La Vieille Taupe

La Vieille Taupe est à l'origine une librairie d'ultragauche dirigée par un collectif militant du même nom, ouverte à Paris en septembre 1965. Cette librairie a fermé ses portes en 1972. Le nom a ensuite été utilisé, à partir de 1979, pour une maison d’édition négationniste, dirigée par un ancien de la librairie.

Pour les articles homonymes, voir Taupe (homonymie).

Le nom provient d'une citation très répandue de Karl Marx sur la révolution[1], qui est une reprise d'une formule de Hegel citant le Hamlet de Shakespeare[2]. Rosa Luxemburg avait donné ce nom à un texte de 1917[3].

La librairie

La librairie et l'effervescence d'ultragauche

La librairie de La Vieille Taupe est ouverte par Pierre Guillaume à Paris en 1965. Il y est rejoint par Jacques Baynac en 1966[4]. À l'automne 1967, après la rupture de ces derniers avec le mouvement Pouvoir ouvrier, suivie par celle d'une poignée de jeune militants[5],[6], La Vieille Taupe devient un groupe de réflexion informel où l'on trouve notamment François Cerutti (plus connu sous le pseudonyme François Martin), Bernard Ferry et Americo Nunes da Silva[5],[7]. Ce groupe « s'intéresse aux dissidences de l'extrême-gauche »[6] et « [baigne] alors dans la mouvance de Socialisme ou Barbarie et de l'Internationale situationniste »[4].

En 1967, Pierre Guillaume relance la publication des Cahiers Spartacus avec René Lefeuvre et rachète le fond Costes, éditeur de Marx avant-guerre. La Vieille Taupe peut dès lors diffuser des textes rares de l'ultragauche, du luxemburgisme à l'Internationale situationniste[8]. Les événements de donnent au groupe de La Vieille Taupe l'occasion de participer au comité de la faculté Censier[9] et font brièvement la prospérité de la librairie[10].

Le premier tournant négationniste : Rassinier et Bordiga redécouverts

C'est également en 1968 que Pierre Guillaume découvre l'un des ouvrages fondateurs du négationnisme, Le Mensonge d'Ulysse de Paul Rassinier qu'il juge « extraordinaire, extrêmement éclairant », mais cependant « insuffisant »[11]. Guillaume trouve en effet chez Rassinier et sa dénonciation du rôle supposé des communistes dans les camps une nouvelle justification de son propre antistalinisme[11]. Mais c'est la redécouverte, puis la réédition « sous la responsabilité de Gilles Dauvé »[11], d'un obscur texte du mouvement bordiguiste du début des années 1960, Auschwitz ou le grand alibi qui est décisif. Cet opuscule joue en effet un rôle déclencheur pour Guillaume et une partie du groupe de La Vieille Taupe[12], lesquels adoptent alors « une conception ultra-marxiste envers le génocide et [posent] les bases d'un négationnisme d'ultragauche[13]. »

Ruptures et mise en sommeil

Cette nouvelle orientation de Guillaume suscite en - la rupture avec Jacques Baynac, suivi par d'autres membres du collectif[14]. La Vieille Taupe perd d'autre part son statut de diffuseur privilégié avec la publication plus accessible des textes révolutionnaires par les éditeurs populaires[11]. En 1972, ce qu'il reste du groupe originel de La Vieille Taupe, réduit essentiellement à Pierre Guillaume, Gilles Dauvé et François Martin, devient Le Mouvement communiste qui diffuse quelques exemplaires d'un bulletin du même nom sous la direction de Gilles Dauvé, puis la librairie ferme finalement le [15].

Gilles Dauvé republie cependant à nouveau « Auschwitz ou le grand alibi » dans l'avant dernier numéro du Mouvement communiste en , accompagné d'une déclaration vigoureusement opposée tout à la fois à l'antifascisme et à l'antiracisme[16].

Seconde époque (1979-1991)

En 1979, Pierre Guillaume republie Le Mensonge d'Ulysse du négationniste Paul Rassinier, et reprend pour l’occasion le nom de La Vieille Taupe, bien que cette nouvelle maison d'édition n'ait que le nom en commun avec le mouvement des années 1960[17]. Pierre Guillaume apporte en effet son soutien à Robert Faurisson. Après la publication en du pamphlet négationniste de Serge Thion, Vérité historique ou Vérité politique ? Le dossier de l'affaire Faurisson, la question des chambres à gaz,

« il est clair […] que La Vieille Taupe fonctionne comme un petit groupe à part entière, entièrement voué à la négation de la Shoah, dont les principaux protagonistes sont Pierre Guillaume, Serge Thion, Jacob Assous, Denis Authier, Gabriel Cohn-Bendit, Maurice di Scuillo, Jean-Luc Redlinski, Gabor Tamàs Rittersporn[18]. »

Plusieurs membres de La Vieille Taupe de la première époque, sollicités par Pierre Guillaume, marquent leurs distances avec cette orientation négationniste. C'est le cas en particulier de Bernard Ferry[19] ainsi que de Jacques Baynac. Ce dernier publie le dans Libération une première tribune collective cosignée par d'autres anciens de La Vieille Taupe ou plus généralement de l'« ultragauche »[20] : intitulée « La gangrène », elle dénonce cette dérive « révisionniste »[21]. Jacques Baynac publie par la suite de nombreux autres textes s'opposant à Pierre Guillaume, comme en décembre 1980 dans Le Monde où il rappelle qu'« à l’exception de M. Pierre Guillaume […], aucun des fondateurs et “piliers” de ce groupe informel […] ne cautionne l’actuelle Vieille Taupe[22]. »

En 1990, Pierre Guillaume rouvre une librairie au numéro 12 de la rue d'Ulm, qui propose aussi bien des ouvrages négationnistes que d’autres textes. Son isolement après l'abandon par les militants du début des années 1980, le peu de fréquentation de la librairie, les difficultés financières et quelques manifestations hostiles conduisent à sa fermeture en 1991[23].

La revue

À partir de 1995, Pierre Guillaume a fait publier une revue La Vieille Taupe, à parution très irrégulière. Le second numéro, qui sort en , est un texte de Roger Garaudy, « Mythes fondateurs de la politique israélienne » à teneur négationniste qui finit par faire grand bruit, apportant à cette nouvelle Vieille Taupe, un souffle médiatique et financier inespéré[24].

L'adoption de la loi Gayssot et la condamnation de Pierre Guillaume par l’ensemble de l'extrême gauche ont considérablement réduit depuis ses activités.

Notes et références

  1. « Nous reconnaissons notre vieille amie, notre vieille taupe qui sait si bien travailler sous terre pour apparaître brusquement… »

     Karl Marx

  2. « Souvent, il semble que l’esprit s’oublie, se perde, mais à l’intérieur, il est toujours en opposition avec lui-même. Il est progrès intérieur — comme Hamlet dit de l’esprit de son père : "Bien travaillé, vieille taupe !" »

     G. W. F. Hegel

  3. Rosa Luxemburg, La Vieille Taupe, mai 1917, sur le site marxists.org.
  4. Daniel Bermond, « Les fantômes de Jacques Baynac », L'Histoire, no 318, février 2007, p. 28.
  5. Bourseiller 2003, p. 276-280.
  6. Igounet 2000, p. 182.
  7. Dreyfus 2011, Les héritiers intellectuels de Rassinier: Pierre Guillaume et La Vieille Taupe.
  8. Igounet 2000, p. 181-182.
  9. Jacques Leclercq, Ultra-gauches, : autonomes, émeutiers et insurrectionnels, 1968-2013, L'Harmattan, 2013, 316 p. (ISBN 978-2336301587), p. 217.
  10. Igounet 2000, p. 181.
  11. Igounet 2000, p. 184.
  12. Renaud Dely et Pascal Virot, « La lente insinuation des révisionnistes », Libération, (consulté le ).
  13. Igounet 2000, p. 158.
    Voir également Michel Dreyfus pour qui
    « […] Guillaume s'empare du postulat selon lequel l'antifasciste est l'ennemi principal de la théorie révolutionnaire : ce postulat le conduira au négationnisme. »
    (Dreyfus 2011).
  14. Igounet 2000, p. 186-187.
  15. Igounet 2000, p. 193-194.
  16. Igounet 2000, p. 195.
  17. Igounet 2000, p. 469.
  18. Bourseiller 2012, p. 19.
  19. Igounet 2000, p. 281.
  20. Outre Jacques Baynac : Miguel Abensour, Pierre Arènes, Bela Elek, Georges Goldfayn, Alain le Guyader, Americo Nunes da Silva, Robert Paris, Carlos Semprun Maura et Albert Tonka (Bourseiller 2012, p. 20).
  21. Valérie Igounet, op. cit., p. 291.
  22. Jacques Baynac, lettre au Monde, citée dans Igounet 2000, p. 262.
  23. Igounet 2000, p. 468-469.
  24. Igounet 2000, p. 472.

Voir aussi

Bibliographie

Article connexe

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