Relation maître-valet au théâtre

La relation maître-valet est une convention traditionnelle du théâtre de comédie qui joue sur les contrastes de la hiérarchie sociale, remontant à l'esclavage en Grèce antique et dans la Rome antique, adaptée plus tard à la domesticité à l'époque moderne, utilisée en Italie par la commedia dell'arte et dans le théâtre français par Molière, Marivaux, Beaumarchais, avec des résurgences jusque chez Bertolt Brecht. Dans la comédie et parfois dans la tragédie, le rôle du valet peut être celui du confident.

Histoire

Acteur dans un rôle d'esclave, avec un masque comique. Statuette en bronze, début du IIIe siècle ap. J.-C., palais Massimo des Thermes.

Dans le théâtre grec antique comme dans le théâtre romain, le serviteur est un esclave, un objet qui n'a ni les droits, ni la dignité de l'homme libre : il peut être fouetté ou tué impunément. En échange, il n'est pas tenu par les convenances, il se livre à des plaisanteries obscènes et peut être insolent même avec les dieux. Dans Les Grenouilles d'Aristophane, Dionysos, descendu aux Enfers sous le déguisement d'Héraclès, est accompagné de son esclave Xanthias qui se moque de ses mines raffinées et de sa poltronnerie. À Rome, Plaute et Térence ont eux-mêmes été esclaves et parlent d'une condition qu'ils connaissent bien. Ainsi, dans l’Amphitryon de Plaute, le valet Sosie se plaint de l'injustice de son sort[1] :

« Quel courage ou plutôt quelle audace, quand on sait comment se comporte notre jeunesse, de se mettre en route seul, la nuit, à l’heure qu’il est ! Et que deviendrais-je, si les triumvirs[2] me jetaient en prison ? Demain on me sortirait de ma cage pour me fouetter [d']importance ; et pas un mot à dire pour ma défense, et rien à attendre de mon maître, et pas une bonne âme qui ne criât que c’est bien fait ! En attendant, huit solides gaillards frapperaient sur mon pauvre dos comme sur une enclume : belle réception que me ferait ma patrie à mon retour ! Voilà pourtant à quoi m’expose la dureté de mon maître ! m’envoyer du port ici, bon gré mal gré, au beau milieu de la nuit ! Ne pouvait-il pas attendre qu’il fût jour ? Ô la dure condition que le service des riches ! et que l’esclave d’un grand est à plaindre ! Le jour, la nuit, ce sont mille choses à dire ou à faire ; pas de repos, pas de trêve ! Le maître se croise les bras, mais ne ménage pas nos peines ; tout ce qui lui passe par la tête lui semble possible, lui paraît juste ; il s’inquiète bien vraiment du mal qu’il nous donne, et si ses ordres sont raisonnables ou non ! Aussi que d’injustices dont pâtit le pauvre esclave ! mais, malgré qu’on en ait, il faut porter son fardeau[3]. »

Le valet de comédie, oublié du théâtre médiéval, reparaît avec la Renaissance italienne et la commedia dell'arte : Henri III de France en engage une troupe lors de son passage à Venise en 1577[1].

Le valet de comédie

Le valet de comédie, à l'époque moderne, regroupe toutes les fonctions de tous les valets de la maison, c'est donc un symbole, une représentation du valet. Il n'est pas un esclave, il est rémunéré (de gages), mêmes si ceux-ci sont rarement perçus. Le valet est logé, nourri, blanchi, et s'en contente.

Dans la comédie, une de ses fonctions est celle d'entremetteur chargé de faciliter les amours des jeunes gens[1].

La relation avec le maître est une relation de familiarité (le valet sert de confident, pour le maître c'est une espèce de double, de miroir, avec qui la discussion n'aura pas de conséquence). Le maître rabroue le valet (de coups), du fait de la familiarité qui existe entre eux, et malgré celle-ci. Cette relation n'est pas ressentie comme un problème de classes sociales au XVIIe siècle. Elle le sera à partir du XVIIIe siècle.

Exemples de valets

Les Fourberies de Scapin, représentées à l'Otterbein College en 2003.

Scapin (Les Fourberies de Scapin, Molière)

  • Conflit entre deux maîtres (Octave et Argante)
  • Scapin et Octave s'entendent contre Argante qui demande à Scapin de surveiller Léandre.
  • Occasion pour le valet de se venger, en amusant mais de façon dénuée de revendications sociales. C'est une vengeance personnelle.

Dorine (Tartuffe, Molière)

Dorine incarne un type de serviteur dévoué et honnête, fidèle à la famille et qui, malgré sa condition inférieure, se montre supérieure à ses maîtres par son bon sens populaire et son franc-parler. Elle s'efforce d'aider Mariane, sa jeune maîtresse, faible et vulnérable, à qui elle sert de confidente, et de désabuser Orgon, le chef de famille tyrannique tombé dans le fanatisme sous la tutelle de l'hypocrite Tartuffe[4].

Dans Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux, la soubrette Lisette prend la place de sa maîtresse.

Sganarelle (Dom Juan, Molière)

  • Sganarelle est le seul valet de Dom Juan non adjuvant.
  • Il critique son maître, s'oppose à son raisonnement, mais c'est son maître qui gagne très souvent, grâce à son éloquence.
  • Dom Juan utilise son pouvoir sur Sganarelle vu qu’il est placé plus haut que lui hiérarchiquement
  • Il a un nom d'origine italienne (référence à la commedia dell'arte)

Le changement de position du valet (XVIIIe siècle)

Au XVIIIe siècle, le valet change de position (réflexion de chacun sur les défauts humains, sur la hiérarchisation de la société, problème des classes sociales).

  • Exemple de l'Île des esclaves de Marivaux, les valets ont de véritables revendications sociales, ils veulent être reconnus, sur un plan moraliste, pas politique, ils ne veulent pas devenir maîtres.
  • Exemple aussi du personnage de Figaro.

Le personnage de Figaro

  • Dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais, au départ Figaro est indépendant d'Almaviva au service duquel il revient pour l'aider à conquérir Rosine. Le jeune Almaviva, aidé par Figaro, épouse Rosine à la barbe de Bartholo. Figaro revendique une place pour les valets. Il est l'égal du maître, sinon supérieur ⇒ Un maître ne serait pas capable d'être valet.
  • Dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, c'est la première fois qu'un valet devient le personnage principal d'une pièce. Le Comte souhaite séduire Suzanne (il pense pouvoir utiliser le droit de cuissage). L'intrigue principale est centrée sur Figaro et Suzanne. Figaro se rebelle contre le Comte : Il nie le privilège de naissance : « Et qu'avez-vous fait, vous, {pour obtenir ces privilèges}? Vous vous êtes donné la peine de naître, voilà tout ». (Citation tirée du Monologue de Figaro - Acte V Scène 3)
L'acteur Frédérick Lemaître dans le rôle de Ruy Blas, estampe de 1838.

Le drame romantique : Ruy Blas

Dans Ruy Blas, drame romantique de Victor Hugo créé en 1838, le personnage éponyme, en partie inspiré de la jeunesse de Jean-Jacques Rousseau, est une figure dramatique : sa condition inférieure de valet contraste avec ses nobles aspirations et son amour caché pour la reine d'Espagne. Il entre en conflit avec son maître, Don Salluste, grand d'Espagne intrigant et corrompu, qui l'oblige à participer à une machination contre celle-ci[5].

La lutte des classes : Maître Puntila et son valet Matti

Dans Maître Puntila et son valet Matti (Herr Puntila und sein Knecht Matti), comédie allemande de Bertolt Brecht créée en 1948, c'est l'alcoolisme qui vient brouiller les relations entre classes sociales : Puntila, riche propriétaire finlandais, quand il est ivre, déborde d'affection pour ses serviteurs et son valet Matti en particulier à qui il promet la main de sa fille ; mais Matti, lucide, sait que ces promesses d'ivrogne n'effacent pas la dure réalité de la lutte des classes et qu'il n'y aura de bons maîtres que « quand chacun sera le sien »[6].

Notes et références

  1. Les Incarnations de Scapin par M. Saulnier, Annales de l'Académie de Mâcon, Volume 17, 1867-1868, p. 71-87.
  2. Magistrats chargés de la police, avec leurs huit licteurs.
  3. Amphitryon, acte 1, cité par M. Saulnier, traduction d'Édouard Sommer, 1876.
  4. Sophie Lecomte, Le Tartuffe de Molière (Fiche de lecture): Analyse complète de l'oeuvre, FichesdeLecture.com, 10 décembre 2014, p. 8.
  5. Célia Bohin-Cviklinski, Ruy Blas: suivi d’une anthologie sur les maîtres et valets, Hatier, Classiques et Cie, 2014.
  6. B. Poirot-Delpech, "Maître Puntila et son valet Matti" de Bertolt Brecht, au T.N.P., Le Monde, 23 novembre 1964

Bibliographie

  • André Blanc, Francis Freundlich et Philippe Petiet, Étude sur maîtres et valets dans la comédie française du XVIIIe siècle, Ellipses, 1999.
  • Françoise Le Cherif, Le Valet de comédie dans le théâtre de Molière. Étude sur la relation maître-valet à travers le discours, s.n., 1992.
  • Célia Bohin-Cviklinski, Ruy Blas: suivi d’une anthologie sur les maîtres et valets, Hatier, Classiques et Cie, 2014
  • Les Incarnations de Scapin par M. Saulnier, Annales de l'Académie de Mâcon, Volume 17, 1867-1868, p. 71-87
  • Sophie Lecomte, Le Tartuffe de Molière (Fiche de lecture): Analyse complète de l'oeuvre, FichesdeLecture.com,

Voir aussi

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