Maren Sell

Maren Sell, née le à Deux-Ponts, est une romancière et éditrice franco-allemande. Elle a fondé la maison d'édition Maren Sell en 1986.

Biographie

Maren Sell étudie les langues et la littérature allemande et romane à l'Université de Fribourg-en-Brisgau. Pendant ses études linguistiques, elle était membre de l'Union des étudiants socialistes allemands. Elle a étudié à l’École nationale de l'audiovisuel à Stuttgart et à la Sorbonne. Elle a un doctorat de lettres modernes[1].

En 1967, Maren Sell entre en France comme jeune fille au pair[2], après avoir rencontré l'activiste Jean-Marcel Bouguereau[3]. Elle subit particulièrement le poids de ses origines allemandes à cette période[4]. Elle travaille par la suite comme journaliste et traductrice indépendante. Elle est devenue membre du parti maoïste Gauche prolétarienne au tout début des années 1970.

La fondation de Libération et la cause des femmes dans la presse

Maren Sell a participé en 1973 à la création du quotidien français Libération[2]. Très tôt, avec Jean Pierre Barrou et Pierre Audibert[5], elle proteste contre l'injustice constituée par l’embauche d’inconnus au détriment de ceux et celles qui travaillaient depuis 1971 au projet de création du journal, en particulier les bénévoles qui travaillaient avec et pour l'Agence de presse APL, concrétisé en 1973, en particulier un groupe de femmes mené par Bénédicte Zinah[5], et qui avaient une réelle expérience de journalisme militant[5]. Finalement la nouvelle équipe dirigeante de Libération, Serge July et Philippe Gavi accepta "de mauvaise grâce", permettant l'entrée dans l’équipe de Libération[5].

Elle assure toutes les deux semaines une double page consacrée à la cause et à la culture féministes. Au cours de cette première année d'existence de Libération, un «groupe femmes » rassemblant rédactrices, administratrices et fabricantes, en particulier les clavistes, essentiellement des femmes, mené par Maren Sell, fut convié à dialoguer avec Jean-Paul Sartre, qui se disait l'ami des filles[6] et déplorait que trop de signatures soient masculines[6]. Une partie d'entre elles seront intégrées au quotidien lors de sa fusion avec l'Agence de presse APL[7].

La révolution portugaise et le départ de Libération

Lors de la Révolution des Œillets, en au Portugal, le second grand événement international que Libération doit couvrir, neuf mois après le coup d'État militaire au Chili, plusieurs journalistes de la rédaction de Libération, dont Pierre Audibert, Daniel Brignon et Maren Sell sont aussitôt envoyés sur place[8], car le quotidien veut remettre à l'honneur "les envolées d'un Albert Londres". Ses reportages et informations sur la fin de la dictature portugaise et la dernière guerre coloniale en Afrique sont particulièrement remarqués, comme «La poésie est dans la rue» (). Mais les trois reporters doivent quitter le quotidien quelques semaines après. C'est le cas à l'été 1974 de Maren Sell, avec une poignée d'autres figures, incluant deux des trois fondateurs et Jean-Paul Sartre[9].

Maren Sell est en désaccord avec la ligne éditoriale imposée par Serge July[10], qui vient de prendre la direction et juge que « la révolution des Œillets n'est pas une révolution prolétarienne »[10].

Le premier doctorat d'études féminines

Autre motif de son départ, l'écrivain angliciste Hélène Cixous, depuis des années en contact avec la recherche américaine et le mouvement des femmes outre-atlantique[11], vient de co-fonder l'Université de Vincennes quelques mois plus tôt[11], entend mettre à profit la création d’un doctorat de 3e cycle par le secrétariat d’État aux Universités[11], et fonde à l'été le Centre de recherches en études féminines, doté du premier "doctorat en études féminines" en Europe[11]. L'année suivante, Hélène Cixous, dans le groupe duquel travail Maren Sell, en apportant sa connaissance de la littérature allemande, sera la première à formuler la théorie de l'écriture féminine dans son essai Le Rire de la Méduse (1975): "la femme doit écrire elle-même : elle doit écrire à propos des femmes et les conduire à écrire. Elles ont été dépossédées de la littérature aussi violemment qu'elles l'ont été de leur corps" car leur plaisir sexuel a été réprimé et rejeté.

Elle propose aussi des textes de Michel Foucault ou Marguerite Duras aux éditeurs outre-Rhin et se rend chaque année à la Foire du livre de Francfort et promeut également la culture littéraire françaiseà la radio allemande[12].

Le recueil d'entretiens pédophiles de 1975

En 1975, elle publie avec Daniel Cohn-Bendit, Jean-Marc Salmon et Michel Lévy[13] le livre Le Grand Bazar, un recueil d'entretiens de souvenirs[14] dans lequel un chapitre de Daniel Cohn-Bendit comporte certains passages à connotation sexuelle très controversés, qui seront reprochés à Daniel Cohn-Bendit pendant des décennies. Le livre est publié aux Editions Belfond puis réédité trois ans plus tard aux Editions Denoël, mais son tirage n'atteindra pas 30 000 exemplaires malgré la notoriété de Daniel Cohn-Bendit, qui ne s'est plus exprimé depuis sept ans et la couverture par Libération du livre lorsqu'il est encore en projet. Daniel Cohn-Bendit s'est pourtant fait inviter en à l'émission littéraire Apostrophes, fondée cinq mois plus tôt, le , par Bernard Pivot, en même temps que le mensuel Lire. Un des premiers autres invités a été dès François Mitterrand: Valéry Giscard d'Estaing souhaite alors donner un parfum de liberté à sa très controversée réforme de l'Ortf de l'été 1974. Daniel Cohn-Bendit échoue cependant, en juin comme en , à obtenir une autorisation pour entrer en France, dont il avait été expulsé au printemps 1968. Paul Granet, gaulliste rallié à VGE, est alors secrétaire d'État à la Formation professionnelle, et se souvient d'avoir vu en Daniel Cohn-Bendit se précipiter vers lui lors de la Foire du livre de Francfort, pour tenter d'obtenir un visa[15] et de l'avoir soutenu mais sans succès. En , Daniel Cohn-Bendit parviendra à entrer en France clandestinement mais n'y reste que dix jours. Il a saisi le tribunal administratif qui ne fera suite que par l'arrêt du , abrogeant son expulsion de 1968 mais trop tard pour qu'il souhaite en bénéficier pour revenir.

Un autre essai controversé, de l'écrivain mondain Gabriel Matzneff, a choqué, au même moment et pour les mêmes raisons: Les moins de seize ans ont "fait scandale" à cause d'un ton allègre, provocateur, qui a "tant choqué" dans Apostrophes, le , à la sortie du livre, qui déclenche un scandale et "à droite comme à gauche et les bien-pensants ne supportèrent pas", affirment ses admirateurs, tandis qu'un père de famille, choqué, porte plainte[16],[17],[18]. Un an plus tard, Gabriel Matzneff prendra prétexte de l'Affaire de Versailles pour se complaindre du manque de soutien reçu après son intervention chez Bernard Pivot[19]. Cet essai très controversé, qu'il qualifiera en 1994 de « suicide mondain », est à l'origine de sa "réputation de débauché, de pervers et de diable", selon ses propres termes. L'ouvrage, resté longtemps introuvable en librairie, n'a été réédité qu'en 2005, 31 ans après[20]. Matzneff ne sera réinvité dans Apostrophes que 15 ans après et tiendra à préciser, 40 après, que ses liens avec Mai 68 sont "égaux à zéro", son journal intime Vénus et Junon mentionnant qu'il avait quitté la France le et n'y est rentré que le , avec sa petite amie Tatiana, qui partageait sa vie en Espagne dans un village au bord de la mer, sans téléphone ni radio ni télé[21]. Ces deux publications controversées font suite à celle de l'écrivain français Tony Duvert, Le Bon Sexe illustré, en [22], peu après son article de septembre 1973 dans une revue littéraire confidentielle bimestrielle lancée en 1972 avec le concours du Centre national des lettres et de son Prix Médicis de 1973 pour un roman, et en réaction à L'encyclopédie de la vie sexuelle publiée en cinq volumes aux éditions Hachette en 1973[23].

L'activité d'éditrice

À partir de 1974, Maren Sell promeut également la culture française à la radio allemande, où elle travaillera jusqu'en 1980 sur les ondes desquelles elle propose des textes de Foucault ou Duras aux éditeurs outre-Rhin, où elle se rend chaque année [10].

Maren Sell travaille ensuite dans plusieurs maisons d'éditions, tel qu'aux Éditions Pauvert à partir de 1980 où elle a été directrice des éditions en 1999[1]. En 1986, elle fonde la maison Maren Sell Éditeurs, où sont publiés des auteurs tels que Yann Andréa, Stéphane Zagdanski ou Anouar Benmalek. Des autobiographies sur Ari Boulogne ou Christine Deviers-Joncour y paraissent. En 2004, la maison d'édition est reprise par le groupe Libella, qui a dissous le programme d'édition en 2007[24].

Elle est en 2012 membre du comité fondateur du prix Mychkine (de), prix culturel de l'Académie d’État de Karlsruhe.

Œuvres

En 2016, Maren Sell publie L'Histoire, un livre dans lequel elle raconte ses rapports avec Yann Andréa, et la liaison qu'elle a elle-même vécue avec ce dernier. L'ouvrage comprend plusieurs « lettres-poèmes » adressées par Yann Andréa à son éditrice, qui tentait de lui faire retrouver le chemin de l'écriture[25].

Vie privée

Maren Sell habite à Paris, dans une maison au cœur de Montmartre, et a une maison à Pondichéry, en Inde[2]. Elle est mariée et mère de trois enfants. L'un de ses livres est consacré à son fils adoptif tibétain, rencontré à Dharamsala, au pied de l'Himalaya[26] lors d'un voyage avec Irène Frain[27].

Distinctions

Elle est élue en 1995 Femme d'Europe par un jury de parlementaires et de journalistes européens à Bruxelles[1].

Notes et références

  1. « Maren Sell », sur www.whoswho.fr (consulté le )
  2. « Livres : Maren Sell en son royaume », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  3. Gildea, Robert., Mark, James. et Warring, Anette, 1958-, Europe's 1968 : voices of revolt, Oxford University Press, , 400 p. (ISBN 978-0-19-165127-4 et 0191651273, OCLC 851384535, lire en ligne)
  4. « Maren Sell: Une conscience allemande », France Culture, (lire en ligne, consulté le )
  5. "A l’origine du journal Libération, l’APL, l’Agence de Presse Libération", le 23 mai 2018, dans "Mémoires Vives", d'Hélène de Gunzbourg
  6. Libération 1973-1981 un moment d'ivresse", par Alain Dugrand, Editions Fayard, 11 septembre 2013
  7. «Tout dire à des gens qui veulent tout savoir. L'expérience de l'Agence Presse Libération : entretien avec Jean-Claude Verniere, propos recueillis par André Gattolin et Guy Lochard les 19 et 20 novembre 2007 pour Médiamorphoses
  8. Libération, la biographie par Jean Guisnel - 2012
  9. "Le Roman vrai de Libération" par Jean-Claude Perrier
  10. Recueil de la revue littéraire Le Matricule des anges pour l'année 2004, page 401
  11. "Les quarante vies du Centre d’études féminines et d’études de genre de Paris 8 (1974-2014)", Étude historique sur le site officiel du Cefeg
  12. Le Matricule des anges pour l'année 2004, page 401
  13. Futur journaliste au "Dauphiné libéré", Michel Lévy est le père d'Yldune Lévy, la compagne de Julien Coupat
  14. Le grand bazar: entretiens avec Michel Lévy, Jean-Marc Salmon, Maren Sell et Daniel Cohn-Bendit, Editions Denoël, 1975
  15. "Ne dites pas au Président que je suis U.D.F... il me croit socialiste", par Paul Granet, éditions de la FeniXX
  16. L'Œuvre de Gabriel Matznef
  17. . La prestation de Gabriel Matzneff à Apostrophes, vidéo de l'émission de 1975
  18. Chronologie de Gabriel Matznef
  19. Le 8 novembre 1976, dans le journal Le Monde,
  20. "Gabriel Matzneff et son obsession des moins de seize ans"par Alexandra Galakof dans "Buzz litteraire"
  21. "Gabriel Matzneff : éloge de Mai 68 "dans Le Point du 07/11/2014
  22. "Images en lutte", de Philippe Artières, Eric de Chassey, Anne-Marie Garcia, Pascale Le Thorel, et Elodie Antoine, page 746
  23. Mai-juin 68 par Dominique Damamme
  24. « Libella dissout les éditions Maren Sell », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  25. Maren aime Yann qui aime Duras, L'Hebdo, 7 janvier 2016
  26. La loi c'est l'amour par Maren Sell, 1999, Éditeur Pocket, Collection Pocket
  27. Livres Hebdo 2007

Liens externes

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