Histoire de la Barbade

La Barbade a joué le rôle d'une chaudière politique, économique et sociale dans la Caraïbe, dont elle concentre, sur une surface minuscule, 80 % de la population blanche dès les années 1640, à la fin desquelles le succès de quelques grandes exploitations sucrières créé les premières fortunes rapides de l'histoire.

Mulâtre de la Barbade (1764).

Refuge des aristocrates pendant le gouvernement de Cromwell des années 1650, l'île devient à la restauration monarchique de 1660 le point de départ d'un essaimage de l'économie de plantation dans tout le Nouveau Monde : Suriname, Sainte-Lucie, Montserrat, Jamaïque, Caroline, New Jersey, Virginie et Maryland.

Étymologie

Il existe une certaine ambiguïté autour du mot. D'après certaines tribus autochtones, la Barbade avait pour nom Ichirouganaim. Le nom Barbade a été donné par les premiers Européens arrivés sur l'île, en l'occurrence les Portugais (le mot en portugais signifiant barbe).

Cependant, certains historiens pensent que ce nom a été donné à cause des barbes que portaient les habitants de l'île, d'autres pensent que c'est la forme même de l'île qui est telle. Dès 1519, un explorateur génois (Vesconte Maggiolo) avait déjà dessiné l'île sur une carte (avec exactitude dans le lieu où elle se situe actuellement) et lui attribua le même nom qu'elle porte aujourd'hui.

Des Portugais aux Anglais

L’île de La Barbade pourrait avoir été habitée dès le XVIIe siècle av. J.-C. Les migrations de populations amérindiennes venues du Venezuela sont mieux connues. Les Arawak débarquèrent aux alentours de -400. Des traces de leur présence ont été retrouvées à Silver Sands, Chancery Land et Pie Corner. Ils furent ensuite envahis par les Caraïbes vers 1200 et leur population décrut rapidement. Les Caraïbes disparurent également de l’île, victimes de famines, de maladies et de l’enlèvement par les colons espagnols vers des îles plus grandes pour servir d’esclaves.

Des navigateurs portugais en route vers le Brésil visitèrent brièvement l’île, laissant derrière eux des cochons sauvages qui allaient faire le bonheur des premiers colons britanniques. Ils nommèrent l’île Os Barbudos, qui signifie les barbus en portugais, peut-être en raison de l’apparence des figuiers dont elle était couverte.

Le capitaine Powell, premier navigateur britannique débarqué le 14 mai 1625 par hasard, revient deux ans après avec 80 hommes pour l'occuper, le , au nom de Sir William Courteen, un commerçant londonien fils de protestants wallons. Mais en 1626, il est exproprié par le roi au bénéfice d'une nouvelle société attribuée à James Hay, 1er comte de Carlisle (1580-1636) mandaté par le roi Charles Ier, qui nomme le gouverneur Henry Hawley[1]. Courteen perd définitivement en 1629 son titre et Powell doit quitter l'île.

Les Irlandais arrivent en masse dans les années 1630

L'essentiel de l'immigration blanche à la Barbade s'est fait avant 1645, selon l'historien John A. Holm, spécialiste de l'étude des dialectes créoles. Selon lui, l'importance de la population blanche anglophone a fait de la Barbade la base de la plupart des créoles anglais parlés par les indiens, les blancs et les noirs partout dans la Caraïbe, les Caroline[2].

Les Irlandais de Saint-Christophe-et-Niévès s'installent à Montserrat en 1632, avec Anthony Brisket comme premier gouverneur. Ils sont déportés par milliers à la Barbade dans les années 1630, chassés par le mouvement des Plantations en Irlande, accélérés après 1632 par le Lord Député d'Irlande Thomas Wentworth (1593-1641). Proche du roi Charles Ier d'Angleterre, il lance les Plantations dans le Connacht, ce qui déclenche en 1639 les guerres des évêques en Écosse, l'exécution de Wentworth par le parlement puis en 1640 la guerre des trois royaumes, qui s'achève en 1649 par la décapitation du roi Charles Ier d'Angleterre.

Les Irlandais sont 4 000 à la Barbade dès 1631, puis 6 000 en 1636[3] et 37 000 en 1642[2]. Une émigration antérieure à la guerre civile anglaise et à Oliver Cromwell[4]. Les irlandais cultivent le tabac. Leur afflux cause une crise de surproduction mondiale du tabac dès la fin des années 1630, amenant les plus riches à vouloir défricher l'ouest de l'île pour y planter du sucre.

En 1640, dans les plantations de canne à sucre des Iles de La Barbade, 21 700 blancs sont recensés sur 25 000 esclaves.

Le gouverneur Henry Hawley édicte le décret de 1636 sur l'esclavage à vie. La population noire de l'île progresse et atteindra 12 000 en 1705[5]. En 1640, le parlement britannique accuse la Guinea Company de Nicholas Crisp, qui a construit des forts sur la Gold Coast à Komenda et Kormantin[6] de participer à la traite négrière[7]. Il lui ordonne de céder son monopole[8].

La population blanche diminue et tombe à 20 000 en 1685, les blancs pauvres fuyant la spéculation immobilière, selon l'historien John A. Holm[9]. Les blancs ne seront plus que 12 000 en 1705.

Ce changement de population est causé par l'émergence des plantations de sucre, consommatrices de terres, qui déclenche une spéculation immobilière. Le colonel Hilliard, qui avait payé 400 livres sa plantation de sucre en 1642, en revend la moitié à Thomas Modyford pour 7000 sterling en 1647[10]. Les blancs pauvres, souvent des engagés parvenus au bout de leur contrat de sept ans, fuient vers d'autres îles, pour devenir des boucaniers.

La canne à sucre est introduite dans l'île en 1637 par Peter Blower, un hollandais du Brésil, avec ses secrets de fabrication mais la première récolte date de 1640. Le rhum est produit dès 1642. L'essor du sucre devient manifeste en 1643. D'autres Hollandais arrivent, anticipant la perte du Brésil, où les planteurs portugais se soulèvent contre les Hollandais en 1642, leur chef Fernandès Vieira gagnant deux batailles importantes en 1645[11]. La compagnie néerlandaise des Indes occidentales a du mal à faire face la contre-attaque des Portugais au Brésil[12].

Alors que les premiers esclaves vendus au Brésil en 1636 le furent tous à crédit, la proportion vendue au comptant passe à 78 % en 1644 puis 100 % en 1645, reflet de l'appréhension des hollandais, qui sentent le Brésil leur échapper[13] très prochainement[14]. En France, des commandes d'esclaves pour le sucre sont passées dès 1638 par le normand Daniel Trézel.

En 1640, la guerre civile anglaise démarre : les Cavaliers, des catholiques jacobites, officiers, nobles ou propriétaires terriens, fidèles à la royauté, s'opposent à la Première Révolution anglaise. Beaucoup devront s'exiler à la Barbade, où ils investissent dans des plantations de sucre, accentuant la spéculation immobilière. Des navires anglais de la Guinea Company, de Nicholas Crisp, assurent le transport d'esclaves noirs.

Les années 1650 : blocus, taxes et menace d'invasion par la flotte d'Oliver Cromwell

Le roi Charles Ier est décapité en 1649, alors que la population blanche de la Barbade décline déjà. Sous Oliver Cromwell, des soldats irlandais sont exilés mais essentiellement dans les autres pays d'Europe. L'immense majorité des prisonniers irlandais, soit 35 000 hommes, part en Espagne et en France[15], où ils forment les bases des communautés jacobites, à Nantes et Saint-Malo, selon l'enquête de l'historien Robin Blackburn, dans The Making of New World Slavery. À la Barbade, Cromwell n'a installé que 150 Anglais protestants non-conformistes en 1650. L'île était alors déjà majoritairement peuplée d'Irlandais. Le parlement anglais veut expatrier 700 prisonniers irlandais de guerre, mais le gouverneur de la Barbade écrit pour refuser de les accueillir.

Avec le Navigation Act, Oliver Cromwell développe la flotte, pour se protéger de l'Espagne, mais aussi des exilés royalistes dans les îles. Le texte impose que le trafic de sucre passe à 100 % par des bateaux anglais. L'esclavage fait l'objet de débats au parlement, où les puritains notent que Sir Thomas Brown le critique dans son ouvrage Enquiries into vulgar and common errors. Les planteurs font du lobbying pour éviter toute réglementation trop contraignante.

En décembre 1650, l'expédition de la Barbade, commandée par Oliver Cromwell pour le compte du Long Parlement et dirigée par l'amiral George Ayscue (16161671), fait le blocus de la Barbade pour y imposer des taxes et un monopole empêchant l'île d'exporter son sucre. La milice de l'île est mobilisée, mais un compromis est trouvé entre le royaliste Thomas Modyford, chef des planteurs, et George Monck, duc d'Albermale[16]. Modyford convainc Cromwell de s'attaquer plutôt aux îles espagnoles, ce qu'il fait en 1655, et promet d'instituer une réglementation à la Barbade, pour éviter que les riches planteurs n'essaiment.

En 1652 aussi, la Charte de la Barbade assure qu'une assemblée sera élue par tous les colons, dans l'espoir de freiner l'émigration des planteurs de tabac pauvres, mais ceux-ci profitent de la conquête de la Jamaïque en 1655 pour y devenir pirates.

Les planteurs essaiment après 1660 : Surinam, Sainte-Lucie, Jamaïque, Caroline, Montserrat

En 1660, à la restauration britannique, le roi Charles II créée la compagnie des aventuriers d'Afrique, pour l'importation des esclaves. En 1661 il donne des lettres patentes à la colonie qu'Anthony Rowse avait été chargé de fonder en 1650, avec 300 planteurs de Bridgetown et 2 000 esclaves[17], "Willoughbyland" le long des rivières de Suriname et Pará, que le parlement puritain de Londres avait immédiatement jugée illégale[18].

Dès le début des années 1660, Londres importe pour 240 000 livres sterling de sucre contre 69 000 livres sterling de tabac, soit quatre fois plus. Le sucre représente 20 % des réexportations du pays (0,9 million de sterling sur 4,5 millions) contre seulement 3 % en 1640 (sur 3 millions de réexportations), selon Robin Blackburn.

En juin 1664, le gouverneur de la Barbade Francis Willoughby envoie 1 200 hommes s'emparer des possessions françaises de Sainte-Lucie[19]. L'ex-gouverneur Thomas Modyford, planteur de sucre et resté très influent, débarque lui le 4 juin 1664 à la Jamaïque, avec 700 de ses esclaves et un mandat royal de gouverneur. L'île ne compte alors que 500 esclaves, volés sur des navires espagnols. Repère de pirates depuis 1655, elle reste leur domaine pendant encore une dizaine d'années. La canne à sucre n'y prend son essor que vers 1672 à la création de la Compagnie Royale d'Afrique.

Son fondateur, le duc d'York Jacques Stuart, cerveau du jacobitisme, tisse aussi son réseau en Amérique du Nord. Trois des plus riches planteurs de sucre de la Barbade, Sir John Yeamans, Sir John Colleton et le Colonel Benjamin Berringer partirent vers 1665 avec plusieurs centaines d'esclaves dans la Province de Caroline, pour acquérir des terres nouvelles à meilleur prix et fonder la ville de Charlestown, marquant ainsi le début de l'expansion vers le Sud des grandes plantations de tabac de la Virginie, gouvernée par un autre jacobite William Berkeley. Au Nord de celle-ci, le duc d'York rachète[réf. nécessaire] en 1664 La Nouvelle-Amsterdam aux Hollandais, après avoir offert en 1663 le territoire du New Jersey à son fidèle lieutenant George de Carteret.

En 1669, c'est un autre militaire de la Barbade, l'irlandais William Stapleton, qui s'installe à Niévès et Montserrat, où il implante des plantations de sucre et devient gouverneur. Cette stratégie d'essaimage des maîtres de la Barbade permet d'alléger la pression démographique et immobilière dans l'île, où les planteurs qui restent agrandissent leur territoire et importent de la main d'œuvre noire à plus grande échelle avec la création en 1672 de la Compagnie royale d'Afrique par le Duc d'York et futur roi, Jacques II.

À partir de 1679, 61 % des esclaves de la Barbade travaillent dans des plantations de plus de 102 travailleurs et certaines en ont en plus de 300. La Barbade restera leader de l’industrie sucrière jusqu’en 1700, année où la Jamaïque, plus grande, prend la première place avant d'être à son tour dépassée par Saint-Domingue en 1720. Dès 1685, sur les 18 000 tonnes de sucre produites par les îles Britanniques, 10 000 viennent de Barbade et 5 000 de Jamaïque.

Développement politique de l'île après 1800 et abolition de l'esclavage

En 1819, une révolte d'esclaves éclate le jour de Pâques. La révolte est matée dans le sang, les têtes sont exposées sur des piquets. Néanmoins, la brutalité de la répression choque jusqu’en Angleterre et renforce le mouvement abolitionniste[20].

À l’abolition de l’esclavage en 1838, la minorité constituée par les planteurs resta au pouvoir grâce à un cens élevé qui excluait 70 % de la population de la vie politique. En 1843, Samuel Jackman Prescod, dont la mère est métisse, et le père est blanc, parvient à se faire élire au parlement de Barbade. Il est le premier descendant de migrants africains à acquérir ce statut.

Carte de la Barbade en 1736.

De 1800 à 1885, la Barbade fut le siège du gouvernement des colonies britanniques des Îles du Vent dont son gouverneur était également le chef colonial. Lorsque le gouvernement de la Barbade quitta officiellement l’Union des Îles du Vent en 1885, le siège fut déplacé de Bridgetown à Saint-Georges, où il subsista jusqu’à la dissolution de l’union.

Peu après, il fut question d’une union entre Tobago et un autre territoire en vue de constituer un seul État. La Barbade demanda officiellement au gouvernement britannique de considérer une union politique avec Tobago, mais c’est l’île de Trinité qui lui fut préférée.

Les années 1930 voient l’amorce d’un mouvement formé de descendants d’esclaves libérés et la formation de syndicats. L’un des dirigeants du mouvement, Sir Grantley Adams, fonda la Ligue progressiste de la Barbade, ancêtre du Parti travailliste de la Barbade, en 1938. La Grande Dépression avait mis un nombre important de travailleurs au chômage, et malgré sa loyauté envers la couronne britannique, Adams voulait davantage pour le peuple.

Le revenu minimal donnant accès au droit de vote fut abaissé en 1942, puis le suffrage universel fit son apparition en 1951. Adams fut élu Premier ministre en 1958.

La Barbade fut membre de la Fédération des Indes occidentales de 1958 à 1962, organisation qui devait faire long feu en raison de litiges nationalistes et d’un pouvoir législatif limité. Ses membres étaient encore tous des colonies britanniques, et malgré son titre de Premier ministre, Adams n’avait qu’une faible autonomie. Toujours attaché à la monarchie, il tenta de former d’autres entités fédérales, avec les Îles du Vent et les Îles Sous-le-Vent.

Indépendance

Errol Walton Barrow succéda à Grantley Adams en tant que porte-parole du peuple et ce fut à travers lui que se développa la volonté d’indépendance. Fervent réformateur et ancien membre du LPB, il avait quitté le parti pour fonder le Parti travailliste démocratique, alternative progressiste au gouvernement conservateur d’Adams. Il succéda à ce dernier au poste de Premier ministre en 1961 et le PTD prit le contrôle du gouvernement. Il fut à l’origine d’importantes réformes sociales, en particulier l’introduction de la gratuité scolaire pour tous les Barbadiens.

Après plusieurs années d’autonomie croissante, la Barbade fut en mesure de négocier son indépendance dans le cadre d’une conférence constitutionnelle avec la Grande-Bretagne en juin 1966. Le territoire devint officiellement membre indépendant du Commonwealth le 30 novembre de la même année, avec Errol Barrow comme Premier ministre.

Notes et références

  1. "La Barbade: Les mutations récentes d'une île sucrière", par Maurice Burac, page 18 Lire en ligne
  2. Pidgins and Creoles: References survey Par John A. Holm, page 446
  3. 'La Barbade: les mutations récentes d'une île sucrière Par Maurice Burac, page 20
  4. La Barbade: les mutations récentes d'une île sucrière Par Maurice Burac, page 25
  5. Pidgins and Creoles: References survey Par John A. Holm
  6. The English Business of Slavery
  7. La découverte en 1999, sur un site ayant appartenu à Nicholas Crisp, des vestiges d'une manufacture d'objets en verre probablement destinés à l'Afrique indique que la compagnie a participé à la traite négrière
  8. [PDF]Association Internationale pour l’Histoire du Verre
  9. Pidgins and Creoles: References survey Par John A. Holm
  10. La Caraïbe au temps des flibustiers, par l'historien Paul Butel.
  11. http://www.cosmovisions.com/ChronoBresil16.htm
  12. Les Pays-Bas et la traite des Noirs, par P. C. Emmer et Mireille Cohendy page 44
  13. British Capitalism and Caribbean Slavery: The Legacy of Eric Williams, par Barbara Lewis Solow et Stanley L. Engerman, page 45
  14. (en) British Capitalism and Caribbean Slavery
  15. (en) Robin Blackburn, The Making of New World Slavery : From the Baroque to the Modern, 1492-1800, Verso, 1998, 602 pages, [lire en ligne], p. 247
  16. Blackburn 2006, p. 246
  17. (en) Historic Cities of the Americas: North America and South America
  18. (en) The Rights of Indigenous Peoples and Maroons in Suriname
  19. (en) Historic Cities of the Americas: North America and South America
  20. Noël 1831 La grande révolte des esclaves jamaïquains, L'Humanité, 26 décembre 2019

Voir aussi

Articles connexes

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