Liberté intellectuelle

La liberté intellectuelle fait référence au droit de chaque individu de rechercher et de recevoir des informations de tous les points de vue sans restriction[1]. Pour ce faire, il est primordial de favoriser ce qu’on désigne comme un marché des idées, c’est-à-dire une société démocratique dans laquelle l’ensemble des formes d’expression du savoir et des idées cohabitent et circulent librement[2]. De cette manière, chacun peut accéder librement aux ressources lui permettant d’explorer l’ensemble des facettes d’une problématique.[1]

Zoia Horn présentant le prix "Zoia Horn Intellectual Freedom Award" à Brewster Kahle en 2010.

« Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d’expression ; ce droit inclut la liberté d'affirmer des opinions sans interférence et de rechercher, recevoir et transmettre des informations et des idées par tous les moyens et sans tenir compte des frontières. »

 Article 19 de la Déclaration universelle des Nations Unies sur les droits de l'homme.

Les bibliothèques et la liberté intellectuelle

IFLA, Congrès mondial des bibliothèques et de l’information, Session 080, 2019.

La Déclaration sur les bibliothèques et la liberté intellectuelle de la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques (IFLA) défend le droit de chacun d’avoir accès à l’ensemble des savoirs et créations artistiques autant que de pouvoir prendre la parole pour s’exprimer publiquement[3]. Selon cette déclaration de 1999, le droit de savoir est précurseur à la liberté d’expression puisqu’il permet le développement de la pensée, alors que la liberté d’expression est requise pour un accès libre à l’information[3]. Puisque la démocratie et les droits civils en dépendent, l'IFLA affirme que la protection de la liberté intellectuelle devrait être une responsabilité fondamentale de tous les bibliothécaires et professionnel.le.s de l’information du monde[3].

Bibliothécaires au service de la liberté intellectuelle

Comment repérer des «fake news». Infographie de l'IFLA, inspiré de l'article "How to Spot Fake News", FactCheck, 2016.

Les bibliothécaires deviennent gardien.ne.s de la liberté intellectuelle par leur adhésion au code déontologique professionnel [4],[5],[6],[7],[8]. Selon le code d’éthique de l'IFLA, l’accès à l’information permettant le travail, l’éducation, le plaisir, la participation citoyenne et culturelle, et ce, pour tous les humains, représente la mission principale des professionnel.le.s de l’information[4].

Par contre, pour les professionnel.le.s de l’information, la liberté intellectuelle n’est pas simplement une question éthique au cœur des textes fondateurs[9]. Dans son livre Profession bibliothécaire, Guylaine Beaudry propose que chaque interaction des bibliothécaires représente une occasion de personnifier ces valeurs universelles[9].

En effet, la mission principale des bibliothécaires est intrinsèquement liée au maintien de la démocratie libérale[10]. David Lankes soutient que par l’accès à l’information, la transparence systémique et l’éducation, les bibliothèques fournissent les outils de la participation citoyenne[10]. Annoncée lors du 75e anniversaire de l’IFLA en 2002, la Déclaration de Glasgow sur les bibliothèques, les services d’information et la liberté intellectuelle, réitère la centralité de la bibliothéconomie pour la préservation de la liberté intellectuelle, alliée indispensable à la démocratie et la protection des droits humains[11],[12].

Alors que l’Internet permet la démocratisation de l’accès à de l’information de qualité, plusieurs ressources demeurent inexactes[13],[14]. En plus des actions et réflexions pour contrer la censure[15],[16], les bibliothécaires doivent favoriser le développement de l’esprit critique par des activités d’éducation afin de permettre aux usagers d'utiliser la documentation rationnellement[8].

Comité sur la liberté intellectuelle

  • États-Unis  : L'Intellectual Freedom Committee (IFC) est un comité de conseil de l’American Library Association (ALA), composé de 11 membres de l’ALA nommés par le conseil de l’ALA pour un mandat de deux ans. L'IFC est chargé de recommander les mesures nécessaires pour protéger les droits des utilisateurs, bibliothèques et bibliothécaires, conformément au premier amendement à la Constitution des États-Unis et à la Charte des droits des bibliothèques adoptée par le Conseil de l'ALA, travailler en collaboration avec le Bureau de la liberté intellectuelle et avec d'autres unités et responsables de l'association sur des affaires relatives à la liberté intellectuelle et à la censure[17],[18].

Législation

En droit canadien, bien que le terme « liberté intellectuelle » n'est pas spécifiquement énoncé dans la Constitution, on peut considérer à juste titre qu'elle est encadrée par d'autres libertés mentionnées dans la Charte canadienne des droits et libertés qui a été adoptée en 1982[20]. Plus précisément, les libertés de conscience, de pensée, de croyance, d'opinion, d'expression, de presse et d'autres moyens de communication sont inscrites comme fondamentales dans l'article 2 de la dite charte. La protection de ces mêmes libertés, essentiellement, est aussi garantie par la Charte des droits et libertés de la personne du Gouvernement du Québec adoptée en 1975[21].

En contexte universitaire notamment, la liberté intellectuelle est un mode d'expression de la liberté académique, laquelle peut être distincte de la liberté d'expression ou de la liberté de conscience. En droit actuel, la liberté académique n'est pas incluse dans la Charte canadienne ou la Charte québécoise. Toutefois, les libertés académiques inhérentes à une institution universitaire sont reconnues à l'article 3 de la Loi sur l'Université du Québec[22]. Certains arrêts de la Cour d'appel comme Barreau du Québec c. Boyer ou de la Cour suprême comme Mckinney c. Université de Guelph[23] considèrent comme un principe de droit administratif que l'État doit s'abstenir de trop intervenir dans les affaires internes d'une université. Au sein même d'une université, les professeurs sont des employés de l'université et sont liés par un contrat de travail avec lien de subordination. [24]

Quelques événements marquants concernant les bibliothèques québécoises

Page couverture du catalogue de la Bibliothèque de l'Oeuvre des bons livres, érigée à Montréal

1844: Les Sulpiciens créent l’Œuvre des bons livres pour promouvoir les livres qui respectent la foi et les moeurs[25]. Des bibliothèques paroissiales sont ensuite créées, à Québec et à Montréal, pour poursuivre cette même mission[26]. Cette volonté de l'Église catholique de réguler les lectures et de dicter le rôle des bibliothèques au sein de la société québécoise se ressent jusqu'à la seconde moitié du 20e siècle[27].

Entre 1930 et 1960: La censure s'exerce dans plusieurs bibliothèques. À cet égard, plusieurs livres jugés pernicieux sont retirés du catalogue de la Bibliothèque municipale de Montréal ou placé dans un espace dont l’accès est interdit nommé « l’Enfer »[28]. La bibliothèque de l’Université Laval possède aussi pendant la décennie 1940 « sa salle de l’Index »[28].

1939: L’American Library Association se positionne contre la censure pour une première fois[29] en adoptant la Library Bill of Rights[30]. Au Québec, cette position est vivement critiquée par le sulpicien Édouard Gagnon lors du congrès de l’Association canadienne des bibliothécaires de langue française en 1951[31].

1975: Georges Cartier, fondateur de la Bibliothèque nationale du Québec, publie un texte dans la revue Argus pour sensibiliser ses collègues au droit à l’information et dénoncer les tentatives d’interdiction de consultation et de saisie de documents par la Gendarmerie Royale du Canada et la Sureté du Québec dans son institution[32].

1976: Trois associations québécoises se rapportant aux milieux documentaires, c'est-à-dire l'Association des bibliothécaires du Québec (ABQLA), l'Association pour l'avancement des sciences et des techniques de la documentation (ASTED) et la Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (CBPQ), adoptent la Charte des droits du lecteur qui stipule spécifiquement que la liberté intellectuelle est un droit fondamental détenu par tous, essentiel à la vie en démocratie, et qui doit être défendu et garanti par la direction et le personnel des bibliothèques[33].

Notes et références

  1. American Library Association, « Intellectual Freedom and Censorship Q & A », sur ala.org, (consulté le )
  2. Girard, C., « Le « libre marché des idées » et la régulation de la communication publique », Klèsis Revue philosophique, no 21, , p. 218-238
  3. (en) Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques (IFLA), « IFLA Statement on Libraries and Intellectual Freedom », sur ifla.org, (consulté le )
  4. Fédération Internationale des Associations et Institutions de Bibliothèques (IFLA), « Code d'éthique de l'IFLA pour les bibliothécaires et les autres professionnel(le)s de l'information », sur ifla.org, (consulté le )
  5. [Association des bibliothécaires français, 2003, Code de déontologie du bibliothécaire cité dans] Henard, Charlotte., Renaudin, Coline (1980-....)., Villenet-Hamel, Mélanie (1975-....). et Association des bibliothécaires français., Le métier de bibliothécaire (ISBN 978-2-7654-1578-7 et 2-7654-1578-1, OCLC 1127388780, lire en ligne), p. 498-499
  6. (en) American Library Association (ALA), « Code of Ethics of the American Library Association », sur ala.org, (consulté le )
  7. Fédération canadienne des associations de bibliothèques (FCAB-CFLA), « Code d’éthique de FCAB-CFLA », sur cfla-fcab.ca, (consulté le )
  8. Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (CBPQ), « Règles d'éthique des membres de la corporation des bibliothécaires professionnels du Québec », sur cbpq.qc.ca, (consulté le )
  9. Guylaine Beaudry, Profession bibliothécaire, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, , 68 p. (ISBN 978-2-7606-3118-2, lire en ligne), p. 9
  10. R. David Lankes (trad. Traduction collective sous la direction de Jean-Michel Lapointe), Exigeons de meilleures bibliothèques. Plaidoyer pour une bibliothéconomie nouvelle, Montreal, Éditions Sens Public, (ISBN 978-2-924925-07-2, lire en ligne), p. 49-55
  11. [IFLA, 2002, Déclaration de Glasgow sur les bibliothèques, les services d’information et la liberté intellectuelle, cité dans] Henard, Charlotte., Renaudin, Coline (1980-....)., Villenet-Hamel, Mélanie (1975-....). et Association des bibliothécaires français., Le métier de bibliothécaire (ISBN 978-2-7654-1578-7 et 2-7654-1578-1, OCLC 1127388780, lire en ligne), p. 497
  12. (en) Fédération Internationale des Associations et Institutions de Bibliothèques (IFLA), « The Glasgow Declaration on Libraries, Information Services and Intellectual Freedom », sur ifla.org, (consulté le )
  13. [IFLA, 2002, Manifeste Ifla pour internet, cité dans] Henard, Charlotte., Renaudin, Coline (1980-....)., Villenet-Hamel, Mélanie (1975-....). et Association des bibliothécaires français., Le métier de bibliothécaire (ISBN 978-2-7654-1578-7 et 2-7654-1578-1, OCLC 1127388780, lire en ligne), p. 495-496
  14. Fédération Internationale des Associations et Institutions de Bibliothèques (IFLA), « Le Manifeste Internet IFLA (Version 2014) », sur ifla.org, (consulté le )
  15. (en) American Library Association (ALA), « Banned Books Week (September 27-October 3, 2020) », sur ala.org (consulté le )
  16. Michel Melot, « Censures sur la censure ? », Bibliothèque(s), revue de l'association des bibliothécaires de France, , p. 10-11 (ISSN 1632-9201, lire en ligne)
  17. (en) admin, « Intellectual Freedom Committee (IFC) », About ALA, (consulté le )
  18. (en-US) « 50 Years of Intellectual Freedom », sur American Libraries Magazine, (consulté le )
  19. la Fédération canadienne des associations de bibliothèques, « Comité de la FCAB-CFLA sur la liberté intellectuelle » (consulté le )
  20. Gouvernement du Canada, Loi constitutionnelle de 1982, , partie 1, « Charte canadienne des droits et libertés »
  21. QUÉBEC. Charte des droits et libertés de la personne, C-12, à jour au 14 juin 2020, [Québec], Éditeur officiel du Québec, c2020, pag.* multiple.
  22. RLRQ, U-1
  23. [1990] 3 RCS 229
  24. Jonathan Leblanc. Liberté d’enseignement, principales questions juridiques. En ligne Page consultée le 2021-01-02
  25. Éric Leroux, « Brève chronologie de l’histoire des bibliothèques et de la bibliothéconomie au Québec : des débuts aux années 1960 », Documentation et bibliothèques, vol. 54, no 2, , p. 200 (ISSN 0315-2340 et 2291-8949, DOI 10.7202/1029335ar, lire en ligne, consulté le )
  26. Hébert, P., Landry, K., & Lever, Y., Dictionnaire de la censure au Québec : Littérature et cinéma, Québec, Les Éditions Fides, , p. 79
  27. France Bouthillier, « Des idéologies et une culture : la signification sociale des bibliothèques publiques », Documentation et bibliothèques, vol. 41, no 4, octobre–décembre 1995, p. 205-2016 (lire en ligne)
  28. Hébert, Pierre, 1949-, Landry, Kenneth, 1945- et Lever, Yves, 1942-2020., Dictionnaire de la censure au Québec : littérature et cinéma, Fides, (ISBN 2-7621-2636-3 et 978-2-7621-2636-5, OCLC 63468049, lire en ligne), p. 81
  29. Krug, J. F., « Intellectual Freedom and the American Library Association (ALA): Historical Overview [ELIS Classic] », dans Encyclopedia of Library and Information Sciences, Third Edition, CRC Press, (ISBN 978-0-8493-9711-0, lire en ligne), p. 2820–2830
  30. American Library Association, Library Bill of Rights, (lire en ligne)
  31. Hébert, P., Landry, K., & Lever, Y., Dictionnaire de la censure au Québec : Littérature et cinéma, Québec, Les Éditions Fides, , p. 82
  32. Cartier, G. (1975). Un droit censuré à l’information. Argus, 45, 95‑96.
  33. Association des bibliothécaires du Québec / Quebec Library Association (ABQLA), Association pour l’avancement des sciences et des techniques de la documentation (ASTED), Corporation des bibliothécaires professionnels du Québec (CBPQ), Charte des droits du lecteur, , 1 p. (lire en ligne)
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