Exode des Pieds-noirs

L'exode des Pieds-noirs, ou rapatriement des Français d'Algérie suivant l'appellation officielle, désigne la vague de migrations subies autour de 1962 par la communauté pied-noir des départements français d'Algérie vers la France métropolitaine. Les départements français d'Algérie constituaient alors le produit de la conquête par la France, en 1830.

Ce déplacement de population se traduit pour les métropolitains par une « vague » massive d'arrivées en France d'avril à juillet 1962 d'Algérois, Constantinois et Oranais d'origine européenne connaissant souvent peu, voire pas du tout, la métropole. Il marque également la fin de la guerre d'Algérie et l'accession de l'Algérie à l'indépendance.

Cet exode se développe en particulier dans les mois qui suivent le cesser-le-feu du 19 mars 1962 et le référendum sur les accords d'Évian du 8 avril 1962, massivement approuvé par la population française métropolitaine, mais qui donne aux Français d'Algérie le sentiment d'être abandonnés par la métropole. Convaincus que l'indépendance algérienne n'est plus qu'une question de temps, ils n'ont plus la garantie d'être protégés par l'armée française, surtout après la fusillade de la rue d'Isly, le 26 mars 1962. La crainte de représailles exercées par l'ALN contre leur communauté est largement partagée. Durant les deux mois de mai et juin, près de 400 000 personnes quittent l'Algérie. Le suivant, jour de la proclamation de l'indépendance de l'Algérie, le massacre d'Oran renforcent les craintes et l’émigration. L'exode est qualifié rétrospectivement d'épuration ethnique par certains historiens[Lesquels ?].

Cet exode crée un fort ressentiment parmi les Pieds-noirs, qui reprochent au président français Charles de Gaulle de ne pas avoir honoré sa promesse de maintenir l'Algérie française et de protéger les Français d'Algérie et les harkis.

Rapatriés d'Algérie

Les rapatriés[1] sont des Français d'Algérie dont les ancêtres étaient des Européens originaires de France (certains issus d'Alsace-Lorraine et installés en Algérie après l'annexion de 1871 à l'Allemagne) ainsi que d'Espagne (dont les primo-arrivants venaient de Minorque), de Malte, d'Italie, de Suisse, etc. Ils englobent de même des Algériens d'origine non-européenne (les autochtones, musulmans ou non, naturalisés Français par décret, ainsi que des juifs séfarades et berbères, naturalisés soit par le décret Crémieux de 1870, soit en 1961 pour les juifs du Mzab[2]).

Les rapatriés bénéficient d'un statut spécifique, institué par la loi dite « Boulin » du 26 décembre 1961[3] : ce statut est différent de celui des Algériens « réfugiés » tels que les harkis[4].

Épuration ethnique

C'est selon un mécanisme d'épuration ethnique que les Français ont été chassés d'Algérie lors de l'indépendance[5],[6],[7]. Les représentants du FLN annoncent dès 1960 qu'« ils excluaient tout avenir pour les non musulmans »[8]. Ben Bella avouera trente ans après l'indépendance qu’il ne « pouvai[t] concevoir une Algérie avec 1 500 000 pieds noirs »[5]. L'ALN met en place un plan consistant à faire consciemment régner la terreur parmi les Européens d'Algérie afin de les faire partir[5],[9].

En 1959, les pieds-noirs étaient 1 025 000, soit 10,4 % de la population vivant en Algérie. Leur poids relatif était en baisse après un maximum atteint de 15,2 % en 1926. À la suite du massacre d'Oran, le jour de la reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie, le 5 juillet 1962, près de 700 pieds-noirs sont assassinés au couteau, à la hache ou au rasoir en quelques heures[10]. Au début de l'année 1963, 200 000 Français vivent encore en Algérie ; en 1980, il n'y en a plus que quelques milliers[5].

À partir de mai 1962, entre 8 000 et 10 000 Européens partent chaque jour pour la France : 350 000 en juin 1962, 120 000 en juillet  1962, 50 000 en octobre 1962[11].

Les Européens font l'objet d'enlèvements. Au moins 1 630 personnes enlevées et disparues sont recensées[9]. Plusieurs centaines de Pieds-noirs sont massacrés à Oran le 5 juillet 1962 sans que le gouvernement français n'intervienne.

Nombre de rapatriés

Au total, entre 1962 et 1965, environ un million de Français d'Algérie arrivent en France[12]. Seuls 400 000 rapatriés étaient initialement attendus, sur quatre années[13]. Parmi ces rapatriés figurent 100 000 Juifs sur une population totale de 130 000 personnes[14].

Au 31 décembre 1961, 150 000 personnes avaient déjà quitté l'Algérie[15]. Entre janvier et avril 1962, 70 000 personnes émigrent. Le mouvement s'accélère les deux mois suivants : 80 000 personnes en mai, plus de 300 000 en juin. Il se poursuit après l'indépendance : 60 000 personnes en juillet, 40 000 en août, 70 000 de septembre à décembre 1962[15],[16],[17].

Fin 1962, il reste environ 200 000 Pieds-noirs en Algérie, qui gardent l'espoir de continuer à y vivre. Les accords d'Évian prévoyaient en effet que, pendant une période transitoire de trois ans, ils bénéficieraient de plein droit des droits civiques algériens, période à l'issue de laquelle ils auraient eu la possibilité d'opter pour la nationalité algérienne[18]. Mais rapidement, l'absence de reconnaissance de leur communauté et les mesures de nationalisations des exploitations agricoles[19],[20] sans indemnité prises en 1963 par le gouvernement algérien conduisent encore 100 000 d'entre eux à quitter l'Algérie en 1963 et 1964. Par ailleurs, la confiscation des biens qualifiés de « vacants » par le gouvernement algérien[21] empêche de fait tout retour possible des rapatriés en Algérie. Ces confiscations s'exercent en violation des accords d'Évian[22], sans que le gouvernement français n'intervienne[réf. nécessaire]. L'historien Guy Pervillé écrit : « Les garanties aux biens reprenaient les principes fondamentaux du droit français : droit de propriété, liberté d'emporter ses biens ou de les vendre et d'en transférer le prix, pas d'expropriation sans une juste et préalable indemnité. Leur respect conditionnait le maintien de l'assistance culturelle et technique et de l'aide financière de la France à l'Algérie. Ces garanties furent très vite bafouées »[23].

Accueil et conséquences

Les principaux points de débarquement des rapatriés ont été Marseille et Nice en Provence-Alpes-Côte d'Azur, ainsi que Port-Vendres en Languedoc-Roussillon.

Leur arrivée est généralement perçue négativement et leur accueil médiocre. Ainsi, le maire socialiste de Marseille, Gaston Defferre, déclare en  : « Qu'ils aillent se réadapter ailleurs »[24]. L'organisation de leur rapatriement est plus ou moins chaotique[25]. Un quart des biens débarqués est volé ou endommagé[26], notamment à l'initiative des dockers affiliés à la Confédération générale du travail (CGT)[27],[28].

Une partie des rapatriés s'installe dans les régions du Sud de la France, intensifiant la croissance démographique de celles-ci[29]. Le professeur Pierre Baillet indique : « De 1962 à 1968, ils ont assuré 50 % de la croissance démographique de Marseille et de Perpignan, 60 % de celle de Toulon et 70 % de celle de Nice. Ils ont redonné vie à certaines régions du Sud-Ouest et du Massif central : 55 % de l'accroissement de Midi-Pyrénées et du Languedoc-Roussillon leur est imputable, 33 % de l'Aquitaine et de la Provence. Sans eux, le Limousin aurait vu sa population diminuer »[30].

Les rapatriés se sont souvent fixés autour des aires de débarquement, dans le Sud de la France, alors que les besoins en emplois étaient souvent plus présents au Nord avant la généralisation de la crise économique à partir du choc pétrolier de 1973.

Notes et références

  1. Le statut de rapatriés est créé par la loi Boulin du 26/12/1961. Il concerne également 300 000 personnes venues d'autres anciens territoires français (Shepard [2008], chap. 5).
  2. Shepard [2008], chap. 9.
  3. « Loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-me », sur legifrance.gouv.fr
  4. Shepard [2008], chap. 8.
  5. Jean Sévillia, Les vérités cachées de la Guerre d'Algérie, Fayard, , 416 p. (ISBN 978-2-213-67426-1, lire en ligne)
  6. Raphaël Draï, Lettre au président Bouteflika sur le retour des Pieds-Noirs en Algérie, Michalon, , 141 p. (ISBN 978-2-84186-125-5, lire en ligne)
  7. Bernard Lugan, Histoire de l'Afrique du Nord : Des origines à nos jours, Editions du Rocher, , 736 p. (ISBN 978-2-268-08535-7, lire en ligne)
  8. Jean Daniel, Cet étranger qui me ressemble, Grasset, , 304 p. (ISBN 978-2-246-66749-0, lire en ligne)
  9. Jean-Jacques Jordi, Les disparus civils européens de la Guerre d'Algérie : Un silence d'Etat, Saint-Cloud, SOTECA, , 300 p. (ISBN 978-2-916385-56-3)
  10. « 5 juillet 1962 : Quand l'Algérie célèbre son indépendance en oubliant totalement le massacre des Pieds-Noirs », sur Atlantico.fr (consulté le )
  11. Benjamin Stora, Histoire de la guerre d'Algérie (1954-1962), La Découverte, (ISBN 978-2-7071-6083-6, lire en ligne)
  12. « 1962-1965 : comment la France a intégré un million de rapatriés d’Algérie », sur Alternatives Economiques (consulté le )
  13. https://www.ldh-toulon.net/l-arrivee-des-pieds-noirs-en.html
  14. Benjamin Stora, Les trois exils, Juifs d'Algérie, Stock,
  15. Pierre Daum, Ni valise ni cercueil, les Pieds-Noirs restés en Algérie après l'indépendance, Solin, Actes Sud, , p. 44
  16. « Pieds-noirs, portraits d'exilés », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  17. « 25/06/1962 : Les Pieds-Noirs débarquent à Marseille », sur Les Echos, (consulté le )
  18. « JO du 20/03/1962 », Chapitre II (De l'indépendance et de la coopération), A- (De l'indépendance de l'Algérie), II- (Des droits et libertés des personnes et de leurs garanties), 2- (Dispositions concernant les citoyens français de statut civil de droit commun), b
  19. Journal officiel de la République algérienne, « décret 63-388 du 1er octobre »,
  20. Feuille d'avis de Neuchatel, « Après la nationalisation de fermes françaises en Algérie »,
  21. Journal officiel de la République algérienne, « décret 63-88 du 18 mars 1963 », , et Cour de cassation Civ. 1ère du 23 avril 1969)
  22. Ceux-ci prévoient que « Les droits de propriété (des nationaux français) seront respectés. Aucune mesure de dépossession ne sera prise à leur encontre sans l'octroi d'une indemnité équitable préalablement fixée ». cf « JO du 20/03/1962 », Chapitre II (De l'indépendance et de la coopération), A- (De l'indépendance de l'Algérie), II- (Des droits et libertés des personnes et de leurs garanties), 2- (Dispositions concernant les citoyens français de statut civil de droit commun), b)
  23. G. Pervillé, « Trente ans après, réflexion sur les accords d'Evian », , p. 379
  24. « Marseille, 1962 : le cauchemar des rapatriés d'Algérie », sur L'Obs (consulté le )
  25. « 1962, les Français d'Algérie quittent leur pays natal », sur Le Huffington Post, (consulté le )
  26. « Les pieds-noirs, 50 ans après », sur lefigaro.fr, (consulté le )
  27. « Marseille, 1962 : le cauchemar des rapatriés d'Algérie », sur L'Obs (consulté le )
  28. Pascal Pontolier, Au combat des peuples !, Librinova, (ISBN 979-10-262-0326-1, lire en ligne)
  29. P. Baillet, L'Intégration des rapatriés en France, page 312, 1975 | http://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1975_num_30_2_15787
  30. Cf. P. Baillet L'Intégration des rapatriés en France, page 312, 1975 |http://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1975_num_30_2_15787

Voir aussi

Bibliographie

  • Michèle Baussant, Pieds-noirs, Mémoires d’exil, Paris, éditions Stock, 2002
  • Philippe Bouba, L'arrivée des pieds-noirs en Roussillon, en 1962, éditions Trabucaire, 2009
  • Marie Cardinal, Les Pieds-noirs, Place Furstenberg éditeurs, Paris, 1994
  • Gérard Crespo, Les rapatriements en France, 1954-1962, éditions Dualpha, 2014
  • Raphaël Delpard, L'Histoire des pieds-noirs d'Algérie (1830-1962), éditions Michel Lafon, Neuilly-sur-Seine, 2002
  • Marcel Gori, L'Algérie illustrée, Éditions Campanile, Sophia-Antipolis, 2005
  • Jean-Jacques Jordi, 1962 : L'Arrivée des pieds-noirs, éditions Autrement, Paris, 2002
  • Jean-Jacques Jordi, De l'exode à l'exil : Rapatriés et pieds-noirs en France : l'exemple marseillais 1954-1992 L'Harmattan, Paris, 2000
  • Daniel Leconte, Les Pieds-noirs, histoire et portrait d'une communauté, Le Seuil, Paris, 1980
  • Cécile Mercier, Les Pieds-noirs et l'exode de 1962, à travers la presse française, L'Harmattan, Paris, 2003
  • Todd Shepard, 1962. Comment l’indépendance algérienne a transformé la France, Paris, Payot, 2008, 416 p.
  • Jeannine Verdès-Leroux, Les Français d'Algérie, de 1830 à aujourd'hui, éditions Fayard (ISBN 2213609683) 2001
  • Jeannine Verdès-Leroux, «Exode de 1962 et ses suites» in Jeannine Verdès-Leroux (dir.), L'Algérie et la France, Paris, Robert Laffont, [détail de l’édition], p. 359-363
  • Jean-Jacques Viala, Pieds-noirs en Algérie après l'indépendance (ISBN 2747508900) 2001

Articles connexes

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