Maison de maître

La maison de maître, appelée aussi demeure de maître, est une grande bâtisse située soit en milieu urbain, soit à la campagne, souvent reconnaissable à sa base de forme rectangulaire et à ses grandes pierres angulaires apparentes[1]. Leur construction s'étale essentiellement entre le XVIIe et le début du XXe siècle, avec leur âge d'or situé entre 1850 et 1880. La présence de bâtiments d'exploitation (agricole, artisanale, industrielle…) à proximité, différencie la maison de maître de la simple maison d'habitation bourgeoise[2].

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Maison de maître construite en Normandie à la fin du XIXe siècle.

En effet, si la maison de maître est considérée comme une maison bourgeoise, la maison bourgeoise, pour sa part, n'est pas toujours une maison de maître. Le propriétaire de la maison de maître vivait du travail des autres et le surveillait : la maison était exclusivement liée à une fonction économique. Ainsi parfois, la maison peut même se trouver enclavée au milieu de ses bâtiments de production sans avoir de parc ou de jardin. Si l'architecture est un critère important pour désigner la maison de maître, il n'est pas suffisant, et c'est souvent l'historique de la maison qui permet de confirmer son statut.

Par méconnaissance, le terme de « maison de maître » est souvent utilisé à tort, notamment pour qualifier simplement, une grande maison dotée d'un certain charme[3].

Histoire

Jusqu’à la Révolution, la maison de maître bourgeoise demeure anecdotique dans le paysage français, dont la plupart des domaines appartiennent à la noblesse. En effet, ces deux catégories sociales sont en concurrences, et c'est la révolution française qui va faire vaciller la domination de la noblesse sur le patrimoine foncier. Beaucoup de nobles d'ailleurs, seront privés de leur terres et châteaux à cette occasion, au profit de la bourgeoisie.

Mais ce n'est vraiment qu'après la révolution de 1830 que le modèle bourgeois finit par s’étendre et se généraliser. Si dans un premier temps les maisons de maître bourgeoises s'inspirent des châteaux de la noblesse dans leur construction[4], elles s'en émanciperont pour avoir leur propre style à partir du milieu du XIXe siècle. La monarchie de Juillet, puis le Second Empire sont des régimes qui favorisent la bourgeoisie, et donc la création de maisons de maître, alors en pleine expansion dans les villes et les campagnes. L'agriculture a de plus le vent en poupe sous Napoléon III[5], notamment à cause du développement des transports et du début de la mécanisation : cela marque l'apogée du concept de la maison de maître, avant l'écroulement des prix de la rente foncière durant la décennie 1880[6].

Déjà à partir de 1865, un certain ralentissement se fait sentir et en 1874 l'évolution des prix est à la stagnation[7]; mais ce n'est qu'en 1880 que les prix baissent pour ne plus remonter. À partir de cette décennie, la rentabilité de ces domaines, essentiellement agricole, ne cessera de chuter, même si de nouvelles maisons de maître seront encore érigées dans les années qui suivront.

Ce n'est qu'à partir de 1900, que les nouvelles constructions se font plus rares, pour ne plus ensuite en avoir après 1914. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les maisons de maître deviennent progressivement des résidences secondaires ; leur patrimoine est bien souvent vendu et dispersé. En effet, ces maisons ne générant plus d'argent, deviennent plus coûteuses en entretien.

Se pose aussi le problème de leur modernisation (électricité, sanitaires...) qui représente un coût élevé pour ces grandes bâtisses et bien souvent les héritiers de ces domaines choisissent de vendre et d'habiter des maisons plus modernes et plus confortables[4]. Ainsi, beaucoup d'entre elles deviennent aussi de simples maisons de ville ou de village, dépossédées de leurs terres ou de leurs bâtiments de production. Pour celles qui restent en fonction, elles sont en grande partie issues de la production industrielle et viticole, qui ont été beaucoup moins impactées par la baisse des prix.

Fonction

Par sa fonction, la maison de maître est l'exact opposé de la villa qui elle, est destinée au repos ou aux loisirs[8]. Jadis, elle était généralement habitée par des notables (médecins, notaires, avocats…), des personnes de la bourgeoisie (chefs d'entreprises, propriétaires, rentiers, etc.) ou même par des paysans aisés qui ont tous en commun d'être exploitants de leur terre[2] ou leur patrimoine foncier.

La maison de maître bourgeoise est à peu près l'équivalent du manoir pour la noblesse ou de la bastide pour le sud de la France. Elle est au centre d'un domaine ou d'un ensemble immobilier de production dont la superficie peut varier de quelques centaines de mètres carrés à plusieurs hectares. L'ensemble de la propriété peut être établi en grand domaine ou au contraire, dispersé en parcelles ou bâtiments, sur l'ensemble d'un village ou d'une ville[2]. Si la production est le plus souvent agricole elle peut être aussi artisanale, minière, industrielle, etc. et peut éventuellement regrouper plusieurs secteurs. Par l'emplacement de sa maison, située non loin des bâtiments de production (ferme, usine, forge, etc.), le maître des lieux, surveille sa production et montre à tous son rôle et sa position sociale.

Description

La maison typique du milieu du XIXe siècle : le rez-de-chaussée comporte généralement une porte centrale, au sommet d'un court escalier et entouré d'une fenêtre de chaque côté. Le premier étage comporte la plupart du temps, trois fenêtres alignées sur la porte et les fenêtres du niveau inférieur. Le deuxième et dernier étage est situé dans les combles et comporte au moins une fenêtre centrale.

Le rez-de-chaussée est l'espace de travail et de réception. De travail, car c'est là où se situe la cuisine, pièce réservée aux domestiques, mais où le maître peut manger parfois avec ses ouvriers, et y commenter et distribuer le travail du jour. S'y trouve également l'office, une pièce disparue et oubliée, située généralement près de la cuisine, où était entreposé le linge de maison, la vaisselle et les provisions. Donnant souvent sur l'arrière de la maison, se trouve aussi généralement le bureau, lieu de gestion et de direction du domaine.

Les pièces de réception que sont le salon et la salle à manger, sont les pièces maîtresses de la maison, là ou la notion de maison de maître prend tout son sens[1]. Ces pièces, dont la décoration est travaillée, à travers notamment les cheminées, plafonds, boiseries, sont destinées à recevoir les clients, fournisseurs et voisins : le lieu doit impressionner. Le vestibule fait aussi partie de cet ensemble; souvent joliment décoré, c'est là que sont reçus et annoncés les invités. Chaque pièce joue une rôle précis dans la vie de la maison.

Le premier étage regroupe les chambres et le second l'espace de vie des domestiques ; ce qui définit une sorte pyramide sociale inversée dans la distribution des étages. Schéma qui se retrouve également dans les immeubles haussmanniens où les plus aisés habitaient le premier étage et les plus pauvres, les derniers[9].

Avant 1830, la chambre fait intégralement partie de l'espace de réception. Le modèle bourgeois est le premier à effectuer cette séparation. La chambre devient dès lors un endroit intime où le confort prime sur le décorum, et où le couple de propriétaires ne fait plus, au fil du temps, chambre à part.

Éléments caractéristiques

Stucs en relief, à Brummen aux Pays-Bas
Chien-assis au 2e étage

La maison de maître est parfois construite par des architectes célèbres comme Pierre-Louis Moreau-Desproux, au XVIIIe siècle, et Adrien Dubos[10], au XIXe siècle.

Elle est souvent désignée dans la tradition orale villageoise sous le nom du premier propriétaire ou de celui qui a marqué l'histoire de la maison.(exemple : la maison « Boscus» )[2].

La propriété doit répondre aux exigences du statut social de son propriétaire, notamment avoir des pièces suffisamment vastes pour y accueillir des réceptions. La maison de maître doit être vue, et exprimer la réussite sociale et professionnelle de son propriétaire ; ainsi le choix du site et de l'orientation, le matériau, la superficie, la taille, le nombre d'étages, les éléments décoratifs sont des éléments de mise en scène et font partie de la symbolique bourgeoise. Par exemple, les deux étages, les fenêtres en arcade, ont pour but de souligner le statut social du propriétaire. Comme le fait que ces maisons se trouvent souvent au centre des bourgs ou sur des hauteurs, afin d'être vues. Ainsi la maison peut ne pas avoir de parc et donner directement sur la rue. La maison de maître peut donc avoir différents rendus qui varieront en fonction de la richesse des propriétaires, du style architectural recherché et de l'époque de construction. De fait, le terme "maison de maître" englobe aussi bien l'humble maison de village ayant fait fonction de maison de maître que l'immense château luxueux dont la propriété fait plusieurs hectares.

Bien que son monde soit relativement hétéroclite, la maison de maître recèle cependant quelque éléments d'architecture caractéristique[11] :

  • le nombre important de fenêtres et des ouvertures généralement alignées et symétriques ;
  • présence assez fréquente d'au moins un chien-assis sur le toit ;
  • ses matériaux : pierres de taille ou moellon ; les murs peuvent avoir jusqu'à m d'épaisseur ;
  • la hauteur des plafonds (pouvant aller de 2,70 m à m) ;
  • présence fréquente d'un couloir central traversant la maison
  • la présence de cheminées, en marbre ou en pierres, dans la salle à manger, le salon, et également les chambres ;
  • parfois un plafond en stuc d'époque ;
  • un escalier intérieur avec une rampe en fer forgé ;
  • si la maison de maître est flanquée d'une tour, ou atteint une certaine taille, elle peut être qualifiée de château.
  • elle peut être entourée de vastes jardins agrémentés de fontaines ou de bassins, ou de parcs aux arbres centenaires, avec étangs ou sources ;
  • La maison peut éventuellement être accolée par ses bâtiments de production, mais n'en partage ni le toit ni les murs ; dans le cas contraire, la maison est qualifiée de « ferme bourgeoise » ;
  • une grille ancienne en fer forgé indique généralement l'entrée de la maison.

Autres exemples de maisons de maître

Maison de maître des habitations coloniales

Au sein des « habitations », exploitations agricoles coloniales qui s'appuyait à l'origine sur l'esclavage, se trouve également une maison de maître, accompagnée de bâtiments utilitaires (entrepôts, usine), et des cases pour loger les captifs puis les employés. La maison de maître, au sein de la maison coloniale peut être plus ou moins modeste en fonction de l'importance de la plantation. Elles sont d'une grande diversité architecturale, et s'inspirent parfois du style de la région d'origine du colon. Se retrouvent néanmoins des caractéristiques fréquentes dues à l'adaptation au climat, comme la présence de portiques, de persiennes, de galeries courantes[12].

Maison de maître dans les autres pays

Brockhampton Estate en Angleterre.

Selon les pays, le concept de « maison de maître », peut se révéler très variable, voire différent. Le point commun se situant dans la notion de domaine ou d'exploitation essentiellement centré sur l'agriculture. Également, les périodes d'activité et d'apogée pourront être différentes. Le monde anglophone sera le plus flou en termes d'équivalence : en Angleterre, il se situerait entre l’Estate et la Mansion ; alors qu'aux États-Unis, ce rôle serait plutôt rempli par les plantations du sud. Dans le monde hispanophone, cela serait l’Hacienda, néerlandophone le Patroon et germanophone l’Outshof. Au Brésil et au Portugal, le terme Fazenda est le plus souvent utilisé.

Notes et références

  1. La couleur du Zèbre, « Maison de maître - Eco-rénover dans les Vosges du Nord », sur eco-renover.parc-vosges-nord.fr (consulté le )
  2. Vincent Thébault, La maison rurale en pays d'habitat dispersé : de l'Antiquité au XXe siècle, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », , 432 p. (ISBN 978-2-7535-2353-1, lire en ligne), p. 63–73
  3. « Maison de maitre », sur Propriétés Le Figaro (consulté le )
  4. Vincent Thébault, Les Cahiers Nantais - n°54. Châteaux et maisons de maître : la propriété foncière érigée en domaine., France, , 12 p., p. 3-15
  5. André Encrevé, Le Second Empire : « Que sais-je ? » n° 739, Presses Universitaires de France, , 128 p. (ISBN 978-2-13-061067-0, lire en ligne)
  6. Jean-Pierre Boinon et Jean Cavailhès, « Essai d'explication de la baisse du prix des terres », Études rurales, vol. 110, no 1, , p. 215–234 (DOI 10.3406/rural.1988.4627, lire en ligne, consulté le )
  7. André Encrevé, Le Second Empire : « Que sais-je ? » n° 739, Presses Universitaires de France, , 128 p. (ISBN 978-2-13-061067-0, lire en ligne)
  8. « VILLA : Définition de VILLA », sur www.cnrtl.fr (consulté le )
  9. Gérard Peylet, Paysages urbains de 1830 à nos jours, Presses Univ de Bordeaux, , 498 p. (ISBN 978-2-903440-68-8, lire en ligne)
  10. Archives municipales de la ville d'Angers et d'Angers Loire Métropole, « 1897 - Architecte Adrien Dubos : Archives municipales de la ville d'Angers et d'Angers Loire Métropole », sur archives.angers.fr (consulté le )
  11. http://www.parc-loire-anjou-touraine.fr/fr/telechargements/architecture-et-habitat/referentiel/fiche2-maisonmaitre-bassedefinition.pdf
  12. Christophe Charlery, « Maisons de maître et habitations coloniales dans les anciens territoires français de l’Amérique tropicale », sur www4.culture.fr (consulté le )

Liens externes

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