Taux d'intérêt négatif

Les taux d'intérêt nominaux – et pas uniquement réels – peuvent être négatifs. La fixation par la Banque centrale de taux d'intérêt négatifs fait partie des politiques monétaires non conventionnelles qui permettent théoriquement de dynamiser l'économie. Les taux d'intérêt négatifs reflètent un contexte déflation ou un contexte récessionnaire dans l'économie[1].

Concept

Fonctionnement

En faisant baisser leur taux directeur, la banque centrale désincite les banques commerciales à garder leurs réserves excédentaires dans leur compte à la banque centrale ; cela pousse ces banques commerciales à prêter plus, et donc à faire redémarrer l'investissement, la consommation et la croissance. En somme, les taux d'intérêt négatifs permettent de réduire le coût du crédit[2].

Le taux d'intérêt effectif diffère du taux d'intérêt officiel du fait des différentes exonérations ou compensations en vertu desquelles les réserves excédentaires sont exonérées. Au Japon, après 2016, 5% seulement des réserves excédentaires des banques auprès de la banque centrale sont soumises à un taux d'intérêt négatifs. Les autres dépôts sont rémunérés à des taux nuls ou positif[3].

Danger du taux d'inversion

Cependant, à un niveau suffisamment bas, le taux d'intérêt négatif peut atteindre le "taux d'invasion", où la négativité du taux peut compromettre le canal du crédit bancaire et avoir des conséquences négatives sur le coût et la disponibilité du crédit. En effet, face à un taux d'intérêt négatif, une banque peut décider de réduire le coût des prêts aux ménages et aux entreprises. Mais ils ne peuvent parfois pas répercuter intégralement cette réduction sur leurs taux de rémunération des dépôts, car cela inciterait les épargnants à conserver leurs liquidités plutôt que de faire des dépôts. Les marges d'intérêt nettes des banques s'en trouvent ainsi réduites, ainsi que leurs bénéfices. Pour compenser, les banques commerciales peuvent ou bien choisir d'augmenter les taux d'intérêt de leurs prêts, ou bien leurs frais bancaires ; dans les deux cas, l'offre et le coût du crédit bancaire sont pénalisés. Cela conduit donc à une situation inverse à ce qui était espéré par la banque centrale[3].

En d'autres termes, les effets sont négatifs lorsqu'ils réduisent la rentabilité des banques lorsque la baisse du rendement des réserves qu'elles détiennent auprès de la banque centrale ne peut être compensée par une diminution de leurs coûts de financement[4].

Exemples historiques

Premières apparitions

Les taux d'intérêt négatifs ont pendant longtemps été cantonnés à la théorie. Il faut attendre les années 1970 et 1980 pour que certains cas de taux d'intérêt négatifs apparaissent[5]. Des phases d'atteinte du taux plancher zéro avaient déjà eu lieu aux États-Unis dans les années 1930.

En 1979, les taux au jour-le-jour du marché monétaire suisse, qui étaient déjà proches de zéro, sont devenus négatifs pendant plusieurs jours à la suite d'une intervention massive de la Banque nationale suisse sur le marché des changes pour enrayer l'appréciation du franc suisse. Ce phénomène a eu une incidence sur les dépôts des particuliers souvent étrangers rémunérés traditionnellement chaque trimestre, avec une marge pour la banque absolue de l'ordre de 1 à 2 % dès que les taux monétaires sont devenus inférieurs à la marge. La Confédération suisse a dû en toute hâte légaliser ce prélèvement car il était trop tard pour modifier les programmes informatiques lorsque l'on s'est inquiété de cette dérive d'une rémunération négative.

Sur le marché du repo, c’est-à-dire le marché monétaire gagé par des titres, de nombreuses valeurs mobilières se traitent ou se sont traitées, pour des périodes parfois très longues, avec des taux d'intérêt négatifs, pouvant aller jusqu'à plusieurs centaines de points de base.

Dans le premier cas, c'est le mécanisme des swaps de change qui était la cause ponctuelle du déséquilibre. Dans le deuxième, il s'agit de l'obligation réglementaire de livrer des titres.

Depuis les années 2000

Entre 2002 et 2005, les taux d'intérêt payés par les banques à la FED étaient selon les chiffres officiels négatifs entraînant par conséquent une ruée sur l'offre des crédits de la part des banques. La remontée brutale du taux d'intérêt imposé par la réserve fédérale pourrait expliquer en grande partie la crise des subprimes de 2008.

En 2009, la banque centrale suédoise a imposé un taux d'intérêt négatif sur ses dépôts, escomptant ainsi contraindre les banques à prêter leurs fonds aux entreprises[6]. Certains économistes remarquent que cette politique a eu des conséquences positives négligeables et un impact négatif important. Les conséquences positives furent négligeables car l'économie suédoise est trop intégrée à celle de l'Union européenne pour que le taux d'inflation (qui est l'objectif d'une politique de taux négatifs) reparte à la hausse uniquement du fait d'une politique au niveau national. La politique n'a pas réussi à arriver à 2% d'inflation annuelle. L'impact négatif fut important, notamment au niveau du marché de l'emploi et de la dette des ménages. Le prix de l'immobilier a rapidement augmenté, contribuant à une hausse des inégalités, et la dette des ménages a atteint des niveaux records. Le taux de change de la couronne a baissé de 10%, sans conséquence majeure sur l'inflation[5].

En 2012, l'État français a placé près de 6 milliards d'euros d'obligations à trois et six mois à des taux d'intérêt négatifs — respectivement -0,005 % et -0,006 %[7].

La Banque centrale européenne adopte des taux d'intérêt négatifs sur son taux de rémunération des dépôts à partir de juin 2014 (à -0,1%), puis à partir de mars 2016 (-0,4%)[8].

À partir de 2015, la Banque nationale suisse introduit un taux d'intérêt négatif (-0,75 %)[9]. La fin de cette phase reste incertaine et bien que les dégâts causés par cette politique monétaire soient faibles, de nouveaux effets négatifs dus à des incitations erronées pourraient apparaître avec le temps. Il faut veiller à ne pas favoriser l'accroissement de la dette publique et d'après Avenir Suisse: "La garantie nominale des rentes de vieillesse dans un contexte d'inflation négative deviendra problématique[10]." autant de raisons pour surveiller cette politique monétaire.

En , l'hebdomadaire économique français Challenges et BFM Business indiquent que le groupe agroalimentaire suisse Nestlé profite des « politiques monétaires ultra-expansionnistes » des banques centrales européenne, anglaise et japonaise pour emprunter sur les marchés financiers à des taux négatifs, de l'ordre de -0,008 %[11],[12].

Depuis fin 2015, la Banque alternative suisse est la première banque suisse à introduire un taux négatif sur les avoirs des particuliers[13]. Elle répercute ainsi les taux d'intérêt négatifs de la Banque nationale suisse.

Le , la Banque du Japon annonce vouloir redresser l'inflation et a donc fixé son taux de dépôt à -0,1 %. Cette mesure est effective depuis le [14].

Références

  1. (nl) Bruno Colmant, Le futur se rappelle à notre souvenir: Notes d'un économiste 2015-2016, Anthemis, (ISBN 978-2-8072-0122-4, lire en ligne)
  2. (en) Andreas Jobst et Huidan Lin, Negative Interest Rate Policy (NIRP): Implications for Monetary Transmission and Bank Profitability in the Euro Area, International Monetary Fund, (ISBN 978-1-4755-2862-6, lire en ligne)
  3. OECD, Perspectives économiques de l'OCDE, Volume 2019 Numéro 2, OECD Publishing, (ISBN 978-92-64-41505-8, lire en ligne)
  4. OECD, Perspectives économiques de l'OCDE, Volume 2016 Numéro 1, OECD Publishing, (ISBN 978-92-64-25790-0, lire en ligne)
  5. Fredrik N. G. Andersson et Lars Jonung, « Don’t do it again! The Swedish experience with negative central bank rates in 2015-2019 », sur VoxEU.org, (consulté le )
  6. AFP : Avec un taux négatif, la banque centrale suédoise brise un tabou économique
  7. Taux négatifs : une bonne nouvelle pour la dette française ?, Le Monde, 10 juillet 2012.
  8. Yoann Brun, Lou Dumez, Matthias Knol et Fabrice Tricou, Monnaie et financement de l'économie, dl 2019 (ISBN 978-2-35030-634-6 et 2-35030-634-8, OCLC 1134989408, lire en ligne)
  9. Banque Nationale Suisse, « Annonce de l'instauration de taux d'intérêt négatif », (consulté le ).
  10. « Taux d'intérêt négatifs: une expérience à l'issue incertaine », sur Avenir Suisse,
  11. « Quand Nestlé gagne de l'argent... en empruntant », Étienne Goetz, in Challenges, le .
  12. Obligataire: Nestlé emprunte à taux négatifs (site BFM Business), 4 février 2015.
  13. « Une première banque suisse introduit le taux d'intérêt négatif de la BNS », sur rts.ch,
  14. « leparisien.fr/flash-actualite-… »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?).

Pour approfondir

  • Christophe Blot, Paul Hubert, Causes et conséquences des taux d’intérêt négatifs, Revue de l'OFCE, vol. 148, no. 4, 2016, pp. 219-245 [lire en ligne]
  • Willem H. Buiter, Negative Nominal Interest Rates: Three ways to overcome the zero lower bound, NBER Working Paper, No. 15118, [lire en ligne]
  • Gauti Eggertsson, Lawrence H. Summers, Negative interest rate policy and the bank lending channel, Centre for Economic Policy Research, [lire en ligne]
  • FT Series, Negative yields: Getting to grips with the great bond rally, Financial Times, [lire en ligne]
  • Cordelius Ilgmann, Martin Menner, Negative Nominal Interest Rates: History and Current Proposals, International Economics and Economic Policy, [lire en ligne]
  • Robert Skidelsky, La fausse promesse des taux d’intérêt négatifs, Project Syndicate, [lire en ligne]
  • Joseph E. Stiglitz, What’s Wrong With Negative Rates ?, Project Syndicate, [lire en ligne]
  • Yanis Varoufakis, La politique des taux d’intérêt négatifs, Project Syndicate, [lire en ligne]
  • Jing Cynthia Wu, Fan Dora Xia, The negative interest rate policy and the yield curve, BIS Working Papers, No 703, [lire en ligne]
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