Origine des Étrusques

Comme dans le cas de beaucoup d'autres peuples, les avis des historiens, antiques et modernes, diffèrent à propos de l'origine des Étrusques, exogène (Lydienne) ou autochtone (Villanovienne), sans que l'une soit nécessairement exclusive de l'autre. Selon Jean-Paul Thuillier, dès l'Antiquité, les différentes traditions se réfèrent très majoritairement à une origine orientale anatolienne[1], mais « le caractère mythique, fantaisiste ou idéologique de ces théories antiques a conduit aujourd'hui les chercheurs à laisser quelque peu de côté la question des origines », le débat restant donc ouvert et « loin d'être clos »[2].

Femme étrusque, statue en terre cuite, IIe siècle av. J.-C., retrouvée à Chiusi, conservée à Karlsruhe

Hypothèse traditionnelles et récentes

Hypothèse septentrionale

Selon une tradition, soutenue par Tite-Live, les Étrusques seraient venus du nord[3],[4]. Néanmoins cette thèse est rarement prise en compte par les historiens modernes[5].

Hypothèse autochtone

Selon une autre tradition, soutenue par Denys d'Halicarnasse, ils seraient autochtones. Denys d'Halicarnasse mentionne au passage Hellanicos de Lesbos, pour qui les Étrusques auraient été des Pélasges[6].

Selon certains historiens actuels ayant repris cette thèse de l'origine autochtone, les Étrusques seraient issus des Villanoviens (culture italique de l'âge du fer s'étendant de l'Italie du Nord à la Campanie) qui, fascinés par leurs contacts avec les Phéniciens au VIIe siècle av. J.-C. puis par les Grecs, en pleine période orientalisante, auraient développé une culture originale et très séduite par l'esthétique orientale. D'après eux, donc, la civilisation étrusque serait née des contacts des peuples autochtones avec les civilisations maritimes de la Méditerranée orientale, comme les civilisations contemporaines des Romains et des peuples de l'Africa. Ceci expliquerait la naissance soudaine de la civilisation étrusque entre les VIIIe et VIIe siècles av. J.-C. (la période dite « orientalisante » de la culture latiale), et les nombreuses affinités qu'on note dans les usages et coutumes, la langue, l'art et la religion des Étrusques avec le monde égéo-anatolien[7],[8].

Hypothèse de la formation ethnique

Massimo Pallottino, fondateur de l'étruscologie moderne et reconnu comme l'un des plus grands étruscologues, a formulé un point de vue différent sur ces différentes origines, en établissant une distinction entre la « provenance » et la « formation ethnique ». Ainsi, il considérait que l'émergence de la civilisation étrusque ne pouvait pas résulter d'une seule migration, mais était le fruit d'un long processus de formation à partir d'apports multiples (à la fois autochtones villanoviens et exogènes, orientaux ou autres) : il soulignait que c'est le cas de la plupart des grandes civilisations : les Hittites, les Celtes, les Grecs, les Romains[9] et que le défaut des théories sur les origines des Étrusques provient « du fait qu'on s'était attelé à un problème concernant la provenance alors qu'il ne s'agissait que d'un problème de formation ethnique ». Pour Massimo Pallottino les Étrusques ont eu diverses origines et composantes qui dans le temps ont fini par constituer leur identité ethnique.

« Nous devons considérer le terme d'« Étrusque » comme un concept se rapportant à la nation qui s'est développée en Étrurie entre les VIIIe et Ve siècles av. J.-C. Nous pouvons discuter de la provenance de chacun de ses éléments mais le concept le plus approprié serait celui de sa formation. Le processus de formation de la nation ne peut avoir eu lieu sur le seul territoire des Étrusques, et nous sommes en mesure d'assister à la phase finale de ce processus. »

 Massimo Pallottino, Les Étrusques, p. 68-69, 1942.

Hypothèse orientale

Selon Hérodote, ils auraient émigré de Lydie, en Asie Mineure, à cause d'une longue famine qui aurait poussé leur roi Atys à envoyer la moitié de son peuple à Smyrne, d'où ils se seraient embarqués pour l'Ombrie sous l'autorité de son fils Tyrrhénos[1],[10].

Virgile, affirme dans l'Énéide qu'Énée et ses compatriotes Troyens (d'Asie Mineure) auraient fondé Rome, mais qu'ils auraient été eux-mêmes descendants d'un certain Dardanos originaire de Cortone en Étrurie[1], bien que dans le Catalogue des Troyens Énée soit associé à Dardanus, ville d'Asie Mineure.

Les Grecs mentionnent un peuple des Tyrrhéniens ou Tyrséniens, établis anciennement en mer Égée, et principalement à Lemnos. On a en effet trouvé dans cette île une inscription et quelques graffitis dans une langue, appelée lemnien, qui paraît très proche de l'étrusque.

Certains historiens considèrent cette origine anatolienne comme un fait acquis. Bernard Sergent fait ainsi l'hypothèse que les Étrusques quittèrent la Troade à la fin du XIIIe siècle av. J.-C., la Troade ou Taruiša pour les Hittites était une région qui s'étendait vers l'est et vers le nord (Basse-Thrace) où elle prend parfois le nom de Teucrie. Il identifie les Étrusques parmi les peuples de la mer, dont certains étaient appelés Turša (Teresh) et Tjeker ou Tjekru par les Égyptiens. Il les situe plus tard en Crète (d'où le style crétois d'objets découverts dans le nord du Latium et le sud de l'Étrurie) et enfin en Italie centrale[11]. Les analyses récentes (depuis 1950) infirment cette démonstration par les échanges commerciaux ayant propagé ces objets[12].

Pour Robert Stephen Paul Beekes, professeur émérite de l'Université de Leyde, qui reprend entièrement en 2003 les principaux éléments concernant l'origine des Étrusques, une origine « orientale » ne fait pas de doute, le territoire d'origine de ces populations se situant, selon lui, un peu plus au nord que la Lydie souvent proposée par les étruscologues[13],[14].

La génétique des populations bordant la mer de Marmara (autrefois Propontide) est densément composée d'un haplogroupe (J ADN-Y) originaire du Proche-Orient[15], également abondant en Étrurie et dans le Picenum voisin. Les Phéniciens parcourant très tôt la Méditerranée et même au-delà pour y fonder des établissements favorisant le commerce, on a découvert près de Chalcédoine (aujourd'hui Kadıköy) les restes de l'une de leurs colonies ou cités-États (voir aussi dodécapole étrusque). Chalcédoine tire d'ailleurs son nom grec du phénicien, signifiant « nouvelle ville » dans cette dernière langue. Le Bosphore et l'Hellespont étant situés dans un lieu névralgique de communication maritime entre la mer Noire (Pont-Euxin) et la mer Égée, cette région convoitée deviendra par la suite un territoire phrygien, puis les Grecs dont les Doriens y établiront une colonie. Quant à la mythologie grecque, elle nous révèle que Cadmos, originaire de Phénicie (le Liban moderne) aurait été envoyé à la recherche d'Europe (sa sœur) par son père Agénor, roi de Tyr et décida de s'établir en Thrace avec sa mère Théléphassa, qui à sa mort y fut enterrée. De là ultérieurement, l'exode d'Énée et des siens vers l'Italie où il est accueilli par Latinus, roi des Aborigènes du Latium, selon Virgile. D'autre part, la numération de l'étrusque a incidemment beaucoup d'affinités avec le phénicien.[réf. nécessaire]

Les recherches en biologie

Analyses anatomiques

Visage féminin étrusque

De leur côté les anthropologues sont limités dans leur recherches par la pratique diffuse de l'incinération des défunts. Les relevés anthropologiques qui ont cependant été faits sur les squelettes provenant des tombes d'Étrurie nous fournissent des données dont il est difficile de tirer des conclusions, les études ayant seulement porté sur les indices crâniens, ce qui est très peu probant pour différencier les populations méditerranéennes. Sur 44 crânes, 34 étaient dolichocéphales et mésocéphales tandis que 14 étaient brachycéphales ; les crânes longs et moyens seraient typiques des envahisseurs venus de l'Orient tandis que les autres correspondraient à celui des indigènes, mais la population anatolienne actuelle est au contraire plutôt brachycéphale (mais avec une forte variabilité individuelle). L'aspect et les proportions de ces crânes étrusque correspondent en fait à la moyenne de ce qu'on sait de la population de toute l'Europe méridionale au Néolithique et actuellement, ainsi que de l'Italie actuelle.[réf. nécessaire]

Analyses de l'ADN

L’analyse de l'ADN mitochondrial de 80 individus ayant vécu en Étrurie entre le VIIe et le IIe siècle av. J.-C. réalisée par l’équipe de chercheurs du département de biologie de l’université de Ferrare sous la direction du professeur Guido Barbujani a été publiée dans la revue American Journal of Human Genetics[16].

Les résultats de cette analyse révèlent que ces individus formaient un groupe génétiquement homogène, soit qu'ils aient été les descendants d'un même groupe, soit qu'ils aient partagé des caractéristiques génétiques avec les groupes auxquels ils se seraient mélangés.

Par ailleurs, les actuels Toscans, bien qu'étant la population la plus proche génétiquement des Étrusques, présentent d'importantes différences génétiques avec ceux-ci.

Un des aspects qui avait surpris les chercheurs est la rapidité avec laquelle s'est produite cette modification des caractères génétiques, deux millénaires représentant une durée relativement courte du point de vue de la génétique.

L’ADN mitochondrial de cet échantillonnage présente en partie des similitudes avec celui des populations anatoliennes (Asie Mineure). Les éléments analysés provenant de tombes riches, appartenant à l’aristocratie, il se peut qu’il provienne d’une élite dominante et non assimilée avec le reste de la population d’alors, population villanovienne dont les Toscans actuels seraient les descendants (études limitées aux descendants de vieilles familles de Volterra, Casentino et Murlo[17] par Alberto Piazza de l'université de Turin).

Selon les études génétiques les plus récentes, l'Ève mitochondriale toscane a 17 000 ans[18].

Les interprétations à partir des analyses de l'ADN ont donc accrédité un certain temps l'hypothèse d'Hérodote. Néanmoins, encore aucun prélèvement d'ADN autosomal n'a été étudié, l'ADN autosomal étant le seul à pouvoir réellement déterminer les origines ethniques et géographiques d'une population. L'ADN qui a été étudié pour le moment est seulement l'ADN mitochondrial (haplogroupes mitochondriaux), qui ne représente qu'une part infime de l'ADN d'une cellule, et dont on sait aujourd'hui que sa variabilité géographique résulte essentiellement d'effets fondateurs (dérive génétique) et ne peut pas permettre de déterminer les origines principales réelles d'une population, ces méthodes sont aujourd'hui largement dépassées dans ce cadre. On sait aujourd'hui (depuis les études de 2015 sur les migrations néolithiques) que, sur l'ADN autosomal et mitochondrial, les populations actuelles de Toscane ont au moins un fond d'origine commun et partiel (comme toutes les populations européennes) avec les anciennes populations anatoliennes qui remontent au Néolithique, et non après. Les interprétations de ces résultats génétiques sur les Étrusques ne peuvent donc plus être considérées comme crédibles de nos jours à la lumière des nouvelles connaissances générales sur les origines des populations européennes dans leur ensemble. Il faudra donc attendre des prélèvements d'ADN autosomal pour déterminer et mesurer enfin précisément les origines des Étrusques à partir de la génétique.[réf. nécessaire]

Articles connexes

Notes et références

  1. Thuillier 2006, p. 31.
  2. Thuillier 2006, p. 33.
  3. Revue suisse, p. 493,1846, Témoignage de Tite Live sur les Rhètes (V,33)
  4. Yves Liébert,Regards sur la truphè étrusque
  5. Heurgon, Thuillier, Briquel
  6. Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 28
  7. Massimo Pallottino, Les Étrusques, 1942 (publié en Anglais en 1955)
  8. (en) Larissa Bonfante, The Etruscan Language p. 3
  9. Pallottino 1984, chap. 2.
  10. ...Hérodote livre I des histoires Clio:XCIV
  11. Sergent 1995, p. 149.
  12. Briquel, Thuillier, Heurgon
  13. Jacques Poucet, R.S.P. BEEKES, The Origin of the Etruscans (compte-rendu), L'Antiquité Classique, Année 2004, 73, p. 534
  14. (en) Robert Stephen Paul Beekes, The origin of the Etruscans, Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, 2003, 59 pages
  15. (en) « genetics/anatolian-turks », sur khazaria.com (consulté le ).
  16. The Etruscans: A Population-Genetic Study (en)
  17. Page de Futura-sciences
  18. (fr) Bryan Sykes, Les Sept Filles d'Ève : Génétique et histoire de nos origines, trad. Pierre-Emmanuel Dauzat, Albin Michel, 2001, 363 p. (ISBN 2-226-12617-1) ; rééd. Librairie générale française, coll. « Le Livre de poche » (no 15588), 2003, 344 p. (ISBN 2-253-15588-8)

Bibliographie

  • (it) Massimo Pallottino, Etruscologia, Milan, Hoepli, , 564 p. (ISBN 88-203-1428-2)
  • Dominique Briquel, Les Pélasges en Italie, recherches sur l’histoire de la légende, Bibliothèque des Écoles Françaises d’Athènes et de Rome, nº 252, Rome, 1984.
  • Dominique Briquel, L’origine lydienne des Étrusques, histoire du thème dans la littérature antique, serie dell'École Française de Rome, nº 139, Rome 1991.
  • Dominique Briquel, Les Tyrrhènes, peuple des tours, l’autochtonie des Étrusques chez Denys d’Halicarnasse, serie dell'École Française de Rome, nº 178, Rome 1993.
  • (en) Robert Stephen Paul Beekes, The origin of the Etruscans, Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, 2003, 59 pages lire en ligne
  • Dominique Briquel, Pélasges et Tyrrhènes en zone égéenne, in "Der Orient und Etrurien", Firenze, 2000, 19-36.
  • (it) Dominique Briquel, Le origini degli Etruschi: una questione dibattuta sin dall’antichità, in M. Torelli (ed.), "Gli Etruschi", Milano, 2000, p. 43-51.
  • Jean-Paul Thuillier, Les Étrusques, Paris, Éditions du Chêne, coll. « Grandes civilisations », , 240 p. (ISBN 2-84277-658-5, présentation en ligne)
  • (en) Phil Perkins, DNA and Etruscan Identity, in "Perkins, Philip and Swaddling, Judith eds. Etruscan by Definition: Papers in Honour of Sybille Haynes. The British Museum Research Publications (173) (pp. 95-111), The British Museum Press, London, UK 2009.
  • (en) Phil Perkins, The Etruscans, their DNA and the Orient, in "Duistermaat, Kim and Regulski, Ilona eds. Intercultural Contacts in the Ancient Mediterraean: Proceedings of the International Conference at the Netherlands-Flemish Institute in Cairo, 25th to 29th October 2008. Orientalia Lovaniensia Analecta (202) (pp. 171-180), Peeters, Leuven 2011.
  • (en) Phil Perkins, DNA and Etruscan identity in Naso, Alessandro ed. Etruscology (pp. 109-118) De Gruyter, Berlin 2017.

Liens externes

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