Lucy (sonde spatiale)

Lucy est une mission spatiale de la NASA sélectionnée dans le cadre du programme Discovery rassemblant les missions d'étude du Système solaire à coût modéré. L'objectif de la mission est d'étudier in situ six astéroïdes troyens de Jupiter, qui circulent sur l'orbite de Jupiter et sont positionnés aux points de Lagrange L4 ou L5 de la planète situés en avant et en arrière de celle-ci. Lucy est le premier engin spatial à s'approcher de ces astéroïdes aux caractéristiques hétérogènes et qui, selon le modèle de Nice, sont des « fossiles » composés des matériaux primitifs qui se sont agrégés au début de l'histoire du Système solaire pour former les planètes et autres corps célestes. La mission est sélectionnée le et la sonde spatiale doit être lancée le . Après une longue phase d'approche comprenant deux assistances gravitationnelles de la Terre, la sonde spatiale doit successivement étudier les deux groupes d'astéroïdes troyens entre 2027 et 2033.

Pour les articles homonymes, voir Lucy.
La sonde spatiale Lucy survolant un astéroïde troyen (vue d'artiste).
Données générales
Organisation Goddard / NASA
Constructeur Lockheed Martin / SwRI
Programme Discovery
Domaine Étude des astéroïdes troyens de Jupiter
Type de mission Survol
Statut En développement
Lancement 21 octobre 2021
Survol de Astéroïdes troyens de Jupiter
Site
Caractéristiques techniques
Source d'énergie Panneaux solaires
Principaux instruments
L'LORRI Caméra
L'Ralph Spectromètre-imageur proche infrarouge
L'TES Spectromètre infrarouge thermique

Sélection de la mission

L'appel à propositions de la treizième mission spatiale du programme Discovery, tourné vers des missions scientifiques à petit budget, est lancée par la NASA en . Il est dès le départ prévu que cette sélection puisse aboutir à la sélection de deux missions (les 13e et 14e missions du programme) si des projets répondant aux critères de qualité sont identifiés. Pour cette mission, plusieurs conditions financières sont précisées par l'agence spatiale américaine[1],[2],[3] :

  • Un tiers du coût de la mission peut être pris en charge par un partenaire international sans être inclus dans le plafond du budget fixé à 450 millions de dollars américains.
  • La NASA apporte un bonus de 30 millions de dollars aux propositions qui retiennent le système de communications optique laser testé par la sonde lunaire LADEE.

La sélection se fait en trois étapes : la première sélection est suivie d'un deuxième tour à l'issue duquel seulement deux finalistes sont retenus pour une étude plus approfondie[4]. Le projet est sélectionné le parmi les 5 demi-finalistes de la treizième mission du programme Discovery[5]. Chaque mission reçoit 3 millions de dollars pour une étude d'un an.

Finalement, la mission est retenue au terme de la compétition le en même temps que Psyché. La mission est lancée en 2021 tandis que Psyché l'est en 2023[6]. La mission Lucy est proposée par Harold F. Levison du Southwest Research Institute à Boulder, Colorado qui en est le responsable scientifique avec comme adjoint le Dr Catherine Olkin du même institut. Le centre de vol spatial Goddard de la NASA assure la gestion du projet. La sonde spatiale doit être construite dans l'établissement de Denver de la société Lockheed Martin[7].

Contexte : le modèle de Nice et les astéroïdes troyens de Jupiter

Le responsable scientifique de la mission, Harold F. Levison, est un des quatre chercheurs à l'origine du modèle de Nice un scénario mis au point en 2005 décrivant la formation et l'évolution du Système solaire. Ce scénario fournit une explication à un certain nombre de caractéristiques du Système solaire notamment les propriétés des astéroïdes troyens de Jupiter qui circulent sur l'orbite de Jupiter et sont positionnés aux points de Lagrange L4 et L5 du système Jupiter-Soleil situés en avant et en arrière de la planète géante. Selon ce scénario les astéroïdes troyens de Jupiter sont des « fossiles » composés des matériaux primitifs qui se sont assemblés au début de l'histoire du Système solaire pour former les planètes et autres corps célestes[8].

La mission de Lucy a pour objectif d'explorer les deux groupes d'astéroïdes troyens de Jupiter en survolant successivement six d'entre eux. Si la théorie de leur formation s'avère exacte, cette étude fournit des informations importantes sur les débuts du Système solaire et éventuellement sur les composés organiques à l'origine de la vie sur Terre. Le nom donné à la mission est en rapport avec ce contexte. Lucy est un fossile d'australopithèque découvert par une équipe de chercheurs américains, français et éthiopiens codirigée par Donald Johanson (paléontologue qui a donné son nom à l'astéroïde (52246) Donaldjohanson), Maurice Taieb (géologie) et Yves Coppens (paléontologie) retrouve en 1974 les restes fossilisés. Lucy révolutionne notre connaissance des origines humaines, en démontrant que l'acquisition de la bipédie date d'au moins 3 millions d’années. Le nom donné à l'australopithèque est lui-même tiré de la chanson Lucy in the Sky with Diamonds des Beatles[9].

Développement

Le , le projet passe avec succès la revue qui clôture la phase B. Celle-ci fige le budget, la planification du développement (avec lancement en 2021) et les caractéristiques des instruments scientifiques embarqués[10].

Objectifs de la mission

Lucy doit contribuer à répondre à certaines des questions fondamentales énoncées dans le cadre du Planetary Science Decadal Survey de 2013 [11] :

  • Quelles sont les premières phases, les conditions et les processus de la formation du Système solaire.
  • Comment les planètes gazeuses géantes se sont-elles agrégées et y a-t-il des indices de leur changement d'orbite.
  • Quels sont les processus qui ont contribué à l'accrétion et quel rôle a joué le bombardement par de gros objets célestes.
  • Quelle est la source originelle des composés organiques.

Les objectifs scientifiques fixés à la mission sont d'effectuer les mesures suivantes pour tous les astéroïdes survolés[11] :

  • Composition de la surface : carte en couleurs, composition, propriétés du régolite, distribution des minéraux, des glaces et matières organiques.
  • Géologie : albédo, forme, distribution et taille des cratères, nature de la croûte, datation de la surface.
  • Structure : masse, densité, composition interne (via les éjectas), fractures...
  • Nombre, position et distribution de satellites situés dans une échelle kilométrique et des anneaux épais.

Les astéroïdes étudiés

La mission a pour objectif de survoler six astéroïdes troyens de Jupiter dont deux astéroïde de type C, deux de type D sans doute originaires de la ceinture de Kuiper et deux de type P. Les scientifiques estiment probable que ces cinq derniers astéroïdes soient riches en matériaux organiques et que leur structure interne contiennent de l'eau. Ces astéroïdes sont[12] :

Lucy doit également survoler (52246) Donaldjohanson, astéroïde de la ceinture principale de type C, avec comme objectif d'effectuer une répétition des procédures appliquées pour les survols des astéroïdes troyens[12],[Note 1].

Bien qu'ayant le même nom et éponyme que la mission, l'astéroïde de la ceinture principale (32605) Lucy n'est pas un des astéroïdes qui est exploré par la sonde. L'astéroïde (172850) Coppens, de la ceinture principale et qui porte comme (52246) Donaldjohanson le nom d'un co-découvreur de l'hominidé Lucy, n'est pas non plus une des cibles de la sonde Lucy.

Principales caractéristiques des astéroïdes étudiés[11]
Caractéristique (52246) Donaldjohanson (3548) Eurybate et Queta (15094) Polymèle (11351) Leucos (21900) Oros (617) Patrocle et Ménétios
PositionCeinture principalePoint troyen L4Point troyen L4Point troyen L4Point troyen L4Point troyen L5
Type astéroïdeCCPDDP (astéroïdal)
Diamètre3,9 km64 km et ~0,8 km21 km34 km51 km113 et 104 km
Période de rotation (heures)8,751513,5103
Albédo0,10,050,0910,080,080,047
Excentricité0,190,090,0940,070,040,12
Inclinaison orbitale4,4°8,1°12,99°12°8,5°22°
Angle de phase initial14°78°126°18°

Déroulement de la mission

Trajectoire de Lucy dans le Système solaire avec indication des survols des astéroïdes troyens de Jupiter et des corrections de trajectoire (M1 à M5).

Une trajectoire complexe est mise au point pour permettre à la sonde spatiale Lucy de survoler les sept astéroïdes en effectuant un unique passage dans les deux groupes d'astéroïdes troyens. Les orbites des astéroïdes visités ont des inclinaisons orbitales (par rapport au plan de l'écliptique) différentes les unes des autres ce qui impose de faire coïncider précisément le survol avec l'intersection entre les plans orbitaux de la sonde spatiale et du corps survolé. Tout délai dans l'heure de survol impose une correction de la trajectoire très pénalisante en carburant. Globalement la mission nécessite un changement de vitesse cumulé important évalué à 1,678 km/s. Pour passer à la distance souhaitée des astéroïdes les mesures effectuées depuis la Terre ne sont pas suffisante. Il est prévu d'avoir recours au système de navigation optique embarqué (OpNav) s'appuyant sur les caméras scientifiques afin de déterminer avec précision les corrections à apporter à la trajectoire. Pour remplir son objectif la sonde spatiale est placée après son lancement sur une orbite héliocentrique très elliptique (0,7) d'une périodicité de 6 ans (en résonance 1:2 avec la périodicité de Jupiter) dont l'apogée se situe au niveau de l'orbite de Jupiter. Lors de son premier passage à l'apogée de son orbite elle survole le premier groupe d'astéroïdes troyens, au deuxième passage, le système jupitérien ayant parcouru une demi orbite, son apogée la fait traverser le deuxième groupe de troyens.[12].

La sonde spatiale Lucy doit décoller depuis la base de lancement de Cap Canaveral en 2021. Pour effectuer son premier survol, la sonde spatiale survole à deux reprises la Terre pour gagner en vitesse grâce à l'assistance gravitationnelle de notre planète et effectue quatre corrections de trajectoire avec sa propulsion. Elle se dirige alors vers Jupiter. Durant le transit vers la planète géante elle traverse la ceinture d'astéroïdes en et doit survoler à cette occasion l'astéroïde (52246) Donaldjohanson. Elle doit arriver dans la région du point de Lagrange L4 en 2027 et survoler quatre astéroïdes d'ici la fin 2028 : (3548) Eurybate, (15094) Polymèle, (21900) Oros et (11351) Leucos. Lucy retourne ensuite dans le voisinage de la Terre pour en effectuer un second survol avant de partir en direction de la région du point L5 afin d'explorer les deux derniers astéroïdes, (617) Patrocle et sa lune Ménétios, qui orbitent l'un autour de l'autre en tant que système astéroïdal[13],[12].

Principaux événements de la mission
Date Désignation[14] Description
LancementC3 = 51,5 km2/s2
2023 ?Correction de trajectoireDelta-v = 372 m/s
Assistance gravitationnelle de la TerreSurvol à une altitude 4 501 km
Survol de (52246) DonaldjohansonVitesse de survol = 13,4 km/s
2026 ?Correction de trajectoireDelta-v = 148 m/s
Survol de (3548) EurybateVitesse de survol = 5,7 km/s
Survol de (15094) Polymèle
2027 ?Correction de trajectoireDelta-v = 71 m/s
Survol de (11351) Leucos
Survol de (21900) OrosVitesse de survol = 7 km/s
2029 ?Correction de trajectoireDelta-v = 623 m/s
Assistance gravitationnelle de la TerreSurvol à une altitude 300 km
Survol de (617) Patrocle et sa lune MénétiosVitesse de survol = 18,2 km/s

Caractéristiques techniques de la sonde spatiale

La sonde spatiale Lucy presque complètement assemblée est soulevée pour être installée sur un chariot à l'usine de Lockheed Martin (Denver, Colorado).

Lucy a une envergure en orbite de 13 mètres due essentiellement à ses panneaux solaires fixés de part et d'autre du corps de la sonde spatiale qui doivent capter le faible rayonnement solaire qui subsiste au niveau de l'orbite de Jupiter. Les données sont envoyées vers la Terre par l'intermédiaire d'une antenne parabolique de 2 mètres de diamètre[15].

Instrumentation scientifique

La charge utile comprend les trois instruments suivants [15] :

  • L'LORRI (Lucy's LOng Range Reconnaissance Imager) est une caméra permettant la prise d'images panchromatiques à haute résolution. Elle fonctionne en lumière visible (0,35-0,85 micron). Elle est chargée de prendre des images détaillées de la surface des astéroïdes. Elle dérive de l'instrument LORRI de la sonde spatiale New Horizons.
  • L'Ralph comprend une caméra haute définition MVIC (Multi-spectral Visible Imaging Camera) fonctionnant en lumière visible (0,4-0,85 micron) et un spectromètre-imageur LEISA (Linear Etalon Imaging Spectral Array) fonctionnant dans l'infrarouge (1-3,6 microns). Les deux instruments partagent la même optique. LEISA doit permettre d'identifier les différents silicates, glaces et composés organiques présents à la surface des astéroïdes. MVIC prendra des photos en couleur des astéroïdes et contribuera à déterminer s'ils sont actifs. L'instrument dérive de celui embarqué sur la mission New Horizons. Plusieurs modifications ont été apportées : la bande spectrale observée est plus large, un miroir mobile permet d'éviter de faire pivoter la sonde spatiale pour effectuer les prises d'images en continu et le détecteur infrarouge comprend 2 000 x 2 000 pixels contre 256 x 256 pour l'instrument de New Horizons[16].
  • L'TES (Lucy's Thermal Emission Spectrometer) est un spectromètre infrarouge thermique (6-75 microns). Il doit aider à déterminer certaines propriétés des astéroïdes comme leur inertie thermique, la quantité de chaleur contenue ce qui fournira des indices sur la composition et la structure des matériaux présents à la surface. Il dérive de l'instrument embarqué à bord des missions OSIRIS-REx et Mars Global Surveyor.

Notes et références

Notes

  1. Le Centre des planètes mineures l'a nommé ainsi en décembre 2015 en l'honneur d'un des co-découvreurs de l'australopithèque Lucy.

Références

  1. (en) « NASA Discovery Program Draft Announcement of Opportunity », SpaceRef,
  2. (en) Stephen Clark, « NASA receives proposals for new planetary science mission », Spaceflightnow,
  3. (en) Van Kane, « PDiscovery Finalists », The Planetary Society,
  4. (en) Van Kane, « Proposals to Explore the Solar System’s Smallest Worlds », The Planetary Society,
  5. (en) Dwayne C. Brown et Laurie Cantillo, « NASA Selects Investigations for Future Key Planetary Mission », NASA News, Washington, D.C., (lire en ligne, consulté le )
  6. (en) « NASA Selects Two Missions to Explore the Early Solar System », NASA - JPL,
  7. (en) « Lockheed Martin to Build NASA's Lucy Spacecraft, a Mission to Trojan Asteroids », Lockheed Martin,
  8. (en) Alexandra Witze, « Five Solar System sights NASA should visit », Nature News, (lire en ligne, consulté le )
  9. « Overview », sur Site du SWRI dédié à la mission Lucy, Southwest Research Institute (SwRI) (consulté le )
  10. (en) « NASA’s Mission to Jupiter’s Trojans Given the Green Light for Development », NASA,
  11. (en) Harold F. Levison, « Lucy Syrveying the diversit of troja, asteroids : the fossils of planet formation », Southwest Research Institute,
  12. (en) Dale Stanbridge, Kenneth Williams et Bobby G. Williams (aout 2017) « Lucy: Navigating a Jupiter Trojan Tour » (pdf) dans AAS/AIAA Astrodynamics Specialist : 21 p., Stevenson Washington: AAS/AIAA.
  13. (en) Casey Dreier et Emily Lakdawalla, « NASA announces five Discovery proposals selected for further study », The Planetary Society, (lire en ligne, consulté le )
  14. (en) H. F. Levison1 et l'équipe scientifique de Lucy, « LUCY: SURVEYING THE DIVERSITY OF THE TROJAN ASTEROIDS: THE FOSSILS OF PLANET FORMATION. »
  15. « The Lucy Spacecraft and Payload », sur Site SwRI consacré à la mission Lucy, Southwest Research Institute (SwRI) (consulté le )
  16. Tamsyn Brann, « Aboard the first spacecraft to the Trojan asteroids », spacedaily.com,

Bibliographie / sources

Voir aussi

Articles connexes

Demi-finalistes du programme Discovery

Lien externe

  • Portail de l’astronomie
  • Portail de l’astronautique
  • Portail des planètes mineures et comètes
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.