Le Déclin de l'Occident

Le Déclin de l'Occident (Der Untergang des Abendlandes) est un essai en allemand publié en 1918 (pour la première partie) et 1922 (pour la seconde) par Oswald Spengler. L'auteur y développe une synthèse historique qui rassemble tout à la fois l'économie politique et la politique, les sciences et les mathématiques, les arts plastiques et la musique. Cet ouvrage se présente comme une application aux phénomènes culturels de la méthode morphologique qu'avait élaborée Goethe pour les sciences naturelles et qui consiste dans le fait de dériver les phénomènes à partir d'un « phénomène primitif unique ». Il fut traduit en français par le philosophe Mohand Tazerout en 1931-1933[1].

Le Déclin de l’Occident

Auteur Oswald Spengler
Pays République de Weimar
Genre essai historique
Version originale
Langue allemand
Titre Der Untergang des Abendlandes – Umrisse einer Morphologie der Weltgeschichte
Éditeur Verlag C. H. Beck
Lieu de parution Vienne puis Munich
Date de parution 1918-1923
Version française
Traducteur Mohand Tazerout
Éditeur Gallimard
Lieu de parution Paris
Date de parution 1931 (Forme et réalité, 2 volumes)

1933 (Perspectives de l'Histoire universelle, 3 volumes)

Série Bibliothèque des Idées

« Esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle »

C'est pour souligner l'influence de la méthode morphologique de Goethe que Spengler a donné au Déclin de l'Occident le sous-titre « Esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle ». En effet, cette œuvre analyse l'histoire en distinguant de grandes cultures historiques qui, semblables à des êtres biologiques, naissent, croissent, déclinent et meurent. Il distingue huit grandes cultures principales et trois attitudes principales propres à l'Occident : l'attitude apollinienne, l'attitude magique et l'attitude faustienne. Cette synthèse se veut froide et lucide.

Spengler est aussi l'un des derniers auteurs saisis par le romantisme du fracas des civilisations et la mélancolie des fins du monde. Il développe, par ailleurs, une vision cyclique ou « sphérique » de l'histoire, où cette dernière n'a pas de sens. Chaque culture est déterminée par son héritage, ses valeurs et son sentiment du destin.

Dans le second volume, paru en 1922, Spengler met l'accent sur les différences entre le socialisme allemand, qui est à son avis compatible avec le conservatisme prussien, et le marxisme. En 1924, au terme de la crise économique, Spengler s'engage en politique avec le projet de porter au pouvoir le général Hans von Seeckt ; ce sera un échec.

Réactions

Le Déclin de l'Occident est l'un des essais historiques les plus controversés parus depuis 1918. Son succès tient d'abord au contexte de sa parution, la Première Guerre mondiale ayant ébranlé les thèses positivistes et scientistes[2] ; ensuite à la synthèse d'une profusion de faits scientifiques qu'effectue Spengler pour en former une fresque d'ensemble. Spengler conçoit ainsi une histoire universelle  une collection ordonnée des événements, passés, présents ou à venir  qui a fasciné nombre de lecteurs.

Les aspects particulièrement controversés de l'étude de Spengler auront été, d'une part, son formalisme historique  une juxtaposition d'analogies historiques qui le discrédite auprès de certains spécialistes  et, d'autre part, les conclusions politiques que tire Spengler de sa conception cyclique des Grandes Cultures. Enfin, on lui reprochait son dilettantisme.

Spengler lui-même qualifiait son livre de « Métaphysique », ce qui n'empêcha pas l'historien britannique Arnold Joseph Toynbee de l'admirer toute sa vie, et l'on trouve même chez un Franz Borkenau une discussion très fouillée des principes de Spengler[3]. Dans de larges couches du monde des lettres, particulièrement en Allemagne et en Autriche, son épopée des civilisations fut prise au sérieux par des auteurs tels que Thomas Mann, Egon Friedell, Gottfried Benn, Ludwig Wittgenstein[4], Martin Heidegger, Henry Miller[5], Richard de Coudenhove-Kalergi, Ernst Jünger, Emil Cioran

La recension du second volume du Déclin de l'Occident que publie le magazine américain Time, en 1928, commence par rappeler l'immense influence et les controverses suscitées au long de la décennie écoulée par les idées de Spengler :

« Lorsque le premier volume du Déclin de l'Occident parut en Allemagne il y a quelques années, il s'en vendit des milliers d'exemplaires. Le discours des intellectuels européens était saturé de Spengler. Le spenglérisme transpirait des stylos d'innombrables disciples. Il fallait avoir lu Spengler, qu'on partage ses idées ou qu'on s'en indigne ; et cela reste vrai[6]. »

En conclusion d'une critique accablante, Robert Musil reconnaissait que si d'autres auteurs n'avaient pas commis autant d'erreurs, c'était qu'ils ne s'étaient aventurés que sur un seul versant des connaissances. Il caricature ainsi la « méthode Spengler » :

« Il y a des papillons jaune citron, il y a des Chinois jaune citron. On peut donc affirmer que dans une certaine mesure, le papillon est, pour l'Europe centrale, l'analogue nain et ailé du Chinois : papillon et Chinois sont en effet tous deux des évocations du plaisir des sens. Voilà pour la première fois établie la correspondance entre l'ère du Lépidoptère et la culture chinoise. Que le papillon ait des ailes et que le Chinois en soit dépourvu n'est qu'un épiphénomène[7] »

Thomas Mann fit d'abord l'éloge du livre avec emphase et proposa de lui décerner le Prix Nietzsche : il y voyait un « livre empreint du sens tragique, aux hypothèses audacieuses, dans lequel on retrouve les traits essentiels nécessaires aujourd'hui à l'Allemand[8]. » Mais dès 1922, alors qu'il commençait à se réconcilier avec la République de Weimar, il prit davantage ses distances avec Spengler. S'il appréciait toujours la brillante épopée, il se démarquait du pessimisme schopenhauérien et du sens tragique de l'auteur. L'œuvre lui paraissait trop fataliste et défaitiste :

« Ces idées préconçues et ce mépris de l'Homme sont le fonds de commerce de Spengler… Il a tort de présenter Goethe, Schopenhauer et Nietzsche comme les inspirateurs de sa prophétie de hyène[9]. »

Karl Popper rédigea Misère de l'historicisme[10] en réaction contre le principe spenglerien selon lequel il y aurait des lois historiques immuables. Le critique marxiste Georg Lukács voyait dans l'essai de Spengler une étape entre Nietzsche et Hitler[11].

Theodor Adorno ne défendit pas la philosophie de l'histoire de Spengler dans son ensemble contre les critiques tendancieuses et en partie parfois sciemment diffamantes de l'Après-guerre mais il les jugeait trop simplistes et trop définitives :

« Spengler compte au nombre des théoriciens de l'extrémisme dont la critique du Libéralisme des progressistes se dévoile pas à pas. »

Adorno approuve l'interprétation que fait Spengler du fascisme comme un césarisme moderne et développe les arguments par lesquels il s'en prend à la culture de masse et au système des partis. Toutefois, la plus grande partie de l'essai d'Adorno désapprouve fondamentalement l'interprétation de Spengler sur le cours sanglant de l'histoire : après avoir constaté que « Nietzsche, dont Spengler imite à satiété le style grandiloquent, sans jamais, contrairement à Nietzsche lui-même, se résigner à se réconcilier avec le monde », il en vient à la critique décisive suivante :

« Spengler et ses semblables sont moins les prophètes du tour pris par l'Esprit du Monde que ses acteurs zélés[12]. »

Récemment, l'historien belge David Engels reprit la thèse spenglerienne et postula, sur base d'une comparaison systématique de douze indicateurs de crise, des analogies fondamentales entre la crise de l'Union européenne du 21e siècle et la chute de la République romaine tardive[13].

Influences ultérieures

L'essai de Spengler a influencé entre autres Arnold Toynbee et John Bagot Glubb qui, analysant les cycles de croissance et d'effondrement de 17 civilisations et non juste de l'Occident, en recense les similitudes et s'aperçoit que toutes ont le même cycle, et ne diffèrent que dans la phase finale qui les achève au terme de leur déclin[14]

Notes et références

  1. https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31393017b
  2. « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », écrit à cette même époque Paul Valéry.
  3. Cf. Franz Borkenau, Ende und Anfang : Von den Generationen der Hochkulturen und der Entstehung des Abendlandes, Klett-Cotta, , 555 p. (ISBN 3-608-93032-9).
  4. (en)DeAngelis W., Wittgenstein and Spengler, Dialogue, vol. 33, 1994 ; publié en livre Ludwig Wittgenstein - A Cultural Point of View (Ashgate Wittgensteinian Studies), 2007.
  5. Henry Miller consacre le chapitre final de son livre Plexus (1952) au Déclin de l’Occident, citant textuellement de longs passages de l’œuvre, célébrant et glosant les réflexions de Spengler : « Néanmoins, j’ai une immense gratitude pour Oswald Spengler d’avoir accompli cet étrange tour de force  décrire à merveille la sinistre atmostphère d’artério-sclérose qui est la nôtre, et en même temps briser le monde rigide de la pensée qui nous enveloppe, nous libérant ainsi  à tout le moins en pensée. À chaque page, pratiquement, un assaut se livre contre les dogmes, convictions, superstitions et modes de pensée qui caractérisent les quelques dernières centaines d’années de la « modernité ». Théories et systèmes sont jetés en tous sens comme des quilles. Tout le paysage conceptuel de l’homme moderne est dévasté. Ce qui émerge n’est pas les ruines savantes du passé mais des mondes nouvellement recréés où l’on peut « participer » avec ses ancêtres, revivre le Printemps, l’Automne, l’Été, voire l’Hiver, de l’histoire de l’homme. Au lieu d’avancer en titubant à travers les dépôts glaciaires, on est emporté sur un flot de sève et de sang. Le firmament lui-même se trouve remanié. C’est là le triomphe de Spengler — d’avoir fait revivre le Passé et l’Avenir dans le Présent. On est de nouveau au centre de l’univers, chauffé par les feux solaires, et non à la périphérie, luttant contre le vertige, luttant contre l’épouvante de l’innommable abîme » (Plexus, ch. XVII, p. 642-643, trad. Elisabeth Guertic, Paris, Buchet/Chastel, 1962).
  6. « Patterns in Chaos », Time Magazine, (lire en ligne, consulté le )
  7. Trad. d'après Robert Musil, Gesammelte Werke, vol. 8 : Essais et discours, Reinbek-bei-Hamburg, Rowohlt Verlag, (réimpr. 1978), « Geist und Erfahrung. Anmerkungen für Leser, welche dem Untergang des Abendlandes entronnen sind »
  8. «…Ein Buch voller Schicksalsliebe und Tapferkeit der Erkenntnis, worin man die großen Gesichtspunkte findet, die man heute gerade als deutscher Mensch braucht“, cité par Klaus Harpprecht, Thomas Mann, eine Biographie, chap. 32.
  9. Thomas Mann, Über die Lehre Spenglers, 1922.
  10. Édition française Karl Popper, Misère de l'historicisme [« Das Elend des Historizismus »], Presses Pocket, coll. « Agora », , 214 p., Poche (ISBN 2-266-04378-1 et 978-2-266-04378-6).
  11. Cf. Georg Lukács (trad. Peter Palmer), The destruction of Reason [« Die Zerstörung der Vernunft »], Londres, The Merlin Press, (réimpr. 1980), p. 751-752
    « If, in assessing Hitler, we put the accent solely on his low intellectual and moral standards... such an assessment is correct. But it was again historical necessity which caused the lowering of standards. It is a steep descent from Schelling and Schopenhauer — via Nietzsche, Dilthey, Spengler, etc.—to Hitler and Rosenberg. »
    Cet ouvrage n'existe malheureusement encore pour l'instant qu’en traduction partielle en français, aucun éditeur n'ayant jugé opportun de faire connaître cette œuvre au public francophone.
  12. (de) Theodor W. Adorno, Spengler nach dem Untergang, (réimpr. 1950)
  13. David Engels, Le déclin : la crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine : quelques analogies historiques, Paris, Éd. du Toucan, , 373 p. (ISBN 978-2-8100-0524-6)
  14. Glubb, The Fate of Empires and the Search of Survival, (ISBN 9780851581279)

Annexes

Bibliographie

  • Oswald Spengler, Le déclin de l'Occident (2 tomes 1918-1922), Gallimard, 1948 réédition 2000

Articles connexes

Liens externes

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