Méroïtique

Le méroïtique est une langue qui fut parlée dans le royaume de Koush — dans le nord de l'actuel Soudan — depuis la fin du IIIe siècle avant notre ère jusqu'au Ve siècle ; elle fut également écrite à partir du IIe siècle avant notre ère. Ce fut la langue des pharaons koushites de la XXVe dynastie. L'alphabet méroïtique possède deux écritures distinctes : l'une en hiéroglyphes égyptiens, l'autre cursive. Bien que les signes aient été déchiffrés en 1911, la langue reste en grande partie incompréhensible. Depuis le XIXe siècle, plusieurs milliers de textes méroïtiques ont été découverts sur des sites de Nubie égyptienne et du Nord-Soudan.

Méroïtique
Période IIIe siècle av. J.-C. - Ve siècle ap. J.-C;
Pays Royaume de Koush
Région Nord du Soudan
Écriture Alphabet méroïtique
Classification par famille

Ou

Codes de langue
ISO 639-3 xmr
IETF xmr

Famille de langues

Le peu de vocabulaire connu rend difficile la classification linguistique. Depuis que l'alphabet a été déchiffré en 1909, il a été proposé que le méroïtique soit apparenté aux langues nubiennes du phylum nilo-saharien ou aux langues couchitiques du phylum chamito-sémitique.

En 1921 l'anthropologue allemand Carl Meinhof (1921/22) a proposé que le méroïtique était une langue primitive «hamitique» de la branche couchitique du phylum chamito-sémitique[1].

En 1964, l'archéologue canadien Bruce Graham Trigger proposa d'intégrer le méroïtique au groupe soudanique oriental, une branche du nilo-saharien. Récemment, le docteur en égyptologie et chercheur au CNRS Claude Rilly, considéré comme le spécialiste mondial du méroïtique[2], a classé ce dernier dans le groupe soudanique oriental nord (en), lui-même une subdivision du groupe soudanique oriental. Le groupe soudanique oriental nord rassemble en outre le nara d'Érythrée, le taman parlé à la frontière Tchad-Darfour et le nyimang / afitti (en), groupe de deux langues parlés dans les monts Nouba au Soudan[3].

Cependant Rowan (2006, 2011), note que l'inventaire sonore du méroïtique et les phonotactiques (les seuls aspects de la langue qui sont bien connus) sont similaires à ceux des langues chamito-sémitiques, et dissemblables des langues nilo-sahariennes. Par exemple, on trouve très rarement la séquence CVC, où les consonnes (C) sont toutes deux labiales ou les deux vélaires. Ceci est similaire aux restrictions consonantiques trouvées dans toute la famille des langues chamito-sémitiques, suggérant que le méroïtique pourrait avoir été une langue chamito-sémitique. Le problème n'est pas résolu et la plupart des classifications listent le méroïtique soit comme étant nilo-saharien, soit comme non classifié (comme l'a fait Joseph Greenberg)[4].

Il y a une certaine proximité linguistique entre le méroïtique et la langue couchitique bedja[5].

Systèmes d’écriture

Stèle de l'Adoption du roi Aspelta, vers -590 rédigée en hiéroglyphes.
Écriture méroïtique cursive (horizontale de droite à gauche)

Il y a quatre voyelles (/a/, qui n'est utilisé qu'en début de mot, /e/, /i/, /o/ ), quinze consonnes couplées avec /a/ (/ya/ /wa/ /ba/ /pa/ /ma/ /na/ /ra/ /la/ /cha/ (prononcé comme le ich allemand) /kha/ (comme dans Bach en allemand) /ka/ /qa/ /sa/ ou /sha/ /ta/ /da/). Il y a enfin quatre symboles syllabiques purs, et donc non modifiables par un symbole-voyelle subséquent : /n(y)e/, /se/ ou /s/, /te/ et /to/.

C'est une écriture phonographique et tant les voyelles que les consonnes sont transcrites. Ce n'est néanmoins pas une écriture alphabétique, mais un alphasyllabaire (similaire dans son principe aux écritures brahmiques qui se sont diffusés dans de nombreuses forme de l’Inde au sud-est de l'Asie), car les signes transcrivant les consonnes représentent la consonne et la voyelle implicite /a/, sauf si ce signe est suivi du signe particulier de l'une des trois autres voyelles /i/, /e/ ou /o/. Il existe également un signe particulier séparant les mots.

Il existe deux formes de cet alphabet :

  • la 1re, l’écriture méroïtique hiéroglyphique, est basée sur l'écriture égyptienne hiéroglyphique,
    cette forme est écrite verticalement et de haut en bas, parfois aussi horizontalement ;
  • la 2e, l’écriture méroïtique cursive, est basée sur l'écriture égyptienne démotique,
    cette forme est écrite horizontalement et de droite à gauche.

En informatique

En 2011, l'écriture méroïtique a été intégrée dans la version 6.1 de l'Unicode :

Déchiffrement

Au Soudan à El-Hassa temple du roi Amanakhereqerem : découverte de cinq béliers de grès dont trois portent des inscriptions permettant de décrypter le méroïtique

Après une expédition à Méroé, l'explorateur et minéralogiste français Frédéric Cailliaud publia en 1826 les premières copies de texte méroïtiques. L'écriture étant inconnue, les textes ne purent pas être lus phonétiquement. En 1911, l'égyptologue britannique Francis Llewellyn Griffith réussit à déchiffrer les signes des deux alphabets méroïtiques[6][Comment ?] Ensuite, par comparaison avec des textes pharaoniques et grecs, il parvint à isoler différents mots méroïtiques tels des noms de villes, dieux et rois. À partir de ces données il identifia plusieurs termes purement méroïtiques comme ato (eau), at (pain), qore (roi), abr (homme), kdi (femme), mlo (bon), etc. Il dégagea également plusieurs règles grammaticales simples et distingua le suffixe du génitif et les articles singulier et pluriel. C'est ainsi que plusieurs portions des textes funéraires écrits en cursive purent être déchiffrés. Malgré ces avancées significatives, d'autres textes, moins stéréotypés, notamment les stèles concernant les hauts faits des rois et des reines de Méroé, restèrent indéchiffrables. Poursuivant le travail de Griffith, les linguistes se tournent aujourd'hui vers la comparaison linguistique, espérant reconstruire la morphologie et le lexique méroïtiques à l'aide de langues apparentées parlées aujourd'hui dans le nord du Soudan[3].

En novembre 2008, René-Pierre Dissaux et Vincent Rondot découvrent cinq béliers de grès dont trois portent des inscriptions qui permettent de décrypter un peu plus la langue méroïtique qui s'écrit en hiéroglyphes et en cursives. Ils apprennent ainsi que le temple en cours de fouille est celui du roi Amanakhereqerem de la fin du Ier siècle[7].

Lexique

Lexique méroïtique selon Claude Rilly (2010 : 114-147)[8]:

nᵒtranscriptionprononciation restituéegloseremarques
1.abrabara, əbarahomme (mâle)
2.araragarçon, mâle
3.are-ar-; arak-prendre / recevoir (1)d’où ar-k- piller, razzier
4.aroẖearuɣʷəprotéger, garantir, mettre sous sa coupe
5.(a)srəɕara, ɕaraviande, animal
6.atata, utapain
7.atoatu, attueau
8.dḫedaɣ(ə)enfanté, enfant d’une mère
9.dimedimvache
10.*dm-dama-prendre, recevoir (2)synonyme de are-
11.erikeerik(ə)engendré, enfant (d’un père)
12.ḫlbiɣala(-)bitaureau
13.*ḫreɣarrepas / nourriture
14.ẖrɣʷaranord
15.kdikaɖi, kandifemme
16.kdise / kditekaɖiɕ, kaɖitsœur
17.ked-keɖ-, kəɖ-abattre / massacrer
18.l-la-donner
19.lẖlaɣʷagrand, aîné
20.mẖemaɣʷə, maɣʷuabondant
21.mkmakadieu
22.mlomalubon, beau
23.mte, msemate, maɕe / məteenfant, fils / mete cadet(te)
24.ns(e)naɕa, naɕsacrifice
25.pwritebawarit, pawaritvie
26.qorekʷursouverain
27.-seɕechaque
28.sdkɕaɖakavoyage / retour< sd-k « voyager, retourner » ?
29.semɕəma, ɕemaépouse
30.sḫiɕaɣi, ɕaŋɣipetit (?)
31.stɕatapaire de pieds, pieds
32.ste / seteɕate / ɕətəparent, tuteur, mère
33.tbotabudeux, second (?)
34.teneketenək(ə), tenek(ə)ouest
35.tke-takaimer
36.tkktakakapiller, razzier< tk-k ?
37.tre-taroffrir, faire une offrande
38.widewiɖ(ə)frère, sœur2e sens rare
39.wlewalchien
40.yerera, iralait
41.yet-mdeetamaɖ(ə)neveu, nièceau sens large : « cadet dans la lignée féminine »
42.yireqeirəkʷ(ə)sud
43.yirewkeirewak(ə), irəwak(ə), irwak(ə)est

Notes et références

  1. « Download Limit Exceeded », sur citeseerx.ist.psu.edu (consulté le )
  2. Claude Rilly, Le Champollion du méroïtique, Journal du CNRS, no 172, mai 2004.
  3. Claude Rilly, La Recherche, Les écritures non déchiffrées, Société d'éditions scientifiques, no 408, mai 2007, p. 31 à 34, (ISSN 0029-5671).
  4. "What seems clear is that there is no simple linguistic solution waiting in the wings....Greenberg, writing in 1955, was pessimistic about Meroitic: 'the language does not appear to be related to any existing language of Africa.'" Andrew Robinson. 2002. Lost Languages (McGraw-Hill). Page 154.
  5. (en) Claude Rilly et Alex de Voogt, The Meroitic Language and Writing System, Cambridge University Press, (ISBN 978-1-139-56053-5, lire en ligne)
  6. (en) Eckley B. Coxe Jr, Expedition to Nubia VI, Philadelphie, Université de Pennsylvanie.
  7. La Voix du Nord du 24 janvier 2008
  8. Rilly, Claude. 2010. Le méroïtique et sa famille linguistique. Leuven : Peeters.

Voir aussi

Bibliographie

  • Claude Rilly, La langue du royaume de Méroé : Un panorama de la plus ancienne culture écrite d'Afrique subsaharienne, Éditions Honoré Champion, 2007, (ISBN 978-2745315823).
  • Claude Rilly, Le méroïtique et sa famille linguistique, Éditions Peeters, 2010.
  • (en) Claude Rilly, « The Linguistic Position of Meroitic », Sudan Electronic Journal of Archaeology and Anthropology, mars 2004.
  • Collectif sous la direction de Jean Leclant, Répertoire d'épigraphie méroïtique : corpus des inscriptions publiées, Académie des inscriptions et belles-lettres, 2000, (ISBN 2877541134).
  • (en) Derek A. Welsby, The Kingdom of Kush, British Museum Press, Londres, 1996, (ISBN 071410986X)
  • (de) Gerhard Böhm, « Die Sprache der Aithiopen im Lande Kusch » dans Beiträge zur Afrikanistik, 34, Vienne, 1988, (ISBN 3-85043-047-2)

Articles connexes

Liens externes

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