Organisation collective

L'organisation collective est une méthodologie qui consiste à créer des coalitions de citoyens souhaitant bâtir un pouvoir collectif, afin de lutter ensemble pour la justice sociale et le bien commun.

Assemblée citoyenne organisée par l'association Citizens UK (Angleterre)

Définition

L'organisation collective est une méthodologie qui consiste à créer des coalitions de citoyens souhaitant bâtir un pouvoir collectif, afin de lutter ensemble pour la justice sociale et le bien commun.

Sa mise en œuvre naît de deux constats :

  • dans les sociétés démocratiques, les élus, les administrations et les grandes entreprises jouissent d'un grand pouvoir et ne rendent que rarement des comptes aux citoyens ;
  • les moyens traditionnels de l'action citoyenne (tels que le vote ou la mobilisation) sont d'essence ponctuelle et limitent donc l'exercice de la souveraineté populaire.

Dans ce contexte, l'organisation collective a pour objet de structurer des groupes de citoyens qui puissent développer, ensemble, un pouvoir d'agir durable et responsable. En consolidant le lien social et en formant les individus à l'action publique, cette démarche favorise la consolidation de la démocratie en permettant aux citoyens de peser dans les décisions publiques qui les concernent.

Pratique d'origine syndicale, l'organisation collective s'est fait connaître mondialement sous sa forme anglo-saxonne, le community organizing. Lors de sa redécouverte en France, cette expression a alors suscité des difficultés de traduction[1], car elle fait référence à une réalité typique des États-Unis, la community, qui implique une segmentation particulière de l'espace social que l'on ne retrouve pas en France. De plus, les pratiques anglo-saxonnes de l'organisation collective sont souvent focalisées sur les seuls mécanismes de pouvoir, en ignorant les traditions de l'éducation populaire qui peuvent également contribuer au développement du pouvoir d'agir des citoyens. C'est pourquoi l'usage français du terme collectif correspond davantage à la réalité de cette démarche, qui consiste à bâtir un terrain commun à partir duquel émergent des solidarités citoyennes.

Principes

Ne jamais faire pour autrui ce qu'il peut faire par lui-même

Le premier principe de l'organisation collective est celui de l'auto-émancipation, c'est-à-dire de la libération par soi-même, sans aide extérieure. En effet, lorsqu'un individu est vulnérable, il bénéficie de la charité d'autrui. Si, sur le court terme, cette charité est nécessaire, l'idéal sur le long terme serait qu'elle s'efface au profit d'une solution permanente, en dehors de tous mécanismes de dépendance (la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit).

L'organisation collective a donc pour objet de donner aux individus les moyens pour qu'ils puissent, par eux-mêmes et sur le long terme, avoir la capacité de résoudre collectivement leurs problèmes.

Cela ne signifie pas que l'organisation collective prône le désengagement des institutions publiques ou la réduction du rôle de l’État. Au contraire, cette méthode donne aux citoyens les outils nécessaires pour qu'ils puissent, par eux-mêmes, demander des comptes à leurs élus et leurs administrations afin que ces derniers respectent leurs revendications.

De même, cela ne signifie pas que tout recours à la charité soit à bannir, car le corollaire de ce premier principe est également à respecter : toujours faire pour autrui ce qu'il ne peut faire par lui-même.

Ce principe d'auto-émancipation est considéré comme la règle d'or (ou iron rule) de l'organisation collective[2].

Manifestation organisée pour le droit de locataires à l'aide de l'association ACORN

La justice sans pouvoir est impuissante

Les citoyens qui luttent pour la justice sociale peuvent parfois exprimer une certaine frustration quant aux résultats de leurs actions. En effet, certaines formes traditionnelles de l'interpellation (signer des pétitions, écrire aux élus, manifester...) sont souvent considérées avec dédain par ceux auxquelles elles s'adressent. La raison en est que la justice, en tant que simple valeur, n'a pas le pouvoir de s'imposer par elle-même. C'est pourquoi s'engager publiquement pour la justice, sans avoir le pouvoir nécessaire pour mettre ses paroles en acte, se révèle inutile.

Dans ce contexte, l'organisation collective vise à bâtir le pouvoir nécessaire aux citoyens pour que ces derniers puissent être reconnus, écoutés, respectés, et associés aux décisions qui les concernent.

On retrouve ce principe exprimé par le philosophe Blaise Pascal dans ses Pensées.

L'humain d'abord, le programme ensuite

Il n'est pas rare que la division règne dans un mouvement social, car les uns et les autres veulent que ce soient leurs propres priorités qui soient adoptées par l'ensemble du groupe. Certains personnes voient en effet leur idéologie et leur programme comme les seules positions que l'on puisse rationnellement adopter, méprisant ainsi les opinions et questionnements de leurs concitoyens.

C'est pourquoi, à contre-courant de ce comportement, l'organisation collective prône la création de lien social en amont de l'écriture d'un programme par les citoyens. Par exemple, au sein d'un quartier, une telle démarche implique que les habitants investissent d'abord du temps et des efforts dans la création de liens de confiance et de respect, pour ensuite mener un processus d'écoute dans lequel ils feront émerger leur programme commun. Cette méthode, bien que plus exigeante et plus longue, conduira à l'émergence d'un pouvoir collectif et stable qui représentera démocratiquement les citoyens en défendant leur propre programme.

S'organiser, c'est se structurer

Formation à l'organisation collective (Hong Kong)

L'action sociale contemporaine favorise souvent les grandes mobilisations spontanées (Occupy Wall Street, Nuit Debout, Mouvement des Indignés...). Toutefois, le caractère spectaculaire de ces évènement cache parfois un réel manque de pouvoir et une absence de résultats concrets. En effet, une mobilisation est un rassemblement ponctuel d'individus qui se réunissent pour soutenir un même message, mais sans nécessairement s'engager à le faire dans la durée ou de façon coordonnée. Dès lors, toute mobilisation qui cherche à perdurer court le risque de se disperser ou de mener à l'épuisement de ses animateurs.

Face à cette difficulté, l'organisation collective vise à tout d'abord structurer un groupe conséquent, composé d'individus divers et formellement engagés dans une démarche commune. Une fois que ce groupe est formé, il est alors capable de mener une mobilisation d'envergure qui ne risquera pas de s'essouffler.

Histoire

Fernand Pelloutier

Des origines syndicales

L'organisation collective trouve ses racines dans les pratiques syndicales du XIXe siècle, qui visaient à bâtir un pouvoir ouvrier à la fois conséquent, stable et durable. En effet, si la mobilisation pouvait apporter de nouveaux droits, seule l'organisation était capable de s'assurer le respect et la protection de ces derniers.

Ainsi, on retrouve en France des formes d'organisation collective dans les premiers pas du syndicalisme de transformation sociale, ou encore dans le développement du mouvement des Bourses du travail, sous l'impulsion de Fernand Pelloutier.

L'apport de l'éducation populaire

Pour s'inscrire dans la durée, un mouvement social doit prendre en charge la production et la diffusion de connaissances nécessaires à l'émancipation des citoyens et la transformation des institutions traditionnelles. Pour cette raison, de nombreux courants de l'organisation collective, notamment en Amérique Latine, se sont inspirées dès le début du XXe siècle des théories de l'éducation populaire.

Le moment Alinsky

Saul Alinsky

À la fin des années 1930, un chercheur de Chicago nommé Saul Alinsky a l'idée de combiner les méthodes de l'organisation syndicale aux découvertes de la sociologie de la délinquance : on peut d'après lui organiser la société civile pour que les jeunes puissent y jouer une place active et participer à la transformation de leur quartier. Après une première expérimentation dans le quartier de Back of the Yards qui avait été touché de plein fouet par la Grande Dépression[3], le succès d'Alinsky est tel qu'il fonde l'Industrial Areas Foundation (IAF) et consacre sa vie à former les citoyens américains à l'organisation collective.

Il rédige deux ouvrages qui marqueront son époque : Reveille for Radicals et Rules for Radicals (traduit en français en 2014 sous le titre Être radical[4]).

Un foisonnement grandissant

Dans le sillage d'Alinsky, l'organisation collective prend de l'ampleur et se répand dans le monde entier, inspirant des leaders tels que Gandhi, Martin Luther King, Cesar Chavez ou même Barack Obama pour sa campagne présidentielle.

De nombreux mouvements se réclament aujourd'hui des méthodes de l'organisation collective, chacun avec une dimension particulière qui lui est propre, mais tous respectant les quatre règles fondamentales de cette démarches (décrites plus haut).

Voir aussi

Bibliographie

  • Saul Alinsky, Être radical. Manuel pragmatique pour radicaux réalistes, trad. O. Hellier et J. Gouriou, . Bruxelles, Aden, 2012,. 278 p. (ISBN 2805900642)
  • Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener, L'empowerment, une pratique émancipatrice, Paris, La Découverte, coll. « Sciences Humaines / Politique et sociétés », 2013 (ISBN 978-2-7071-6733-0)
  • Hélène Balazard, Agir en démocratie, Ivry-sur-Seine, Éditions de l'Atelier, 2015, 160 p., (ISBN 9782708243156)
  • Julien Talpin, Community organizing. De l'émeute à l'alliance des classes populaires aux États-Unis, Paris, Raisons d'agir, coll. « Cours et travaux », 2016, 320 p., (ISBN 9782912107862).

Articles connexes

Notes et références

  1. Hélène Balazard, Julien Talpin, « Ma cité s’organise. Community organizing et mobilisations dans les quartiers populaires », Mouvements, (lire en ligne, consulté le )
  2. (en) « Talk:Saul Alinsky - Wikiquote », sur en.wikiquote.org (consulté le )
  3. « Back of the Yards », sur www.encyclopedia.chicagohistory.org (consulté le )
  4. « Aden Editions +++ Etre radical », sur www.aden.be (consulté le )
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