Tragédie du Struma

La tragédie du Struma fait référence à la mort de 770 passagers et membres d'équipage du paquebot Struma, torpillé en mer Noire par le sous-marin soviétique ShCh-213 le [1],[2],[3].

Le futur Struma lorsqu'il se nommait encore Xanthia.
Tampons roumain de sortie et palestinien britannique d'entrée sur le passeport d'un couple de juifs polonais en alya pour rejoindre leurs enfants à Tel Aviv, 1934.
Dessin du Struma, 1937.
Monument aux victimes du Struma et du Mefküre à Ashdod, Israël.

Contexte

La situation des Juifs roumains sous le régime fasciste de Ion Antonescu était la même que dans toute l’Europe sous contrôle nazi, même si le port de l’étoile jaune ne fut pas appliqué. Des cercles humanistes, comme la loge maçonnique Étoile du Danube, œuvraient pour les soustraire aux persécutions. Par ailleurs, Wilhelm Filderman (1882-1963), président de la Fédération des communautés juives de Roumanie et ancien parlementaire, avait été un ami de jeunesse du dictateur (ils étaient devenus amis au lycée). Par l’intermédiaire de Filderman, Antonescu avait proposé aux cercles sionistes britanniques et américains, une taxe de 10 dollars par Juif autorisé à quitter la Roumanie (la population juive de Roumanie s’élevait à près de 800 000 personnes) mais les anglo-saxons avaient refusé que des associations anglaises ou américaines puissent financer un dictateur fasciste. Antonescu tolérait[4] que le Service maritime roumain, dans la direction duquel on trouvait des membres de l’Étoile du Danube tels Iancu Grigorescu ou N.G. Malioğlu, puisse convoyer vers Istanbul (la Turquie étant neutre) les Juifs roumains ou réfugiés en Roumanie[5], à condition qu’ils n’emportent ni objets précieux, ni numéraire. En revanche, les Juifs allemands étaient livrés au Troisième Reich.

Le navire

Dans ce contexte, Alya, une association sioniste de Bucarest présidée par Eugen Meisner et Samuel Leibovici, affrète la Struma pour 769 réfugiés juifs qui envisagent de demander à Istanbul des visas pour la Palestine mandataire. Le Struma est un paquebot mixte initialement nommé Xanthia, construit à Newcastle en 1867 et naviguant sous pavillon du Panama, appartenant à la compagnie grecque « Singros », représentée en Roumanie par les affréteurs Stefano D’Andreea et Jean Pandelis. La machine et la coque étaient si vétustes, que l’équipage (commandé par un bulgare d’origine ukrainienne, Grigor Timoféïevitch Garabetenko, et composé de 10 personnes, grecques et roumaines) disait que « seule la peinture sépare la cale de l’eau. » Le navire de 642,36 tonnes, long de 46,40 m, et large de 8,70 m, ne comportait que 10 toilettes, une infirmerie de 8 lits, une cuisine et une buanderie ; le chauffage et le système électrique étaient en panne. Toutefois, Eugen Meisner et Samuel Leibovici font confiance à la compagnie « Singros » qui, en , avait mené à bon port environ 450 autres réfugiés à bord du Darien II, un autre navire tout aussi vétuste, du port roumain de Constanța à Haïfa.

Le Struma à Istanbul

Le , le Struma quitte Constanța pour Istanbul. La machine tombe plusieurs fois en panne, le navire doit retourner à Constanța, repartir, et le voyage de 176 milles marins, qui normalement dure 14 heures, dura plusieurs jours. Entre-temps, les anglo-américains déclarent la guerre à la Roumanie et le , lorsque le Struma arrive dans le port turc de Büyükdere, au nord du Bosphore, ses passagers sont devenus des « citoyens ennemis » aux yeux des anglo-saxons. De ce fait, les autorités turques interdisent tout débarquement, à l'exception de 8 passagers qui avaient déjà des visas britanniques pour la Palestine, obtenus à Bucarest, et d’une femme sur le point d’accoucher. Puis le Struma est mis en quarantaine. En dehors des soldats turcs devant garder le bateau, seules trois personnes seront autorisées à monter à bord : Simon Brod et Rifat Karako, personnalités de la communauté juive d’Istanbul, et N.G. Malioğlu, représentant du Service maritime roumain à Istanbul (et membre de l’Étoile du Danube)[6]. Mais même ces personnes durent attendre dix jours pour être autorisées à distribuer aux passagers la nourriture chaude, achetée par elles grâce aux 10 000 dollars envoyés par le Comité juif américain au grand rabbinat d’Istanbul[7].

Avec l’aide de la Croix-Rouge, Brod, Karako et Malioğlu ravitaillent les passagers et tentent d’obtenir une solution, démarchant les pays neutres, les Soviétiques et les Britanniques, alors que les conditions de vie à bord se détériorent. Il y avait parmi les passagers des médecins, et Malioğlu a pu leur fournir des médicaments. Le , le capitaine Garabetenko envoie une lettre alarmée aux autorités turques et à l’ambassade britannique, et le , l’Agence juive demande aux autorités mandataires britanniques d’accepter ces réfugiés. Après soixante-trois jours d’une terrible attente, le , Moshé Shertok obtient des Britanniques l’octroi de 28 titres de voyage pour les enfants âgés de 11 à 16 ans. Mais les autorités turques refusèrent de lever la quarantaine[8].

Mis au courant de ce refus, les passagers du Struma pendirent des deux côtés du bateau de grands draps où ils avaient écrit (en grandes lettres) “Immigrants juifs”. Ils hissèrent également un drapeau blanc sur lequel était écrit : “Sauvez-nous”. Le , environ 200 policiers maritimes turcs encadrèrent le Struma, menaçant de tirer sur quiconque tenterait de se jeter à l’eau, et arrachèrent les draps. Les autorités portuaires ordonnent au navire d’appareiller, mais les mécaniciens sabotent la machine, désormais irréparable. La marine turque remorqua alors le Struma en mer Noire, à la sortie du Bosphore, où elle le laissa aller à la dérive. Le lendemain matin il fut torpillé par le sous-marin soviétique ShCh-213. Après l'ouverture du rideau de fer, la Russie présenta à Israël des excuses pour cette “tragique erreur”, affirmant que le ShCh-213 avait pris le Struma pour un navire allemand[2]. Un seul homme, David Stoleru ou Stoliar, survivra à l'attaque et au naufrage[8].

En l'épave du navire est retrouvée, d'après les indications de David Stoliar, aux coordonnées 41°23’ N 29°13’, à une profondeur de 90 m et à km au nord des rives de la Turquie. L'épave a été explorée et filmée par le scaphandrier turc Levent Yüksel.

Réactions

Les anciens des organisations sionistes (Yichouv, Lehi, Irgoun) n’ont pas cru à une erreur, car le Struma à la dérive était un très vieux navire (âgé de 75 ans) à la silhouette très reconnaissable, et sa situation était parfaitement connue des Alliés. De plus, la Kriegsmarine allemande n’avait en mer Noire qu’une vingtaine de Räumboote, une dizaine de Schnellboote et six U-boot de type IIB : rien qui ressemble au Struma[9]. Il semblerait que les autorités britanniques ont fait pression sur la Turquie et sollicité l’URSS pour empêcher l’entrée en Palestine des réfugiés juifs fuyant la Shoah[10]. Harold MacMichael, Haut-Commissaire de la Palestine mandataire[11], est accusé d’avoir « plus que tout autre œuvré pour empêcher l’entrée en Palestine des réfugiés du Struma ». D'ailleurs après le naufrage, il dira : « Le destin de ces gens a été tragique, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de citoyens d’un pays en guerre contre la Grande-Bretagne venant d'un territoire sous contrôle ennemi », tandis qu’à la Chambre des Lords, Walter Guinness (qui sera assassiné en 1944 par le Lehi) déclare que « la Palestine est trop petite et déjà surpeuplée pour accueillir les trois millions de Juifs que les sionistes veulent y amener[8] » et que « les anthropologues estiment qu’il n’y a pas de race juive pure[8] ».

En Palestine, les Britanniques censurent la presse mais les nouvelles de l’événement finissent par être diffusées. Tandis que le Yichouv proclame une journée de deuil, le Lehi fait circuler un tract déclarant que seule la lutte armée contre les Britanniques peut être une riposte à la tragédie. L’Irgoun publie une affiche portant la portrait d’Harold MacMichael avec la mention « Wanted for murder »[12],[8].

Notes et références

  1. (en)[PDF] International Commission on the Holocaust in Romania (Commission Wiesel), Final Report of the International Commission on the Holocaust in Romania, Yad Vashem (The Holocaust Martyrs’ and Heroes’ Remembrance Authority), 2004,
  2. (en) Le Struma sur le site du Mémorial de Yad Vashem
  3. Encyclopédie multimédia de la Shoah : Roumanie
  4. Le 19 février 1941 Joseph Goebbels rapporte dans son journal personnel : « Antonescu est au gouvernement avec l'aide des francs-maçons et des ennemis de l'Allemagne. Nos minorités [allemandes en Transylvanie] ont la vie dure. Le Reich a fait un tel effort pour rien. » : Die Tagebücher von Joseph Goebbels, Teil II, Diktate 1941–1945 [Journal de Joseph Goebbels, Partie II: Dictées, 1941–1945] (ISBN 3-598-21920-2).
  5. (ro) Horia Nestorescu-Balcesti, Ordinul Masonic Român, Bucarest, Sansa, , p. 350.
  6. « Le crime du Struma » sur Judaica, Juin 2010 -
  7. Ayse Hür (tr), le mythe des Schindler turcs, dans Courrier international
  8. Charles Enderlin, Par le feu et par le sang. Le combat clandestin pour l'indépendance d'Israël, Albin Michel, 2008, p. 98-100.
  9. Timothy C. Dowling, Russia at War, ABC-CLIO Publishing, 2014, p. 129.
  10. Charles Enderlin, Ouvrage cité, p. 98-100.
  11. En Palestine mandataire, les britanniques à leur tour subissaient la pression du grand mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini en juin 1943 demandera à Miklós Horthy d'« envoyer les Juifs de Hongrie dans des camps de concentration en Pologne plutôt que de les laisser partir en Palestine » et qui, quelques jours avant la tragédie du Mefküre, le 25 juillet 1944, écrira au ministre des Affaires étrangères son opposition à la délivrance de sauf-conduits pour 900 enfants juifs et 100 adultes de Hongrie et Roumanie : lire Gilbert Achcar, The Arabs and the Holocaust: The Arab-Israeli War of Narratives, Chastleton Travel 2010, page 148.
  12. Photo du portrait

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Dalia Ofer, Escaping the Holocaust : Illegal Immigration to the Land of Israel, 1939-1944, Oxford University Press, .
  • (en) D. Frantz et C.Collins, Death on the Black Sea : The Untold Story of the Struma and World War II's Holocaust at Sea (ISBN 978-0-06-093685-3 et 0-06-093685-1)
  • Michel Solomon, Le Struma, Les Éditions de l'Homme, , 326 p. (ISBN 0-7759-0431-7).

Liens externes

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