 1re. Tupaia y est interprété par l'acteur maori Kirk Torrance. La chaine de télévision néo-zélandaise Maori TV a aussi commandé trois épisodes de 52 minutes sur le personnage[7],[12].

L'un des Boeing 787 de la compagnie Air Tahiti Nui porte maintenant son nom en guise d'hommage.

Une espèce de crevette d'eau douce de Polynésie, Caridina tupaia est nommée en son honneur.

Bibliographie

Joan Druett (trad. de l'anglais par Henri Theureau et Luc Duflos), Tupaia, le pilote polynésien du capitaine Cook [« Tupaia: The Remarkable Story of Captain Cook's Polynesian Navigator »], Tahiti, Éditions URA, , 415 p. (ISBN 979-10-93406-03-9)

Sources

  1. Emmanuel Desclèves, « Tupa'ia le grand Navigateur », La Revue maritime, no 498, , p. 12 à 24
  2. (en) Andrew Stone, « Revealing Cook's guiding star », New Zealand Herald, (ISSN 1170-0777, lire en ligne, consulté le )
  3. (en) Max Quanchi et John Robson, Historical Dictionary of the Discovery and Exploration of the Pacific Islands, Oxford, Scarecrow Press, , 299 p. (ISBN 0-8108-5395-7, lire en ligne), p. 172
  4. (en) Merata Kawharu, « BBC - History - British History in depth: Cook, Tupaia and Maori », (consulté le )
  5. S. Percy Smith, "The Polynesian Sojourn in Fiji", Journal of the Polynesian Society, vol.3, septembre 1894, p.146
  6. La carte de Tupaia
  7. « Du livre au petit écran : Tupaia sort de l'oubli », sur TAHITI INFOS, les informations de Tahiti, (consulté le )
  8. The Journals of Captain Cook, (ISBN 0-14-043647-2), p.65
  9. (en) Anne Di Piazza et Erik Pearthree, « A New Reading of Tupaia's Chart », The Journal of the Polynesian Society, no 116, , p. 321-340 (lire en ligne)
  10. The Journals of Captain Cook, op.cit., pp.70, 94, 108...
  11. The Journals of Captain Cook, op.cit., p.321
  12. Vaiana Hargous, « Télévision – Tupaia, ce Tahitien héros des Maori », sur La Dépêche de Tahiti, (consulté le )
  13. The Journals of Captain Cook, op.cit., p.152. Le maori est une langue polynésienne, tout comme le tahitien parlé par Tupaia; les deux langues sont très similaires. En revanche, les langues aborigènes d'Australie ne s'apparentent pas aux langues polynésiennes.
  14. (en) Keith Vincent Smith, « Tupaia's Sketchbook », Electronic British Library Journal, (lire en ligne)
  15. The Journals of Captain Cook, op.cit., p.363
  16. The Journals of Captain Cook, op.cit., pp.274-275
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