Éducation populaire

L'éducation populaire (en Belgique, éducation permanente) est un courant de pensée qui cherche principalement à promouvoir, en dehors des structures traditionnelles d'enseignement et des systèmes éducatifs institutionnels, une éducation visant l'amélioration du système social. Depuis le XVIIIe siècle occidental, ce courant d'idées traverse de nombreux et divers mouvements qui militent plus largement pour le développement individuel des personnes et le développement social communautaire (dans un quartier, une ville ou un groupe d'appartenance, religion, origine géographique, lieu d'habitation, etc.) afin de permettre à chacun de s'épanouir et de trouver une place dans la société.

Pour l’article homonyme, voir Éducation permanente (revue).

Il s’agit, plus largement, de faciliter l’accès aux savoirs, à la culture, afin de développer la conscientisation, l’émancipation et l’exercice de la citoyenneté, "en recourant aux pédagogies actives pour rendre chacun acteur de ses apprentissages, qu’il partage avec d’autres"[1].

L'action des mouvements d'éducation populaire se positionne en complément de l'enseignement formel. C'est une éducation qui dit reconnaître à chacun la volonté et la capacité de progresser et de se développer, à tous les âges de la vie. Elle ne se limite pas à la diffusion de la culture académique, elle reconnaît aussi la culture dite populaire (culture ouvrière, des paysans, de la banlieue, etc.). Elle s'intéresse à l'art, aux sciences, aux techniques, aux sports, aux activités ludiques, à la philosophie, à la politique. Cette éducation est perçue comme l'occasion de développer les capacités de chacun à vivre ensemble, à confronter ses idées, à partager une vie de groupe, à s'exprimer en public, à écouter, etc.

L'animation sociale et culturelle est un domaine d'investissement important d'éducation populaire.

Au XXe siècle, avec l'institutionnalisation de certains mouvements et fédérations se réclamant de l'éducation populaire[réf. nécessaire], l'éducation populaire est également devenue un secteur marchand, où les acteurs historiques (des associations, mais aussi les sociétés idoines qu'elles ont créées) font désormais face à de nouvelles sociétés spécialisées.

« La définition introuvable »[2]


L'éducation populaire est un processus visant à faire évoluer les individus et la société en dehors des cadres d'apprentissage traditionnels. Elle permet aux individus de se forger leur propre opinion sur la société et d'agir de manière individuelle et collective sur le monde qui les entoure.

Visions des acteurs de l'éducation populaire

Rechercher une définition unique de l'éducation populaire est probablement une chose vaine[3]. Nombre d'auteurs, de militants, d'acteurs de l'éducation populaire se sont attelés à cette tâche délicate. Ce sont ces tentatives qui sont présentées ci-après, bien que Jean Guéhenno, le , inspecteur général, chargé de mission aux mouvements de jeunesse et à la culture populaire écrivait dans sa circulaire les fins poursuivies par la nouvelle direction de la culture populaire, « mettre fin à l'avilissement, à l’exploitation d’une jeunesse par la mécanique de l’enthousiasme si chère à Vichy » :

  • Pour Benigno Cacérès[4], deux grandes perspectives prévalent à l'émergence de l'éducation populaire :
    • Une conception citoyenne visant à donner à chacun l'instruction et la formation nécessaires pour devenir un acteur capable de participer à la vie du pays ;
    • Une conception humaniste qui a conduit certains intellectuels à vouloir partager leur savoir avec d'autres. Historiquement, il semble que cette perspective se double de la nécessité de former du personnel qualifié répondant aux besoins de l'industrie moderne.
  • Pour José Baldizzone[5], il existe 3 grands axes qui permettent d'apporter des éléments de définition. Ceux-ci lui permettent de proposer une définition qualifiée d'empirique de l'éducation populaire comme « action éducative des milieux populaires en vue d'amender le système social... » :
    • L'éducation populaire comme reconnaissance du fonctionnement défectueux du système social. Dans cette perspective, l'action culturelle tente de remédier à quelque chose qui fonctionne mal, sans que soit posée une volonté de changer le système.
    • L'éducation populaire comme action d'éducation, inscrite dans le temps libre, et visant l'intégration de nouveaux aspects à son champ culturel et politique.
    • L'éducation populaire en tant que traitant d'un public spécifique : les milieux populaires.
  • Pour Jean Laurain[6], le moyen structurel propre à l'éducation populaire est « la vie associative volontaire à but non lucratif, elle-même subordonnée à l'existence d'un temps libre réel pour les citoyens qui veulent y participer » :
    • Si le modèle associatif est ainsi considéré comme le modèle du socialisme autogestionnaire, l'éducation populaire quant à elle ne peut avoir de sens et d'efficacité que si elle est « une auto-éducation du peuple par le peuple ».
  • Pour Christian Maurel[7], l'éducation populaire est « l'ensemble des pratiques éducatives et culturelles qui œuvrent à la transformation sociale et politique, travaillent à l'émancipation des individus et du peuple, et augmentent leur puissance démocratique d'agir ».
  • Pour le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec[8], l'éducation populaire autonome c'est « l’ensemble des démarches d’apprentissage et de réflexion critique par lesquelles des citoyens et citoyennes mènent collectivement des actions qui amènent une prise de conscience individuelle et collective au sujet de leurs conditions de vie ou de travail, et qui vise à court, moyen ou long terme, une transformation sociale, économique, culturelle et politique de leur milieu ».
  • Pour Jessy Cormont[9], « Par éducation populaire nous entendons le processus par lequel des citoyen·nes, confronté·es à des enjeux ou des problèmes (personnels, collectifs, sociétaux), se rassemblent et rompent ainsi leur isolement, partagent leurs inquiétudes, leurs questionnement, leurs analyses, leurs besoins, cherchent ensemble à comprendre « pourquoi est-ce ainsi ?», se réapproprient leur histoire, leur environnement et leur vie, et se mettent en mouvement pour trouver des solutions, les mettre en place en fonction de valeurs et de volontés collectivement définies ».

Dans le rapport du Conseil économique social et environnemental L'éducation populaire, une exigence du 21ème siècle[10], les deux co-rapporteurs constatent qu'il n'y à pas de définition partagée de l'éducation populaire, mais à travers leurs travaux ils relèvent des constantes qui « sans être exclusives, caractérisent l’éducation populaire : la finalité transformatrice ; l’objectif de contribuer à l’émancipation individuelle et collective et à la conscientisation des individus ; l’attachement à une démarche pédagogique active qui repose sur le principe que chaque personne est porteuse de savoirs, tous étant sachants et apprenants ; la reconnaissance « du droit au tâtonnement » dans l’exercice du rôle de laboratoire permanent de l’innovation sociale ; le portage des actions par des structures à but non lucratif dès lors qu'elles s’inscrivent au service de l’intérêt général ; l’attachement au développement de la qualité de vie sur les territoires.»

Une définition toujours en débat chez les historiens

Les historiens spécialistes de l'histoire de l'éducation populaire débattent fréquemment de sa définition et de ses origines[11]. Concernant la généalogie du mouvement, Geneviève Poujol et Mathias Gardet contestent le rapprochement entre les mouvements d'éducation populaire et le mouvement ouvrier, les premiers étant portés essentiellement par la classe moyenne, visant ainsi une forme de paix et de conciliation sociale par l'éducation[12],[13]. Cette disjonction est contestée par Jean-Michel Ducomte, pour qui les courants saint-simoniens, proudhoniens ou encore anarcho-syndicalistes sont à l'origine de différentes réalisations, comme les cours du soir ou encore les Bourses du travail, qui servaient justement à établir une conscience de classe pour les acteurs de l'époque[14].

Laurent Besse, concédant une « impossible définition », propose toutefois un positionnement inclusif, pour lequel l'éducation populaire serait une « action éducative qui prétend toucher principalement les milieux populaires et qui entend agir sur l'individu hors de l'école pour transformer la société »[15].

Situation, histoire

Les pays européens et le monde anglo-saxon (Amérique du Nord, Australie, Nouvelle-Zélande) ont vécu des phénomènes différents dans leur chronologie, du fait de leur histoire à la fois particulière et commune, qui vont conduire à l'émergence du mouvement social que l'on nomme en France et parfois en Belgique ou Suisse romande, l'éducation populaire.

Ces mouvements de fond sont :

  • La séparation de l'Église (catholique) et de l'État, réalisée en Angleterre avec Henri VIII et les deux Révolutions anglaises aux XVIe et XVIIe siècles, en France avec la Révolution et la laïcité, en Allemagne et en Suisse avec le Kulturkampf. Ces combats aboutissent à la pacification des rapports entre l'Église et les États au travers des encycliques papales sur le rapport avec le monde moderne et au travers des concordats avec les États.
  • L'industrialisation du XIXe siècle, avec comme corollaire la question sociale et la culture ouvrière, l'exode rural et l'immigration aux Amériques, en Australie et en Nouvelle-Zélande. L'éducation populaire accompagne ces changements sociaux et culturels massifs.
  • La construction de l'identité culturelle de chaque pays. Celle-ci va conduire au nationalisme et à quatre guerres entre l'Allemagne (la Prusse d'abord) et la France, les guerres napoléoniennes, la guerre de 1870, et les deux guerres mondiales. Après la Seconde Guerre mondiale, l'éducation populaire se donne pour missions, l'amitié entre les peuples, entre jeunes de tous les pays, la tolérance en faveur des minorités, religieuses et raciales.
  • La prise de conscience par les Européens d'une culture commune entre leurs peuples, à partir du moment où l'éducation dite traditionnelle (ou instruction publique) est contestée, par les enseignants eux-mêmes, notamment dans la vision nationaliste de l'instruction. En France, la figure de l'instituteur hussard noir de la république s'estompe après la Première Guerre mondiale. Dès 1920, les mouvements de l'éducation nouvelle organisent des congrès internationaux en Europe et auxquels participent non seulement des pédagogues de différents pays mais aussi les mouvements d'éducation populaire, eux-mêmes partie prenante de l'éducation informelle. Ces milieux venus de toute l'Europe perçoivent peu à peu ce qu'ils ont en commun dans la culture européenne.
  • La consommation de masse et la culture de masse, mais aussi la résistance à cette culture, la recherche des racines rurales, des traditions chez des urbains plongés dans le monde moderne et industriel.

Situation en Europe et États-Unis

En Belgique francophone, l'éducation populaire est souvent désignée par le terme éducation permanente[16], à ne pas confondre avec une formation professionnelle continue. La situation belge est analogue à celle de la France[17].

En Angleterre, en Italie, aux Pays-Bas, les community center (en) (légaux) et les social center (en) (ou Autonomous space) squats illégaux sont inspirés par des préoccupations proches de l'éducation populaire française. Les centres sociaux en France sont des équipements de proximité qui interviennent sur le développement social du quartier. Ils n'ont pas à voir avec les social centers, mais fonctionnent plutôt comme les community centers.

Aux États-Unis, les Community organization (en) ou communautés de base ont à la fois un travail identique aux Community centers, mais aussi un travail politique d'émancipation des minorités et des personnes défavorisées (pauvres, handicapés, femmes, etc.). Ce travail est identifié sous le terme d'empowerment (ou autonomisation). Du point de vue historique, on peut faire un lien avec les settlements.

Néanmoins, dans les pays anglo-saxons, on a du mal à traduire l'E.P française et notamment son insertion dans l 'action de la puissance publique tandis que les settlements réunissaient riches et pauvres dans l'action.

Situation en Allemagne et Autriche

Les mouvements proches de l'éducation populaire française se sont exprimés jusqu'en 1914 au travers du Wandervogel - oiseau migrateur - ou oiseau vagabond. Ce mouvement est originaire des classes intellectuelles berlinoises. Il s'agit d'un mouvement beaucoup plus spontané que les mouvements d'éducation populaire français. Les jeunes du Gymnasium Steglitz (de) marqués par le romantisme et la philosophie allemande, recherchent une nature authentique loin des villes industrielles. Ils errent en groupes autogérés dans les forêts allemandes. Ils prônent une vie la plus naturelle possible (y compris le nudisme) et une réforme de la pédagogie traditionnelle (l'instruction publique), les auberges de jeunesse allemandes sont issues du Wandervogel. Ce mouvement va déboucher sur le mouvement de jeunesse allemande - Jugendbewegung - dans les années 1900 et la Ligue internationale pour l'éducation nouvelle après la première guerre. Le nazisme va interdire ou intégrer dans la Jeunesse hitlérienne toutes les organisations, ce qui met fin aux expériences sécularisées ou chrétiennes des mouvements de jeunesse. Le concept de Volksaufklärung qui traduit à peu près Éducation populaire est mise en avant par les nazis qui créent un ministère dédié. Après la guerre, les mouvements de jeunesse renaissent en RFA, ils participent pleinement à la politique d'échange entre jeunes d'Europe et aux mouvements d'éducation nouvelle.

En RDA, la jeunesse était encadrée par le parti communiste. La chute du mur de Berlin en 1989 réunifie les deux Allemagnes : les organisations de jeunesse de la RFA s'étendent à l'Est.

Il existe aujourd'hui en Allemagne de nombreuses associations de jeunes - Jugendverband - organisées par les jeunes eux-mêmes. Elles sont soit de simples organisations qui se préoccupent d'un problème précis, soit des organisations régionales ou fédérales. On trouve des associations confessionnelles, sportives, mais aussi des organisations politiques de jeunes dans tous les partis.

Situation et histoire en France

En France, on considère comme fondateurs de l'éducation populaire la Révolution française avec la déclaration de Condorcet (), la création par Jean Macé de la Ligue de l'enseignement (1866), puis, en 1899, la fondation du mouvement Le Sillon par Marc Sangnier et enfin, le Front populaire. À la Libération, dans un vaste élan de cohésion nationale, le Conseil national de la Résistance, puis le Gouvernement provisoire reprennent le programme initié par le Front.

Tout au long du XXe siècle, l'éducation populaire s'est d'abord organisée autour de trois grands courants idéologiques : le christianisme social, dont la dimension intellectuelle est illustrée notamment par le personnalisme autour de la revue Esprit ou encore le scoutisme, les mouvements laïques, autour de la Ligue de l'enseignement (Les Francas, les Ceméa, etc.) et enfin le mouvement ouvrier, en particulier la CGT et ses organismes spécialisés.

Déclaration de Condorcet

En avril 1792, Condorcet remet à l'Assemblée nationale un rapport intitulé L'Organisation générale de l'instruction publique[18]. On peut notamment y lire : « Tant qu'il y aura des hommes qui n'obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d'une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commandes seraient d'utiles vérités ; le genre humain n'en resterait pas moins partagé entre deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient. Celle des maîtres et celle des esclaves »[19].

Cette déclaration reconnaît à l'éducation une finalité civique : « L'instruction permet d'établir une égalité de fait et de rendre l'égalité politique reconnue par la loi ». Condorcet prône une instruction en deux temps : 1) l'éducation de l'école primaire ; 2) L'éducation tout au long de la vie.

L'essor d'une idée

Les révolutions parisiennes de 1830 et 1848, qui ont mêlé sur les mêmes barricades étudiants (issus à l'époque de la bourgeoisie et de la noblesse), artisans et ouvriers, vont entraîner la formation de premières grandes associations laïques d'éducation populaire : l'Association philotechnique, l'Association polytechnique (créée par des membres de l'École polytechnique et animée par Auguste Comte[20]. Cependant il est important de préciser que 60 % des étudiants de l'école polytechnique provenaient de la haute bourgeoisie). Mais c'est avec la création de la Ligue de l'enseignement en 1866, qui fonctionne sur toute la France et se prolonge par des comités scolaires et des bibliothèques, que le vrai départ est donné[21].

La Commune de Paris en 1871 affirme certains droits, parmi lesquels la séparation de l'Église et de l'État, l'instauration d'un ministère du travail, l'enseignement laïc et gratuit, l'enseignement professionnel assuré par les travailleurs, et les fournitures scolaires gratuites[22].

La Troisième République va mettre en place l'école publique laïque et obligatoire sous la présidence du conseil de Jules Ferry et les bourses du travail à la suite de la légalisation des syndicats sous la présidence du conseil de Pierre Waldeck-Rousseau.

L'aristocratie ouvrière[pas clair][23] très politisée au travers de l'anarcho-syndicalisme réclame des bibliothèques dans les usines, des cours du soir en sus des formations dans l'atelier destinées à augmenter leur productivité : de l'économie, de la philosophie, de l'histoire. C'est l'époque de l'apparition des premiers musées des métiers et du travail : statut culturel de l'outil, œuvre de culture. Pour Fernand Pelloutier, l'éducation est un prélude à la révolution « ce qui manquait à l'ouvrier, c'est la science de son malheur », « [il faut] instruire pour révolter »[réf. nécessaire]. La création dans chaque ville importante d'une Bourse du Travail est très représentative de ce courant du Syndicalisme révolutionnaire.

Le Sillon et le christianisme social

Portrait de Marc Sangnier.

À la suite d'Albert de Mun et en s'inspirant de l'encyclique Rerum Novarum qui après la Commune de Paris réfléchissent à un rapprochement entre l'Église et la classe ouvrière en Europe, Marc Sangnier (1873-1950) transforme son journal Le Sillon en organe d'un vaste mouvement qui réunit la jeunesse ouvrière et les fils de notables. En s'appuyant sur les patronages catholiques, Sangnier crée en 1901 des Instituts populaires qui donnent bientôt des cours et des conférences publiques. Lors du congrès national de 1905, près de mille cercles venus de la France entière sont ainsi représentés. Appuyé par les jeunes prêtres et quelques évêques, c'est très vite un succès. La confusion du politique et du religieux conduisent à la condamnation du Sillon par Rome, en 1910[24].

Après la Première Guerre mondiale, Marc Sangnier ouvre la première Auberge de jeunesse en France, baptisée « L'Épi d'or », elle est construite en 1929 à Boissy-la-Rivière (Essonne). Elle s'inspire du mouvement allemand Jugendherberge initié dès 1909. L'année suivante est fondée à son initiative la Ligue Française pour les Auberges de Jeunesse, d'inspiration catholique.

Le Front populaire

L'arrivée du Front populaire, est marquée par les grèves de 1936. C'est à la fois un joyeux mouvement social et la première grève générale. Elle aboutit sur les Accords Matignon (1936), les premiers congés payés et la semaine de 40 heures. Le cinéma et plusieurs chansons évoquent ces premières vacances[25] et la culture ouvrière. Dans cet élan les mouvements d'éducation populaire sont relancés par la gauche, notamment grâce à l'action de Léo Lagrange. Dans le gouvernement Blum, il est nommé sous-secrétaire d'État aux Sports et à l'organisation des Loisirs auprès du ministre de la Santé publique Henri Sellier. C'est la première fois qu'un tel ministère existe au gouvernement. Sont créés en 1937 les CEMEA d'inspiration laïque ; ils prennent en charge les enfants en vacances[26], et en 1938 le Centre laïc des auberges de jeunesses laïques (CLAJ)[27] dont Léo Lagrange est le premier président.

Sous Vichy

Le gouvernement de Vichy au travers de la Révolution nationale souhaite encadrer la jeunesse dans son idéologie (travail, famille, patrie). La jeunesse telle qu'on la conçoit correspond à l'époque à une classe d'âge de 20 à 30 ans. Ce ne sont ni les enfants, ni les adolescents. Cette jeunesse travaille à l'usine et aux champs ou bien est prisonnière en Allemagne ou  pour une petite minorité  est étudiante.

Cette politique passe par trois dispositifs : les chantiers de jeunesse, les écoles de cadres ou écoles de chefs, et les maisons des jeunes, le tout sous la responsabilité d’un secrétariat général à la Jeunesse. Le groupe Jeune France créé en 1940 sous l'égide du secrétariat général, regroupe des intellectuels marqués par le personnalisme qui vont passer à la Résistance en 1943, et qui sont pour une partie d'entre eux, les premiers instructeurs des animateurs de jeunesse, à la Libération.

Les chantiers de la jeunesse française forment au culte de la hiérarchie et de la discipline, qui passait par l'importance donnée à tous niveaux au Chef. La vénération au maréchal Pétain imprégnait profondément les cadres des chantiers et les Écoles des cadres. La loi de réquisition du et le STO vont stopper ces chantiers. Les jeunes sont envoyés en Allemagne ou entrent dans la clandestinité, voire la Résistance ou les Forces françaises libres via l'Espagne.

Les écoles des cadres vont passer à la clandestinité et à la Résistance également du fait du STO et de la création de la Milice en 1943. Ces cadres vont agir et former les cadres des associations de jeunesse dans la Résistance. Ce sont des hommes et des femmes venus de divers milieux, enseignants, syndicalistes, militaires, anciens responsables d'associations de jeunesse (associations dissoutes par Vichy) qui pensent à l'éducation populaire d'une France libérée. Les Francas Francs et Franches Camarades ») et Peuple et culture sont ainsi créées à partir de 1943 dans la clandestinité.

Les maisons de jeunes, futures « Maisons des jeunes et de la culture », qui, sous l'impulsion de l'Association nationale des amis des maisons des jeunes, prirent leur distance avec le régime de Vichy et, pour certaines d'entre elles, s'engagèrent dans des actions de résistance, avant de se transformer sous l'action de la République des Jeunes, une association créée après , à la Libération.

L'après-guerre

Les non-conformistes des années 30 inspirés par la philosophie du personnalisme d'Emmanuel Mounier vont se trouver à la fois dans la collaboration au travers de l'école des cadres d'Uriage, dans les mouvements de Résistance et dans le gouvernement de l'Algérie libérée de 1942. Ils vont faire le lien entre les gaullistes et une partie des acteurs de la révolution nationale. L'enfance inadaptée et l'éducation populaire sont comme bien d'autres secteurs de la politique sociale du Gouvernement provisoire marqués par cet héritage en partie transformé de Vichy[28].

« À la Libération, les horreurs de la Seconde Guerre mondiale ont remis au goût du jour cette idée simple : la démocratie ne tombe pas du ciel, elle s’apprend et s’enseigne. Pour être durable, elle doit être choisie ; il faut donc que chacun puisse y réfléchir. L’instruction scolaire des enfants n’y suffit pas. »

 Franck Lepage[29].

Direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse

L'éducation à la démocratie des jeunes adultes doit permettre que le régime de Vichy, et tous les régimes autoritaires, ne reviennent pas. Telle est l'idée maîtresse du gouvernement de la France libre créé en 1942 en Algérie par Charles de Gaulle, avec comme ministre de l'Éducation nationale René Capitant. Au lendemain de la libération de Paris (), le financement des œuvres sociales devient une question centrale et va permettre la naissance de Travail et culture (TEC)[30], de Tourisme et Travail, etc. L'éducation populaire est florissante du fait de la reconstruction et de l'union nationale. La Ligue de l'enseignement se reconstitue, s'engage dans la promotion de l'éducation populaire, version laïque.

Le Gouvernement provisoire, formé en juin, prend en charge la gestion effective du pays jusqu'en . Christiane Faure, belle-sœur d'Albert Camus, endosse aux côtés de Jean Guéhenno, la direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse au sein du ministère de l'Éducation nationale[29]. La direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse met en place les projets de « Maisons de la Culture ». Reprenant les idées forgées dans la clandestinité, Guéhenno et Faure font former les premiers instructeurs d'animateurs de jeunesse, issus pour la plupart du groupe Jeune France. Avec André Philip et d'anciens responsables clandestins d'associations de jeunesse de partis et syndicats, ils créent la « République des Jeunes », une association qui va réfléchir à la transformation des maisons des jeunes du temps de Vichy :

« Cette association prône la gestion associative des maisons où les jeunes doivent eux-mêmes, et en dehors de tout étatisme et paternalisme, élire leurs conseils avec le soutien du conseil d’administration de la personne morale gestionnaire du lieu[31] »

Formé en 1943 dans la clandestinité, Peuple et culture, dans son manifeste de 1945, affirme l'importance de l'éducation nouvelle dans l'éducation populaire :

« Une culture vivante suscite un type d'homme. Elle suppose des méthodes pour transmettre la connaissance et former la personnalité. Enfin, elle entraîne la création d'institutions éducatives. Ainsi la culture populaire a besoin d'un humanisme, d'une technique, d'une organisation propres — faute de quoi, elle risque de rester prisonnière d'un enseignement périmé. »

L'expérience de cette direction a duré quatre ans. En 1948, jugeant qu’il n’aurait pas assez d’autonomie, et que les anciens cadres s’opposaient aux changements nécessaires, Guéhenno démissionne de son poste[32]. La direction fusionne avec celle de l’éducation physique et des activités sportives dans une « direction générale de la jeunesse et des sports », matrice du ministère souvent confiée à des sportifs peu au fait des questions d’éducation populaire. C'est durant cette période que certains mouvements scouts comme les Scouts de France ou les éclaireurs unionistes de France se découvrent un lien avec l'éducation populaire, notamment pour des raisons financières. Au même moment, les Éclaireurs de France se convertissent plus sincèrement au militantisme d'E.P.[réf. nécessaire]

Rôle croissant de la FSGT et des fédérations

Le Parti communiste et la CGT sont à l'apogée de leur puissance : 26 % des voix aux élections d' pour le PCF et 59 % pour la CGT aux élections de la sécurité sociale en 1947. La loi du sur le Comité d'entreprise consacre le fait que c'est autour du travail dans l'entreprise que s'organisent les œuvres sociales des CE (culture, loisirs, vacances…) en consacrant 1 % de la masse des salaires à ces activités des CE. Il s'agit aussi de permettre aux CE d'établir un regard sur la gestion et la production.

En 1954, les instructeurs rédigent un petit opuscule intitulé Pour un ministère de la Culture. Cette démarche sera à l'origine du ministère de Malraux. Mais l'éducation populaire reste au sein de la jeunesse et des sports. L'éducation civique des adultes est donc abandonnée. Sa transformation en Animation socio-culturelle rattachée au travail social et aux loisirs confirme cet abandon. Au début des années 60 l'Eglise abandonne progressivement les Œuvres de jeunesse, ce qui va accentuer l'évolution.

La création d'ATTAC, en 1998, association d'éducation populaire et de formation à l'action politique et la démarche d'empowerment qui nous vient des États-Unis, est pour les citoyens engagés un retour vers cette conception politique de l'animation et de l'éducation populaire.

La Ve République

Le contexte économique et social change. On peut diviser l'évolution sous la Ve République en deux périodes. La première, la fin de la colonisation est une marche rapide vers la modernisation et l'expansion économique des Trente Glorieuses. La seconde après 1973, la crise pétrolière marque la rupture avec une montée constante du chômage et le phénomène de la nouvelle pauvreté (voir aussi : Serge Paugam)[33].

L'animation va être une double réponse à ce phénomène, comme outil d'une politique d'action sociale de l'État en direction du public des chômeurs et en faveur des habitants des quartiers de relégation - Politique de la ville - qui sont souvent les mêmes.[réf. nécessaire] Comme secteur économique, les équipements se multiplient, le travail social et l'animation se professionnalisent massivement et se détachent de l'éducation populaire.

L'arrivée de la Cinquième République provoque des modifications importantes : la jeunesse est séparée de l'éducation nationale et est confiée à Maurice Herzog, la culture s'émancipe également sous la tutelle de André Malraux. La pratique du théâtre amateur restée une pratique d'éducation populaire et donc dépendant de la jeunesse, alors que le reste du théâtre passe à la Culture avec Malraux. On a donc un théâtre de création subventionné, car professionnel, et un théâtre non subventionné, mais cet amateurisme est-il pour cela moins créatif, moins Culturel ? Le débat est repris de manière plus large au travers de l'ouvrage de Pierre Bourdieu La Distinction, critique sociale du jugement. Le clivage passe entre culture populaire et La Culture (culture qualifiée d'élitiste ou d'avant-garde). La culture étant un capital qui permet la différenciation entre classes sociales. De ce fait, la culture est un des champs de la lutte pour la distinction qui transforme des différences très faibles en différences radicales puisque hiérarchisées.

1968 exprime la critique de la culture élitiste. Le 25 mai, les directeurs des maisons de la culture publient la Déclaration de Villeurbanne[34], déclaration élaborée avec l'aide de Francis Jeanson. La culture n'est pas qu'un simple projet de diffusion culturelle, elle doit s'adresser au non-public (c'est-à-dire le public populaire non touché par la simple diffusion).

« C'est pourquoi tout effort culturel ne pourra plus que nous apparaître vain aussi longtemps qu'il ne se proposera pas expressément d'être une entreprise de politisation : c'est-à-dire d'inventer sans relâche, à l'intention de ce non-public, des occasions de se politiser, de se choisir librement, par-delà le sentiment d'impuissance et d'absurdité que ne cesse de susciter en lui un système social où les hommes ne sont jamais en mesure d'inventer ensemble leur propre humanité »

 Manifeste de Villeurbanne[34]

Dans la suite de Mai 68, Joffre Dumazedier conceptualise la notion de « développement culturel » pour contrebalancer celle de « développement économique », par une politique destinée à mettre la culture au cœur de la vie des gens, répondant aussi à l'obligation de l'État d'assurer à chacun l'exercice de son droit à la culture. L’exigence de transformation sociale est forte, à la suite de Mai 68, mais après la crise pétrolière de 1973, l'éducation populaire perd de sa force en même temps que le chômage se développe. Les années 1970 voient la naissance de l'animation socioculturelle qui se réclame de la neutralité politique en se professionnalisant. L'animation est une pédagogie d'action, de la formation à la démocratie, elle met l'accent à la fois sur les finalités ainsi que sur les moyens.

En 1981, le gouvernement de Pierre Mauroy comprend un « Ministère du Temps Libre, de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs » confié à André Henry. Il comprend une « Direction du Loisir Social, de l’Éducation Populaire et des activités de Pleine Nature » (DLSEEPAPN) dont Robert Clément est le directeur. Ce ministère procède aux recrutements de 750 nouveaux CTP (Conseillers Techniques et Pédagogiques), contractuels de l'État, qui constitueront en , les corps des ChEPJ (Chargés d’Éducation Populaire et de Jeunesse) et CEPJ (Conseillers d’Éducation Populaire et de Jeunesse). Le ministère d'André Henry crée en le « Chèque Vacances ». Il mettra en chantier un projet de loi « sur le développement de la vie associative » qui, malgré de longs mois de négociations, ne verra pas le jour face à la division et à l'hostilité des mouvements d’Éducation Populaire.

En 1998, Marie-George Buffet, Ministre de la Jeunesse et des Sports, initie les « Rencontres pour l'avenir de l'éducation populaire » qui se tiennent à la Sorbonne, les 5-, sous la direction du philosophe Luc Carton. À l'issue des Rencontres, elle lance une offre publique de réflexion sur l'Éducation Populaire qui mobilise de très nombreux groupes de travail. Un rapport d'étape sera publié par Franck Lepage et un livre blanc par Jean-Michel Leterrier. Les travaux ne seront pas reconduits par le gouvernement suivant.

En 1953 avait été créé un institut devenu Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire[35]… Les missions et l'organisation de l'INJEP ont été redéfinies par un décret du . Le siège de l’INJEP fut situé jusqu'en 2009 à Val Flory, sur la commune de Marly-le-Roi (Yvelines), lieu resté emblématique pour les mouvements d'éducation populaire. Une activité d’accueil et d’hébergement ainsi qu'un centre de documentation y permettait des rencontres nombreuses. La révision générale des politiques publiques a entraîné le déménagement du siège de l’INJEP à Paris. Le centre de documentation y perdure.

Aujourd'hui, ce mouvement entre dans le champ de compétence du Ministère des Sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative. L'agrément du Ministère permet entre autres aux associations d'employer les animateurs selon le régime particulier du CEE dérogatoire au Code du Travail. .

Les autres ministères

Le ministère de l'éducation nationale est le moteur d'une action spécifique, celles d'associations complémentaires de l'école publique, qui amplifie l'action de celle-ci auprès des jeunes. Le ministère de la culture a également une action spécifique. La vision de la mission culturelle de l'éducation populaire n'est pas la même entre tous ces acteurs et leurs relais, il y a débat. On peut définir deux missions principales :

  • la première, la diffusion culturelle, vise à permettre au plus grand nombre l'accès à la culture générale (aux humanités), c'est-à-dire aux savoirs minimums requis pour être un homme cultivé (un honnête homme); dans cette optique le prolétaire est condamné à chercher à atteindre l'inatteignable culture élitiste. La réussite à l'épreuve de culture générale est le sésame indispensable pour entrer dans toute carrière de la fonction publique en catégorie A et B. C'est dans cette épreuve que la classe sociale dite populaire a un handicap majeur. C'est là que le capital culturel d'un groupe social (les enseignants, par exemple) joue pleinement pour entrer dans les meilleures catégories de la fonction publique[36]. La diffusion culturelle désigne les objets artistiques à connaître pour posséder une bonne culture générale - c'est ce que le ministère de la Culture nomme « culture de proximité  ». C'est l'idée de la démocratisation culturelle, incarnée par Malraux. Si cette vision de Malraux marchait, dira Pierre Bourdieu, les gardiens de musée seraient des gens follement cultivés source ?.
  • la seconde mission, valoriser la culture collective des acteurs de l'éducation populaire, consiste à reconnaître la culture populaire, la culture ouvrière, comme moyen d'émancipation, de citoyenneté. Efficace et très répandu dans les années 1930 à 60 ce projet militant a largement perdu de son attractivité.

Courants de l'éducation populaire

Le XXe siècle a vu émerger trois courants et trois traditions :

  • la tradition laïque éducative,
  • la tradition chrétienne humaniste,
  • celle du mouvement ouvrier.

Le courant laïque est clairement issu de la tradition de Condorcet. L'instruction doit être accessible à tous, former les citoyens, et être prise en charge par la République. Pour Condorcet, il n'y a pas de démocratie du pouvoir, sans démocratie du savoir. Les protestants sous l'influence du personnalisme ont une vision identique du rôle de l'éducation dans la démocratie. Ce courant peine à retrouver sa place aujourd'hui dans l'évolution du capitalisme. Cette mouvance, orientée vers la problématique actuelle du lien social, s'incarne aujourd'hui dans des formes d'actions sociales telles que celles prônées par les centres sociaux, l'accompagnement social qui permet de prendre soi-même sa vie en main.

Dans la vision catholique, la morale doit guider la vie des hommes en société. Son action s'inscrit dans une problématique d'aide, d'assistance, d'exemplarité de l'ascétisme, de moralisation de la société. Le christianisme social lui assure dynamisme et influence autour de mouvements allant du scoutisme à la Jeune République, puis à la Démocratie chrétienne.L'enseignement du Pape François renouvelle cette vision morale de l'éducation.

Enfin la tradition de l'éducation dans le mouvement ouvrier est née au cours du XIXe siècle. Après la loi Le Chapelier, les syndicats sont interdits mais le mouvement ouvrier crée des amicales, des mutuelles et des coopératives. L'anarcho-syndicalisme à la fin XIXe siècle se demande s'il convient d'envoyer les enfants de prolétaires à l'école de la bourgeoisie de Jules Ferry ou s'il faut préserver une culture et des valeurs propres à la classe ouvrière. Les enjeux de l'instruction sont importants : quels contenus ? Qui éduque ? Quelle formation ? Qui doit-on éduquer ? Qui contrôle l'école (loi Falloux) ? L'école moderne de Francisco Ferrer et La Ruche (école) de Sébastien Faure sont des exemples d'écoles libertaires pour les prolétaires.

Pour Geneviève Poujol[37], ce lien mythique entre éducation populaire et mouvement ouvrier n'aurait pas eu lieu. Elle règle également la question des confessions en postulant une pluralité d’histoires qui se dérouleraient de façon parallèle : à côté d’une histoire laïque, il y aurait une histoire catholique, voire une histoire protestante. Son souci de l’histoire l’amène cependant à récuser le mythe d’une éducation populaire qui serait partie prenante de l’histoire ouvrière. Dans une perspective sociologique, l'auteur préfère décrire la naissance de l'éducation populaire en insistant sur le parallélisme entre mouvement laïque et catholique[38].

De ces trois courants qui se mêlent, se croisent, il n'y a ni définition précise, ni accord sur la genèse de l'éducation populaire, en particulier sur la place du mouvement ouvrier.

Visions plurielles et politiques

Du point de vue du mouvement ouvrier, on peut résumer l'histoire de l'éducation populaire en cinq temps[39] afin de mieux la situer dans le contexte actuel de ce début du XXIe siècle :

  • l'éducation populaire comme dimension culturelle du mouvement ouvrier
  • l'éducation populaire comme branche spécialisée du mouvement ouvrier
  • l'institutionnalisation dans l'appareil d'État
  • fonctionnalisation dans l'animation socioculturelle
  • développement local, social, culturel.
  • action de masse ou action sectorielle : une ou des jeunesses.

Les deux premiers temps sont à l'origine de l'éducation populaire au temps mythique où elle était la dimension culturelle de la production de l'action collective. C'est la définition initiale de l'éducation populaire. C'est-à-dire la production collective de connaissances, de représentations culturelles, de signes qui sont propres à un groupe social en conflit.

Avant l'éducation populaire, la culture ouvrière a une dimension d'entraide et de formation au travers du compagnonnage. Le métier, son apprentissage, son langage, son réseau d'entraide forment un univers culturel qui lui est propre. Puis à la genèse du syndicalisme, à une époque où le syndicalisme est en même temps mutualisme et coopération au travers des bourses du travail (dans l'histoire du mouvement ouvrier, cela correspond au XIXe siècle), il fallait produire une analyse de ce qui se passe et produire bien sûr un contre projet par rapport à ce qui se passe. Cette dimension est encore présente dans une partie des mouvements se réclamant de l'éducation populaire, par exemple les compagnons du devoir ou l'association Travail et Culture[40].

Puis avec l'entre-deux-guerres, on assiste à une spécialisation (associations spécialisées dans la culture comme les ciné-clubs, ou dans les loisirs, les vacances). De ce fait, l'action des laïcs « bourgeois » (Jean Macé) ou des chrétiens, protestants et catholiques, est de facto marginalisée, de même la crise économique de 1929 est passée sous silence.

Querelles de l'institutionnalisation

Après la Libération, on assiste à une institutionnalisation des mouvements. C'est un moment plus ambivalent qu'il n'y paraît. Traumatisés par l'impuissance des valeurs républicaines et de l'instruction transmise par l'école pour enrayer le fascisme, les refondateurs de l'Éducation nationale décident de créer une direction de l'éducation politique, des jeunes et des adultes, et d'en confier la pédagogie non pas à des enseignants mais à des militants politiques et des acteurs de la culture.

De fait, l'État français (Vichy) a créé, par l'ordonnance du , reconduit à la Libération un statut administratif des associations d'éducation populaire[41]. Cet agrément Jeunesse et Éducation populaire, qui est délivré à la discrétion de l'administration de la jeunesse et des sports, nécessite au moins trois ans d'existence de l'association et le respect de certains principes : liberté de conscience, non-discrimination, fonctionnement démocratique, transparence de la gestion et absence de buts lucratifs. Il permet de bénéficier de subventions publiques, de certains allègements de cotisations sociales et de redevances (SACEM), ainsi que de se porter partie civile pour les problèmes touchant des publications destinées à la jeunesse[42].

Cette institutionnalisation va conduire à ce que l'on a nommé la fonctionnalisation de l'E.P, qui va évidemment culminer dans le projet d'une animation socioculturelle .

Au même moment, l'affirmation d'une complémentarité avec l'Éducation nationale, celle-ci étant posée comme référence pédagogique, apparaît à certains comme stérilisante.

Au début du XXIe siècle l'éducation populaire se réduirait à des structures administratives pourvoyeuses de subventions et de détachements administratifs, à des réseaux mal coordonnés ou antagonistes et à quelques colloques. À côté subsiste une masse d'associations nées de l'éducation populaire ou auparavant rattachées à elle et qui aujourd'hui fonctionnent en autonomie dans les domaines du loisir, de l'éducation, de l'insertion professionnelle, de la culture avec des contraintes de gestion managériale et commerciale très éloignées d'une activité militante et politique. La création de sociétés écran par les associations Loi de 1901 a favorisé cette évolution. Enfin, autre problème, certaines associations sont peu autonomes car très contrôlées par les politiques, à la fois par leur mode de financement, et du fait que ces associations sont le vivier et le tremplin naturel d'acteurs associatifs qui s'engagent ultérieurement dans une carrière politique.

L'Éducation populaire est donc pour certains une institution sans dynamisme. Pour d'autres, c'est un lieu de résistance militante. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon utilise en 2016 le terme comme un synonyme de propagande active contre les modifications du Code du Travail[source insuffisante], ce qui n'est sans aucun doute pas la meilleure manière de penser et de faire de l'éducation populaire tant il est vrai que celle-ci ne saurait, dans sa conception comme dans ses pratiques, s'apparenter à une propagande. Pour d'autres, notamment les héritiers de l'Offre Publique de Réflexion (1999-2000) et les rédacteurs de la revue Résonnances[43], l'éducation populaire est appelée à s'inscrire dans une transformation radicale de rapports sociaux qui ne peuvent rester plus longtemps en l'état. Ainsi conçue, l'éducation populaire doit s'emparer des grandes questions de société (à titre d'exemple, l'investissement très opérationnel de la MJC-Centre social de Briançon dans la question des réfugiés), à permettre aux femmes et aux hommes de reprendre leur destin en main et d'écrire une nouvelle page de leur histoire (cf le dernier écrit de C. Maurel Éducation populaire et questions de société. Les dimensions culturelles du changement social, Edilivre, 2017).

Programme des cours de l'Université Populaire de Villeurbanne

L'éducation populaire est laïque au sens où elle s'interdit toute attache à un parti ou une confession. Mais elle n'est pas neutre et ne saurait rester simple spectatrice du monde. Les Universités populaires qui connaissent depuis 2002 un réel renouveau en France et dans le monde, attestent de cette « politisation » des questions de société, politisation dans laquelle l'éducation populaire retrouve ses missions essentielles : conscientisation, émancipation, augmentation de la puissance de penser et d'agir, transformation sociale et politique, création de nouveaux imaginaires sociaux.

Reste qu'en même temps la question du maintien des subventions publiques - dans un contexte de restriction budgétaire durable et de nécessaire conduite d'une éducation populaire à la dimension des enjeux de notre temps - est angoissante pour bien des associations et des militants. Il n'est en effet pas sans danger de s'emparer de questions de société face à des pouvoirs publics (au premier chef les municipalités) qui ne goûtent pas toujours ce type d'engagements encouragés et portés par des structures d'éducation populaire dont ils sont les financeurs. Le recours (et le retour) affiché et systématisé au militantisme, au bénévolat ou au volontariat pourrait donc marquer la période à venir. Pour d'autres, comme les Éclaireuses éclaireurs de France, l'insertion dans l'économie sociale et solidaire parait une opportunité. Oui, mais dans quels buts et avec quelles méthodes ? La réflexion est ouverte tant les expériences et les engagements sont divers et foisonnants.... et quelques fois surprenants.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Jean Bourrieau, L'éducation populaire réinterrogée, 2001, Éditions L'Harmattan
  • Laurent Besse, Construire l’éducation populaire. Naissance d’une politique de jeunesse (1958-1970), La Documentation française, 2014.
  • Franck Lepage, L'éducation populaire, monsieur, ils n'en ont pas voulu…, t. 1, coll. « Inculture(s) », , 63 p.
  • Jean-Michel Ducomte, Jean-Paul Martin et Joël Roman, Anthologie de l'éducation populaire, Éditions Privat, collection Le Comptoir des idées, 2013, (ISBN 978-2-7089-8404-2)
  • Joffre Dumazedier et Éric Donfu, La Leçon de Condorcet, une conception oubliée de l'instruction pour tous nécessaire à une République, 1994. Éditions L'Harmattan, Paris.
  • Iloveeducpop, sous la direction de Damien Cerqueus et Mikael Garnier-Lavalley avec les contributions de : Clémentine Autain, Julien Bayou, Pierre-Alain Cardona, Emmanuelle Cosse, Simon Cottin-Marx, Grégory Huchon, Inés Minin, Gurval Quartier, Thomas Rogé, Gwendal Ropars, Thiébaut Weber, Dix raisons d'aimer (ou pas) l'éducation populaire, 2010, Les éditions de l'Atelier, Paris
  • Laurent Martin et Philippe Poirrier (dir.), Démocratiser la culture ! Une histoire comparée des politiques culturelles, Dijon, Territoires contemporains, 2013[44]
  • Christian Maurel, Éducation populaire et travail de la culture. Éléments d'une théorie de la praxis, 2000. Editions L'Harmattan, Paris.
  • Christian Maurel, Éducation populaire et puissance d'agir. Les processus culturels de l'émancipation, 2010. Éditions L'Harmattan, Paris.
  • Christian Maurel, La Culture, pour quoi faire ?, 2016. Éditions Édilivre, Saint Denis.
  • Christian Maurel, Éducation populaire et questions de société. Les dimensions culturelles du changement social, 2017. Editions Edilivre, Saint Denis.
  • Francoise Tétard et alii, Cadres de jeunesse et d'éducation populaire, 1918-1971. Paris. La Documentation française. 2010.
  • Philippe Poirrier, De l'éducation populaire à la politique culturelle : un demi-siècle d'action culturelle en région dans ABC, 60 ans déjà, Dijon, ABC, 2005[45].
  • Philippe Poirrier, « Culture populaire et politique culturelle en France : un rendez-vous manqué ? », dans Thomas ANTONIETTI, Bruno MEIER et Katrin RIEDER (dir.), Retour vers le présent : La culture populaire en Suisse, Baden, Verlag für Kultur und Geschichte, coll. « Hier+jetzt », (lire en ligne), p. 176-183
  • Saïd Bouamama, Jessy Cormont et Yvon Fotia, L’éducation populaire à l’épreuve de la jeunesse, Lille, Le Geai Bleu, 2008.
  • Saul Alinsky, Manuel de l'animateur social, Points politique Po93, 1971, traduction Seuil, 1976
  • Des tambours sur l’oreille d’un sourd : Récits et contre-expertises de la réforme du décret sur l’Éducation permanente 2001-2006 (ouvrage collectif sur la réforme du décret organisant l'Éducation permanente en Belgique francophone), Bigoudis, (présentation en ligne)
  • Jean-Marie Mignon, Une histoire de l'Éducation Populaire, Paris, Éditions La Découverte, coll. « Alternative sociales »,
  • « Éducation populaire et transformation sociale », Mille et une vagues
  • Hugues Lenoir, Pour l’éducation populaire : 1849-2009, éd. Libertaires, 2012[46]
  • Hugues Lenoir, Autogestion pédagogique et éducation populaire éd. Libertaires, 2014[47]
  • Yves Guerre, Vers l'âge d'or de l'éducation populaire : Le peuple éducateur, L'Harmattan,
  • Christian Verrier, Former à la recherche en éducation populaire. Une voie d'émancipation avec, par et pour le peuple, Chronique sociale, 2017, 200 p.
  • L'éducation populaire, une exigence du 21ème siècle, Conseil économique, social et environnemental, 2019

Liens externes

Notes et références

  1. Christian Verrier, « Education populaire - Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique », Érès, , p. 466 (lire en ligne)
  2. Ce titre reprend l'expression que Jean-Claude Gillet utilise dans Animation et animateurs. Le sens de l'action, mais pour désigner l'animation socioculturelle[Où ?].
  3. C'est ce que rappelle Marie-George Buffet dans la préface du livre blanc de l'éducation populaire lorsqu'elle précise « Le livre blanc ne fixe pas une doctrine, il ne donne même pas une définition unique de l'éducation populaire. », in: Jean-Michel Leterrier, Citoyens chiche ! Le livre blanc de l'éducation populaire, Paris, Les éditions de l'atelier/Les éditions ouvrières, 2001.
  4. Benigno Cacérès, Histoire de l'éducation populaire, Paris, Seuil, Peuple et Culture, 1964
  5. José Baldizzone, De l'éducation populaire à l'animation globale, Paris, Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente, Les cahiers de l'éducation permanente
  6. Jean Laurain, L'Éducation populaire ou la vraie révolution, Paris, Éditions de correspondance Municipale - ADELS, 1977
  7. Éducation populaire et puissance d'agir. Les processus culturels de l'émancipation, Paris, Éditions L'harmattan, 2010
  8. Définition adopté par le Mouvement d'éducation populaire et d'action communautaire du Québec (Mépaq) dans son assemblée générale de 1978.
  9. Jessy Cormont, « P.H.A.R.E. pour l'Égalité et le courant de l'action-recherche matérialiste. Entre sociologie, éducation populaire et lutte pour l’égalité(s) dans les quartiers populaires », Revue Agencement, n°3, édition du Commun, Paris, 2019.
  10. Conseil économique, social et environnemental, Jean-Karl Deschamps, Christian Chevalier et Arthur Baubeau-Luban, « L'éducation populaire, une exigence du 21ème siècle » (rapport), sur https://www.lecese.fr/, (consulté le ), p. 64
  11. Chantal De Linares, « Un débat sur France Culture : la Fabrique de l'Histoire », Agora Débats/Jeunesses, vol. 44, 2e trimestre 2007, p. 94
  12. Geneviève Poujoul, « Éducation ouvrière, éducation populaire », Les Cahiers de l'animation, vol. 34,
  13. Mathias Gardet, Éducation populaire : initiatives laïques et religieuses au XXe siècle [Actes du symposium des 19 et 20 mars 2009], Revue du Nord. Hors-Série, , « Éducation du peuple, trahison du peuple ? », p. 71-80
  14. Jean-Michel Ducomte, « Introduction », dans Jean-Michel Ducomte, Jean-Paul Martin, Joël Roman, Anthologie de l'éducation populaire, Toulouse, Privat, , p. 14
  15. Laurent Besse, « Éducation populaire », dans Christian Delporte, Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli (dir.), Dictionnaire d'histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige. Dicos Poche », , p. 270
  16. « Education permanente », sur www.educationpermanente.cfwb.be, (consulté le )
  17. Voir Aux sons du tambour, un site qui s’intéresse à l’éducation permanente et à ceux qui la font.
  18. Condorcet écrit préalablement 5 mémoires sur l'instruction publique. Le premier (1790) est intitulé Nature et objet de l'instruciton publique, le second De l'instruction publique pour les enfants, le troisième de l'Instruciton commune pour les hommes, le quatrième De l'instruction relatives au professions et le cinquième Sur l'instruction relative aux sciences in Ferdinand Buisson Condorcet, Paris, 1929, F. Alcan lire en ligne sur Gallica
  19. Rapport sur l'organisation générale de l'Instruction publique présenté à l'Assemblée nationale législative au nom du Comité d'Instruction publique les 20 et 21 avril 1792 par Condorcet Voir extraits en ligne.
  20. Association polytechnique
  21. « Plus de 130 ans d'histoire : La création de la Ligue de l'enseignement », sur Internet Archive, .
  22. http://lacomune.perso.neuf.fr/pages/assoc.html
  23. « À propos de l'aristocratie ouvrière. Élites professionnelles et militantes au XIXe siècle dans le département du Cher »
  24. « Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X - FSSPX - SSPX - La Porte Latine - Catholiques de Tradition - Mgr Lefebvre - Mgr Fellay - Pagliarani -Encyclique Notre charge Apostolique sur "le Sillon" du 25 août 1910 », sur laportelatine.org (consulté le )
  25. Liste de chansons, sur chansons-net.com.
  26. Il s'agit de former dans le (centre d'entraînement pour la formation du personnel des colonies de vacances et des maisons de campagne des écoliers), les premiers animateurs de colos, les CMEA sont influencés par les éclaireurs de France dont Léo Lagrange a été membre.
  27. Centre laïque des auberges de jeunesse
  28. « Les mouvements de jeunesse », in: Esprit, octobre 1945 — extrait en ligne.
  29. Franck Lepage, « De l’éducation populaire à la domestication par la « culture » », Le Monde diplomatique, (lire en ligne)
  30. « Journal officiel de la République française. Lois et décrets », sur Gallica, (consulté le )
  31. « Le temps des fondations des MJC 1907-1947 et "1948-1958" : André Philip et la création de la République des Jeunes »
  32. Amis de Guehenno.[réf. incomplète]
  33. Serge Paugam, La Disqualification sociale. Essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, Presses universitaires de France, coll. « sociologies », 1991, 4e édition mise à jour 1997, dernière édition dans la coll. « Quadrige » 2009 (avec une nouvelle préface La Disqualification sociale vingt ans après)
  34. Marie-Ange Rauch-Lepage, « Le « concile » de Villeurbanne ou la crise de la décentralisation théâtrale, par Marie-Ange Rauch-Lepage, Lettre d’information no 20, Comité d’histoire du ministère de la Culture »,
  35. Site de l’INJEP
  36. « Ouvrages de préparation aux concours de la fonction publique », sur Carrières Publiques (consulté le ).
  37. Geneviève Poujol, L'Éducation populaire : histoires et pouvoirs, Paris, Les éditions ouvrières, coll. Politique sociale, 1981
  38. dans La Mémoire légendaire de l’éducation populaire par Jean-Claude Richez, responsable de l’unité : Recherche, études, formation de l’Injep Article paru dans la revue pour éditée par le GREP, no 181, mars 2004, p. 106-114 https://ressources-cemea-pdll.org/IMG/pdf/memoire-legendaire-educ-popul.pdf
  39. Les 5 points ici abordés sont issus d'un document de Franck Lepage : Rapport Le Travail de la culture dans la transformation sociale, qui s'est lui-même appuyé sur Luc Carton In Éducation populaire ou animation socioculturelle, séminaires FFMJC, 1994-96
  40. « Travail et Culture - Centre de Recherche et d'Innovation Artistique et Culturelle du monde du travail », sur Travail et Culture, (consulté le ).
  41. http://www.associations.gouv.fr/639-l-agrement-de-jeunesse-et-d.html
  42. « Conseils pour tous en droit, finance & assurance », sur www.conseilasso.fr (consulté le )
  43. « Revue Résonnances », sur resonnanceseducpop.org
  44. Démocratiser la culture ! Une histoire comparée des politiques culturelles
  45. De l'éducation populaire à la politique culturelle : un demi-siècle d'action culturelle en région
  46. « Hugues Lenoir », sur Amazon.fr (consulté le ).
  47. « « Autogestion pédagogique & éducation populaire » de Hugues Lenoir », (consulté le )
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