Phanère

Les phanères (nom masculin, issu du grec φανερός, phanerós « visible, apparent ») sont des productions tégumentaires issues de l'ectoderme et caractérisées par un taux élevé de kératinisation.

Ongles de main.

Chez l'humain, les principaux phanères sont les cheveux, les poils et les ongles[1]. Bien que n'étant pas d'origine tégumentaire, les dents sont parfois considérées comme étant des phanères[2]. Chez le nouveau-né[3] ou sur certaines parties du corps plus tard, on parle aussi de duvet pour désigner des poils très petits et très fins.

Ils ont parfois des propriétés électriques particulières (cf. électricité statique)[4].

Dans les abattoirs, ils font partie des « sous-produits animaux non destinés à la consommation humaine », valorisés sous diverses formes.

Fonctions

Selon l'espèce concernée, les phanères peuvent avoir des fonctions très différentes, dont :

  • rôle de protection contre la chaleur, le froid et/ou l'eau (pelage, duvet) ; les chiens et d'autres espèces ont deux sortes de poils, des poils plus fins et courts et des poils plus longs dits « poils de couverture » ou « jarres »[5] ;
  • protection de l’œil (cils) ;
  • fonctions de défense ou améliorant les capacités des doigts (ex. : griffes et ongles) ;
  • fonction de soutien au déplacement (ex. : les plumes qui permettent le vol de l'oiseau) ;
  • fonctions « esthétiques » et éthologiques (ex. : les couleurs, les motifs, le caractère brillant d'un pelage ou plumage peuvent aussi jouer un rôle dans la reconnaissance interspécifiques, interindividuelles, pour la parade sexuelle, etc.
  • organes associés au sens du toucher.

Ils peuvent être très importants chez les animaux à épiderme développé (les amniotes, comme l'humain), mais existent aussi (dans une moindre mesure), chez les animaux anamniotes.

De nombreux invertébrés sont couverts de poils qui sont aussi considérés comme des phanères, certains insectes et les araignées notamment[6].

Chez les animaux vivant dans des milieux saisonnièrement marqués, le phénomène de la mue, contrôlé par une hormone régulant les cycles nycthéméraux et saisonniers (la mélatonine) permet un renouvellement accéléré d'une partie des phanères (plumage, pelage)[7]. De manière générale, les phanères répondent à des facteurs de croissance et à des molécules de signalisation intracellulaire spécifiques [8].

Phanères d'Anamniotes

Dents cornées

La bouche d'une lamproie (un cyclostome) est munie de "dents" cornées formées de kératine.

Généralement nombreuses et formées de kératine, elles remplacent les dents véritables, absentes, chez les cyclostomes et les amphibiens. Elles tapissent la cavité buccale, la zone péribuccale, voire la langue dans le cas des cyclostomes[9].

Autres formations kératinisées

  • Tubercules de reproduction (aussi appelés organes perliformes) chez certains poissons téléostéens.
  • Gaine cornée sur les doigts de certains amphibiens anoures.

Soies

Aussi appelées "poils" de manière plus ou moins synonyme, ce sont des formations kératinées filiformes très présentes tant chez arthropodes que chez certains annélides.

A noter que ces formations, ancrées dans l'exosquelette, assument des fonctions très similaires aux poils des mammifères (protection du tégument ectodermique, tactisme, voire thermorégulation, etc).

Ces soies (toujours au pluriel) ne doivent pas être confondues avec la soie (matériau excrété par certaines espèces).

Phanères d'Amniotes

Les phanères d'Amniotes se développent à partir de placodes (épaississements locaux de l'épiderme formés de cellules en colonnes) qui réduisent leur prolifération et expriment des gènes particuliers. L'existence de la même placode anatomique chez les reptiles, les oiseaux ou les mammifères indique qu'il y a une homologie entre ces trois appendices cutanés[10].

Il s'agit en particulier de :

Formation et élimination chez les vertébrés terrestres

Chez les vertébrés terrestres, les cellules les plus externes de l'épiderme se kératinisent et forment la Stratum corneum (couche cornée). L'élimination de ces cellules mortes est continue ou périodique (desquamation, mues).

La couche cornée, encore très mince chez les amphibiens, se développe considérablement chez les reptiles (écailles, plaques parfois dispersées en cuirasse).

Chez les vertébrés terrestres, elle engendre des griffes, ongles, des pelotes et coussinets plantaires ou palmaires, des dermatoglyphes digitaux, sabots, des cornes, des étuis cornés coiffants les becs et, chez les endothermes, des plumes et des poils[11].

Ongles, cheveux et poils sont d'autres formes de phanères qui semblent jouer des rôles multiples.

Chaque type de phanère est biodégradée par des communautés de bactéries, champignons et invertébrés spécifiques, dont les acariens retrouvés dans les literies et diverses espèces de larves de mites.

Santé et pathologies des phanères

L'état des phanère reflète pour partie l'état général de santé d'un individu, mais il varie aussi selon l'âge de l'individu et ses conditions de vie.

Chez l'être humain les phanères s'épaississent avec l'âge, et

  • certains poils et les cheveux peuvent blanchir, notamment avec la ménopause chez la femme[12] ;
  • les cheveux peuvent être anormalement laineux[13] ou tomber (alopécie) ;
  • des cheveux clairsemés, courts, torsadés, épais et légèrement pigmentés peuvent résulter d'une maladie génétique troublant le métabolisme du cuivre (syndrome de Menkes[14]) ;
  • la pilosité est parfois anormalement intense[15] ;
  • la teigne est une infection des cheveux ou des poils due à une mycose se développant sur le cuir chevelu. cette maladie fait partie des dermatophytoses ;
  • une radiothérapie et/ou chimiothérapie peuvent provoquer la chute des cheveux ;
  • les ongles peuvent être déformés ou affectés par certains champignons (mycoses des ongles dites « Onychomycose », par exemple provoqué par Trichophyton rubrum qui peut dégrader la kératine grâce à une protéinase spéciale[16]). Pour lutter contre ces mycoses, des laboratoires cherchent à développer des antifongiques capables de pénétrer la kératine et qui ne soient pas trop toxiques[17]. Cette affection survient rarement avant la puberté[18], et touche plutôt les personnes âgées.

Santé environnementale

Les phanères accumulent de manière préférentielle certains toxiques (plomb, mercure notamment dans les cheveux par exemple[19]), ce qui pourrait être une stratégie d'élimination de certains toxiques, retenue par l'évolution via la sélection naturelle.

Pour ces contaminants, le phanère est biointégrateur ; il peut donc être utilisé pour mesurer une contamination passée (lutte anti-dopage, détection d'usage de drogue[20] ou bioindication de contamination environnementale[21]) qui ne peut plus être retrouvée par l'analyse de sang ou d'urine.

Les métaux trouvés dans et sur les phanères ont une double origine : une partie provient de l'environnement externe (particules métalliques ou vapeur de mercure adsorbée sur le poil ou la plume par exemple), et l'autre partie résulte d'une contamination interne.
Selon le type de phanère, d'animal et de métal, l'accumulation peut se faire plutôt à l'intérieur ou plutôt à l'extérieur du poil ou de la plume. La part externe peut être en grande partie lavée, mais non la part interne. Dans un environnement pollué par la métallurgie[22], les animaux qui se lèchent beaucoup (bovins y compris) peuvent se contaminer en se léchant le poil, ou quand un animal (chat, rapaces) absorbe des boules de poils ou de plumes.

Pour ces raisons, les phanères issues d'abattoirs devraient être traitées avec précaution en raison des risques sanitaires[23]

Les cellules qui produisent les phanères peuvent être victimes de tumeurs particulières[24],[25].

Les phanères de certains animaux (poils de chats, de cheval... ) peuvent être source d'allergie chez certains sujets.

Utilisations, valorisation commerciale

Depuis la préhistoire, les moutons et les chèvres, et d'autres mammifères à poils longs produisent des laines et poils utilisés pour le tissage.

Les abattoirs et les filières d'équarrissage peuvent valoriser les phanères (cornes, sabots et ongles principalement de bovins, ovins et caprins et de volaille) (environ 55 700 t/an en France selon les abattoirs[26]). Ces sous-produits animaux sont valorisés par exemple en engrais agricoles ou de jardin pour leurs teneurs en soufre, azote et phosphore. Ils peuvent aussi être transformés en farine, et comme la farine d'os ou de viande être utilisés dans la composition de farines animales vendues pour l'alimentation animale (« Les grosses cornes de qualité servent à confectionner des peignes et des manches de couteaux »[26]).

Notes et références

  1. Académie de médecine, phanère, Dictionnaire médical de l'académie de médecine, 2015
  2. Alain Lautrou, Anatomie dentaire, Elsevier Masson, 1997 - 264 pages, page 7
  3. Holtzinger, G., & Khaiat, A. (1991) « Les cheveux des nouveau-nés » Parfums, cosmétiques, arômes (101):79-82.
  4. (en) Dawber, R. P. R. (1986) « Physical properties of hair and nails » Bioengineering and the skin, 2(1):1-14.
  5. Keller, A. (1984) « Étude de la structure fine des jarres dorsaux de quelques Canidés sauvages et domestiques du genre Canis (Mammalia Canidae) » Revue Suisse de Zoologie, 91(4):973-92. (résumé)
  6. Condé, B. (1991) « Prokoenenia millotorum Remy, type du nouveau genre Triadokoenenia (Arachnida palpigradida) » Bull Mus natn Hist nat. Paris, 13:3-4.
  7. (en) Chuong CM, Widelitz RB, Ting-Berreth S. et Jiang TX. (1996) « Early events during avian skin appendage regeneration: dependence on epithelial-mesenchymal interaction and order of molecular reappearance » Journal of investigative dermatology, 107:639-46.
  8. (en) Widelitz RB, Jiang TX, Noveen A, Ting-Berreth SA, Yin E, Jung HS. et Chuong CM. (1997). « Molecular histology in skin appendage morphogenesis » Microscopy research and technique, 38(4):452-65.
  9. Beaumont A. et Cassier P., Biologie animale : Les Cordés, anatomie comparée des Vertébrés, t. 3, Paris, Dunod université, , 648 p. (ISBN 2-04-016946-6), p 122
  10. (en) Nicolas Di-Poï & Michel C. Milinkovitch, « The anatomical placode in reptile scale morphogenesis indicates shared ancestry among skin appendages in amniotes », Science Advances, vol. 2, no 6, (DOI 10.1126/sciadv.1600708)
  11. (en) Soligo, C., Müller, A.E., « Nails and claws in primate evolution », Journal of Human Evolution, vol. 36, no 1, , p. 97–114 (PMID 9924135, DOI 10.1006/jhev.1998.0263)
  12. (en) Jamin C. (1990) « Modifications de la peau et des phanères chez la femme après la ménopause » Journal de médecine esthétique et de chirurgie dermatologique, 17(67):171-7. (Lien Inist/CNRS)
  13. (en) Guidetti MS, Fanti PA, Piraccini BM, Barbareschi M. et Tosti A. (1995) « Diffuse partial woolly hair » Acta dermato-venereologica, 75(2):141-2. (résumé)
  14. (es) Cerda M, Navarro M, Querol I, Olivares C, Tosao A. et Carapeto F. (1988) « Síndrome de Menkes (Kinky Hair). Estudio de un caso y revisión de la literatura » Actas dermo-sifiliográficas, 79(5), 433-439.
  15. Schlienger J. (1991) « Hirsutisme: conduite à tenir » Concours médical, 113(13):1052-8.
  16. Skorepová, M., & Hauck, H. (1987). Extracellular proteinases of trichophyton rubrum and the clinical picture of binea. Mykosen, 30(1), 25-27.
  17. .Yang, D., Chaumont, J. P., Makki, S., & Millet-Clerc, J. (1997). Un nouveau modèle de simulation pour étudier la pénétration topique d'antifongiques en kératine dure in vitro. Journal de mycologie médicale, 7(4), 195-198.
  18. Leauté-Labrèze, C. (2006). Pathologie courante des phanères chez l'enfant. Médecine & enfance, 26(5).(résumé avec Inist/CNRS)
  19. Hasan M.Y., Kosanovic M., Fahim M.A., Adem A., Petroianu G. (2004), Trace metal profiles in hair samples from children in urban and rural region of the United Arab Emirates. Vet Hum Toxicol 2004, 46 , 119–121.
  20. Kintz, P., Villain, M., Cirimele, V., & Ludes, B. (2003). Cheveux et criminalité routière en matière de stupéfiantsh. Journal de médecine légale droit médical, 46(2), 155-159.
  21. Kintz, P., & Mangin, P. (1991). L'analyse des médicaments et des stupéfiants dans les cheveux. Intérêt et limites pour le diagnostic clinique et la toxicologie médico-légale. Journal de médecine de Strasbourg, 22(9), 518-522.
  22. Abrahams W.P., Thornton I. (1994) The contamination of agricultural land in the metalliferous province of southwest England: implications to livestock. Agric Ecosystem Environ 1994, 48 , 125–137.
  23. Gabriel-Robeze, S., & Brugere H. (2007). Maîtrise du risque sanitaire dans une unité de compostage de sous-produits animaux: Mise en application du règlement CE 1774/2002 modifié. Rencontres autour des recherches sur les ruminants, 53-56.
  24. Hashimoto, K., & Lever, W. F. (1968). Appendage tumors of the skin (No. 722). Thomas.
  25. Hashimoto, K., & Lever, W. F. (1969). Histogenesis of skin appendage tumors. Archives of Dermatology, 100(3), 356-369.
  26. Sénat, Projet de loi relatif à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs et modifiant le code rural ; Travaux parlementaires > Rapports > Rapports législatifs, consulté 2013-09-09

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Richardson, M. D., & Rashid, A. (1995). Host-parasite Interactions in dermatophytosis. Revista iberoamericana de micología, 12(3), 79-83 (résumé).
  • (fr) Scotte, F., Marsan, S., Levy, E., & Oudard, S. (2007). Toxicité chimio-induite des phanères. La Lettre du cancérologue, 16(8), 367-371.
  • (fr) Schlienger, J. (1991). Hirsutisme: conduite à tenir. Concours médical, 113(13), 1052-1058.
  • (fr) Le Marec, B., Roussey, M., Chevrant-Breton, J., Segalen, J., Bourdinière, J., & Senecal, J. (1983). La dysplasie ectodermique anidrotique (à propos de trois familles). Les cheveux anormaux, signe d'hétérozygotie ?. Journal de génétique humaine, 31(4), 279-293.
  • (fr) Marques da Costa, C., & de la Brassinne, M. (2003). Les dysplasies ectodermiques. RMLG. Revue médicale de Liège, 58(1), 37-40 (http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=14483583 résumé avec Inist/CNRS]).

Articles connexes

Liens externes

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