Petit Livre d'amour

Le Petit Livre d'amour (également Emblèmes et devises d'amour ou encore Énigmes et devises d'amour) est un livre d'emblèmes manuscrit composé à l'époque de la Renaissance par l'humaniste lyonnais Pierre Sala, adressé à sa bien-aimée Marguerite Builloud et enluminé vers 1500-1505 par le maître de la Chronique scandaleuse. Il est conservé à la British Library, depuis 1883.

Histoire

Le dernier folio sur du Petit Livre d'amour est un portrait de l'auteur, qui porte au verso une mention manuscrite en vieux français donnant le nom de Pierre Sala, qui fut maître d'hôtel à la cour royale :« Set de vray le portret de Pierre Sala mestre dotel de ches le roy avec des enimes quil avoit fet a sa mestresse qui estoit grand honcle a madame de Ressis laquelle est sortie de la mayson de Guillien en Quercy ». La maîtresse évoquée en maints endroits du livre est Marguerite Bullioud, bourgeoise lyonnaise que Pierre Sala épouse en secondes noces à une date indéterminée, entre 1506 et 1522[1] ou entre 1515 et 1519[2]. Le Petit Livre d'amour aurait été composé avant leur mariage, entre 1514 et 1519[3].

Présentation

Le manuscrit et son étui

Étui de rangement du Petit Livre d'amour - British Library

De petit format, 13 cm sur 9,5 cm, le manuscrit comporte 17 feuillets en vélin, de coloration pourpre, complété ultérieurement, peut-être au XVIIIe siècle par son possesseur britannique, par une transcription sur 17 autres feuillets en papier, de même format.

L'ouvrage a été conservé avec son petit étui de rangement muni d'un couvercle emboité, en bois couvert de cuir bouilli vert doré et gravé (dimensions 13,3 cm par 11,1 cm). L'ornementation dessine des fleurs à cinq pétales sur lesquelles se superposent les majuscules M et P, initiales de Marguerite et Pierre. Quatre petits anneaux métalliques sur chaque tranche de l'étui permettaient de le suspendre et de le porter à la ceinture[4].

Les pages sont colorées en pourpre, sauf sur les parties réservées aux enluminures, couleur imitant celle des manuscrits précieux destinés aux ecclésiastiques et aux monarques[5]. Les textes sont en écriture manuscrite soigneusement calligraphiée à l'encre dorée. Sala rédige en français, langue courante de son pays, et non en latin, langue internationale de culture, ce qui est un trait de modernisme pour son époque[6]. Son orthographe est phonétique, accolant les mots pour transcrire les élisions (« jentens » pour « j'entends ») et usant d'une graphie latinisante : écrivant u pour v (« deuant » pour « devant »), i pour j (« tousiours » pour « toujours »), les i étant quant à eux transcrit par y (« amytye » pour « amitié »). Ainsi, lu à voix haute, « nespoyr dauoyr secours » se déchiffre « n'espoir d'avoir secours » (folio 15r).

La dédicace

Le livre commence par une longue dédicace en prose sur huit pages (folio 1r à folio 4v) à Marguerite : « A vous ma tres chiere et tres honnoree dame madame [le nom est effacé] », adressé par l’auteur, « son tres humble et loyal serviteur ».

Les « emblèmes »

Une page de séparation affiche un grand M majuscule, dessiné avec deux compas dorés entrecroisés (folio 5 recto).

En tournant cette page, on découvre une série de poèmes et d’énigmes, présentés sur deux pages : à gauche, un quatrain est inscrit sur une sorte d’écriteau à bord en queue d’aronde, accroché par une cordelette devant une tenture carrée à franges dorées, se présentant comme un titulus en trompe-l'œil à l'imitation des inscriptions épigraphiques romaines, centre d'intérêt des humanistes dont Pierre Sala, qui en releva plusieurs sur Lyon[7] ; chaque tenture porte la majuscule M en un ou plusieurs exemplaires, parfois accompagnée de la majuscule P, avec une disposition renouvelée de page en page, claire allusion aux prénoms Marguerite et Pierre. Sur le folio à droite, une enluminure en pleine page, entourée d’une bande dorée bordée de festons. À livre ouvert, la présentation simultanée du texte et de l'image donne au lecteur à lire et à voir deux contenus qui se complètent. Cette conception nouvelle, dans l'air du temps, préfigure celle des livres d'emblèmes qui connaissent un grand succès au cours du XVIe siècle[8].

Les quatrains sont d'inspirations diverses, probablement tirés des lectures de Pierre Sala, parfois identifiées. Ainsi, quatre d'entre eux sont des reprises de Dictz moraulx pour mettre en tapisserie du poète Henri Baude, considérablement abrégées pour tenir dans le format imposé. Ce procédé de reformulation n'est ni un plagiat ni une citation, et est d'usage courant à cette époque[9].

Les emblèmes : couples quatrain - miniature
Quatrain Transcription Miniature Commentaire
Folio 5v :
Mon cueur veult estre en ceste marguerite
Il y sera quoy quannuyeux dyront
Et mes pensees tousiours la seruiront
Pource quellest de toutes fleurs lelyte
Folio 6r :
L'auteur dépose son cœur sur une marguerite ouverte « par ce qu'elle est l'élite de toutes les fleurs »
Folio 6v :
Sune foys jen puis tenir une
e ne meschappera de lan
e me deust lon donner myllan
Londres parys et Pampelune
Folio 7r :
Symbole de la quête de l'amoureux, le jeu de colin-maillard
Folio 7v :
Segua piano filliolo myo
quene scampe fillio de dio
Fradel non ti desesperare
my non ti posso assegurare
Folio 8r :
« Segua piano » = va doucement, en dialecte milanais ou bergamasque : portée trop vite, la chandelle, symbole de lumière du fils de Dieu, s'éteindra
Folio 8v :
Ensemble nous no marion
Venes y tous a lappareil
nest ce pas cy ung beau pareil
Robin a trouue marion
Folio 9r :
Figuration du jeu de Robin et Marion, invitation au mariage. Marion joue de la cornemuse, instrument de fête pastorale, suivie par Robin
Folio 9v :
Le temps est tel notez ce mot
pour bien jouer son personnage
Le saige contrefait le sot
et le fou contrefait le saige
Folio 9r* :
Jeu de mot sur « contrefait » :
le sage contrefait (=fait le portrait) un fou,
celui-ci contrefait (=imite) le sage
Folio 9v* :
Qui de mantir est conuoyteux
Pryse ne sera longuement
car lon dit tout comunement
Mal fait clocher deuant boiteux
Folio 10r :
Illustration d'un proverbe, et morale : celui qui convoite de mentir, ne sera pas longtemps prisé (=apprécié)
Folio 10v :
Je suye fauveau desirant a toute heure
estre estrille et deuant et derriere
de mestriller qui ne set la maniere
a court prêt temps et trop en vein labeure
Folio 11r :
Critique de la vanité : un cheval, nommé « fauveau » (= qui recherche les faveurs) désir se faire étriller à toute heure
Folio 11v :
Je tiens celuy pour affoulle
qui a faveur a soy contrere
car souvent en voulant complere
pour pourter luny laltre est folle
Folio 12r :
Morale illustrée au sens propre : celui qui veut complaire en portant (sous entendu, aux nues) l'un, piétine (=foule aux pieds) l'autre
Folio 12v :
Chiere amyable et cortoyse maniere
au coing du boys ont tendu leur pantiere
en atendant leure plus atreable
que par la passe ♥ vollant peu estable
Folio 13r :
Deux dames capturent des cœurs ailés dans un filet. Quatrain inspiré d'une strophe de Livre du cœur d'Amour épris de René d'Anjou
Folio 13v :
Au choysyr ne ferey long plet
Je ne prans guarde au plus riche
Car je ne suys auer ne chiche
Je prandrey ce qui mieux me plet
Folio 14r :
Célébration de la modération face à la richesse : entre un plat de pièces d'or et un plat de cerises, l'enfant se tourne vers les cerises
Folio 14v :
Je nay appuy quen ceste branche
nespoyr dauoyr ailleurs secours
mes par foullie je la tranche
dont gyrey auan leau le ours
Folio 15r :
Symbole de l'amoureux déçu, inspiré d'un des Dictz moraulx d'Henri Baude : par folie (= foullie), il coupe la branche sur laquelle il repose, c'est à-dire il détruit l'amour qui le hante
Folio 15v :
J’entene a fere mon tret droyt
Car autrement l’on y perdroyt
Je gagne plus en mon endroyt
A fourger faux qu’a fere droyt
Folio 16r :
Jeu de mot entre « droit » et « faux », entre le fabricant de flèche (au « trait droit »), et le forgeron, qui préfère forger faux (outil) plutôt que droit

Le dernier emblème rompt avec la présentation des précédents : le texte n'est plus dans un titulus, mais est rédigé en miroir, face à un portrait de Pierre Sala, peint par son ami Jean Perréal. Sala à la rédaction du Petit Livre d'amour est probablement un quinquagénaire, il est vraisemblablement rajeuni sur ce portrait.

Postérité

Petit Livre d'amour, présenté à l'exposition Renaissance de Lyon (2015-2016)

Un extrait d'un catalogue de vente, fixé sur la couverture au dos, indique que le Petit Livre d’amour appartint un temps au maréchal Junot (décédé en 1813).

Le manuscrit fut ensuite en possession de Richard Temple-Nugent-Brydges-Chandos-Grenville (1776-1839), 1er duc de Buckingham et Chandos, qui constitua une bibliothèque de livres anciens à Stowe House, près de Buckingham. Sa collection est vendue en 1849 à Lord Ashburnham (1797-1878), puis cédée en 1883 au British Museum. Le département du British Museum qui conserve les manuscrits devient en 1973 la British Library. Le Petit Livre d’amour avec son étui y portent la cote ms Stowe 955.

Le manuscrit et son étui furent prêtés au musée des beaux-arts de Lyon dans le cadre de l'exposition Lyon Renaissance. Arts et humanisme, tenue du au [10].

Notes et références

  1. Grünberg Dröge 1993, p. 7
  2. Dictionnaire historique de Lyon, 2009, article Sala, Pierre
  3. Burin 1988, p. 3
  4. Grünberg Dröge 1993, p. 27-30
  5. Grünberg Dröge 1993, p. 27 ; Burin 1988, p. 1
  6. Grünberg Dröge 1993, p. 26
  7. Burin 1988, p. 3
  8. Grünberg Dröge 1993, p. 29-30
  9. Burin 1988, p. 6
  10. Catalogue Arts et humanisme; Lyon Renaissance 2015, cat. 68 et 68

Bibliographie

  • (en) Elizabeth Burin, Pierre Sala's pre-emblematic manuscripts, coll. « Emblematica 3 », , 30 p.
  • Philippe Fabia, Pierre Sala, sa vie et son œuvre, avec la légende et l'histoire de l'Antiquaille, Lyon, Audin, , 334 p.
  • Monika Grünberg Dröge, « Pierre Sala : antiquaire, humaniste et homme de lettres lyonnais du XVIe siècle », Travaux de l'institut d'histoire de l'art de Lyon, no 16, , p. 3-33
  • Ludmila Virassamynaïken (dir.), Arts et humanisme; Lyon Renaissance, Lyon, Musée des Beaux-Arts de Lyon, Somogy éditions d'art, , 360 p. (ISBN 978-2-7572-0991-2)

Liens externes

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