Liber Eliensis

Le Liber Eliensis est une chronique anonyme en latin médiéval rédigée au XIIe siècle à l'abbaye d'Ely, dans la région des Fens à l'est de l'actuel Cambridgeshire. Son auteur est inconnu.

Liber Eliensis

Deux pages du manuscrit du Liber Eliensis de Trinity College.

Auteur Inconnu
Genre Chronique médiévale
Version originale
Langue Latin médiéval
Titre Liber Eliensis
Lieu de parution abbaye d'Ely
Date de parution XIIe siècle

Cette chronique retrace l'histoire de l'abbaye de sa fondation en 673 jusqu'en 1170 environ, en s'appuyant sur de nombreuses sources antérieures. Parmi les histoires locales produites dans divers monastères à la fin du XIIe siècle, elle est la plus longue qui nous soit parvenue, et constitue donc une source importante pour l'histoire d'Ely et de sa région.

Le Liber relate les miracles attribués à Etheldrède, la fondatrice de l'abbaye ; sa destruction par les Vikings et sa reconstruction sous le règne d'Edgar le Pacifique ; son élévation au rang d'évêché en 1109 et la vie des premiers évêques d'Ely, notamment Néel et ses démêlés avec le roi Étienne de Blois.

Il subsiste deux manuscrits complets du Liber, conservés au Trinity College de Cambridge et à la cathédrale d'Ely, ainsi que plusieurs fragments dispersés d'autres manuscrits.

Composition originale

La cathédrale actuelle d'Ely (Cambridgeshire, Angleterre).

Le Liber Eliensis est rédigé à l'abbaye d'Ely, qui ne devient cathédrale qu'en 1109[1]. D'après l'historienne Elisabeth van Houts, il est rédigé en deux étapes : la première partie se fait sous l'évêque Hervé le Breton qui dirige le diocèse de 1109 à 1133, et la seconde sous Geoffrey Ridel, évêque de 1173 à 1189. Van Houts estime que la première étape consiste à traduire en latin des œuvres en vieil anglais, et que c'est Hervé qui commande ce travail[2].

Pour Ernest Blake en revanche, le contenu du Liber indique qu'il y a trois parties distinctes. L'une commence après 1131, date à laquelle est disponible l'une des sources employées ; le deuxième comporte une préface qui formule des regrets quant aux délais de rédaction, et ne pourrait pas être antérieure à 1154 puisqu'il y est fait mention d'événements datant de cette-là. Enfin, la troisième et dernière partie est écrite entre 1169 (date de la mort de l'évêque Néel, mentionnée dans le livre) et 1174, date où un nouvel évêque est nommé : comme aucun nom n'est évoqué à la suite de Néel, Blake estime que le troisième livre doit être achevé avant la prise de fonctions de l'évêque suivant[3].

Le ou les auteurs sont mal identifiés, bien que les noms de deux moines d'Ely, Thomas et Richard, soient explicitement cités dans le texte, et que l'hypothèse de Richard soit tenue pour la plus probable par plusieurs historiens[4]. Il n'y a toutefois aucune certitude à ce sujet, en dehors du fait qu'il est composé par des membres de la communauté du monastère d'Ely[5].

Sources

L'une des sources principales du Liber Eliensis est l'Histoire Ecclésiastique de Bède le Vénérable (folio 3v du codex Beda Petersburgiensis, Saint-Pétersbourg).

Le livre relève largement d'une forme de compilation de diverses sources antérieures. On y relève principalement des parties de l'Histoire ecclésiastique du peuple anglais de Bède le Vénérable, de la Chronique des chroniques de Jean de Worcester, et de la Gesta Guillelmi II ducis Normannorum due à Guillaume de Poitiers. D'autres sources moins utilisées apparaissent également : la Chronique anglo-saxonne ; l'Historia Ecclesiastica d'Orderic Vital ; la Vie de saint Wilfrid d'Étienne de Ripon ; la Gesta Pontificum Anglorum de Guillaume de Malmesbury ; une liste des rois de Wessex ; le poème ancien de La Bataille de Maldon ; et plusieurs Vies de saints, dont certaines écrites par Eadmer, Félix de Burgondie, Abbon de Fleury, Goscelin et Osbern de Cantorbéry[6]. Le texte sur Maldon est intégré à cause du rôle clé qu'y joue Byrhtnoth, l'un des bienfaiteurs du monastère[7].

D'autres ouvrages sont exploités qui concernent plus directement l'abbaye d'Ely, essentiellement le Libellus d'Æthelwold de Winchester dont de larges extraits sont copiés dans le Liber[8]. S'y trouve également des extraits d'une Vie plus ancienne de sainte Etheldrède, fondatrice et première mère supérieure du monastère[9]. Des ouvrages sur divers bienfaiteurs du monastère sont aussi exploités, ainsi que des données provenant de trois cartulaires[10]. Ces documents sont traduits du vieil anglais vers le latin au moment de leur compilation[7]. Enfin, comme le Liber l'indique lui-même, un ouvrage sur Hereward est utilisé, écrit par un moine du nom de Richard ; les historiens s'accordent à y reconnaître la Gesta Herwardi que l'on connaît grâce à un manuscrit du XIIIe siècle, bien qu'on ignore si le rédacteur du Liber a eu accès au texte de la Gesta tel que nous le connaissons, ou bien à une autre version, plus ancienne[11].

Un certain nombre de ces sources peuvent avoir été transmises oralement. Beaucoup d'histoires dans les parties narratives du Liber ressemblent à des sagas scandinaves, comme l'histoire du roi Knut le Grand rendant visite au monastère et chantant une chanson anglo-saxonne à l'assemblée des moines. Il est possible que l'information portant sur Hereward et Byrhtnoth provienne de légendes orales qui auraient été retranscrites[12].

Contenu

Le roi Étienne représenté par Matthieu Paris (MS Claudius D VI, bibliothèque Cotton, British Library).

Le Liber Eliensis se divise en trois livres. Le premier contient un prologue et une préface, et s'intéresse à la fondation de l'abbaye et à son histoire jusqu'aux invasions vikings du IXe siècle, ainsi qu'à l'hagiographie de sa fondatrice Etheldrède. Il se termine sur une description de la destruction de l'abbaye par les Danois, et sur une narration du règne du roi Edgar (959-975)[13].
Le deuxième livre ouvre sur la restauration de l'abbaye sous le règne d'Edgar et de l'évêque Æthelwold. Il contient un relevé des abbés successifs jusqu'au dernier, nommé Richard, ainsi qu'un ensemble de chartes et d'autres éléments documentaires[14].
Le troisième livre décrit la transformation de l'abbaye en un évêché, et évoque quelques-uns des premiers évêques. Il se conclut sur une description du martyre de Thomas Becket. Là encore, des documents et chartes relatifs aux évêques s'intercalent entre les éléments de narration historique[15].

Le Liber évoque également les désastres vécus lors du règne du roi Étienne. Le chroniqueur indique que des mauvaises récoltes, associées au pillage de la région, mènent à des situations de famine : la région qui entoure l'abbaye à une quarantaine de kilomètres à la ronde est jonchée de cadavres sans sépulture, et le prix du baril de grain monte à 200 pence. Les oppositions entre l'évêque Néel et le roi Étienne sont présentées dans le détail, ce qui mène à des digressions sur la bataille de Lincoln et sur d'autres sujets qui ne sont plus directement liés à Ely. Le Liber donne un aperçu complet de la carrière de Néel, mais l'auteur a tendance à défendre davantage Étienne que son propre évêque. L'accession du roi Henri II au trône d’Angleterre est présentée comme une excellente nouvelle, et le texte ne tarit pas d'éloges sur sa personne[16].

Une partie importante du texte est consacrée aux miracles et à l'hagiographie de la sainte patronne d'Ely, Etheldrède. L'ouvrage commence même par une Vie d'Etheldrède fort semblable à d'autres Vies de saints écrites par Goscelin au XIe siècle ; or il est établi que Goscelin a visité l'abbaye[17]. Il est possible que cet écrit ait pu contribuer à augmenter l'afflux de pèlerins en direction d'Ely ; il permet aussi d'expliquer l'origine de certaines donations. Beaucoup d'offrandes faites à l'abbaye sont ainsi décrites, comme la nappe d'autel offerte par la reine Emma, femme d'Æthelred II puis de Knut le Grand[18]. Il est souvent écrit, dans les parties dédiées aux miracles, que quiconque souhaite bénéficier de miracles similaires doit venir au monastère pour y faire un don[19]. D'après l'historienne Jennifer Paxton, c'est précisément pour faire affluer davantage de pèlerins au monastère que le Liber a été écrit[20].

Un autre élément important dans le Liber concerne les terres acquises par l'abbaye. Il intègre trois inventaires pré-existants des possessions de l'abbaye, et dresse une liste de tous les dons reçus avec l'identité du donateur et parfois des détails biographiques. Ce relevé précis est effectué afin de pouvoir défendre les droits de l'abbaye en cas de conflit interne ou externe, et notamment vis-à-vis d'un évêque qui pourrait vouloir s'attribuer les biens acquis par les moines, une fois l'abbaye convertie en évêché. La chronique fait également état de la division des propriétés entre les moines et le nouvel évêque. Le chroniqueur indique que cette division intervient lors de l'épiscopat du premier évêque, Hervé le Breton, et qu'elle n'est guère favorable aux moines qui conservent à peine de quoi subsister. D'autres documents complètent ultérieurement cette question, qui sont issus des évêques et traitent également de ces divisions de propriété[21]. Un conflit est également évoqué entre l'abbaye et plusieurs évêques de Lincoln, conflit qui dure jusqu'à l'élévation d'Ely au statut d'évêché[22].

Un troisième élément du texte concerne les enterrements effectués à Ely, dont le nombre et l'importance sont mis en avant. L'intention est ici de pousser davantage de personnalités à s'y faire également enterrer, ce qui assure à la communauté une source de revenus par le biais des donations de candidats voulant s'assurer une inhumation sur place. Le Liber évoque ainsi les enterrements d'Æthelstan et d'Ælfwine, évêques d'Elmham, ainsi que de Wulfstan, archevêque d'York[23].

Influence

Autoportrait du chroniqueur Matthieu Paris (manuscrit de la British Library).

Le Liber est connu du chroniqueur Matthieu Paris au XIIIe siècle, qui l'exploite pour ses travaux historiques avec la Chronicon Abbatiae Rameseiensis de l'abbaye de Ramsey. Roger de Wendover, un autre chroniqueur du même siècle, en a également connaissance[24].

Certaines informations contenues dans le Liber sont importantes pour les historiens : ainsi, il y est établi pour la première fois qu'Æthelwold a traduit la Règle de saint Benoît en vieil anglais[25]. Le Liber constitue le plus long des récits historiques produits en Angleterre au XIIe siècle[26], et il contient une description de la chancellerie royale : ce serait la plus ancienne preuve de l'existence dans le royaume Anglo-Saxon de cet office, qui avait en charge la rédaction de documents officiels. Il est fait mention du titre de « chancellerie » qui serait attribué à l'abbaye par le roi Edgar, mais l'authenticité de ce passage pose difficulté[27]. L'existence même d'un office de chancellerie formel dans l'Angleterre d'avant la Conquête est encore l'objet de débats chez les historiens[28].

Le Liber est écrit dans l'intention d'appuyer les prétentions d'Ely à exercer l'ensemble des droits royaux au sein de son hundred[29],[30] ; pour y parvenir, il compile des documents antérieurs au passage de l'abbaye au statut d'évêché, et qui visaient alors à permettre à l'abbaye d'échapper au contrôle de l'évêque. Ces documents peuvent alors avoir être forgés de toutes pièces, ou au moins modifiés pour servir la cause défendue : les historiens les traitent donc avec la plus grande prudence[29]. Néanmoins, l'ensemble reste une source de référence pour l'aspect historique de la période qu'il couvre, ainsi que pour l'histoire interne de l'abbaye et du diocèse[31]. L'historienne Dorothy Whitelock qualifie l'ouvrage d'« unique parmi les histoires monacales qui suivent la Conquête »[32]. Sa consœur Antonia Grandsen le qualifie de « précieux pour ce qui touche à l'histoire générale » mais atténue sa portée en disant que « l'ensemble manque d'unité et contient des erreurs et des répétitions gênantes[26] ».

Manuscrits

Deux manuscrits complets existent aujourd'hui, l'un conservé au Trinity College de Cambridge (appelé manuscrit E), et l'autre au chapitre de la cathédrale d'Ely, appelé manuscrit F. Le manuscrit E date de la fin du XIIe siècle, et porte la marque de trois copistes différents[33] ; il est confié au Trinity College par l'antiquaire Roger Gale en 1738. Le manuscrit F date du début du XIIIe siècle, il est réalisé par quatre copistes[33] et n'est jamais sorti d'Ely : il s'agit du seul manuscrit d'Ely qui subsiste de la bibliothèque médiévale qui s'y trouvait[34].

D'autres manuscrits des XIIe et XIIIe siècles, dont plusieurs sont conservés à la British Library de Londres (manuscrits A, B et G notamment), contiennent des fragments du livre entier[35],[36]. Il est difficile d'établir les liens exacts qui relient ces différents manuscrits isolés et les éléments du Liber tel qu'il est finalement compilé[37]. D'autres manuscrits encore se basent sur le Liber, mais seulement pour en extraire certains éléments : c'est le cas par exemple du manuscrit O de la bibliothèque Bodléienne d'Oxford[36].

Références

  1. Stafford 1989, p. 20, 180-181.
  2. van Houts 2002, p. 110.
  3. Blake 1962, p. xlvi-xlix.
  4. Fairweather 2005, p. xvii.
  5. Gransden 1974, p. 272.
  6. Blake 1962, p. xxviii-xxix.
  7. Gransden 1974, p. 274.
  8. Stafford 1989, p. 16.
  9. Blake 1962, p. xxx-xxxi.
  10. Blake 1962, p. xxxviii-xxxix.
  11. van Houts 1999, p. 202-204.
  12. Gransden 1974, p. 275.
  13. Fairweather 2005, p. 9-11.
  14. Fairweather 2005, p. 85-95.
  15. Fairweather 2005, p. 286-296.
  16. Gransden 1974, p. 280-281.
  17. Gransden 1974, p. 282.
  18. Gransden 1974, p. 284-285.
  19. Paxton 2003, p. 124.
  20. Paxton 2003, p. 128.
  21. Gransden 1974, p. 283-284.
  22. Gransden 1974, p. 286.
  23. Paxton 2003, p. 132-134.
  24. Gransden 1974, p. 374 et note 147.
  25. Gneuss 1972, p. 73-74 et note 3.
  26. Gransden 1974, p. 270.
  27. Gransden 1974, p. 276.
  28. Rankin 2001.
  29. Blake 1962, p. xlix-l.
  30. Warren 1987, p. 46-47.
  31. Blake 1962, p. liii-liv.
  32. Citée dans Royal Historical Society Texts and Calendars II, p. 90.
  33. Blake 1962, p. xxiii-xxiv.
  34. Owen 1973, p. 4.
  35. Blake 1962, p. xxv.
  36. Fairweather 2005, p. 25.
  37. Blake 1962, p. xlii.

Bibliographie

  • (en) Ernest Oscar Blake, « Introduction », dans Liber Eliensis, Royal Historical Society, (OCLC 462668616), xxiii–lx.
  • (en) Janet Fairweather, « Introduction », dans Liber Eliensis, Boydell Press, (ISBN 978-1-84383-015-3), xiii–xliv.
  • (en) Helmut Gneuss, « The Origin of Standard Old English and Æthelwold's school at Winchester », dans Anglo-Saxon England 1, Cambridge University Press, (OCLC 1716466, DOI 10.1017/S0263675100000089), p. 63–93.
  • (en) Antonia Gransden, Historical Writing in England c. 550-c. 1307, Cornell University Press, , 610 p. (ISBN 0-8014-0770-2).
  • (en) Dorothy Owen, The Library and Monuments of Ely Cathedral, Dean and Chapter of Ely, (OCLC 1086117).
  • (en) Jennifer Paxton, « Textual Communities in the English Fenlands: A Lay Audience for Monastic Chronicles? », dans Anglo-Norman Studies XXVI: Proceedings of the Battle Conference 2003, Boydell Press, (OCLC . 56067226), p. 123-137.
  • (en) Susan Rankin, « Chancery, Royal », dans The Blackwell Encyclopaedia of Anglo-Saxon England, Blackwell Publishing, (ISBN 978-0-631-22492-1), p. 94-95.
  • (en) Pauline Stafford, Unification and Conquest : A Political and Social History of England in the Tenth and Eleventh Centuries, Edward Arnold, , 232 p. (ISBN 0-7131-6532-4).
  • (en) Elizabeth van Houts, « Hereward and Flanders », dans Anglo-Saxon England 28, Cambridge University Press, (ISBN 0-521-65203-0, DOI 10.1017/S0263675100002325), p. 201-223.
  • (en) Elizabeth van Houts, « Historical Writing », dans A Companion to the Anglo-Norman World, Boydell Press, (ISBN 978-1-84383-341-3), p. 103–121.
  • (en) W. L. Warren, The Governance of Norman and Angevin England 1086–1272, Edward Arnold, (ISBN 0-7131-6378-X).
  • (en) « Britisch History Academy », (consulté le )
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