Prostitution en Belgique

La prostitution en Belgique est légale depuis la loi du supprimant la réglementation de la prostitution, dans une visée abolitionniste. L'exploitation de la prostitution, la prostitution contrainte et la prostitution de personnes mineures ou en situation illégale sont en revanche interdites.

Histoire

Début du réglementarisme

L'article 96 de la loi communale du donne aux communes la responsabilité de réglementer l'exercice de la prostitution, qu'elle ait lieu dans des maisons closes ou ailleurs, dans des maisons de passe ou à domicile[1],[2]. À Bruxelles, la prostitution est réglementée pour la première fois en 1844[3], sous l'influence de la France et des Pays-Bas. Cette réglementation inspire celles de plusieurs autres communes belges[1].

La prostitution est alors vue comme un mal nécessaire qu'il convient cependant de surveiller[4]. La surveillance, le contrôle et la répression sont entièrement assurés par la police communale et en particulier la police des mœurs, en dehors du circuit judiciaire classique[4], dans un but à la fois de maintien de l'ordre et de la santé publics[1].

Pour faciliter le contrôle et la récolte d'informations à la fois sur les prostituées et sur les clients, l'existence des maisons closes est encouragée[4]. Le racolage est interdit[2]. Les prostituées, qui doivent être majeures, sont également tenues de figurer sur un registre de police et de disposer d'un livret officiel avec leur nom, l'adresse de leur établissement et leurs caractéristiques physiques[1],[2]. Elles doivent se soumettre à des contrôles médicaux deux fois par semaine, sous peine d'amende ou d'emprisonnement si elles ne s'y plient pas[1],[2] Ces visites sont opérées par un médecin inspecteur et un inspecteur-contrôleur qui vérifie le travail du premier, avec la présence de la police. Les prostituées paient ces visites 50 centimes, et le résultat est apposé sur leur livret de prostituée[2]. Leur comportement hors de la maison de tolérance est réglementé : elles ne peuvent racoler à l'extérieur, n'ont pas le droit de se réunir dans la rue. Les filles « éparses » (n'exerçant pas en maison close) voient leurs trajets limités après la tombée de la nuit[2].

Les tenanciers sont également soumis à des contrôles[1],[2]. Ils doivent déclarer les identités de chacune de leurs pensionnaires ainsi que leurs fréquentations et leurs déplacements d'un établissement à un autre. La police peut opérer un contrôle dans les maisons à n'importe quel moment[2].

L'existence de maisons closes est contrôlée, elles doivent être situées dans des lieux approuvés par le collège échevinal et leur implantation est interdite à proximité des écoles, des lieux de religion et des établissements publics. Elles font l'objet de contrôles réguliers[1]. Suivant les villes, la réglementation diffère sur la signalétique que doivent adopter les maisons closes. À Bruxelles, les maisons closes sont signalées par une lanterne ronde apposée au dessus de la porte, tandis qu'à Verviers aucun signe ne doit permettre de distinguer l'immeuble d'un autre[2]. Les prostituées sont parfois tenues de ne pas se montrer ni aux portes ni aux fenêtres, ou bien les fenêtres doivent comporter des rideaux[2].

Le contrôle des prostituées devient en Belgique entre les années 1840 et 1880 réglementé à un point que le terme d'hyperréglementarisme est employé par des historiens[2],[3],[4]. Des groupements de policiers étrangers viennent même en Belgique pour s'inspirer de son système[4]. Cependant, devant l'augmentation de la prostitution clandestine face à cette réglementation[2], la répression s'accentue et la réglementation des maisons closes est allégée en 1877[4], notamment concernant l'accès de mineures de moins de 21 ans aux maisons de tolérance dans la ville de Bruxelles[5].

L'affaire de la traite des Blanches et essor de l'abolitionnisme

En 1880 et 1881, survient le scandale de la traite des Blanches, ou « affaire des petites Anglaises[6] » consécutive à la découverte de jeunes prostituées mineures originaires d'Angleterre, prisées de la clientèle huppée bruxelloise, dans des établissements de prostitution à Bruxelles. La prostitution de mineures est alors interdite dans les maisons closes, sauf si les prostituées mineures ont déjà été inscrites auparavant au rôle de la prostitution, ou si elles ont été inscrites au rôle de leur pays d'origine si elles viennent de l'étranger. Néanmoins, il n'existe alors pas de registre des prostituées en Grande-Bretagne, où les jeunes filles peuvent se prostituer à partir de l'âge de 12 ans[4]. La falsification des documents de naissances permet alors de faire passer des mineures britanniques pour des prostituées majeures qui n'ont pas à prouver leur expérience prostitutionnelle et qui peuvent exercer dans des maisons closes[7]. Ainsi, entre 1878 et 1880, une quarantaine de prostituées mineures belges et étrangères, notamment anglaises, sont retrouvées dans les maisons de tolérance bruxelloises[4].

Les journaux anglais dénoncent ce scandale de à , notamment sous l'influence de Joséphine Butler, présidente de Fédération abolitionniste internationale, et mettent en évidence que seule la complaisance de la police a rendu possible la prostitution de mineures britanniques[5]. Dans un premier temps, les autorités britanniques envoient deux inspecteurs de Scotland Yard en Belgique, qui concluent que les affirmations des journaux concernant cette affaire sont fausses. Par la suite, un avocat britannique est également envoyé. Différents procès ont lieu, aboutissant à la condamnation de 18 tenanciers, gouvernantes et placeurs, mais à aucune sanction à l'encontre de la police ou de responsables locaux[5]. Cette affaire contribue à alimenter les arguments du discours abolitionniste envers la prostitution en Belgique pendant de nombreuses années[6]. À la suite de cette affaire, le chef de la police bruxelloise Émile Lenaers est révoqué par Charles Buls en , et le responsable de la police des mœurs Schröder démissionne[5],[4]. Cependant, il semblerait que la démission d'Émile Lenaers soit davantage provoquée par le fait que celui-ci s'était arrogé le monopole de la vente de spiritueux dans les établissements de prostitution bruxellois, et que la démission de Schröder est due à sa relation avec sa maîtresse qui était une prostituée, même s'il avait été montré qu'il avait extorqué de faux témoignages pendant l'affaire[4].

L'affaire de la traite des Blanches ne débouche sur aucune réforme en Belgique concernant la prostitution[5], mais donne lieu à un débat national. L'affaire des petites Anglaises est interprétée comme l'échec de cinquante années d'hyperréglementarisme, ayant seulement abouti au développement de la prostitution clandestine au lieu de la réguler[2]. Paradoxalement, les abolitionnistes belges souhaitent criminaliser la prostitution grâce à l'outil législatif, avec le même outil que les réglementaristes[2].

Le scandale aboutit également à la création de la Société de moralité publique en 1881, d'abord nommée Société d’affranchissement des blanches en 1880 par l'avocat Alexis Splingard, branche de la Fédération abolitionniste internationale[1]. Cette organisation rassemble en 1883 deux cent cinquante membres, dont le ministre de la Justice de 1887 à 1894 Jules Le Jeune et mène des actions de lobbying pour faire évoluer la législation et « redresser » la moralité[2].

Projet Le Jeune

Particulièrement investi dans la défense de la morale publique, et influencé par la Conférence internationale sur la prophylaxie des maladies vénériennes de 1899 qui a lieu à Bruxelles, Jules Le Jeune dépose un projet de loi au Sénat dans le but de criminaliser la prostitution[2]. Son but est de l'associer au vagabondage, interdit depuis la loi de 1891, et d'enfermer les prostituées dans des « maisons de refuge » sur de longues périodes pour les « régénérer » et les détourner de la prostitution. La loi n'est pas votée[2]. Cependant, des parties de cette proposition sont utilisées dans la loi de 1912 sur la protection de l'enfance concernant la prostitution des mineurs[2].

Abolition

Isabelle Blume dépose un projet de loi auprès de la Chambre le pour abolir le réglementarisme, après qu'une loi similaire ait été proposée en 1933, 1936 et 1939 sans succès[2]. La décriminalisation de la prostitution entre ainsi en vigueur le . Le contrôle de la prostitution ne relève plus des autorités communales, mais de l'État[1],[2]. De nouveaux articles du Code pénal sont introduits et visent les tenanciers, la provocation à la débauche, et énoncent désormais que la tenue de maisons de débauche est interdite[1],[2].

Législation

Si la prostitution est légale depuis sa décriminalisation en 1948, l'article 380 du Code pénal belge introduit par la loi du incrimine cependant le proxénétisme et le racolage[8].

L'article 380 sanctionne ainsi l'embauche, le détournement, le fait de retenir ou d'entraîner une personne majeure à la débauche ou à la prostitution, la tenue d'une maison de débauche ou de prostitution, le fait de vendre, louer ou mettre à disposition des chambres ou tout local destiné à réaliser un profit anormal, et tout acte destiné à exploiter la débauche et la prostitution d'autrui[8]. Ces actes sont punis par une peine de prison comprise entre un et cinq ans, et d'une amende allant de cinq cents euros à vingt-cinq milles euros[8]. Dans le cas du proxénétisme aggravé, les peines sont alourdies, allant jusqu'à cinquante mille euros d'amende et une peine de prison allant de dix à quinze ans[8]. Le Code pénal aggrave également les peines lorsqu'il est question d'exploitation de personnes mineures, d'exploitation de personnes en vue de tirer profit de leur activité prostitutionnelle, et personnes majeures qui se livrent à de l'exploitation sexuelle de personnes mineures[9]. Les peines peuvent alors aller jusqu'à quinze à vingt ans de prison, et comprennent une amende pouvant aller jusqu'à cent mille euros[8].

L'achat de services sexuels ne constitue pas une infraction. Cependant, toute relation sexuelle avec une personne mineure de moins de 14 ans est sanctionnée (article 375 du Code pénal), tout comme le fait d'assister à la débauche ou la prostitution de mineurs[8].

Les personnes travailleuses du sexe doivent en théorie se déclarer sous le statut fiscal de travailleur indépendant. Cependant, dans les faits, elles se déclarent souvent sous un autre emploi parfois salarié (serveur/serveuse, masseur/masseuse...) ou ne sont pas déclarées[9].

Situation

Schepenenvijverstraat, une rue de l'un des deux quartiers chauds de Gand.

Selon le discours de Joëlle Milquet en 2012 d'après un rapport de police, il y aurait environ 23 000 personnes prostituées en Belgique, et 80 % d'entre elles seraient victimes d'exploitation[10].

En 2019, les Belges auraient dépensé plus d'un milliard d'euros dans le commerce du sexe tarifé, soit une évolution de 27 % par rapport à 2009[11].

Certaines villes instaurent une taxe sur la prostitution, comme Saint-Josse-ten–Noode (650 euros par an pour les propriétaires d'une carrée), Schaerbeek (4 000 euros par carrée en 2015, 3 253 euros par an et par serveuse déclarée pour la rue d'Aerschot), ou encore Bruxelles-Ville (2 500 euros pour tout local où est exercée une activité de prostitution dans le quartier Yser)[12].

La question de la traite d'êtres humains à des buts d'exploitation sexuelle est également soulevée dans le cas de la prostitution en Belgique. Parmi les réseaux détectés figurent les réseaux roumains, bulgares, albanais, nigériens, et on note également des victimes marocaines et thaïlandaises[13].

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Marie-Sylvie Dupont-Bouchat, « La prostitution urbaine : La marginalité intégrée », dans La ville et les femmes en Belgique, Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis, (EAN 9782802800910, lire en ligne), p. 97-129
  • Éliane Gubin, Catherine Jacques, « Prostitution », dans Encyclopédie de l'Histoire des femmes en Belgique, Bruxelles, Racine, , 656 p. (EAN 9782390250524), p. 473-476.

Références

  1. Éliane Gubin, Catherine Jacques, « Prostitution », dans Encyclopédie de l'Histoire des femmes en Belgique, Bruxelles, Racine, , 656 p. (EAN 9782390250524), p. 473-476.
  2. Marie-Sylvie Dupont-Bouchat, « La prostitution urbaine : La marginalité intégrée », dans La ville et les femmes en Belgique, Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis, (EAN 9782802800910, lire en ligne), p. 97-129.
  3. Jean Michel Chaumont, « L’encadrement juridique de la prostitution : deux siècles d’arbitraire et d’hypocrisie », La Chronique de la Ligue des droits de l'Homme, no 154, (lire en ligne).
  4. Jean-Michel Chaumont, « L’affaire de la traite des blanches (1880‑1881) : un scandale bruxellois ? », Brussels Studies. La revue scientifique pour les recherches sur Bruxelles / Het wetenschappelijk tijdschrift voor onderzoek over Brussel / The Journal of Research on Brussels, (ISSN 2031-0293, DOI 10.4000/brussels.831, lire en ligne, consulté le )
  5. Chaumont Jean-Michel, « 1. De « dramatiques enlèvements de jeunes femmes innocentes » : les deux visages du combat abolitionniste (1880-1914) », Le mythe de la traite des blanches. Enquête sur la fabrication d’un fléau, sous la direction de Chaumont Jean-Michel. Paris, La Découverte, « Hors collection Sciences Humaines », 2009, p. 23-38. URL : https://www.cairn.info/le-mythe-de-la-traite-des-blanches--9782707158093-page-23.htm
  6. Dominique Vidal, « Jean-Michel Chaumont, Christine Machiels, Du sordide au mythe. L'affaire de la traite des blanches (Bruxelles, 1880) », Lectures, (ISSN 2116-5289, lire en ligne, consulté le )
  7. La Libre.be, « Retour sur l’affaire de la traite des blanches à Bruxelles », sur LaLibre.be, (consulté le )
  8. Gwennaelle Maes, « Prostitution: Quel régime légal en Belgique? », La Chronique de la Ligue des droits de l'Homme, no 154, (lire en ligne)
  9. Inès de Biolley, Pauline Loeckx et Nora Serrokh, La mise en place de complexes hôteliers dédiés à la prostitution : Rapport de la Commission Cepess, Centre Permanent pour la Citoyenneté et la Participation, , 42 p. (lire en ligne)
  10. « isala asbl - Questionner la prostitution…à partir d'une vision des droits de la femme », sur www.isalaasbl.be (consulté le )
  11. « Les Belges ont dépensé plus d’un milliard d’euros dans la prostitution », sur Le Soir, (consulté le )
  12. I. E. B, « Les lieux de prostitution », sur Inter-Environnement Bruxelles, (consulté le )
  13. Ligue des droits de l'Homme, « Exploitation sexuelle: tendance et évolutions en Belgique », La Chronique de la Ligue des droits de l'Homme, no 154, (lire en ligne)

Voir aussi

Liens internes

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