Roe v. Wade

Roe v. Wade, 410 U.S. 113 est un arrêt historique rendu par la Cour suprême des États-Unis en 1973 sur la question de la constitutionnalité des lois qui criminalisent ou restreignent l'accès à l'avortement. La Cour a statué, par sept voix contre deux, que le droit à la vie privée en vertu de la Due Process Clause du quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis s'étendait à la décision d'une femme de se faire avorter, mais que ce droit doit être mis en balance avec les intérêts de l'État dans la réglementation de l'avortement : protéger la santé des femmes et protéger le potentiel de la vie humaine[3].

Roe v. Wade
Titre Jane Roe[1], et al. v. Henry Wade, District Attorney of Dallas County[2]
Code 410 U.S. 113
Pays États-Unis
Tribunal (en) Cour suprême des États-Unis
Date 22 janvier 1973
Personnalités
Composition de la cour Président de la Cour suprême : Warren E. Burger

Juges : William O. Douglas, William J. Brennan, Potter Stewart, Byron White, Thurgood Marshall, Harry Blackmun, Lewis Franklin Powell, Jr., William Rehnquist

Détails juridiques
Branche Droits des femmes, droit de l'avortement
Problème de droit La loi texane qui criminalise l'aide à l'avortement est-elle compatible avec le XIVe amendement protégeant le droit à la vie privée ?
Solution Les lois du Texas violent le droit des femmes de disposer de leur corps en décidant de mener leur grossesse à terme ou non.
Voir aussi
Lire en ligne (en) Décision sur Wikisource

L'arrêt Roe v. Wade a marqué le débat américain sur l'avortement et sa légalisation, mais aussi le rôle de la Cour suprême américaine, ainsi que des opinions sur la place de la religion dans la sphère politique. Roe v. Wade est devenu l'un des arrêts de la Cour suprême les plus importants politiquement, divisant les États-Unis entre pro-choice (« pro-choix », pour le droit à l'avortement) et pro-life (« pro-vie », anti-avortement).

Les partisans de l'arrêt Roe v. Wade le considèrent comme nécessaire afin de garantir pleinement l'égalité hommes-femmes et de protéger le droit au respect de la vie privée des citoyens américains. De l'autre côté, les personnes qui contestent cet arrêt sont aussi bien des groupes religieux qui croient profondément en l'inviolabilité du fœtus humain que des personnes qui estiment que la Cour suprême, en promulguant cet arrêt, s'est trop éloignée du texte de la Constitution, qui ne garantit pas explicitement un droit au respect de la vie privée. Les deux principaux partis politiques américains ont des vues très différentes sur la question, puisque la majorité du Parti républicain souhaite renverser ou limiter la portée de cet arrêt, tandis que la majorité du Parti démocrate, sans être totalement hostile à en limiter la portée, est déterminée en tous les cas à en protéger le principe de base.

À plusieurs reprises, la Cour suprême a eu l'occasion de se pencher sur l'arrêt Roe v. Wade. Bien que quelques modifications aient été apportées à la jurisprudence de la Cour au cours des trente dernières années, l'apport principal de l'arrêt, qui protège le droit d'une femme à avorter dans certaines circonstances, a été maintenu.

Parcours du dossier

L'action judiciaire commence au Texas en mars 1970, Norma McCorvey conteste la loi du Texas interdisant la pratique de l'avortement. Souhaitant rester anonyme, McCorvey sera identifiée sous le pseudonyme de Jane Roe. L'argumentation de son avocate, Sarah Weddington, s'appuie sur le manque de précision des lois anti-avortement du Texas, sur leurs contradictions avec les premier, quatrième, cinquième, neuvième et quatorzième amendements de la Constitution des États-Unis. Le procureur de Dallas, représentant l'État du Texas est Henry Wade. Jane Roe perd son procès devant la cour de district mais Weddington fait appel.

La Cour suprême se saisit du dossier et les débats ont lieu le . Le président de la Cour suprême des États-Unis Warren E. Burger (Chief Justice) donne au juge Harry Blackmun la main pour écrire l'opinion majoritaire qui stigmatise la loi anti-avortement du Texas comme trop vague. Certains juges de la Cour souhaitent revoir le dossier et que les juges nouvellement nommés William Rehnquist et Lewis F. Powell, Jr. participent au vote, le Chief Justice Burger accède à cette requête et une date est fixée au .

Dans leur livre The Brethren, Bob Woodward et Scott Armstrong (en) racontent la fureur du juge William O. Douglas devant la manœuvre du Chief Justice Burger cherchant à repousser la décision après l'élection présidentielle de novembre 1972 pour ne pas embarrasser son ami le président Richard Nixon alors en campagne. Douglas menaça d'écrire une motion de défiance contre la décision de réentendre l'exposé du dossier, ce qu'il ne fit pas devant la persuasion de ses collègues.

La décision de la Cour suprême des États-Unis

La Cour a rendu sa décision le , avec une majorité de 7 voix en faveur de Roe contre 2.

Opinion majoritaire

L'opinion majoritaire est écrite par Harry Blackmun, rejoint par le président de la Cour Warren E. Burger et les juges William O. Douglas, William J. Brennan, Potter Stewart, Thurgood Marshall et Lewis Franklin Powell, Jr.

Opinions concourantes

Le président Burger, Douglas et Steward ont chacun écrit une opinion concourante.

Opinions opposées

Byron White, rejoint par William H. Rehnquist écrivent des opinions opposées. Le juge White écrit[4] :

« Je ne trouve rien dans la langue ou l'histoire de la Constitution pour appuyer le jugement de la Cour. La Cour se contente de façonner et d'annoncer un nouveau droit constitutionnel pour les femmes enceintes et, avec à peine une raison ou une autorité pour son action, investit ce droit d'une substance suffisante pour l'emporter sur la plupart des lois étatiques existantes en matière d'avortement. Le résultat est que le peuple et les législatures des 50 États ne sont pas habilités constitutionnellement à peser l'importance relative de l'existence et du développement du fœtus, d'une part, contre un spectre d'impacts possibles sur la femme, d'autre part. En tant qu'exercice d'un pouvoir judiciaire brut, la Cour a peut-être le pouvoir de faire ce qu'elle fait aujourd'hui ; mais, à mon avis, son jugement est un exercice improvisé et extravagant du pouvoir de contrôle judiciaire que la Constitution confère à cette Cour. »

Rehnquist ajoute[5] :

« Pour parvenir à son résultat, la Cour a nécessairement dû trouver dans le champ d'application du quatorzième amendement un droit qui était apparemment totalement inconnu des rédacteurs de l'amendement. Dès 1821, la première loi d'un État traitant directement de l'avortement a été promulguée par l'Assemblée législative du Connecticut. Au moment de l'adoption du quatorzième amendement en 1868, il y avait au moins 36 lois promulguées par les législatures des États ou des territoires limitant l'avortement. Alors que de nombreux États ont modifié ou mis à jour leurs lois, 21 des lois en vigueur en 1868 demeurent en vigueur aujourd'hui. »

Rehnquist conclut que les rédacteurs de l’amendement n'avaient pas l'intention de retirer aux États le pouvoir de légiférer en la matière.

Conséquence politiques

Au cours de sa campagne, Donald Trump a promis de nommer des justices à la Cour suprême pour renverser Roe v. Wade[6]. Il a nommé plusieurs juges conservateurs au cours de sa présidence, dont Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett[7].

Évolutions ultérieures

Évolution de l'avis sur l'avortement.
Réponses des adultes américains entre 1975 et 2008 à la question suivante : pensez-vous que l'avortement devrait être légal quelles que soient les circonstances, légal uniquement en certaines circonstances, ou illégal dans toutes les circonstances ?
  • Légal quelles que soient les circonstances.
  • Légal selon certaines circonstances.
  • Illégal dans toutes les circonstances.
  • Sans opinions.

Contestations constitutionnelles

Les critiques soutiennent que la Cour suprême a outrepassé sa responsabilité. Ils soutiennent que la décision n'a pas de fondement constitutionnel[8]. De plus, à la suite de l'opinion opposée de White, des critiques affirment que le droit à l'avortement devrait être déterminé par le processus législatif par les législatures d'État[9]. D'autres critiquent le fait que la décision de la Cour a établi la loi fédérale, limitant la capacité de débat démocratique[10].

Restrictions des modalités d'avortement

Depuis Roe v. Wade, de nombreux États[11], dont l'Alabama, la Géorgie et le Texas, ont adopté des lois anti-avortement. Il s'agit notamment d'exiger le consentement du conjoint ou des parents pour les mineurs, des périodes d'attente avant les avortements et la restriction des avortements lorsqu'un rythme cardiaque fœtal peut être détecté, jusqu'à 6 semaines de grossesse.

En 1976, le Congrès a adopté l'amendement Hyde interdisant le financement fédéral des avortements par Medicaid, l'assurance maladie fédérale[12].

En 1992, avec l'arrêt Planned Parenthood v. Casey, la Cour suprême a reconnu aux États la possibilité de restreindre les modalités d'avortement. C'est ainsi que plusieurs États ont passé 487 lois pour en réduire le champ d'application dont trente-trois qui exigent des notifications parentales.

Les restrictions tentées pour limiter la période légale d'avortement au-delà de douze semaines ont été invalidées par la Cour suprême.

D'autre part, dans des États comme le Mississippi, le Nebraska, ou le Missouri, plus de 95 % des comtés ne disposent déjà plus de cliniques pratiquant les interruptions volontaires de grossesse.

Selon une estimation, si la Cour suprême revenait à laisser aux États le droit de légaliser ou non l'avortement, 21 États sur les 50 que compte l'Union l'interdiraient probablement.

L'évolution de Norma McCorvey

Norma McCorvey s'est depuis le procès convertie au christianisme et appartient au mouvement anti-avortement, cherchant à rendre l'avortement illégal. McCorvey se présente comme une victime de son ambitieuse avocate Sarah Weddington qui l'aurait utilisée afin de contester la loi de l'État du Texas interdisant l'avortement. En tant que partie prenante du procès, McCorvey a essayé de faire rouvrir le dossier par une cour de district du Texas et d'obtenir une décision opposée. Le nouvel argument qu'elle présente à la cour se base sur la douleur à la fois physique et morale que toute femme ayant avorté subit et sur des preuves supplémentaires que le fœtus est bien une personne. Le , le juge de district David Godbey a décidé que la demande de réouverture du procès n'était pas intervenue dans les délais impartis. L'avocat de McCorvey conteste l'existence de tels délais.

Norma McCorvey est décédée le à Katy au Texas. Alors qu'il ne lui reste que peu de temps à vivre, elle indique dans un documentaire avoir été payée par des groupes anti-avortement pour soutenir leur cause[13].

Notes et références

(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Roe v. Wade » (voir la liste des auteurs).
  1. Souhaitant rester anonyme, la requérante Norma McCorvey sera identifiée sous le pseudonyme de « Jane Roe ».
  2. Équivalent du procureur de Dallas.
  3. Roe, 410 U.S. 162 ("Nous répétons cependant que l'État a un intérêt important et légitime à préserver et à protéger la santé de la femme enceinte, qu'elle soit résidente de l'État ou non résidente qui y demande des consultations et des traitements médicaux, et qu'il a encore un autre intérêt important et légitime à protéger la potentialité de la vie humaine.")
  4. Roe v. Wade/ Dissent White (lire en ligne)
  5. Roe v. Wade/Dissent Rehnquist (lire en ligne)
  6. (en) Dan Mangan, « Trump: I'll appoint Supreme Court justices to overturn Roe v. Wade abortion case », CNBC, (lire en ligne, consulté le )
  7. (en-GB) « Roe v Wade: Trump says Supreme Court ruling on abortion 'possible' », BBC News, (lire en ligne, consulté le )
  8. (en) James F. Childress, « Roe v. Wade itself provided abortion rights with an unstable foundation. », Bioethics Reporter. University Publications of America., , p. 463 (lire en ligne)
  9. Alex Locay, Unveiling the left : why Christian conservatism works where liberalism fails, Townhall Press, (ISBN 978-1-60266-869-0 et 1-60266-869-8, OCLC 810144319, lire en ligne)
  10. (en-US) David Brooks, « Opinion | Roe's Birth, and Death », The New York Times, (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
  11. (en) « An Overview of Abortion Laws », sur Guttmacher Institute, (consulté le )
  12. « S.142 - 113th Congress (2013-2014): Hyde Amendment Codification Act », sur www.congress.gov, (consulté le )
  13. Patricia Bauer, « Norma McCorvey », sur britannica.com,

Voir aussi

Bibliographie

  • Norma McCorvey, Won by Love, traduit en français sous le titre L'affaire Jane Roe, Editions de l'Homme nouveau, 2008 (ISBN 978-2915988239)

Filmographie

  • Lake of Fire, Tony Kaye, 2006.
  • Ricki Stern (réal.) et Annie Sundberg (réal.), Roe v. Wade : la véritable histoire de l'avortement, Netflix, 2018.

Liens externes

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