Théorie de la balle unique

La théorie de la balle unique (en anglais : « Single-bullet theory »), également appelée « théorie de la balle magique » par ses détracteurs, est un des éléments fondant les conclusions de la Commission Warren relatives à la culpabilité d'un assassin unique dans l'assassinat du président Kennedy.

La trajectoire de la balle unique selon le House Select Committee on Assassinations.

La théorie a pour la première fois été émise par Arlen Specter, un collaborateur de la Commission Warren (après être devenu sénateur des États-Unis). Elle postule qu'une balle unique, identifiée comme « Pièce à conviction 399 de la Commission Warren » (ou CE399), a causé l'ensemble des blessures non fatales subies par le président John Kennedy et par le gouverneur John Connally au cours de l'assassinat du président.

La théorie est importante parce que les deux hommes semblaient avoir été blessés en même temps ou en tout cas dans un espace de temps insuffisant pour qu'un tireur unique, compte tenu du type d'arme (une carabine à verrou), puisse tirer deux fois. Le House Select Committee on Assassinations (HSCA) de 1979 confirma la plausibilité de cette théorie.

Origine de la théorie

Dans les semaines qui suivirent sa création par le président Lyndon B. Johnson, en , la Commission Warren semblait favoriser un scénario simple fondé sur des éléments qui semblaient cohérents [1]:

Les étuis de munitions retrouvés.

Les éléments dont tenait compte la Commission était les suivants :

  • trois douilles de munitions retrouvées au cinquième étage du dépôt de livres (Texas School Book Depository, ou TSBD), donc vraisemblablement trois balles tirées ;
  • la durée de la fusillade fournie par le film amateur d'Abraham Zapruder ayant filmé la scène était de 5 à 6 secondes
  • que la durée de rechargement établie par le FBI du Mannlicher-Carcano entre chaque tir, arme supposée comme étant l'arme du crime, était de 2,55 secondes
  • que les trois séries de blessures étaient les suivantes relevée dans le rapport officiel d'autopsie :
    • la blessure du président au cou (balle ayant traversé le cou),
    • la série des blessures du gouverneur Connally (poitrine, poignet et cuisse),
    • la blessure fatale du président (à la tête)

Partant de cette hypothèse, un jeune conseiller de la Commission, Arlen Specter, se rendait compte que la théorie « trois balles, trois blessures » posait un problème sérieux à l'hypothèse de travail de la Commission. En effet, les premières conclusions concernant le séquencement des blessures indiquait qu'au plus, un laps de temps de 1,6 seconde séparait la blessure au cou de John F. Kennedy et celles du gouverneur Connally. Cette conclusion, notamment basée sur les réactions telles qu'observées par la Commission sur le film tourné par Abraham Zapruder, posait un problème crucial pour l'hypothèse de l'enquête du fait que le temps minimum entre deux tirs avec l'arme supposément employée, le Mannlicher-Carcano (rechargement par manœuvre du verrou, visée, tir) imposait un temps chronométré de 2,5 secondes, durée dûment établie par le FBI[1].

Il fallait donc que les blessures du gouverneur et du président ait été obligatoirement faites par la même balle dans le cadre de l'hypothèse initiale de travail de la Commission Warren, selon laquelle seul Lee Harvey Oswald était le tueur présumé.

Z228, réactions aux impacts.

Dès lors, Arlen Specter émit l'hypothèse que les blessures qui semblaient être survenues dans un temps si court n'avaient pas été en fait simultanées, et donc que les deux hommes n'avaient pas été touchés par la même balle. Il proposa donc à la Commission d'examiner cette possibilité, qui la retint. Incidemment, la théorie implique que les blessures sont toutes causées par deux balles, donc qu'une balle est « perdue ».

Or, après que Specter eut émis cette hypothèse, un témoignage vint la consolider : James Tague, témoin direct de l'attentat qui se trouvait sur Elm Street à hauteur du viaduc le (le pont du triple under pass), demanda à être auditionné la Commission Warren à la suite d'une blessure reçue à la joue par un éclat de béton provoqué par l'impact d'une balle sur le trottoir. Celle ci mit 8 mois pour l'auditionner et son témoignage fut effectué le [2].

Quoi qu'il en soit, le témoignage de Tague semblait étayer la théorie en expliquant le sort de la balle jusqu'alors considérée comme perdue.

Trajectoire de la balle unique

Selon la Commission Warren et le House Select Committee on Assassinations, la balle :

  • sort de la bouche du canon à une vitesse comprise entre 560 et 610 m/s ;
  • parcourt 58 mètres selon une trajectoire balistique selon un angle de 25 degrés et atteint le dos du Président à une vitesse de l'ordre de 520 m/s ;
Blessures de Kennedy, HSCA.
  • passe à travers le veston du Président juste à droite de sa colonne vertébrale et 13,7 centimètres sous la ligne de col, déposant des fragments de métal sur le tissu ;
  • pénètre le dos du Président 50 millimètres à droite de la colonne vertébrale, créant une blessure de 4 × 7 millimètres dans le haut du dos (son passage à proximité de la colonne vertébrale fracture légèrement la sixième vertèbre cervicale du Président) ;
  • traverse le cou du Président en déposant des fragments de métal ;
  • sort de la gorge du Président au milieu du cou, juste en dessous de la pomme d'Adam (dans les heures qui suivirent, les médecins ayant soigné le Président à l'hôpital Parkland émirent l'avis que cette blessure était un orifice d'entrée, élément utilisé par certains pour affirmer que le tireur se trouvait en face du Président. Cependant, les médecins, qui s'étaient concentrés sur la blessure à la tête, n'avaient pas remarqué la blessure — d'entrée — du dos, et les défenseurs de la théorie rappellent que les médecins revinrent ensuite sur ces déclarations) ;
  • traverse la chemise du Président, y déposant des fragments de métal ;
  • traverse le nœud de cravate du Président ; à ce moment sa vitesse est de 460 m/s et elle commence à culbuter ;
Balle culbutant, HSCA.
  • parcourt les 65 centimètres qui séparent le Président du Gouverneur, culbutant à environ 90 degrés ;
  • traverse le veston et la chemise du Gouverneur Connally en dessous et derrière son aisselle droite, déposant des fragments de métal ;
  • pénètre le dos du Gouverneur, créant une blessure de 8 × 15 millimètres, cette forme elliptique étant due à la position de la balle au moment de l'impact (choc latéral),
Blessures de Connally, dessin du docteur Shaw.
  • traverse la poitrine du gouverneur selon un angle anatomique de 10 degrés vers le bas, détruisant 13 centimètres de la cinquième côte ;
  • sort de la poitrine juste en dessous du téton droit, créant une blessure de 5 centimètres ;
  • traverse la chemise et le veston à 13 centimètres à droite du revers du costume et à hauteur du bas du revers ; elle avance alors à environ 270 m/s ;
  • pénètre le dessus du poignet du Gouverneur, fracture le radius puis sort par la paume de la main, ayant décéléré jusque 120 m/s, ;
  • pénètre la cuisse du Gouverneur, créant une blessure de 10 millimètres ;
  • s'arrête à une profondeur de 5 centimètres dans le muscle de la cuisse (lors de son décès en 1993, le Gouverneur avait encore dans le muscle un fragment de balle de 1,5 × 2 millimètres) ;
  • tombe de la blessure alors que le Gouverneur est sur un chariot de l'hôpital Parkland ;
  • est découverte sur un chariot d'hôpital.

Implications de la théorie

Comme indiqué, la théorie implique tout d'abord une balle perdue.

Dans ses conclusions, la Commission ne se prononça pas sur la question de savoir quelle balle s'est ainsi perdue.

Elle indique cependant :

  • que ses conclusions sur les blessures impliquent qu'il semble que 5,6 secondes se sont écoulées entre la première blessure de Kennedy, et la blessure fatale ;
  • que par conséquent, si c'est la deuxième balle qui s'est perdue, cela implique que l'ensemble des tirs s'est déroulé sur un minimum de 5,6 secondes.

La Commission n'écarte pas cette hypothèse (balle perdue = deuxième balle), estimant qu'elle est de l'ordre du possible : 1er tir2,5 secondes - 2e tir2,5 secondes3e tir, soit un total d'au moins 5 secondes pour les trois tirs, alors que le tireur a disposé de 5,6 secondes.

Contrairement à une légende tenace, la Commission Warren n'a donc pas conclu que l'ensemble des tirs s'était déroulé sur 5,6 secondes : elle a estimé que c'était là le temps minimum et tenté de déterminer si cela impliquait la présence d'un second tireur. Comme on l'a vu, elle a conclu qu'il n'était pas impossible de tirer trois fois dans ce laps de temps avec l'arme employée.

Mais alors que la Commission s'était refusée à tirer des conclusions sur l'ordre des tirs, beaucoup de chercheurs ont depuis lors examiné la question et concluent que c'est la première balle qui s'est perdue et que la durée totale des tirs a été de l'ordre de 8,5 secondes. Cette thèse est encore extrêmement controversée (notamment parce que James Tague, le passant blessé, déclare très clairement qu'il ne peut dire avec certitude quelle balle l'a blessé, mais que ce n'est en tout cas pas la première).

Critiques

Impossibilité de la trajectoire

La trajectoire « magique » de la balle selon les critiques.

Les premières critiques ont connu une publicité particulière grâce au film JFK (1991).

Ces critiques, les premières qui aboutissent à surnommer la théorie « balle magique », décrivent de la façon suivante la trajectoire de la balle :

  • Elle entre dans le dos du Président selon un angle de 17° vers le bas. Puis elle se met à remonter de façon à ressortir à l'avant du cou de Kennedy ;
  • Elle vire à droite et rentre dans le dos de Connally par l'aisselle droite, après être restée 1,6 seconde en l'air. La balle redescend par la suite, brise la cinquième côte du Gouverneur et ressort du corps de Connally ;
  • Elle vire à droite et repénètre dans le corps de Connally par le poignet droit. Elle lui brise le radius et lui coupe net le tendon du pouce puis ressort, fait un demi-tour, et se loge dans la cuisse gauche du Gouverneur ;
  • Elle en ressort pratiquement intacte, retrouvée sur un chariot de l'hôpital Parkland.

Cette description trouve sa source dans les éléments suivants :

1) une analyse sélective du rapport de la Commission ;

Comme indiqué ci-dessus, la Commission n'a pas affirmé que 1,6 seconde s'était écoulée entre les blessures des deux hommes, mais que sur la base des informations en sa possession, c'était là le temps maximum entre les blessures.

2) une analyse de la trajectoire de la balle qui place le point d'entrée de la balle dans le dos plus bas que ce que les conclusions de l'autopsie posent (ce qui implique une remontée de la balle vers la gorge) ;

La position du veston.

La question de l'emplacement des blessures est l'un des éléments très débattus. Pour critiquer les conclusions de l'autopsie, les détracteurs de la Commission ont notamment analysé l'emplacement du trou fait par la balle dans le veston de Kennedy, bien plus bas que ce que le rapport d'autopsie indiquait, tandis que leurs opposants montrèrent que chez une personne assise et accoudée (comme l'était le Président), le veston « bouchonnait » au niveau des épaules. En , un film amateur inédit, tourné 90 secondes avant l'assassinat avec une caméra mm par un amateur appelé George Jeffries, offre un nouvel angle de vue et laisse apparaître clairement le pli apparent sur la veste du président, ce qui semble invalider l'argument des tenants de la conspiration. Cependant, une photo prise par Robert Croft au moment où la voiture présidentielle s'est engagée sur Elm Street, quelques secondes avant le premier tir, montre que seul le col de la veste de Kennedy est remonté, pas sa chemise, et insuffisamment pour expliquer l'orifice de balle qui reste placé trop bas.

Selon le physicien G. Paul Chambers, la trajectoire de la balle unique est tout simplement impossible : sachant que la blessure dorsale de Kennedy est située à 15 centimètres en-dessous de son col, ce que confirment les orifices de sa chemise comme de sa veste, la balle ayant une trajectoire descendante de 21° aurait dû remonter de 30° pour ressortir juste en-dessous de sa pomme d'Adam. À supposer même qu'une telle remontée soit possible à l'intérieur du corps de Kennedy, la balle unique n'aurait pu toucher Connally qu'à la tête[3].


Les sièges dans la limousine.

3) une analyse de l'emplacement du gouverneur (placé juste devant Kennedy) qui suppose une balle qui pivote ;

Or le Gouverneur était assis sur une sorte de strapontin qui décalait la position de son corps vers la gauche et le plaçait plus bas que le Président c'est-à-dire, selon les partisans de la balle magique/unique, sur la trajectoire d'une balle sortant de la gorge du Président.

De plus, la plupart de ces chercheurs placent la balle unique après le premier tir, c'est-à-dire à un moment où selon son témoignage et le film de Zapruder, le gouverneur s'était tourné vers la droite pour identifier l'origine du tir.

4) l'affirmation que la balle devait faire demi-tour après avoir percuté le poignet du Gouverneur.

La trajectoire de la balle selon la version officielle.

La balle a traversé le poignet en pénétrant sur le dessus de l'avant-bras et en sortant quasiment à la paume. Les partisans de la « balle magique/unique » soulignent que le poignet pouvait se trouver entre la poitrine du gouverneur et sa cuisse gauche (trajectoire de la balle allant de droite vers la gauche).

La théorie de la balle unique n'implique donc pas nécessairement une balle zigzagante, contrairement à ce qu'affirmèrent les premières critiques.

Impossibilité que la balle récupérée ait causé les dégâts constatés

Les critiques estiment qu'une balle qui a traversé deux corps humains, détruit une côte, fracturé un radius (un des os les plus résistants du corps humain) et déposé des fragments de métal ne peut pas ressortir quasiment intacte, comme l'est la balle conservée aux archives nationales américaines (référence CE399). Cette dernière est en fait aplatie et légèrement courbée, et elle a subi de telles contraintes que du plomb a été extrudé par sa base.

CE399 – vue longitudinale.
CE399.

Les critiques se fondent sur plusieurs tests faits avec des balles similaires par le FBI, spécialement des tirs dans des poignets de cadavres humains et des carcasses de chèvres, qui aboutirent à des balles extrêmement endommagées, c'est-à-dire écrasées, déformées et ayant perdu de nombreux éclats après percuté plusieurs os et transpercé plusieurs organes.[1]

Cependant, ces tests ont été effectués en tirant directement sur un poignet, donc avec une balle se déplaçant à une vitesse de l'ordre de 520 m/s.

Or, les défenseurs de la théorie arguent les hypothèses suivantes  :

  • a d'abord traversé des tissus relativement mous (cou de Kennedy, poitrine de Connally et notamment côte, un os peu résistant) ;
  • a pénétré le poignet à une vitesse largement inférieure à sa vitesse initiale, environ 270 m/s.

Ce dernier point est validé par la dernière blessure de Connally, à la cuisse, qui montre une balle ayant quasiment perdu toute énergie cinétique. Un test pratiqué par le docteur John Lattimer montra qu'une balle à la vélocité réduite tirée sur un poignet humain présente les mêmes déformations que CE399.

Les critiques estiment également que trop de fragments ont été déposés par la balle pour être CE399.

Les défenseurs de la théorie soulignent :

  • que les fragments documentés et examinés (c'est-à-dire récupérés au cours des opérations chirurgicales pratiquées sur le gouverneur ou lors de l'autopsie du Président) ne dépassent pas la quantité de métal qui a pu être extrudée par la base de la balle si on en juge par sa perte de poids par rapport à un projectile non tiré ;
  • que rien n'indique que les fragments documentés mais non estimés (tels que le fragment dans la cuisse du Gouverneur) pèseraient si lourds que cette conclusion s'en trouverait invalidée.

Enfin, il faut signaler que d'après le rapport du FBI, la balle ne comportait aucune trace de sang ou de tissus humains[1]. La Commission Warren n'a également pas tenu compte des rapports initiaux des rapports d'enquête du FBI indiquant la présence de deux balles distinctes, des rapports balistiques indiquant la présence d'impacts sur la limousine présidentielle notamment au travers du pare-brise et sur le pare-soleil, et a également indiqué « qu'il n'était pas nécessaire de déterminer quel était exactement le coup qui avait frappé le gouverneur Connaly »[1].

Autres critiques et témoignages

D'autres critiques estiment par exemple que les circonstances dans lesquelles la balle a été retrouvée démontrent le complot. Ces critiques, plus ou moins documentées, affirment notamment :

  • que la balle fut découverte sur un chariot d'hôpital qui n'était pas celui sur lequel le gouverneur avait été couché. Le mécanicien du Parkland Hospital, Darrel Tomlison, qui avait découvert la balle, avait émit des doutes à ce sujet face à la Commission Warren[1].
  • que CE399 ne peut être la balle découverte à l'hôpital parce que les quatre personnes qui virent la balle à Parkland ne la reconnaissent pas en CE399 ;
  • que CE399 ne peut être la balle tombée de la blessure de Connally puisque, d'après le Gouverneur, elle serait tombée à terre et aurait été ramassée par une infirmière.

Enfin, William Reymond fait observer que c'est le témoignage de James Tague qui a obligé la Commission Warren à revoir tardivement, en , son schéma initial qui postulait que chacun des trois tirs avait atteint Kennedy et Connally. La théorie de la balle unique revient à adapter les faits à une thèse préconçue et intangible, celle de la culpabilité de Lee Harvey Oswald[4].

Le témoignage de Connally

Le gouverneur du Texas, John Connally était assis devant le président Kennedy. Il a toujours affirmé avoir été touché par un tir séparé[1], ce qui lui a donné le temps de se tourner vers la droite pour regarder Kennedy qui était déjà blessé[5]. Selon son témoignage, il n'a été touché que lorsqu'il se retournait vers la gauche[6], c'est-à-dire après les images 280-285 du fim de Zapruder.

Il a déclaré : « Je sais absolument qu'une balle a causé la blessure du président et qu'un tir séparé m'a touché. Je ne changerai jamais d'opinion » (Declaration au Magazine Life 1966).[1] Le gouverneur a toujours maintenu qu'il avait été touché par un tir différent de celui du président.

En outre, son témoignage est soutenu par les déclarations du personnel médical du Parkland Memorial Hospital, où il fut admis juste après les tirs. Les médecins indiquèrent qu'une fois son état de santé stabilisé du gouverneur, il restait encore à l'équipe médicale une balle à extraire de la jambe du gouverneur. Or, d'après le rapport officiel de la Commission Warren, la balle était déjà tombée d'elle même de la plaie[1].

De même, le docteur Shaw, chirurgien qui a opéré le gouverneur Connally estimait que la théorie de la balle magique ne résistait pas à l'examen des faits. A noter enfin, que les radiographies du gouverneur indiquait toujours jusqu'en 1993, année de son décès, la présence d'éclats de balle dans son poignet et sa cuisse[1].

Désaccord au sein de la Commission

La théorie d'Arlen Specter fut imposée à tous lors de la rédaction de la synthèse du rapport final, ce qui suscita une prise de distance et des réticences chez certains membres de la Commission Warren, dont les sénateurs Richard Russell et John Sherman Cooper, et le représentant Hale Boggs[1]. Le , lors d'une conversation téléphonique, Russell dit au président Johnson qu'il ne croyait pas à cette théorie ; Johnson répondit qu'il n'y croyait pas non plus[7].

Le rapport Warren et ses conclusions (dont la théorie de la balle magique censée expliquer les sept blessures infligées à John F. Kennedy et au Gouverneur Connally) furent publiés le .

La tentative de confirmation de la théorie par activation neutronique

Les analyses faites par Vincent Guinn pour le HSCA

En 1977, le Dr Vincent P. Guinn, professeur de chimie à l'université de Californie et un des plus importants spécialistes de l'analyse par activation neutronique, fut contacté par le HSCA afin de réanalyser les fragments de balle restants.

Il s'agissait de la troisième tentative d'obtenir des informations utilisables par l'analyse chimique des fragments.

Les fragments avaient été préalablement examinés :

  • par le FBI, la nuit ayant suivi l'assassinat. La technique utilisée, la spectroscopie, ne permettait pas de tirer des conclusions et présentait en outre le problème d'être destructive ;
  • par le FBI, en , en utilisant l'activation neutronique, technique plus précise et non destructive. L'analyse des résultats ne semblait pas non plus permettre de tirer des conclusions.

En 1977, toutefois, la technique de l'activation neutronique avait fait quelques progrès, notamment grâce à des détecteurs plus sensibles. Il y avait donc des espoirs qu'une nouvelle analyse fournisse des résultats plus précis, et, potentiellement, des éléments utilisables.

Le but de l'utilisation de l'activation neutronique dans cette affaire était, en permettant la mesure de traces chimiques, de déterminer dans quelle mesure certains fragments provenaient de la même balle.

La liste des spécimens dont on disposait était la suivante :

  • CE399, la balle unique ;
CE567.
  • CE567, un fragment récupéré sur un fauteuil de la voiture (plomb plus chemise, environ 3 grammes) ;
CE569.
  • CE569, un fragment récupéré sur un fauteuil de la voiture (chemise, environ 1,3 gramme) ;
CE843.
  • CE843, deux fragments (plomb) extraits de la tête du Président (environ 5,4 milligrammes) ;
CE842.
  • CE842, trois fragments (plomb) extraits du bras du Gouverneur (environ 17 milligrammes) ;
CE840.
  • CE840, trois fragments (plomb) trouvés sur le tapis arrière de la voiture (deux fois environ 34 milligrammes) ;
  • CE841, traces de plomb grattées sur le pare-brise de la voiture (pas de poids) ;
CE573.
  • CE573, restes de la balle ayant été tirée contre le général Walker (tentative de meurtre attribuée à Oswald) ;
  • CE141, balle non tirée retrouvée dans la carabine Mannlicher-Carcano d'Oswald.

Guinn analysa l'ensemble de ces éléments, sauf CE569 (puisqu'il ne s'agissait que d'un fragment de la chemise de la balle, sans intérêt pour l'analyse) et CE841 (les traces de plomb grattées sur le pare-brise, dont il ne retrouva rien dans le récipient qui lui avait été transmis).

Guinn avait noté que les balles de Mannlicher-Carcano avaient la particularité de varier en composition chimique, en ce sens que chaque balle contenait des traces d'argent et d'antimoine dans une proportion précise. Par ailleurs, l'analyse montrait une concordance générale des balles de Mannlicher-Carcano en ce qui concerne la présence d'antimoine et d'argent. Guinn témoigna du fait que la teneur argent et antimoine de chaque balle est « raisonnablement homogène » mais que deux projectiles provenant de la même boîte de munitions différaient suffisamment pour être distinguables.

Par conséquent :

  • Si deux fragments contiennent des proportions différentes de ces éléments, ils proviennent nécessairement de deux projectiles différents ;
  • Si deux fragments contiennent des proportions similaires de ces éléments, ils proviennent très vraisemblablement du même projectile (la chance qu'ils proviennent de deux projectiles différents étant estimée à 3 % par le Dr Guinn).

Les résultats de Guinn ont été les suivants[8] :

SpecimenArgent, ppmAntimoine, ppm
CE3997,9±1,4833±9
CE8429,8±0,5797±7
CE5678,1±0,6602±4
CE8437,9±0,3621±4
CE8408,6±0,3638±4

Guinn en conclut qu'il pouvait grouper les objets analysés de la façon suivante :

  • composition moyenne de 815 ppm d'antimoine et 9,3 ppm d'argent : CE399 et CE842, c'est-à-dire la balle unique et les fragments provenant du poignet du Gouverneur ;
  • composition moyenne de 622 ppm d'antimoine et de 8,1 ppm d'argent : CE567, CE843 et CE840, c'est-à-dire les fragments provenant du crâne du Président, des fauteuils de la voiture et du tapis de la voiture.

Sur base de ces observations, Guinn conclut[9] :

  1. qu'il y avait une très forte probabilité pour que l'ensemble des fragments proviennent de balles de Mannlicher-Carcano ;
  2. que les analyses tendaient à montrer l'existence de deux, et de seulement deux balles ;
  3. que les résultats étaient groupés de telle façon qu'ils validaient la théorie de la balle unique (les fragments dans le poignet de Connally étant identifiés comme provenant de CE399).

En résumé, ces conclusions font état de deux balles, dont une (CE399), la « balle unique », a fracturé le poignet du Gouverneur et l'autre, dont des fragments sont retrouvés dans le crâne du Président et dans la voiture, a tué ce dernier.

Les critiques de l'analyse

Les critiques de Guinn portent essentiellement sur l'authenticité des fragments analysés et sur les préalables de l'analyse.

Critique de l'authenticité des fragments

Cette critique pose que les fragments montrés à Guinn ne pèsent pas le même poids que les fragments collectés. En d'autres termes, cette critique postule que des fragments auraient été remplacés.

En fait, il peut être montré que les fragments ont effectivement perdu du poids pour deux raisons : la première analyse spectrométrique, destructive, et la première analyse par neutro-activation, où, apparemment, les échantillons détachés des fragments aux fins de l'analyse ne furent pas retournés.

En tout état de cause, la perte de poids des fragments peut avoir une explication plus simple que le remplacement frauduleux des fragments aux archives nationales.

Critique de la méthode

Les critiques méthodologiques portent essentiellement sur la validité de l'analyse statistique des résultats. Ainsi, certaines de ces critiques relèvent que les concentrations en argent et en antimoine des balles ne sont même pas homogènes à l'intérieur d'une même balle.

Or alors que le Dr Guinn parlait d'une hétérogénéité de 6 % à l'intérieur d'une même balle, les résultats des analyses faites sur des balles « test » de Mannlicher-Carcano montrent quelque chose de plus complexe : sur trois balles analysées,

  • dans l'une, les fragments pris à quatre endroits différents de la balle montrent effectivement une grande homogénéité (hétérogénéité de l'ordre de 6 %) ;
  • dans la seconde, alors que trois des quatre fragments pris dans la balle montrent une même homogénéité, le quatrième fragment est singulièrement différent (près de trois fois moins d'antimoine) ;
  • dans la troisième, alors que trois des quatre fragments montrent une même homogénéité, le quatrième fragment est aussi fort différent (une fois et demi plus d'antimoine).

Dès lors qu'on ne peut parler d'homogénéité dans une même balle, il ne semble plus possible de conclure qu'on a affaire à deux balles différentes lorsqu'on a des concentrations différentes : il peut s'agir de deux fragments provenant d'une même balle qui est elle-même de concentration en antimoine hétérogène. Guinn avait identifié cette question, mais estimait avoir démontré l'existence d'une raisonnable homogénéité à l'intérieur de balles individuelles[10].

Un autre point de friction entre défenseurs et adversaires des résultats de Guinn porte sur la probabilité que deux balles différentes pourraient contenir des concentrations en argent et antimoine similaires.

Depuis 1998, différents articles scientifiques défendant l'une ou l'autre position ont été publiés. On peut notamment relever un article de 2004 du professeur Ken Rahn et de Larry Sturdivan[11], dont la conclusion clé est que la probabilité que le fragment CE842 (le fragment venant du poignet de Connally) ne vienne pas de la base de CE399 (la balle retrouvée à l'hôpital) était quasiment inexistante. Leurs conclusions ont été critiquées dans un article publié en 2006 dans le Journal of Forensic Science par le Dr Erik Randich et le Dr Patrick Grant[12]. Leur article[13] conclut que des erreurs d'analyse et de statistique ont été commises par Guinn et les précédents auteurs, et que les résultats de Guinn peuvent correspondre à n'importe quel nombre de balles entre deux et cinq. Cette conclusion a, à son tour, été critiquée par Sturdivan, qui estime que Randich et Grant ont artificiellement augmenté les erreurs de mesure et relève que sa propre analyse est empiriquement soutenue par le fait que les mesures faites par le FBI en 1964, sur des échantillons distincts, étaient proches des résultats de Guinn [14].

Les conclusions du HSCA

Sur la base des conclusions de différentes expertises :

  • photographiques, ayant examiné les photos et films disponibles ;
  • médicales, ayant examiné les pièces médicales ;
  • balistiques ;

qui se trouvaient confirmées par l'analyse de Guinn, le HSCA conclut que le Président et le Gouverneur avaient été blessés par une même balle, et que ce projectile est CE399.

Références

  1. Thierry Lentz, L'assassinat de John F. Kennedy. Histoire d'un mystère d'État, Paris, nouveau monde éditions, , 446 p. (ISBN 978-2-36583-845-0), p. 123-127.
  2. (en) Commission Warren, « Warren Commission Hearings, Volume VII Current Section: James Thomas Tague », sur https://www.maryferrell.org/ (consulté le )
  3. (en) G. Paul Chambers, Headshot. The science behind JFK assassination, New York, Prometheus Books, , 264 p. (ISBN 978-1-61614-561-3), p. 152-154.
  4. William Reymond, JFK. Autopsie d'un crime d'État, Flammarion, (ISBN 2-08-067506-0), p. 162-166.
  5. (en) « A Matter of Reasonable Doubt », LIFE, Time Inc, (lire en ligne), vol. 61, n° 22, p. 38-48.
  6. « Texas Governor John Connally Tells It Like It Was » (consulté le )
  7. (en) David R. Wrone, The Zapruder Film. Reframing JFK's Assassination, Lawrence, University Press of Kansas, , 368 p. (ISBN 0-7006-1291-2), p. 243.
  8. Voir ses pages de résultats.
  9. HSCA Hearing, I, p. 533.
  10. HSCA Hearings, I, p. 545.
  11. Rahn est chimiste et météorologiste à l'université du Rhode Island, Larry Sturdivan est un expert en balistique ayant notamment travaillé pour la commission Warren et le HSCA. Leur article, « Neutron Activation and the JFK Assassination », a été publié en deux parties dans le Journal of Radioanalytical and Nuclear Chemistry (voir le site du professeur Rahn).
  12. Randich est un métallurgiste du Lawrence Livermore National Laboratory, Grant est un chimiste directeur du Lawrence Livermore Forensic Science Center qui a été collègue de Guinn.
  13. « Proper Assessment of the JFK Assassination Bullet Lead Evidence from Metallurgical and Statistical Perspectives », Journal of Forensic Science, Volume 51 .
  14. Les résultats, mal interprétés par le FBI, avaient été estimés non concluants et non transmis à la Commission, voir Vincent Bugliosi, Reclaiming History: The Assassination of President John F. Kennedy, notes de bas de page p. 437-438.

Sources

Bibliographie

  • Vincent Bugliosi, Reclaiming History - The Assassination of President John F. Kennedy, W.W.Norton & Company, 2007 (ISBN 978-0-393-04525-3), p. 457-482 (thèse du tireur solitaire).
  • Gerald Posner, Case Closed, 1993 (ISBN 1-4000-3462-0), p. 316-342.
  • Anthony Summers, The Kennedy Conspiracy, 1980 (révisé en 1998) (ISBN 0-7515-1840-9), p. 30-34.
  • Michael L Kurtz, Crime of the Century, 1982 (ISBN 0-87049-824-X), p. 56-84.

Sources en ligne

Activation neutronique

Voir aussi

Articles connexes

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