Enlèvements turcs en Islande

Les « enlèvements turcs »[1] en Islande (en islandais : Tyrkjaránið ) sont une série de raids esclavagistes menés par une flotte de quatre bateaux, comprenant des pirates salétins ainsi qu'algérois[2] en Islande entre le et le dans les villages de Grindavík sur la côte sud-ouest et de Berufjörður et Breiddalur dans les fjords de l’est et les îles Vestmann au large de la côte sud. Ils feront de 400 à 900 prisonniers (la population de l’Islande était à l’époque estimée à environ 60 000). Cet épisode est exceptionnel à la fois parce qu'il s'agit de la seule attaque sur l'Islande ayant fait des morts et au regard du nombre de témoignages l'ayant relaté a posteriori.

Un pirate barbaresque, par Pier Francesco Mola, huile sur toile (172 x 123 cm), Louvre.

Les raids

Reykjavik, l’une des avancées extrêmes en Atlantique des pirates et corsaires barbaresques. Ce n’était alors qu’un très petit village.

À l', quatre navires de pirates et corsaires barbaresques arrivent en Islande. En Islande cet événement est connu sous le nom de « Tyrkjaránið » ou « raid turc » parce que certains corsaires venaient d'Alger, alors sous domination de l'Empire ottoman[3], ce qui n'était pas le cas pour Salé, sur la côte atlantique du Maroc.

Le raid sur Grindavík

Le , l'équipage d'un bateau en provenance de Salé opère un raid sur le village de pêche de Grindavík. Selon le roman national islandais, il est dirigé par le renégat hollandais Jan Janszoon, alias Mourad Raïs le Jeune, et capture entre 12 et 15 Islandais[4].

Couverture du livre d’Oluf Eigilsson, Islandais enlevé par Jan Janszoon en 1627. De retour en Islande après sa libération, il écrivit un livre sur sa captivité chez les pirates.

Se dirigeant ensuite sur Bessastaðir, résidence du gouverneur danois de l’Islande, pour y piller, ils furent empêchés de débarquer par le feu des canons des fortifications locales (Bessastaðaskans) et un groupe rapidement assemblé de lanciers de la péninsule sud[5].

Mourad Raïs décida de changer de cap pour retourner au port de Salé où il arriva à la mi-juillet et où les captifs furent vendus sur le marché aux esclaves.

Le raid sur les Îles Vestmann

Selon un compte rendu détaillé du raid par l’un des ministres, Ólafur Egilsson, qui fut d’abord réduit en esclavage par les pirates et emmené à Alger, avant d’être renvoyé pour demander des fonds au roi du Danemark pour racheter ses sujets islandais encore à Alger[6], les vieillards et les infirmes furent tués sans pitié, de même que tous ceux qui tentaient de résister[7]. Le , les navires quittèrent les Îles Vestmann pour faire voile vers Alger.

Le sort des captifs

Les personnes capturées furent vendues comme esclaves sur la côte des Barbaresques. Emmanuel d'Aranda, brugeois emmené comme esclave à Alger de 1640 à 1641, écrit dans son ouvrage, Relation de la captivité et liberté du sieur Emmanuel d'Aranda (1665), à propos de son temps comme esclave du pirate barbaresque Ali Bitchin, qu’un compagnon de captivité islandais à Alger lui avait dit que 800 personnes au total avaient été réduites en esclavage[8]. Cependant, ce nombre ne correspond à aucune des sources islandaises qui placent toutes le nombre de captifs au-dessous de 400[9].

Quelques lettres écrites par des captifs atteignirent l’Islande et, avec d’autres comptes rendus, indiquent que les captifs furent traités très différemment par leurs maîtres. Un captif de la région de l’est, Guttormur Hallsson, a déclaré dans une lettre écrite en Barbarie en 1631 : « Il y a une grande différence ici entre les maîtres. Certains esclaves ont des maîtres corrects et bienveillants, ou entre les deux, mais certains infortunés se retrouvent avec des tyrans sauvages, cruels au cœur dur, qui ne cessent jamais de les maltraiter, qui les forcent au travail et à la peine insuffisamment vêtus et nourris, et dans les fers du matin au soir[10] ».

Notes et références

  1. Le terme d'« enlèvements turcs » semble traditionnel en Islande, mais est en réalité improprement utilisé, puisque les pirates en cause venaient de la République de Salé, donc sans rapport avec les « Turcs » puisque leur seule allégeance était vis-à-vis de la dynastie saadienne du Maroc, et que leur chef était le Hollandais Jan Janszoon, originaire de Haarlem.
  2. Leïla Maziane 2007, p. 173.
  3. Vilhjálmur Þ. Gíslason, Bessastaðir: Þættir úr sögu höfuðbóls. Akureyri. 1947
  4. Helgason 2018, p. 56-60.
  5. (is) Vilhjálmur Þ. Gíslason, Bessastaðir : Þættir úr sögu höfuðbóls, Akureyri, Bókaútgáfan Nordri, 1947.
  6. Ólafur Egilsson, Reisubók Séra Ólafs Egilssonar, Reykjavík, Almenna Bókafélagið, 1969.
  7. (en) Danish slaves in Barbary. Peter Madsen, Islam in European literature.
  8. Emmanuel d'Aranda, Relation de la captivité du sieur Emanuel d’Aranda, où sont descriptes les misères, les ruses et les finesses des esclaves et des corsaires d’Alger. Ensemble les conquestes de Barberousse dans l’Afrique et plusieurs autres particularités, Paris, Compagnie des libraires du Palais, 1665.
  9. (en) Peter Lamborn Wilson, Pirate utopias : Moorish corsairs & European renegadoes, Brooklyn, Autonomedia, , 219 p. (ISBN 978-1-57027-158-8, lire en ligne), p. 100.
  10. Lettre écrite par Guttormur Hallsson

Bibliographie

  • (en) Þorsteinn Helgason, The Corsairs’ Longest Voyage: The Turkish Raid in Iceland 1627, BRILL, (ISBN 978-90-04-36370-0, lire en ligne)

Témoignages

  • Emmanuel d'Aranda, Relation de la captivité du sieur Emanuel d’Aranda, où sont descriptes les misères, les ruses et les finesses des esclaves et des corsaires d’Alger. Ensemble les conquestes de Barberousse dans l’Afrique et plusieurs autres particularités, Paris, Compagnie des libraires du Palais, 1665.
  • (is) Ólafur Egilsson, Reisubók Séra Ólafs Egilssonar, Reykjavík, Almenna Bókafélagið, 1969.
  • (en) Ólafur Egilsson, Karl Smári Hreinsson et Adam Nichols, The Travels of Reverend Ólafur Egilsson: The Story of the Barbary Corsair Raid on Iceland in 1627, Catholic University of America Press + ORM, (ISBN 978-0-8132-2870-9, lire en ligne)
  • (is) Vilhjálmur Þ. Gíslason, Bessastaðir : Þættir úr sögu höfuðbóls, Akureyri, Bókaútgáfan Nordri, 1947.

Romans

  • Steinunn Johannesdottir (trad. de l'islandais), L'esclave islandaise : Roman inspiré de sources historiques, Montfort-en-Chalosse, Gaïa, , 393 p. (ISBN 978-2-84720-765-1).

Sur les corsaires

  • Leïla Maziane, Salé et ses corsaires, 1666-1727 : un port de course marocain au XVIIe siècle, Rouen ; Caen, Publication Pôle Universitaire Normand, , 362 p. (ISBN 978-2-84133-282-3, lire en ligne).
  • (en) Peter Lamborn Wilson, Pirate utopias : Moorish corsairs & European Renegadoes, Brooklyn, Autonomedia, , 219 p. (ISBN 978-1-57027-158-8, lire en ligne).

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