Eau tritiée

Sous forme chimiquement pure, l’eau tritiée (ou eau super-lourde) est une forme d'eau dans laquelle tout ou partie des atomes de protium a été remplacé par du tritium. L'eau tritiée ne doit pas être confondue avec l'eau lourde, qui est de l'oxyde de deutérium. Le tritium étant lui-même un radioisotope de période 12,32 années, l'eau tritiée pure est très fortement radioactive.

Pour les articles homonymes, voir HTO.

Eau tritiée
Molécule d'oxyde de tritium
Identification
Nom UICPA oxyde de tritium
No CAS 14940-65-9
PubChem 104752
SMILES
InChI
Apparence liquide
Propriétés chimiques
Formule ³H2O
T2O
Masse molaire[1] 22,0315 ± 0,0003 g/mol
³H 27,38 %, O 72,62 %,
Propriétés physiques
fusion 4,48 °C
ébullition 101,51 °C
Précautions

Composé radioactif

Unités du SI et CNTP, sauf indication contraire.

L'eau tritiée peut désigner des substances très différentes suivant la concentration en tritium, qui peut varier sur une échelle allant de 1 à 1015. Dans le contexte de l'environnement, ce que l'on désigne par « eau tritiée » est de l'eau contaminée au tritium, à des taux de dilution inférieurs à 10−12.

Oxyde de tritium

Dans sa forme pure (T2O ou 3H2O), on l'appelle aussi eau super-lourde ou oxyde de tritium, ou plus rarement oxyde de ditritium.

Dans cette forme, tous les atomes d'hydrogène sont substitués par du tritium. De l'hydrogène subsiste éventuellement à l'état de traces, conduisant à un mélange de T2O et de HTO en proportions variables.

Sous forme pure, T2O est extrêmement radioactif, avec une activité massique de 97 TBq/g. C'est une substance fortement corrosive du fait de la radiolyse.

Hydroxyde de tritium

Sous forme diluée, dès que la proportion de tritium devient minoritaire, l'eau tritiée est constituée majoritairement d'eau normale H2O, et de plus ou moins d'hydroxyde de tritium (de formule HTO : 3HOH). L'hydroxyde de tritium ne peut pas exister à l'état pur, à cause des échanges atomiques au sein de la solution. Ceux-ci conduisent à des échanges entre H2O, HTO et T2O, et maintiennent des traces de T2O, d'autant plus minoritaires que la proportion de tritium est faible.

L'activité massique de l'eau tritiée HTO (supposée pure) est de 54,1 TBq/g (54 100 TBq/l)[2].

Eau tritiée concentrée

De l'eau tritiée à 0,34 % (185 TBq/l, soit 5000 Ci/l) est commercialisée en petite quantité et utilisée dans les sciences du vivant[3].

Les effluents qui résultent de ces expériences sont fortement polluants. À cette concentration, une goutte d'eau tritiée (de l'ordre de 1 mm3) a une activité de 185 MBq, ce qui suffit largement à rendre non potable une dizaine de mètres cubes d'eau.

Eau tritiée « de faible activité »

L'eau tritiée entre dans la catégorie « de faible activité spécifique » LSA-II pour le transport des matières dangereuses[4] quand son activité est inférieure à 0,8 TBq/l (20,0 Ci/l). C'est l'ordre de grandeur des effluents tritiés[5].

L'eau tritiée « de faible activité » à 20 Ci/l contient 15 mg de HTO par litre d'eau (15 parties par million).

Cette « grande dilution » présente néanmoins une activité de 0,74 TBq·L-1 : c'est une puissance suffisante pour élever la température de l'eau d'un demi degré en moins d'une heure[6].

Le facteur de dose pour l'eau tritiée étant de 1,8 × 10−11 Sv/Bq, une eau chargée à 0,8 × 1012 Bq/l présente donc une radiotoxicité de 14,4 sievert par litre : à ce taux de dilution l'eau tritiée reste une substance dangereuse, dont il suffit de consommer accidentellement quelques centimètres cubes (un petit verre) pour s'exposer à une dose efficace de un sievert, ordre de grandeur qui met objectivement en danger la santé.

Solution d'eau tritiée

L'eau tritiée utilisée pour étudier l'effet biologique d'une exposition au tritium peut avoir une activité de l'ordre du mégabecquerel par litre (MBq/l). La dilution du tritium à ces concentrations est du même ordre que celle de l'uranium dans l'eau de mer : de l'ordre du milliardième.

On a pu observer une augmentation des aberrations chromosomiques après exposition in vitro de cellules embryonnaires en culture à un stade très précoce du développement (période préimplantatoire) et après exposition à de fortes activités (> kBq/mL) et/ou à des précurseurs d’ADN marqués au tritium[7].

Une telle solution présente une radiotoxicité de 1,8 × 10−11 Sv/Bq x 1 × 106 Bq/l, soit 18 × 10−6 Sv/l : à ce taux de dilution l'eau tritiée n'est plus immédiatement dangereuse par rapport à une consommation accidentelle ponctuelle, dans la mesure où il faudrait en boire une cinquantaine de litres avant d'atteindre une dose efficace de un sievert et se mettre réellement en danger. En revanche, cette eau n'est évidemment pas potable : pour une consommation quotidienne, une double marge de sécurité est prise ; la dose efficace doit être mille fois moins forte (millisievert), et est calculée pour une consommation cumulée sur un an (de l'ordre du mètre cube).

Eau contaminée au tritium et aspects sanitaires

Le tritium est un important déchet radioactif qui présente des enjeux en termes de radioprotection car il a une longue demi-vie biologique quand il est lié organiquement (OBT)[8]. L'exposition chronique à l'eau tritiée (HTO) à faible dose « suscite des inquiétudes »[8].

Une eau très contaminée par du tritium peut avoir une activité supérieure au kilobecquerel par litre (kBq/l).

Une étude récente (2019) a exposé des cellules de fibroblastes à différentes doses d'eau tritiée pour étudier leur comportement face à de faibles doses de radiation. Un effet protecteur est induit à une dose intermédiaire de 100 mGy par un (effet « bystander » et adaptatifs). On observe que les rayons β et γ de l'eau tritiée conduisent à une déphosphorylation plus longue de la protéine H2AX, avec apparition de « grappes complexes de cassures de l'ADN double brin, induites par les rayons β du tritium à faible dose, altérant la récupération efficace des dommages à l'ADN, qui sont responsables de la persistance des foyers résiduels ». Il semble que ces cellules, quand elles sont exposées à de faibles doses de rayonnement issus de l'eau tritiée, tendent à éliminer la population ayant subi des dommages pour éviter que les dommages à l'ADN n'augmentent le potentiel de mutation[8].

Seuil de potabilité :

  • L’OMS recommande que la dose reçue du fait de la présence d’un radionucléide dans l’eau de boisson ne dépasse pas 0,1 mSv/an. Cette dose pourrait être atteinte chez l’adulte par la consommation quotidienne de deux litres d’eau tritiée à hauteur de 7,8 kBq/l (valeur guide de l’OMS pour ce radioélément)[9].
  • En France, la réglementation retient la limite de 10 kBq/l (soit 10 MBq/m3). Sous ces concentrations (qui atteignent l'ordre de grandeur des concentrations naturelles), on parle de « traces de tritium dans l'eau ».

Unité de tritium

L'unité de tritium (TU, en anglais « tritium unit ») est définie comme une dilution d'un atome de tritium pour 1018 atomes d'hydrogène[10].

Ce taux de dilution est donc d'une partie par million de partie par million de partie par million. Une eau marquée à un TU a une activité de 0,118 Bq kg−1. Le seuil réglementaire de potabilité précédent se situe donc à 84 745 TU.

C'est par cette unité qu'est appréciée la diffusion du tritium dans l'atmosphère ou l'hydrosphère.

Le niveau de tritium dans l'eau de pluie est normalement de l'ordre de 5 à 10 TU, du fait de sa synthèse cosmogénique en haute atmosphère, par réaction (n, T) sur un atome d'azote[11]. Dans les années 1960 il est monté transitoirement à des valeurs supérieures à 1000 dans l'hémisphère nord, à la suite des essais nucléaires atmosphériques[11]. Il est très rapidement tombé à des valeurs plus faibles, le tritium atmosphérique étant capturé et dilué dans les eaux océaniques.

Applications

Outil de datation

L'eau tritiée est parfois employée dans le domaine des sciences du vivant comme traceur pour des études sur le cycle biologique de l'eau. En outre, le tritium injecté par les essais nucléaires atmosphériques se retrouve en quantité infinitésimale sous forme d'eau tritiée dans l'hydrosphère et la biosphère, dont le pic permet de dater des choses variées ayant été exposées à l'atmosphère de la fin du XXe siècle, comme l'âge des crus viticoles ou celui des masses océaniques.

Traceur

L'eau tritiée (à de très fortes dilutions) peut être employée pour mesurer le volume total d'eau dans un corps. En effet, l'eau tritiée se comporte comme de l'eau normale dans le domaine biologique, et se répartit relativement rapidement dans tous les compartiments du corps. Après atteinte de l'équilibre, la concentration d'eau tritiée dans les urines correspond à celle dans l'ensemble du corps. Connaissant la quantité initialement ingérée et cette concentration finale, il est facile de calculer le volume d'eau correspondant :

  • quantité d'eau tritiée (mg) = concentration de l'eau tritiée (mg/ml) × volume de l'eau incluse dans le corps (ml) ;
  • volume de l'eau incluse dans le corps (ml) = [quantité d'eau ingérée (mg) - quantité d'eau excrétée (mg)] / concentration de l'eau tritiée (mg/ml).

Voir aussi

Notes et références

  1. Masse molaire calculée d’après « Atomic weights of the elements 2007 », sur www.chem.qmul.ac.uk.
  2. ICRP, 1983 - Browne et Firestone, 1986
  3. http://www4.gelifesciences.com/aptrix/upp01077.nsf/Content/Products?OpenDocument&parentid=370184&moduleid=43207&zone=Radiochemicals#content
  4. Recommandations ONU relatives au transport des marchandises dangereuses (disponible en ligne), p. 136.
  5. Voir , ou .
  6. Chaque désintégration libérant en moyenne 5,7 keV, un litre d'eau tritiée à cette concentration dégage donc 4,216×1015 eV·s-1, c'est-à-dire 0,674 mJ·s-1 (1 eV = 1,6×10-19 J) ou encore 0,159 mcal·s-1 (1 cal = 4,18 J). Il faut donc 6 275 s pour monter la température d'un degré, soit 104,6 min
  7. D'après CEA-direction des sciences du vivant, effets tardifs du tritium.
  8. Quan, Y., Zhou, C., Deng, B., & Lin, J. (2019) The low dose effects of human mammary epithelial cells induced by internal exposure to low radioactive tritiated water. Toxicology in Vitro, 61, 104608 (résumé).
  9. Fiche de synthèse sur le Tritium (A. Comte CEA / EDF, décembre 2005, PDF, (fr)). Voir aussi Toxiques nucléaires De R Paulin, Pierre Galle, Maurice Tubiana (disponible en ligne), p. 169.
  10. Sahra, hydrogen isotopes
  11. Tritium in the atmosphere, AIEA.

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • P. Ciffroy, F. Siclet, C. Damois et M. Luck, « A dynamic model for assessing radiological consequences of tritium routinely released in rivers. Application to the Loire River », Journal of Environmental Radioactivity, vol. 90, no 2, , p. 110-139 (lire en ligne [PDF])
  • T. Stolz, D. Ducret, S. Heinze, G. Baldacchino, J.-C. Colson, B. Dedieu et Th. Pelletier, « Self radiolysis of tritiated water », Fusion Engineering and Design, vol. 69, nos 1-4, , p. 57-60 (lire en ligne [PDF])
  • « études sur la production de tritium »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?) (avec ScienceDirect)
  • R. Meunier, M. Bonpas et J.P. Legrand, « Compteurs de Geiger à comptage interne contenant de la vapeur d'eau tritiée », J. Phys. Radium, vol. 16, no 2, , p. 148-151 (lire en ligne [PDF])
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