Gagnant-gagnant

Un accord gagnant-gagnant (win-win en anglais) est un accord par lequel chaque partenaire se préoccupe aussi de l'intérêt de l'autre, d'une façon également favorable à son propre intérêt. Il ne s'agit pas de rechercher le meilleur compromis de partage des gains, mais de trouver un accord qui augmente les gains de chacun.

Un jeu gagnant-gagnant est conçu dans ses règles de telle façon que ce mode de pensée soit favorable. Cette approche ne repose pas tant, alors, sur la philanthropie des partenaires, que sur un type de stratégie adapté aux règles et étudié notamment par la théorie des jeux.

Dans un processus de négociation ou de décision collective, une stratégie gagnant-gagnant cherche une solution favorable à tous les participants.

Naissance de cette expression

Thomas Gordon, psychologue de l'approche humaniste, a créé son premier modèle de résolution de conflit (parents-enfants, enseignants-enfants, puis en management). Son collègue et ami, Jim Craig, lui a suggéré d'utiliser le concept scientifique « aucune perte » (No-Loss) ou « gagnant-gagnant » (Win-Win)[1].

Haim Ginott[2] (1922-1973), également issu de la même école humaniste, l'évoque aussi dans ses livres écrits à partir de 1965, sur la relation parent-enfant, enseignant-enfants et adolescents. « I want to win cooperation without resorting to guilt and fear. »[3]

Critique du concept

En médiation professionnelle[4], la critique est faite de l'introduction de cette notion dans le champ de la résolution des conflits. Il apparait illusoire de chercher une solution gagnant-gagnant alors même que les protagonistes ont perdu en amont parfois bien plus que des illusions. Dans un conflit, des personnes y perdent des biens, des avantages, des conditions de sécurité, une qualité de vie pendant un temps qui peut être long, et aussi la vie de parents, des amis. La résolution d'un différend ne peut s'envisager que "perdant le moins possible." En négociation, il est aussi utile d'observer si en fait le perdant dans les accords passés n'est précisément pas autour de la table. Ainsi, dans de nombreux accords entre professionnels, les perdants sont les usagers ou les consommateurs, comme les accords interbancaires font des clients les premiers à payer les conséquences des concessions faites par les partenaires.

Domaines dans lesquels elle est utilisée

  • Économie et gestion d'entreprise : utilisé dans les négociations, les conflits et rapports sociaux, les relations employeur-salarié.
  • Politique : expression souvent employée.

En France, c'est à l'occasion de l'élection présidentielle française de 2007 que cette expression a été popularisée au travers des médias de masse : « Sur le plan sémantique, les mots ont une importance en politique, le recours répété à des expressions directement importées de l'univers managérial et entrepreneurial comme « une démarche gagnant-gagnant » montre bien que Royal, et plus généralement la gauche dans son ensemble, s'est fait imposer à la fois le terrain mais aussi les codes et les règles du combat sur la question économique. »[5]

Ce que cela apporte concrètement

Une relation Gagnant-Gagnant ne peut pas résulter d'un accord après un conflit. Dans un conflit, au moins l'une des parties a perdu quelque chose. Une relation Gagnant-Gagnant s'instaure quand tout va bien. Elle est basée sur la satisfaction des attentes de chacune des parties.

Exemples de situations Gagnant-Gagnant

  • Wikipédia : chaque contributeur investit une partie de son temps, en contrepartie il bénéficie d'une encyclopédie importante.
  • Échange de bannières publicitaires.
  • Co-coaching : démarche par laquelle deux personnes s'aident mutuellement à améliorer leur capacité ou comportement dans un domaine précis.

Conditions de succès d'un accord Gagnant-Gagnant

Les conditions révélées par la théorie des jeux sont :

  • Informer les partenaires sur les règles communes.
  • Entreprendre une concertation et négociation avant d'engager le partenariat.
  • Montrer l'historique de nos actions précédentes, afin de prouver notre bonne foi et notre pratique constante du Gagnant-Gagnant.
  • Ne pas cacher d'informations sur le passé ; si elles sont pénalisantes les expliquer et les relativiser par des statistiques adéquates.
  • Créer les raisons pour qu'un nouveau partenaire ait confiance en soi a priori : réputation, valeurs affichées et respectées, éthique affichée et respectée.
  • Exprimer (par écrit) les valeurs de chaque partenaire de l’accord et identifier les valeurs communes.
  • S'il y a lieu, s'engager sur le fait que le 1er accord aura des suites, ou porter à la connaissance du partenaire les éléments qui décideront s'il y aura ou non une suite.
  • Rendre les parties solidaires des conséquences de l'accord, en cas de succès comme en cas d'échec.
  • Caractériser : les promesses, les partages d'informations envisagés, les engagements réciproques, les engagements de concertations préalables aux décisions ultérieures.
  • Accepter le risque, voire la certitude, que le partenaire gagne plus que soi-même, si c'est une condition d'obtention du gain.

Crédibilité du partenaire

Une grande partie du gagnant-gagnant repose sur la crédibilité de l'engagement de l'autre :

  • Donc montrer à l’autre quel avantage on tire de respecter l’accord.
  • De même montrer qu'on a personnellement intérêt à ce que l'autre gagne aussi ; notre intérêt peut être une raison tangible, ou être, au minimum, d'éviter que le partenaire ne se "venge" s'il n’obtenait pas le gain annoncé.

Déséquilibre temporaire

L'optimum commun n'est pas forcément celui auquel pense chaque partenaire. Cet optimum peut favoriser temporairement ou même définitivement l'un des partenaires. Dans ce cas pour que l'accord gagnant-gagnant fonctionne il est nécessaire de préciser comment l'équilibre entre les partenaires est obtenu, par exemple :

  • Faire référence à un accord plus général ou à un accord ultérieur.
  • Jouer gagnant-perdant puis perdant-gagnant de façon alternative.
  • Inscrire cet accord dans une série d’accords non équilibrés échangés au sein d’une population ; en ce cas l’équilibre est atteint de façon statistique pour chaque partenaire.
  • Partager de façon équitable les gains obtenus par chacun.
  • Faire délibérément appel au hasard pour déterminer celui des partenaires qui gagnera plus que l’autre (configuration du jeu du Mille-pattes où chaque joueur gagne beaucoup plus que dans un accord classique mais où il est nécessaire de tirer au sort celui des deux qui gagnera le plus).

Complexité de l'équilibre

Dans le même ordre d’idée, l’identification de l’optimum commun peut suivant le cas :

  • Être évident.
  • Être le résultat d’un calcul scientifique mettant en œuvre des notions comme l'Équilibre de Nash, les statistiques, l’espérance mathématique. Dans ce cas les signataires de l’accord ainsi que les personnels concernés ne voudront pas forcément faire confiance à un résultat mathématique complexe. L’auteur des calculs doit faire preuve d’une grande pédagogie.

Intérêt du partenaire

Tout ne peut pas être écrit dans un accord aussi la connaissance de l'intérêt du partenaire est primordiale (enjeux, intérêts, inconvénients, risques, choix préférentiels et regrets ; un regret en théorie des jeux est l’intérêt offert par une solution « apparemment » plus avantageuse à laquelle on renonce). Cette connaissance permet d'inclure dans l’accord l'engagement de privilégier la solution la meilleure pour son partenaire lorsque plusieurs solutions équivalentes (pour soi) se présentent. Elle permet aussi d'éviter les choix involontairement préjudiciables au partenaire ou de verser dans le risque inverse du perdant-perdant.

Valorisation des gains

Un accord gagnant-gagnant est plus fiable si tous les participants ont la même perception des intérêts et risques de chacun. (S'ils sont subjectifs, un moyen de se mettre d'accord est : chaque partenaire réalise sa propre estimation puis les résultats sont discutés et une valeur commune est arrêtée.)

Entorses inopinées

Une fois l'accord signé et mis en œuvre, les partenaires agissent souvent à l'instinct, par réflexe, ou n'ont pas le temps de réfléchir aux conséquences de leurs décisions. Pour éviter les entorses inopinées à l'accord, des dispositions utiles peuvent être prises :

  • Recenser les erreurs possibles les plus fréquentes et les plus graves et prévoir les réactions que les personnes concernées devront avoir.
  • Spécifier ces éléments dans l'accord.
  • Si possible remplacer ces réactions humaines par des dispositions "automatiques".
  • Communiquer efficacement dans les organisations partenaires afin d’éviter les pertes de confiance passagère d’une des personnes chargées d’appliquer l’accord ou même un refus d’appliquer des dispositions jugées inéquitables (principe de rationalité limitée).

Pénalités ou compensations

Pour consolider un accord gagnant-gagnant il est possible, durant la phase de négociation, de spécifier les pénalités (« représailles » en théorie des jeux) applicables lorsque l'accord n'est pas respecté :

  • Les pénalités peuvent être "automatiques", à condition qu’elles ne génèrent pas de contre-pénalités elles-mêmes automatiques.
  • Les pénalités doivent être proportionnées au tort causé, surtout si elles sont automatiques, afin d’éviter l’effet boule de neige.
  • Ces pénalités et leur mode de déclenchement (automatique ou non) doivent être connus pour que l’effet de dissuasion puisse jouer.
  • Des moyens d’échapper aux pénalités peuvent être prévus s’ils restent dissuasifs (compliqués, longs, incertains).

Plus précisément il est nécessaire que la matrice des gains soit modifiée par les pénalités et compensations de façon à imposer que le comportement rationnel de chaque intervenant implique le résultat gagnant-gagnant.

Système dans lequel l'accord s'inscrit

Le gagnant-gagnant ne touche pas seulement les signataires mais aussi le système (social ou autre) dans lequel il s'inscrit. Des conséquences fâcheuses conduiraient à pénaliser indirectement les signataires de l’accord (principe systémique). Donc avant d'entériner un accord durable entre des partenaires :

  • Recenser les groupes (sociaux…) externes à l’accord et préciser pour chacun d’eux les 6 éléments : enjeux, intérêts, inconvénients, risques, préférences et regrets. Reconsidérer l’accord si un déséquilibre apparaît.
  • Voir ce que la répétition de cet accord donnerait à long terme entre les mêmes signataires, et aussi plus globalement ce que la généralisation entre tout partenaire du même type donnerait à long terme. On peut se rendre compte que pour l'intérêt du bien commun, et donc des signataires eux-mêmes, l'accord doit être modifié.
  • Éventuellement, associer à l’accord certains partenaires extérieurs identifiés.

Exemples de situations ou la généralisation met en évidence un accord optimum différent de celui envisagé

  • Lorsqu’un joueur de foot se blesse en participant à un match de l'équipe nationale, indemniser son club d'origine est une bonne chose à court terme, mais, globalement, n’est pas optimisé pour les clubs eux-mêmes ; en effet cela entraîne de multiples démarches administratives, procédures, chiffrages du préjudice, contestations, appels... Ainsi, il vaudrait mieux pour tout le monde considérer la blessure comme si elle s’était produite dans le club d'origine, et porter les efforts sur les bonnes pratiques permettant de prévenir les risques, tant dans l'équipe nationale que dans les équipes locales.
  • Avant d'entériner un jugement ou une jurisprudence voir ce que la répétition et la généralisation de cette décision donneraient à long terme. On peut se rendre compte que pour l'intérêt du bien commun, et donc aussi des parties concernées à l'instant présent, le jugement doit être différent.
  • Un accord illicite entre concurrents peut être remplacé par un accord gagnant-gagnant plus large incluant les clients.

Conclusion

L’aspect le plus difficile d'une démarche gagnant-gagnant est de persuader chacun que pour maximiser son gain personnel il faut faire gagner ses partenaires et leur fournir une information transparente. Des signataires convaincus ne suffisent pas : ils doivent ensuite étudier avec soin les communications et argumentaires aptes à entraîner leurs personnels dans la démarche.

Sources

  • Thomas Gordon - sur les relations sans perdant et le win-win management
  • Ouvrage « La théorie des jeux, essai d’interprétation » de Christian Schmidt, éditions PUF, avril 2001, (ISBN 2-13-050337-3). Les jeux étudiés dans cet ouvrage sont :
    • Dilemme du prisonnier (résumé des gains : 2;2, 4;1, 1;4, 3;3).
    • Poule mouillée (voir dans Dilemme du prisonnier) ou Chicken game (gains : 1;1, 4;2, 2;4, 3;3).
    • Bataille des sexes (gains : 3;2, 1;1, 1;1, 2;3).
    • Chasse aux cerfs de Rousseau (voir dans Meilleure réponse) (gains : 3;3, 1;2, 2;1, 2;2, ou 4;4, 1;3, 3;1, 2;2).
    • Baccara du bagne ou chifoumi Pierre-feuille-ciseaux (gains : 1/3, 1/3, 1/3).
    • Bateau de guerre empêchant un bateau commercial d’accoster une île (gains : 2;1, 1;2, 1;2, 2;1).
    • Deux pays menaçant de se détruire (gains : 0;0, 1;0, 0;1, 1;1), avec en option une défense automatique (gains : 0;0, 2;1, 1;2, 1;1).
    • Mille pattes (gains : 10;2, 4;20, 40;8, 16;80, 160;32, 64;320, 640;128).

Utilités de l'attitude Gagnant-gagnant

L'accord gagnant-gagnant et le développement durable

Selon Jean-Louis Lequeux[6], alors que le modèle d'entreprise "classique" se vit à deux (l'acheteur, le vendeur), les modèles durables et éthiques se conjuguent à trois. Dans un cas comme l'autre, les deux parties reconnaissent à la fois l'existence, ou plutôt le droit à l'existence et le droit au respect d'une troisième partie :

  • les générations futures, et donc notre planète Terre pour le "durable"
  • Les hommes, le tissu social et les économies locales pour "l'éthique".

Le modèle d'entreprise doit tenir compte des attentes et des intérêts des parties prenantes. Dans cette optique, l'entreprise doit constituer des communautés d'intérêt.

Annexes

Bibliographe

  • Marie Cornu, Fabienne Orsi, Judith Rochfeld (sous la direction de), Dictionnaire des biens communs, Paris, PUF, 2017, (ISBN 978-2130654117)

Articles connexes

Note

  1. http://www.gordontraining.com/about-origins-of-the-gordon-model.html
  2. http://www.betweenparentandchild.com
  3. Haim G. Ginott, Teacher and child, New York: Macmillan (1972).
  4. Pratique de la médiation professionnelle, une alternative à la gestion des conflits, 9ème édition, ESF, Jean-Louis Lascoux
  5. (fr) « Une hégémonie de la droite est bel et bien en train de s'installer », L'Humanité, (consulté le ).
  6. De l'éthique dans le Business Model
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