Frank Buchman

Franklin Nathaniel Daniel Buchman (), pasteur luthérien américain, s’impliqua successivement dans le travail social, l’aumônerie de plusieurs universités aux États-Unis et en Grande-Bretagne, puis le travail missionnaire notamment en Chine avant de fonder en 1921 et d’animer un mouvement évangéliste de réveil: la Fraternité Chrétienne du Premier Siècle, mouvement d’abord universitaire, qui devint rapidement connu, après 1929, sous le nom de Groupes d’Oxford (d'après le nom de l'université britannique du même nom dont de nombreux membres, enseignants ou étudiants, ont intégré la Fraternité), lequel devint son nom officiel. En 1938, les Groupes d'Oxford devinrent sous son impulsion le Mouvement de Réarmement moral, qui fut progressivement élargi aux membres de toutes obédiences religieuses et philosophiques qui voudraient s'y joindre, puis devint en 2001 Initiatives et Changement. La contribution du Réarmement moral à la réconciliation franco-allemande fut reconnue par les deux pays[1], et Frank Buchman fut deux fois en nomination pour le Prix Nobel de la paix, en 1952 et 1953[2]. À sa mort, en 1961, le journaliste britannique Peter Howard lui succéda à la tête du Ré-Armement Moral.

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Jeunesse

Né à Pennsburg en Pennsylvanie, Frank Buchman était le fils d’un grossiste en alcools et d’une mère luthérienne très religieuse. À l’âge de 16 ans, il déménage avec sa famille à Allentown, en Pennsylvanie également. Il poursuit ses études supérieures au collège Muhlenberg d'Allentown, puis au séminaire de Mount Airy et est ordonné pasteur luthérien en .

Bien qu’il avait espéré être appelé à desservir une paroisse urbaine importante, Franck Buchman accepta un poste à Overbrook, une banlieue de Philadelphie en pleine expansion qui n’avait pas encore d’église luthérienne. Il loua d’anciens entrepôts pour y établir sa communauté et se logea à l’étage au-dessus. Après un voyage en Europe, il décida d’ouvrir également une œuvre caritative inspirée de celle de Frédéric von Bodelschwingh (son hospice pour les handicapés mentaux à Bielefeld) et par Toynbee Hall. Cette résidence (parfois appelée « hospice ») fut toutefois rapidement source de conflit entre Frank Buchman et son conseil d’administration ; d’après les souvenirs de Buchman, la dispute était surtout due à la réticence du Conseil d’Administration à financer correctement l’hospice[3]. Quoi qu'il en soit, le Comité Financier du Ministère de Pennsylvanie, qui avait la haute main sur le budget ne disposait pas des fonds nécessaires pour compenser un déficit systématique et demanda à l’hospice de s’autofinancer. Buchman donna sa démission[4].

Exténué et déprimé après cette expérience, il prit le long congé de repos que lui conseillait son médecin, y inclus un voyage à l’étranger. Encore perturbé par sa récente démission, Frank Buchman se rendit à la Convention évangélique de Keswick, en Angleterre, où il espérait rencontrer le célèbre évangéliste F. B. Meyer afin de bénéficier de son aide. F. B. Meyer n’était pas présent, mais Buchman entendit, dans une chapelle presque vide, Madame Jessie Penn-Lewis qui prêchait avec flamme sur la croix du Christ, ce qui provoqua en lui une vive expérience religieuse.

« Je repensai à ces six hommes là-bas à Philadelphie, dont je pensais qu’ils m’avaient causé du tort. Même si c’était sans doute le cas, je m’étais tellement embrouillé dans cette histoire de torts que j’étais le septième homme en tort… Je commençai à porter sur moi-même un regard tel que celui que Dieu porte sur moi. Je ne sais pas comment on explique cela, mais j’étais juste là en train de réaliser combien mon péché, mon orgueil, mon égoïsme et mon hostilité avaient créé un écran entre Dieu et moi… J’étais devenu le centre de ma propre vie et il fallait que ce grand « moi » vertical soit barré, formant le signe de croix. Je voyais ma rancune contre chacun de ces six hommes comme autant de pierres tombales dans mon cœur. Je priai Dieu de me transformer et Il me demanda de régler mes affaires avec ces personnes. Cela produisit en moi un sentiment d’excitation comme si une grande force de vie avait soudain été déversée en moi et par la suite le sentiment extasié d’avoir traversé une grande transformation spirituelle[5]. »

Buchman écrivit immédiatement six lettres d’excuse aux administrateurs de son ancienne œuvre, les priant de bien vouloir lui pardonner son hostilité. Il se référa souvent par la suite à cette expérience pour lui fondatrice.

Travail avec les UCJG

De 1909 à 1915 Buchman fut le secrétaire des UCJG (Unions chrétiennes de jeunes gens, en anglais YMCA) à l’Université d’État de Pennsylvanie, dite Penn State. Il doubla le nombre des adhérents des UCJG, parvenant à enrôler 75 % des étudiants ! Malgré cela, il n’était pas satisfait et se demandait quelle était la profondeur du changement dans les vies quand il constatait par exemple la consommation d’alcool toujours élevée au sein de l’université. C’est à ce moment qu’il commença sa pratique du recueillement quotidien en silence. Lorsque l’évangéliste baptiste - influencé par les quakers et les méthodistes - F.B. Meyer lui rendit visite à Penn State, celui-ci lui demanda s’il laissait l’Esprit Saint le guider dans tout ce qu’il faisait. Buchman répondit qu’en effet, il priait et lisait la Bible tous les matins. « Oui, insista Meyer, mais donnez-vous à Dieu suffisamment de temps sans aucune interruption pour qu’il vous dise réellement que faire[6] ? » Une autre influence décisive sur Buchman fut le professeur de théologie de l’université Yale Henry Burt Wright (1877–1923) et son livre paru en 1909 La Volonté de Dieu et l’œuvre d’une vie d’homme ; Wright avait lui-même été influencé, entre autres, par Robert E. Speer, F.B. Meyer et Henry Drummond.

Le succès du travail de Buchman et son don pour actualiser le message chrétien faisaient l’admiration de ses collègues pasteurs et évangélistes d’université. Comme l’écrivit Maxwell Chaplin, secrétaire des UCJG de l’université de Princeton après avoir participé à la campagne annuelle de Buchman dite « semaine des UCJG », « en cinq ans, le secrétaire permanent de Penn State a transformé l’état d’esprit de cette université réputée dure ». L’écrivain Lloyd Douglas, auteur de La Robe, était présent à cette même campagne. « Ce fut, raconta-t-il, l’événement le plus remarquable que j’aie jamais vu… L’un après l’autre, des membres éminents du corps étudiant se levaient et confessaient devant leurs pairs qu’ils avaient jusque-là vécu des vies de seconde classe, sans intérêt et que désormais ils entendaient se consacrer au bien[7]. »

En 1915, Buchman se rendit en Inde pour les UCJG avec l’évangéliste Sherwood Eddy. Il y rencontra brièvement le Mahatma Gandhi, la première d’une série de rencontres entre les deux hommes, et se lia d’amitié avec Rabindranath Tagore et Amy Carmichael, fondatrice de l’Amicale du Dohnavur. Bien qu’il ait pris la parole devant des assemblées réunissant jusqu’à 60 000 personnes, Frank Buchman était très critique quant à ces actions de masse (« c’est comme chasser le lapin derrière une fanfare »)[8]. De février à août 1916 Buchman travailla avec les UCJG en Chine, avant de revenir en Pennsylvanie à cause de l’aggravation de l'état de santé de son père.

À Hartford et en Chine

Buchman prit ensuite un poste à temps partiel au séminaire de Hartford. Là, il commença à former un groupe de missionnaires pour travailler à la conversion de la Chine au christianisme. On lui demanda de mener des conférences missionnaires à Kuling et à Peitaiho qui furent pour lui des occasions de former directement des dirigeants chinois à une époque où de nombreux missionnaires occidentaux cultivaient une attitude de supériorité. Xu Qian, vice-ministre de la Justice qui devait devenir ultérieurement premier ministre par intérim et avec qui il s’était lié d’amitié, lui fit rencontrer Sun Yat-Sen[9]. Toutefois un certain nombre de conflits furent déclenchés par ses critiques d’autres missionnaires, Buchman soutenant que leurs péchés, au nombre desquels une pratique sexuelle frénétique (homosexuelle en l’occurrence), empêchaient certains d’être pleinement efficaces. En 1918, devant l'abondance des plaintes à l'encontre de Buchman, l’évêque Logan Roots finit par lui demander de quitter définitivement la Chine.

De retour à Hartford, Buchman continua à s’investir pour former des groupes d’étudiants chrétiens dans les universités de Princeton et de Yale. Sam Shoemaker, un diplômé de l’Université de Princeton qui fut secrétaire de la Philadelphian Society, devint l’un de ses principaux disciples aux États-Unis. En 1922, après un long temps de travail avec les étudiants de Cambridge, il donna sa démission à l’université de Hartford et vécut ensuite du soutien de personnes privées telles que Margaret (née Thorne) Tjader.

Le Groupe d’Oxford

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Après sa démission de Hartford, Frank Buchman de retour en Angleterre, (re)lança, particulièrement à Oxford et Cambridge, la Fraternité Chrétienne du Premier Siècle par une stratégie fondée sur des « réceptions à la maison » (house parties), pendant lesquelles il espérait susciter un engagement chrétien chez des participants influents. En parallèle, des réunions d’hommes formés par Frank Buchman commencèrent à s’organiser pendant les déjeuners dans le bureau de J. Thornton-Duesbery, aumônier du collège Corpus Christi d’Oxford. En 1928, le succès de ces réunions obligea à en fixer le lieu dans la salle de bal de l’hôtel Randolph d'Oxford, avant de pouvoir être accueilli dans la bibliothèque de l’église Sainte-Marie, l’église de l’université d’Oxford.

Une première critique de Tom Driberg parut bientôt dans le Daily Express, révélant que les membres de cette « étrange nouvelle secte » faisaient le cercle en se tenant par les mains et confessaient leurs péchés publiquement  une pure calomnie, d’après les participants[10]. En réponse, le Daily Express publia une déclaration du Révérend L.W. Grensted, aumônier, psychologue et membre d’University College, témoignant « … non seulement de leur bonne santé mentale mais aussi de leur efficacité réelle. Des hommes que je connais… non seulement ont trouvé une foi plus forte et une vie plus heureuse mais ils ont aussi fait de nets progrès dans la qualité de leurs études et dans leurs résultats sportifs[11]. » L’été 1928, six étudiants d’Oxford inspirés par Frank Buchman partirent pour une tournée en Afrique du Sud sans lui. La presse locale, bien en peine de trouver un nom à ce nouveau mouvement religieux, inaugura alors le terme Groupe d’Oxford[12]. De 1931 à 1935, un groupe de 150 étudiants participait aux réunions chaque midi à Oxford. Paul Hodder-Williams, de la maison d’édition Hodder and Stoughton, ouvrit les colonnes de son magazine « l’hebdomadaire britannique » à un article sur le groupe. En 1932, il publia aussi un livre Réservé aux pécheurs » (For Sinners Only) écrit par A. J. Russell, directeur du Sunday Express qui fut réédité 16 fois en deux ans et fut traduit dans de nombreuses langues. Pendant les vacances universitaires, les étudiants participaient à des campagnes dans les quartiers populaires de l’est londonien ou d’autres villes. Dans le même temps, le nombre des participants des « réceptions à la maison » atteignait plusieurs milliers.

Aux Etats-Unis, le mouvement Buchman voyagea beaucoup à travers l’Europe au cours des années trente. La montée du nazisme lui fit se concentrer davantage sur l’Allemagne, organisant des « réceptions à la maison » et rencontrant des responsables religieux. En 1932 et en 1933, il chercha par deux fois mais sans succès à rencontrer Hitler qu’il espérait parvenir à toucher et à réorienter. En conséquence, à partir de 1934, les activités du Groupe d’Oxford en Allemagne furent espionnées, certains responsables interrogés par la police, ce qui rendit leur travail du groupe de plus en plus difficile. En réaction, Buchman intensifia ses efforts en Scandinavie, pensant que s’il y faisait la démonstration d’une révolution chrétienne, cela aurait un impact fort en Allemagne. Répondant à l’invitation du politicien norvégien Carl Joachim Hambro, il mena une équipe en Norvège en 1934. Le quotidien Tidens Tegn en fit le commentaire suivant dans son numéro de Noël : « Une poignée d’étrangers ne parlant pas notre langue, ignorants de nos coutumes et de nos habitudes, est arrivée dans notre pays. Quelques jours plus tard, tout le pays parlait de Dieu et deux mois après l’arrivée de cette trentaine d’étrangers, l’état d’esprit du pays était clairement transformé[13]. » En 1935, l’évêque Berggrav de Tromsø dit « ce qui arrive en Norvège en ce moment est le plus grand mouvement spirituel depuis la Réforme[14] ». Des divisions profondes entre les ailes conservatrices et libérales de l’Église furent réglées, ce qui devait permettre à l’Église norvégienne d’être plus efficace dans la résistance au nazisme pendant l’occupation quelques années plus tard. Une campagne au Danemark quelques années plus tard, eut un impact similaire. Devant le Conseil Œcuménique des Églises réuni à Evanston (USA) en 1954, l’évêque de Copenhague, Hans Fuglsang-Damgaard, déclara : « La visite de Frank Buchman au Danemark en 1935 a été un événement historique pour l’Église danoise, qui restera inscrite en lettres d’or dans notre histoire ecclésiale et nationale »[15].

Buchman était présent au congrès de Nuremberg en 1935[16]. En 1936 le bureau central de la sécurité d’État, la Gestapo, diffusa un document avertissant tous les services que le Groupe d’Oxford était « un opposant nouveau et dangereux au national-socialisme ». Un rapport de 126 pages suivit en 1939, qui affirmait que le Groupe d’Oxford était « le lièvre de la diplomatie anglo-américaine » et que « le Groupe pris globalement représente une attaque contre le nationalisme de l’État… Il prêche une révolution contre l’État national et est devenu de toute évidence son adversaire chrétien[17]. »

Réarmement moral

En 1938, alors que les nations se réarmaient dans la perspective d’une guerre très proche, un socialiste suédois membre des Groupes d’Oxford, Harry Blomberg, écrivit un article appelant à un réarmement moral. Séduit par cette formule, Buchman lança la même année à Londres une grande campagne pour un Réarmement moral et spirituel. Au-delà du changement de nom, c’était là un nouvel engagement de la part de Buchman en vue d’essayer d’infléchir le cours de l’Histoire des nations. Dans un discours prononcé devant des milliers de personnes à Visby dans l’île suédoise de Gotland, il déclara : « Je ne suis pas intéressé par le lancement d’un nouveau Réveil [religieux] et je ne pense pas que ce soit approprié. Parlez à n’importe quel homme d’état un peu réfléchi et il vous dira que ce dont chaque pays a besoin c’est d’un éveil moral et spirituel. » Se référant à la guerre d’Espagne, il ajouta : « Je trouve ici le même matériau combustible qui a alimenté la guerre d’Espagne. À moins que nous et d’autres ne voient la vision plus vaste d’une révolution spirituelle, l’autre reste possible[18]. » À ce stade, certains des membres du Groupe d’Oxford, mal à l’aise avec ce qu’ils voyaient comme une nouvelle orientation « politique » du mouvement, arrêtèrent leur collaboration avec Buchman.

Action pendant la guerre

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le travail du Réarmement moral en Amérique fut évalué en 1943 par le futur président Roosevelt comme une contribution importante au moral du pays[19]. C’est de cette époque que date la tradition d’utilisation intensive du théâtre et des revues musicales pour faire passer les messages du Réarmement moral. La pièce « tu peux défendre l’Amérique » fut présentée à plus de 250 000 personnes dans 21 États américains ; elle avait été créée à partir d’un petit livre du même nom qui appelait à « des familles saines, un esprit d’équipe dans l’industrie, un pays uni[20] ». En Grande-Bretagne, la romancière Daphné du Maurier écrivit un livre à succès dédié à Buchman et intitulé « Come Wind, Come Weather », un recueil d’histoires courtes racontant comment des gens ordinaires touchés par le Réarmement moral faisaient face aux difficultés du temps de guerre. Buchman et son équipe se trouvaient à San Francisco lors de la première conférence des Nations unies en 1945. Un conflit à propos de la gestion des territoires sous tutelle (chapitre XIII de la charte des Nations unies) fut débloqué par le changement d’attitude du général philippin Romulo, attribué au Réarmement moral[21].

Centres

Le Caux-Palace depuis les jardins.

De 1942 à 1971, le Réarmement moral a utilisé comme base un centre de rencontres situé sur l’île de Mackinac, dans le lac Michigan. En 1946, des membres suisses achetèrent l’ancien palace en ruines du village de Caux, qui surplombe le lac Léman, afin d'en faire un centre de rencontres au service de la reconstruction de l'Europe. Rénové dès les premiers mois par des bénévoles venus de Suisse et d'Europe, et graduellement amélioré depuis, le centre de rencontres de Caux reste à ce jour actif dans le domaine de la paix et de la réconciliation sous le pilotage de la fondation Suisse CAUX-Initiatives et Changement[22]. Par ailleurs, de 1946 à 1999, le Westminster Theater (Théâtre de Westminster) servit de base au Réarmement moral à Londres, perpétuant la tradition d’utiliser la scène comme vecteur de promotion du message du mouvement.

Réconciliation après-guerre

Carte du 11 mars 1946 montrant une proposition française de démembrement du territoire allemand

Après la guerre, le Réarmement moral a joué un rôle non négligeable dans la réconciliation franco-allemande au travers de ses conférences à Caux et de son travail au sein des industries du charbon et de l’acier des deux pays[23]. Le chancelier allemand Konrad Adenauer se rendait régulièrement aux conférences du Réarmement moral à Caux et Frank Buchman permit d’établir la confiance entre lui et le ministre français des Affaires étrangères Robert Schuman à un moment où, sous la pression des partis nationalistes, divers projets de démembrements de l'Allemagne pesaient lourdement sur les relations franco-allemandes[24]. En reconnaissance de ces services, Buchman fut fait Chevalier de la Légion d'honneur par le gouvernement français[25] et Grand Croix de l’Ordre du Mérite par le gouvernement allemand. Les contacts de Buchman avec des Allemands opposés au nazisme avant la guerre ont joué un rôle important pour faciliter les contacts et la réconciliation après la guerre[26].

De la même manière, le Réarmement moral a facilité le voyage à l’étranger des premiers groupes de Japonais après la guerre. En 1950, une délégation de 76 Japonais, dont plusieurs parlementaires représentant les principaux partis politiques, sept gouverneurs de préfectures, les maires de Hiroshima et Nagasaki et des dirigeants de l’industrie, de la finance et des syndicats se rendirent au centre de conférence de Caux puis en Amérique, où leur porte-parole, Chorijuo Kurijama, prit la parole devant le Sénat en demandant pardon pour « la grande erreur du Japon. » En 1957, le premier ministre japonais Nobusuke Kishi fait une tournée d’excuses auprès de neuf nations du Sud-est asiatique. À son retour à Tokyo, il déclara à la presse : « J’ai été impressionné par l’efficacité du Réarmement moral pour créer l’unité entre des peuples qui ont été opposés. J’ai fait moi-même l’expérience du pouvoir d’excuses sincères pour guérir les blessures du passé[27]. » L'empereur Hirohito lui décernera l'Ordre du Soleil levant (2e classe) en 1955[28],[29].

Décolonisation

Le Réarmement moral a joué un rôle important dans la décolonisation du Maroc et de la Tunisie. En 1956, le roi Mohammed V du Maroc écrivit à Buchman : « Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour le Maroc, pour les Marocains et pour moi-même au cours de ces années d’épreuves. Le Réarmement moral doit devenir une aide pour nous les musulmans tout autant que pour vous les chrétiens et pour toutes les nations. » En décembre de la même année le président tunisien Habib Bourguiba déclara : « Il faut dire au monde ce que le Réarmement moral a fait pour notre pays[30]. » Les tentatives de médiation en Algérie ne furent malheureusement pas couronnées de succès.

En 1955, Buchman suggéra à un groupe de dirigeants africains réunis à Caux de mettre dans une pièce de théâtre tout ce qu’ils avaient appris grâce au Réarmement moral. La pièce, intitulée Liberté fut écrite en 48 heures et créée au théâtre Westminster de Londres une semaine plus tard. Elle fit ensuite une tournée mondiale avant d’être retranscrite dans un film long-métrage en couleur. Au Kenya le film fut montré au dirigeant national Jomo Kenyatta pendant sa captivité. Il demanda que le film soit doublé en swahili. Le film fut montré à un million de Kényans avant les premières élections. Au printemps 1961, le journal The Reporter de Nairobi écrivit : « Le Réarmement moral a beaucoup fait pour stabiliser notre pays pendant la récente campagne électorale[31]. »

Psychologie et spiritualité

La vision de Frank Buchman

Le livre « Refaire le monde »[32], recueil des discours de Frank Buchman, contient l’essentiel de la vision de Buchman. Celle-ci restera toujours ancrée dans sa conviction chrétienne personnelle, même s'il travaille déjà avec de nombreux responsables d'autres religions.

« Le Groupe d’Oxford est une révolution chrétienne pour refaire le monde. Les problèmes fondamentaux dans le monde aujourd’hui sont la malhonnêteté, l’égoïsme et la peur – dans le cœur des hommes et par conséquent dans celui des nations. Ces maux multipliés se traduisent par des divorces, des délits, du chômage, des crises à répétition et des guerres. Comment pouvons-nous espérer la paix entre les nations si nous avons la guerre dans d’innombrables familles ? La guérison spirituelle doit précéder la guérison économique. Les solutions politiques ou sociales qui omettent de traiter ces problèmes ne sont pas appropriées[33]. »

Pour « refaire le monde », les gens doivent d’abord changer :

« Chacun veut voir l’autre changer. Chaque pays veut voir l’autre changer. Mais chacun attend que l’autre commence. Le Groupe d’Oxford est convaincu que celui qui veut voir une solution aux problèmes du monde doit commencer par lui-même. C’est la condition première et fondamentale[34]. »

Lançant sa campagne pour un « Réarmement moral et spirituel » à l’hôtel de ville d’East Ham en 1938, Buchman déclara :

« Nous avons besoin d’une puissance assez forte pour changer la nature humaine et construire des ponts entre hommes et entre factions. Cela commence quand chacun admet ses erreurs au lieu de mettre en avant celles des autres. Dieu seul peut changer la nature humaine. Le secret réside dans cette grande vérité oubliée que lorsque l’homme écoute, Dieu parle ; que lorsque l’homme obéit, Dieu agit et que lorsque des hommes changent, des nations changent[35]. »

Le travail personnel

S’appuyant sur son expérience à Penn State University et en Chine, Buchman recommandait le travail personnel avec chaque individu, afin d’aller assez loin pour traiter les vraies motivations et les vrais désirs. Interrogé un jour sur sa méthode pour aider les personnes, il répondit avec les « 5 C » : Confiance, Confession, Conviction, Conversion, Continuité. Rien en pouvait être entrepris si la personne n’avait pas confiance en vous, y compris la confiance dans votre capacité à garder les confidences confidentielles ; confession signifiait être honnête à propos de l’état des affaires au-delà de la façade officielle du personnage ; cela devait conduire à la conviction du péché, c'est-à-dire au besoin de changer, puis à la conversion, la décision de vivre en accord avec les commandements de Dieu ; il trouvait que le point le plus souvent négligé était la continuité, c’est-à-dire le soutien permanent à apporter à ceux qui avaient décidé de changer[36]. Un aspect complémentaire de cette libération de la personne était le fait de restituer ou de réparer, autant que possible, les torts infligés à autrui, par exemple rendre un objet volé, de l’argent ou reconnaître des mensonges. Si le tort mettait en cause la collectivité, la réparation pouvait impliquer une confession publique. Buchman a toujours souligné que le « changement de vie » n’était pas une affaire de technique mais le résultat naturel d’une demande adressée à Dieu. Dieu seul pouvait changer une personne et l’important était d’écouter Dieu en silence par l’intermédiaire de la « petite voix intérieure ».

Un élément essentiel de la spiritualité de Buchman était la pratique quotidienne du recueillement silencieux au cours duquel il affirmait que chacun pouvait rechercher et recevoir la « direction divine » sur tous les aspects de sa vie. À cause des risques d’auto-intoxication conduisant un individu à projeter sa volonté propre dans celle exprimée par la « petite voix intérieure », Buchman proposait un « test en 6 points » pour filtrer les idées venues dans le silence :
1. Rechercher une obéissance pure de toute recherche d’un intérêt personnel ;
2. Observer et respecter si les circonstances rendaient l’idée irréaliste ;
3. Regarder si les idées respectaient les critères moraux les plus hauts d’honnêteté, de pureté, de désintéressement et d’amour absolus[37] ;
4. Valider si l’idée est conforme aux écritures saintes ;
5. Prendre l’avis d’amis de confiance ;
6. S’appuyer sur l’expérience et les enseignements de l’Église[38].
Ces méthodes subsistent aujourd'hui, le plus souvent sans aucune référence chrétienne, en raison de leur efficacité psychologique, ainsi qu'en atteste l'aventure des Alcooliques anonymes.

Les Alcooliques anonymes, ou la force de l'assistance mutuelle

Les fondateurs des Alcooliques anonymes, Bill Wilson et le docteur Bob Smith, étaient tous deux des membres actifs du Groupe d’Oxford et étaient convaincus que les principes du Groupe d’Oxford contenaient la solution au problème de l’alcoolisme. Le psychologue Howard Clinebell (en) a salué en Buchman « l’un des pionniers des techniques modernes d’assistance mutuelle »[39]. Pour le médecin et psychologue suisse Paul Tournier, « tout le développement de la thérapie de groupe en médecine n’est pas dû à Frank Buchman, mais il a historiquement personnifié cette approche novatrice, mettant un point final au chapitre de la rationalité pure et ouvrant une ère nouvelle où l’émotionnel et l’irrationnel furent aussi pris en compte ». À propos de l’effet de Buchman sur les Églises, Tournier observa que « avant Buchman, l’Église estimait que son rôle était d’enseigner et de prêcher, mais pas de découvrir ce qui se passait dans l’esprit des fidèles. Les ecclésiastiques parlaient tout le temps et n’écoutaient jamais. Il y a encore trop de paroles, mais le silence a fait son retour. Frank a aidé à faire la démonstration que la puissance du silence est la puissance de Dieu[40]. »

Attitude envers les autres religions

La disposition de Buchman à travailler avec des représentants d’autres religions sans exiger de leur part une conversion au christianisme s’est avérée être une importante source d’incompréhension voire de conflit avec d’autres chrétiens. Dans un discours de 1948, il déclare : « le Réarmement moral est la bonne route d’une idéologie inspirée par Dieu sur laquelle tous peuvent s’unir. Catholiques, juifs, protestants, hindous, musulmans, bouddhistes, confucianistes  tous découvrent qu’ils peuvent changer, là où c’est nécessaire, et cheminer sur cette route ensemble[41]. » Au fil des années, il rencontra plusieurs fois le Mahatma Gandhi pour qui il nourrissait le plus grand respect, disant : « son utilité sera la sainteté, et une sainteté convaincante qui plus est »[42]. Il exprima aussi le souhait que les pays musulmans soient « une ceinture de santé mentale pour relier l’Est et l’Ouest et apporter une renaissance morale »[43].

Cependant, selon son biographe Garth Lean, Buchman témoignait toujours de « ses plus profondes vérités chrétiennes lors de ses réunions, quelles que soient la religion ou l’incroyance des participants, s’appuyant le plus souvent sur son expérience personnelle de libération de sa haine par la croix à Keswick et disant comment le Christ était devenu son meilleur ami. C’était toujours partagé avec un sentiment d’urgence : chacun devait prendre immédiatement conscience de son péché et trouver le changement et le pardon. Mais il n’ajoutait jamais à l’intention de son public qu’il doive rompre avec sa propre tradition et se joindre à telle ou telle Église[44]. »

Buchman et le communisme

À la suite de son expérience directe des missions en Chine, Buchman avait une conscience aigüe de l’échec du vaste effort missionnaire occidental en Chine et du fait que cela avait permis à un ensemble de croyances de substitution, le communisme, de prendre pied en Chine. Dans ses années de travail au sein des universités américaines et britanniques, il découvrit que le communisme était une idée puissance et attirante. Tout en admirant l’audace et la passion des communistes, il était convaincu que c’était une mauvaise idée inadéquate car fondée sur le relativisme moral et sur un militantisme antireligieux[45]. Une idée récurrente chez lui était que la qualité d’engagement et l’idéologie stratégique du communisme devaient être combattus par des forces tout aussi engagées travaillant stratégiquement pour Dieu. Après une visite en Amérique du sud, il dit à un groupe de jeunes travaillant avec le Groupe d’Oxford : « Dans un pays on m’a parlé de deux jeunes communistes qui se sont fait un devoir de s’attacher chacun à gagner aux positions du Parti un des ministres du gouvernement. Qui parmi vous est prêt à planifier aussi minutieusement pour apporter la révolution chrétienne à vos leaders[46] ? »

Buchman était convaincu que tant le fascisme que le communisme avaient leurs racines dans le matérialisme (Frank Buchman utilisait fréquemment  et improprement  le terme de « matérialisme » pour désigner l'ensemble des philosophies utilitaristes et/ou athées qui ont marqué le XXe siècle, ce qui regroupe le capitalisme débridé et son sacro-saint égoïsme, les différentes espèces de fascisme et le communisme, ensemble qu'il appelle aussi « tous les '-ismes' »[47]), et que le matérialisme était donc le pire ennemi de la démocratie.

Après la dénonciation des abus du stalinisme par Krouchtchev en 1956 et son apparente détente des relations avec l’Ouest, le Réarmement moral publia un petit livre intitulé « Idéologie et coexistence » alertant l’Occident contre les stratégies et les tactiques utilisées par les communistes. Traduit en 24 langues, il devint la publication du Réarmement moral la plus diffusée de tous les temps[48]. Cela donna l'impression au grand public que Buchman et le Réarmement moral étaient avant tout anticommunistes et donc de droite. En réalité, Buchman renvoyait dos à dos capitalisme et communisme. En 1950, il confiait ainsi à un collègue: « Si la Grande-Bretagne et l’Amérique triomphaient du communisme aujourd’hui, le monde serait dans un état encore pire qu’avant. Le fait qu’un autre soit dans l’erreur ne suffit pas à me rendre juste[43]. »

À la fin des années 1940, les mines et les usines de la Ruhr en Allemagne étaient un vaste champ de bataille idéologique. Les communistes pilotés depuis Moscou espéraient prendre le contrôle des comités d’entreprises et de faciliter ainsi la prise de pouvoir par les communistes en Allemagne fédérale. Mais 120 000 ouvriers de la Ruhr avaient vu la pièce produite par le Réarmement moral « l’élément oublié »[49], et avaient entendu parler de patrons qui avaient changé d’attitude et étaient passés d’une attitude d’exploitation à une attitude de coopération. Certains responsables communistes avaient choisi de passer du côté du Réarmement moral et furent convoqués pour s’expliquer au quartier général communiste de Rhénanie du Nord-Westphalie. Là, ils recommandèrent que le Parti s’implique dans le Réarmement moral et que le Parti choisisse d’assurer les prochaines étapes de son développement en adoptant les principes moraux absolus d’honnêteté, de pureté, de désintéressement et d’amour, étayant leur thèse de citations de Marx et d’Engels. Leur approche fut rejetée et ils furent exclus du Parti[50].

Buchman avait accepté l’invitation du docteur Heinrich Host, président des Charbonnages allemands, d’envoyer une équipe dans la Ruhr[51]. Pendant deux ans, Buchman entretint une équipe de cent personnes dans cette région. Avant leur arrivée, 72 % des sièges de comité d’entreprise étaient tenus par des communistes. En 1950, ce pourcentage avait été ramené 25 %. Selon Hubert Stein, membre du comité directeur du syndicat des mineurs allemand, « ce déclin a été dû pour une large part au Réarmement moral »[52]. En 1950 Radio Berlin et d’autres radios allemandes diffusèrent un discours de Buchman : «  Des marxistes découvrent une nouvelle philosophie dans ce temps de crise. La lutte des classes est en train d’être dépassée. Direction et syndicats commencent à vivre une alternative à la guerre de classes… Les marxistes peuvent-ils préparer le terrain pour une idéologie plus grande ? Pourquoi pas ? Ils ont toujours été ouverts aux idées nouvelles… Pourquoi ne vivraient-ils pas pour cette pensée supérieure[53] ? »

À partir de cette époque, Buchman et le Réarmement moral furent régulièrement attaqués sur les ondes de Radio Moscou. En 1952, Georgy Arbatov décrivit le Réarmement moral comme « une idéologie universelle » qui « supplante l’inévitable lutte des classes » par « la lutte permanente entre le bien et le mal »[54].

Vie privée

Buchman ne se maria jamais. Malgré une attaque en 1942 et une santé déclinante qui le conduisit progressivement à la cécité et à l’immobilité, il resta aussi actif que possible jusqu’à son décès en 1961.

Controverses

Buchman fut un personnage controversé toute sa vie. Dès les années 1920, ses critiques surnommèrent son mouvement de manière réductrice le « Buchmanisme ». Au Royaume-Uni, on compte parmi ses plus notables critiques, Herbert Hensley Henson, évêque de Durham et le très controversé parlementaire travailliste Tom Driberg, auteur du livre critique à succès Le Mystère du Réarmement moral. En contrepartie, Buchman fut soutenu par des personnalités telles que l’archevêque de Canterbury Cosmo Lang et le philosophe existentialiste Gabriel Marcel[55]. L'écrivain Malcolm Muggeridge répéta longtemps qu’il ne comprenait pas ce qui valait à Buchman cette aussi « extraordinaire hostilité » pour en venir plus tard à la conclusion que « dans une société libertine, toute attaque contre le libertinage est anathème »[56].

Polémiques autour de l'Université de Princeton

Une des premières polémiques contre Buchman fut soulevée par Time magazine en 1926, faisant état, d'ailleurs de manière erronée, de son renvoi de l’Université de Princeton dans les années 1920[57]. En réalité, Frank Buchman n’avait jamais été en poste à Princeton, mais un groupe de ses sympathisants s'y était constitué après les succès de Buchman à l'Université de Hartford et y développait une activité intense au sein de la principale organisation chrétienne du campus, la Philadelphian Society. Cet activisme enthousiaste occasionna une série de plaintes portant sur des pratiques d’évangélisation agressives, sur le manque de respect de la vie privée causé par la pratique de confessions publiques, et sur l'accent placé sur la confession de fautes dans le domaine sexuel. Le président de l’université, Hibben, mit en place une commission d’enquête et déclara immédiatement à la presse : « le Buchmanisme n’a pas sa place à Princeton. » Toutefois, lorsque le rapport de la commission fut publié plusieurs mois plus tard, ses auteurs concluaient : « Après avoir recherché par tous les moyens à trouver des témoignages permettant de confirmer ces accusations…, aucun élément de preuve n’a été produit qui puisse étayer ou justifier les allégations faites… Dans ces circonstances, pour être justes, nous nous devons de déclarer que, selon nous, ces accusations sont le fruit soit d’incompréhensions, soit de critiques dénuées de fondement. » Allant plus loin, le rapport rendait hommage aux « remarquables succès » de la Société sur le campus[58]. Malgré ce rapport, Hibben exigea que les responsables de la Philadelphian Society désavouent Buchman sous peine de perdre leurs postes. Ceux-ci, plutôt que de se soumettre, choisirent de démissionner.

La citation à propos d'Hitler

Une citation tirée d’une interview dans le New York World-Telegram du a toujours poursuivi Buchman :

  • « Je loue le ciel pour un homme comme Adolf Hitler, qui a construit une ligne de défense contre l’antéchrist du communisme. »

Et dans la même veine :

  • « Mon coiffeur de Londres m’a dit qu’Hitler a sauvé l’Europe du communisme. C’est ce qu’il ressentait. Bien entendu je n’approuve pas tout ce que font les nazis. L’antisémitisme ? C’est mauvais, naturellement. Je suppose qu’Hitler voit un Karl Marx dans tout juif. »
  • « Les problèmes humains ne sont pas de nature économique. Ils sont moraux et ne peuvent être résolus par des mesures immorales. Ils pourraient être résolus dans le cadre d’une démocratie conduite par Dieu, ou peut-être devrais-je dire une théocratie, et ils pourraient être résolus dans le cadre d’une dictature fasciste conduite par Dieu. »

Garrett Stearly, qui assistait à l’interview du New York World-Telegram, s’était étonné que l’article soit tellement décalé par rapport à l’interview... « Il avait dit que l’Allemagne avait besoin d’un nouvel esprit chrétien, mais que cependant il fallait reconnaître le fait qu’Hitler avait été un rempart contre le communisme en Allemagne, au moins un point pour lequel on pouvait remercier le ciel. C’était une boutade et pas du tout un éloge d’Hitler. » Buchman lui-même se refusa à tout autre commentaire public afin de ne pas entretenir la controverse publique et de ne pas mettre davantage en danger ses amis du Groupe d’Oxford en Allemagne qui connaissaient de sérieuses difficultés[59].

Des documents de la Gestapo rendus publics après la guerre ont montré que les nazis pensaient que Buchman travaillait pour les services de renseignement britanniques et considéraient le Groupe d’Oxford comme un opposant au national-socialisme à la fois nouveau et dangereux. Le rapport de 126 pages sur « le mouvement des groupes d’Oxford » de 1939 disait que « le Groupe pris globalement représente une attaque contre le nationalisme de l’État et exige la plus extrême vigilance de la part de l’État. Il prêche une révolution contre l’État national et est devenu de toute évidence son adversaire chrétien[60]. »

Pendant la guerre, il y eut aussi une controverse pendant quelques mois à propos de collaborateurs britanniques du Réarmement moral qui échappaient au service armé en poursuivant leur travail avec le Réarmement moral aux États-Unis dans le cadre d'une campagne de mobilisation civique intitulée You can defend America. Par la suite, tous entrèrent dans le service actif.

Insistance excessive sur les questions sexuelles

Certains critiques ont accusé le Groupe d’Oxford de se concentrer de manière malsaine sur les questions sexuelles, particulièrement sur la masturbation, sous couvert d’« honnêteté absolue » et de « pureté absolue ». La réponse de Buchman était : « Nous affrontons sans hésitation les problèmes sexuels dans les mêmes proportions qu’ils se rencontrent et se discutent dans cette source d’autorité que constitue le Nouveau Testament… Aucun lecteur du Nouveau Testament ne peut y échapper mais jamais au détriment de ce qu’ils considèrent comme des péchés plus flagrants, comme la malhonnêteté ou l’égoïsme[61]. »

Cette approche a été confirmée par J. W. C. Wand, alors doyen d’Oriel College et plus tard évêque de Londres, qui écrivit en dans la revue « théologie » que « l’on entend davantage parler d’égoïsme, d’orgueil, de rancune que de quoi que ce soit d’autre » et que « on ferait mieux de rejeter comme une totale absurdité l’accusation que le « buchmanisme » serait indûment préoccupé par les questions sexuelles[61]. »

Critiques dans les milieux religieux

Frank Buchman rencontra une forte opposition de la part de certains hommes d'Église de différents bords.

Pour une part, cette opposition fut politique. Ainsi, Reinhold Niebuhr[62] ou Dietrich Bonhoeffer[63] s’opposèrent à l'engagement de Buchman dans la sphère politique, l'accusant principalement de naïveté à l'égard du nazisme.

Le théologien protestant suisse Emil Brunner, qui avait souvent dit tout ce qu’il devait à Buchman, tenta lui aussi de dissuader Buchman de poursuivre ses efforts pour approcher les chefs nazis en lui faisant observer qu’il mettait en danger sa réputation personnelle et celle de son travail[64]. Buchman répondit de manière quelque peu optimiste à Brunner : « Les Groupes [d'Oxford] n’ont pas de réputation à défendre et quant à moi, je n’ai rien à perdre[65]. »

Comme Brunner, plusieurs autres théologiens ont apprécié positivement le travail et les convictions Buchman. Le chanoine anglican B. H. Streeter, principal de Queen's College, Oxford, et spécialiste respecté du Nouveau Testament pendant les années 1920 et 1930 s’est solidarisé publiquement avec lui jusqu’à sa mort dans un accident d’avion en 1937[66]. Klaus Bockmühl, professeur de théologie et d’éthique à Regent College à Vancouver et auteur du livre À l’écoute du Dieu qui parle, écrivit : « le génie du Réarmement moral est de mettre la substance spirituelle centrale de christianisme sous une forme laïque et accessible, et d’en faire la démonstration de manière souvent plus spontanée et plus puissante que ne le font les Églises. D’où l’insistance sur les quatre critères moraux absolus. Mais la direction par l’Esprit saint est tout autant essentielle… Le génie est dans l’équilibre des deux[67]. »

Après une longue période de distanciation voire de condamnation théologique[68], l’Église catholique retrouvera des convergences avec les idées de Frank Buchman. Ainsi le cardinal Montini, futur pape Paul VI, avait-il refusé à Mgr Lefebvre la condamnation du Réarmement Moral pourtant critiqué par le Saint-Office en 1955[69]. Dans les années 1980, le cardinal de Vienne Franz König déclare que, par ses idées, Buchman a marqué un tournant dans l’histoire du monde moderne[70].

Chez les orthodoxes, le patriarche Athenagoras Ier de Constantinople avait surnommé Buchman « un saint Paul moderne »[71].

Références

  1. Edward Luttwak, Franco-German Reconciliation: The Overlooked Role of the Moral Re-Armament Movement, in Religion, the Missing Dimension of Statecraft, éd. Douglas Johnston & Cynthia Sampson, OUP 1994, page 52
  2. Garth Lean, Frank Buchman - a life, Constable, Londres, 1985, p. 392-303
  3. Garth Lean - Frank Buchman - A Life, 28
  4. (en) Tom Driberg, The Mystery of Moral Re-Armament: A Study of Frank Buchman and His Movement, (OCLC 64-19084)
  5. Lean, Frank Buchman,30-31
  6. [tp://www.frankbuchman.info/ Lean, Frank Buchman, 36]
  7. Lean, Frank Buchman, 38
  8. Lean, Frank Buchman, 46
  9. Biographical Dictionary of Chinese Christianity
  10. Thornton Duesbery The Open Secret of MRA,11
  11. Daily Express, .
  12. Lean,Frank Buchman, 138
  13. Tidens Tegn, .
  14. Lean, Frank Buchman, 225
  15. Lean, Frank Buchman, 227
  16. Lean, Frank Buchman, 236
  17. Lean, Frank Buchman, 242
  18. Buchman Remaking the world, 55
  19. Lean, Frank Buchman, 229, 303
  20. Lean, Frank Buchman, 297
  21. Archie Mackenzie, Faith in diplomacy, 52-55.
  22. Brochure du 60ème anniversaire du Centre de Caux (2006), préambule de Cornelio Sommaruga, p.3
  23. Edward Luttwak, "Franco-German Reconciliation: The Overlooked Role of the Moral Re-Armament Movement", in Religion, the Missing Dimension of Statecraft, Douglas Johnston and Cynthia Sampson (editors), Oxford University Press 1994
  24. Steven M. Schroeder, To Forget It All and Begin Anew: Reconciliation in Occupied Germany, 1944-1954, University of Toronto Press, 2013, (ISBN 9781442663558), 256 pages
  25. Décoration remise le 4 juin 1950 sur proposition de Robert Schuman, cité par Douglas Johnston, Cynthia Sampson dans "Religion, the Missing Dimension of Statecraft", Oxford University Press, 1995 - 350 pages, (ISBN 9780195102802), p.52
  26. Luttwak, 38
  27. Lean, Frank Buchman, 497
  28. Document du Japanese American Museum "Dr. Frank Buchman honored at Moral Re-armament (MRA) party, Los Angeles, California, March 20, 1957"
  29. Philip Boobbyer, The Spiritual Vision of Frank Buchman, Penn State Press, 2013, 232 pages, Fig. 9.
  30. Lean, Frank Buchman, 454
  31. Lean, Frank Buchman, 457
  32. Remaking the world, Blandford Press 1947
  33. Remaking the World, 29
  34. Remaking the World, 26
  35. Remaking the world, 46
  36. Lean, Frank Buchman, 79-80
  37. Ces "4 critères moraux absolus", issus du travail de recherche biblique de Robert E. Speer, ont par la suite pris une importance majeure dans les écrits et les pratiques du Réarmement moral. Voir (en) Hennie de Pous-de Jonge, Reaching for a new world, Initiatives of Change seen through a Dutch window, Caux Books, (ISBN 978-2-88037-520-1, lire en ligne).
  38. Lean, Frank Buchman, 76
  39. Lean, Frank Buchman, 152
  40. Lean, Frank Buchman, 153
  41. Remaking the world, 166
  42. Lean, Frank Buchman, 120
  43. Lean, Frank Buchman, 487
  44. Lean, Frank Buchman, 388
  45. Lean, Frank Buchman, 147
  46. Lean, Frank Buchman, 148
  47. Voir à ce propos Philip Boobbyer, The Spiritual Vision of Frank Buchman, Penn State Press, 2013, 232 pages, (ISBN 9780271062945), p.134
  48. Lean, Frank Buchman, 516
  49. Lean, Frank Buchman, 360
  50. Lean, Frank Buchman, 364
  51. Lean, Frank Buchman, 359
  52. Lean, Frank Buchman, 362
  53. Remaking the world, 177-184
  54. Lean, Frank Buchman, 418
  55. Gabriel Marcel, Fresh Hope for the World
  56. Lean, Frank Buchman, 271
  57. Time Magazine, 18 November 1926
  58. Thornton-Duesbery, The Open Secret of MRA, 11
  59. Lean, Frank Buchman, 240
  60. Thornton-Duesbery, The Open Secret of MRA, 59-61
  61. Lean, Frank Buchman, 139
  62. Citation de Reinhold Niebuhr : En d’autres termes, une philosophie sociale nazie a été le présupposé secret de toute l’aventure du Groupe d’Oxford depuis ses débuts. Soyons reconnaissants au leader d’avoir révélé si clairement ce qui avait été légèrement caché. Nous voyons à présent la naïveté incommensurable de ce mouvement dans ses efforts pour sauver le monde. S’il se contentait de prêcher la repentance aux ivrognes et aux adultères, on pourrait le respecter en tant que mouvement de réveil religieux qui sait confronter le pécheur à Dieu. Mais quand il se précipite à Genève, au siège de la Société des Nations, ou chez le prince Starhemberg, ou chez Hitler ou auprès de n’importe quel lieu de pouvoir, toujours avec l’idée qu’il est sur le point de sauver le monde en amenant ceux qui le gouvernent à se placer sous la conduite de Dieu, on ne peut guère réprimer un sentiment de mépris pour cette dangereuse puérilité. » Extrait de Christianity and Power Politics, de Reinhold Niebuhr
  63. Citation de Dietrich Bonhoeffer : « Le Groupe d’Oxford Group a eu la naïveté d’essayer de convertir Hitler – un échec ridicule à comprendre ce qui se passait – c’est « nous » qui avions besoin d’être convertis, pas Hitler. » Eberhard Bethge, Dietrich Bonhoeffer, pp. 282-284.
  64. Lean, Frank Buchman, 212
  65. Citation complète : « Votre danger à vous, c’est que vous êtes toujours le professeur qui tonne du haut de sa chaire et qui veut être théologiquement parfait. Mais la crise de l’Église allemande ne sera jamais résolue de cette manière. Repensez à votre phrase : ‘Malheureusement, Hossenfelder, ce pauvre homme, a porté atteinte à la réputation des Groupes [d’Oxford]. Cela me rappelle le fait de s’assembler avec les publicains et les pécheurs.’ Conservez votre sens de l’humour et lisez le Nouveau Testament. Les Groupes n’ont dans ce sens pas de réputation à défendre et quant à moi, je n’ai rien à perdre. » Lean, Frank Buchman, 212
  66. Lean, Frank Buchman, 160, 256
  67. Lean, Frank Buchman, 514
  68. Condamnation rappelée par le futur cardinal Leon-Joseph Suenens en mai 1953. Sur le plan doctrinal, voir l'article en anglais des jésuites Ralph J. Bastian, S.J. et John A. Hardon, S.J. dans American Ecclesiastical Review Vol. 135, July-December 1956, pp. 217-226, consulté le 11 septembre 2017
  69. Mgr Lefebvre, alors délégué apostolique pour l'Afrique francophone, alla voir Montini pour qu'une condamnation officielle soit portée par le Saint-Office contre le mouvement. Montini lui répondit « Il ne faut pas toujours condamner. L'Église va apparaître comme une marâtre » (Conférence de Mgr Lefebvre du 20 août 1976).
  70. Lean, Frank Buchman, 2
  71. Lean, Frank Buchman, 428

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