Droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies

Le droit de veto du Conseil de sécurité des Nations unies est un droit accordé uniquement aux cinq membres permanents de ce Conseil qui leur permet de bloquer toute résolution ou décision, quelle que soit l'opinion majoritaire au Conseil.

Les cinq membres permanents exercent ce droit quand ils votent négativement, mais une abstention ou une absence n'est pas considérée comme un veto.

Pour les votes concernant les questions de procédure, le droit de veto ne peut pas être exercé, ce qui permet ainsi au Conseil de pouvoir débattre d'un projet de résolution même s'il est fort probable qu'un des cinq y mette son veto.

Histoire

Le système du veto a été établi pour protéger les intérêts des membres fondateurs des Nations unies qui étaient sortis victorieux de la Seconde Guerre mondiale. À la conférence de Dumbarton Oaks en 1944 qui a prévalu à la création de l'ONU, il a été décidé que les représentants de la République de Chine, des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Union soviétique et, « in due course », de la France seraient des membres permanents. La France, même battue et occupée par l'Allemagne nazie, avait joué un rôle primordial en tant que membre permanent de la Société des Nations, était une puissance coloniale de première importance et les activités des Forces françaises libres aux côtés des Alliés leur ont permis de s'asseoir à la même table que les Quatre Grands.

L'article 27 de la Charte

L'Article 27 de la Charte des Nations unies spécifie que :

  1. Chaque membre du Conseil de sécurité dispose d'une voix.
  2. Les décisions du Conseil de sécurité, sur des questions de procédures, sont prises par un vote affirmatif de neuf membres.
  3. Les décisions du Conseil de sécurité, sur toutes autres questions, sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres, dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents, étant entendu que, dans les décisions prises aux termes du Chapitre VI et du paragraphe 3 de l'Article 52, une partie à un différend s'abstient de voter.

Après la victoire de la révolution communiste en Chine, en octobre 1949, les États-Unis ayant imposé le maintien de la délégation de l'ancien gouvernement nationaliste, au Conseil de sécurité, l'Union soviétique pratiqua en signe de protestation la politique de la "chaise vide". L'abstention avait alors valeur de veto. Mais les quatre autres grands lors du déclenchement de la guerre de Corée, en juin 1950, n'en tinrent pas compte et considérèrent que c'était au nom des nations Unies que l'administration Truman intervenait. Quand l'URSS décida quelques mois plus tard de reprendre son siège pour opposer catégoriquement un droit de veto, les Américains contournèrent la difficulté en faisant voter l'assemblée générale où ils détenaient la majorité. La France a souvent pratiqué la politique de la chaise vide entre 1956 et 1964, pour diverses raisons. (Cf. Liste des États membres de l'ONU#Politique de la « chaise vide » ou retrait provisoire)

La réalité ne colle plus tout à fait à la lettre de la Charte puisque selon elle, tous les membres permanents doivent voter de manière affirmative pour qu'une résolution soit adoptée. Dans la pratique, depuis la guerre de Corée, seul un vote négatif est considéré comme un veto. L'abstention ou l'absence d'un membre permanent lors d'un vote au Conseil de sécurité a dans les faits valeur d'approbation. Ceci a l'avantage inattendu de permettre à un membre permanent d'exprimer son désaccord sur une décision sans pour autant la bloquer par son abstention.

Les utilisateurs

Depuis la création de l'ONU, la majorité des veto au Conseil de sécurité ont été exercés par l'Union soviétique. Entre 1946 et 2020, sur 208 propositions de résolution bloquées par un veto, 115 ont fait l'objet d'un veto de l'URSS puis de la Russie (dont 13 conjointement avec la Chine) ; 82 des États-Unis (dont 22 avec le Royaume-Uni et/ou la France) ; 29 du Royaume-Uni (dont 24 avec les États-Unis et/ou la France) ; 16 de la France (dont 15 avec les États-Unis et/ou le Royaume-Uni) ; 16 de la Chine (dont 8 avec la Russie), incluant un usage du veto par Taïwan qui occupa le siège de la Chine jusqu'en 1971[1],[2],[3]. 76 % des vetos soviétiques et russes ont été émis avant la fin de la guerre froide, entre 1946 et 1991[1]. 53 % des vetos américains ont bloqué une résolution concernant Israël[1]. 45 vetos russes ou soviétiques ont bloqué une résolution américaine, tandis que 8 vetos américains ont bloqué une résolution russe ou soviétique[1].

Depuis la chute du Mur de Berlin, les États-Unis ont été ceux qui ont le plus fréquemment utilisé ce droit de veto. En effet, entre 1946 et 2006, on constate une inversion entre les États-Unis et l'Union soviétique (puis la Russie) puisque, dans les trois premières décennies, les premiers ont utilisé ce moyen seulement 12 fois (dont aucune fois dans les deux premières), contre 113 fois pour les seconds, alors que dans les trois dernières décennies les premiers en usèrent 70 fois, contre 10 fois pour les seconds (dont deux dans la dernière décennie).

En 15 ans (entre 1989 et 2004), 27 veto ont été mis dont[3] :

Fin décembre 2020, le veto a été utilisé 258 fois avec, par ordre d'importance[3] :

Fin décembre 2020, le veto a été utilisé 258 fois avec, par ordre chronologique[3] :

  • 1945-1955 : 55 fois ;
  • 1956-1965 : 26 fois ;
  • 1966-1975 : 29 fois ;
  • 1976-1985 : 55 fois ;
  • 1986-1995 : 37 fois ;
  • 1996-2005 : 13 fois ;
  • 2006-2015 : 19 fois ;
  • 2016-2020 : 24 fois.

Parmi ces veto, un nombre important[5] sont des refus d'admission de nouveaux membres, principalement par l'Union soviétique et surtout dans les deux premières décennies (membres généralement admis ultérieurement).

Analyse par pays

Union soviétique/Russie

Dans les premières années des Nations unies, le commissaire de l'Union soviétique et futur ministre des Affaires étrangères, Viatcheslav Molotov, a tellement bloqué de projets de résolution qu'il était surnommé « Monsieur Veto ». Dans les faits, l'Union soviétique est responsable de près de la moitié des veto dans l'histoire des Nations unies, dont 79 dans les dix premières années (soit plus du tiers de la totalité). Il voulait empêcher l'admission de nouveaux membres car les États-Unis et les autres membres de l'ONU refusaient d'admettre les Républiques Socialistes Soviétiques. Depuis la chute de l'Union soviétique, la Russie a utilisé son droit de veto très sporadiquement.

États-Unis

Les États-Unis utilisent pour la première fois leur droit de veto en 1970[6], à propos de la crise en Rhodésie.

La première fois qu'ils utilisent seuls le veto se passe en 1972, pour éviter une résolution censurant Israël. Depuis lors, c'est devenu le plus important utilisateur du veto, principalement contre des résolutions critiquant la politique d'Israël, à l'exception de la Résolution 2334 du Conseil de sécurité votée en décembre 2016[7]. C'est une cause de friction continuelle entre l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité.

Royaume-Uni

En 1956, avec la France, le Royaume-Uni utilise son veto contre une résolution sur la crise du canal de Suez. Ils finissent par se retirer de la zone après que les États-Unis ont provoqué une session d'urgence de l'Assemblée générale, comme le prévoit la Résolution 377 de l'Assemblée générale.

Le Royaume-Uni a également utilisé unilatéralement son veto à sept reprises à propos de la Rhodésie.

France

La France utilise son droit de veto de manière sporadique. Elle l'a utilisé seule pour la dernière fois en 1976 sur la question de l'indépendance des Comores, quand l'île de Mayotte resta sous souveraineté française grâce à un référendum local. Elle l'a utilisé pour la dernière fois collectivement, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, en 1989, sur la question de l'invasion de Panama par les États-Unis[8].

La menace d'un veto français contre une nouvelle résolution sur l'Irak en 2003 et une entrée en guerre a été source de brouille diplomatique et politique entre la France et les États-Unis.

Chine

Entre 1946 et 1971, le siège chinois au Conseil de sécurité est occupé par la République de Chine, exilée à partir de 1949 sur l'île de Taiwan. Durant cette période, le veto fut utilisé une seule fois par la Chine, pour s'opposer à l'admission de la Mongolie aux Nations unies[2]. La République de Chine considérait que la Mongolie faisait partie intégrante de la Chine. Du fait de la pression soviétique, la Mongolie finit par entrer à l'ONU en 1960.

Après l'expulsion de la République de Chine en 1971, à la suite de la Résolution 2758 de l'Assemblée générale des Nations unies, le premier veto de la République populaire de Chine sera exercé le contre l'admission du Bangladesh aux Nations unies[9]. Jusqu'en 2017, la République populaire de Chine s'est servie 11 fois de son droit de veto, soit le nombre le plus faible parmi les membres permanents du Conseil de sécurité[1].

Liste des veto

Sujets des veto au Conseil de Sécurité[3],[10]
Année Date Pays utilisant son veto Vote (oui/veto/non ou abs) Sujet
2020 31 août États-Unis 14-1-0 Projet de résolution préconisant aux États Membres de prendre des mesures concernant les personnes impliquées dans les actes de terrorisme.
10 juillet Russie

Chine

13-2-0 Projet de résolution sur la situation au Moyen-Orient (Syrie).
7 juillet Russie

Chine

13-2-0 Projet de résolution sur la situation au Moyen-Orient (Syrie).
2019 20 décembre Russie

Chine

13-2-0 Projet de résolution visant à renouveler le mécanisme d'aide humanitaire en Syrie.
19 septembre Russie

Chine

12-2-1 Projet de résolution appelant à un cessez-le-feu humanitaire en Syrie.
28 février Russie

Chine

9-2-4 Demande de nouvelles élections et d'autorisation de passage d'aide humanitaire au Venezuela.
2018 10 avril Russie 12-2-1 Projet de résolution condamnant l'utilisation d'armes chimiques pendant la guerre civile syrienne.
26 février Russie 10-1-4 Sanctions contre le Yémen.
2017 18 décembre États-Unis 14-1-0 Résolution soumise au Conseil de sécurité de l'ONU condamnant la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël par les États-Unis d'Amérique.
2016 8 octobre Russie 11-1-3 Projet de résolution français visant à instaurer une trêve en Syrie.
2015 29 juillet Russie 11-1-3 Lettre datée du 28 février 2014 du représentant permanent de l'Ukraine à l'ONU adressée au président du Conseil de Sécurité.
8 juillet Russie 10-1-4 Situation en Bosnie-Herzégovine.
2014 22 mai Russie

Chine

13-2-0 Saisie de la Cour pénale internationale par l'ONU concernant les crimes de guerre en Syrie
15 mars Russie 13-1-1 Respect de l'intégrité territoriale de l'Ukraine
2013 Pas de veto
2012 19 juillet Chine

Russie

11-2-2 Condamnation de la répression en Syrie des protestations contre le régime
4 février Chine

Russie

13-2-0 Condamnation de la répression en Syrie des protestations contre le régime
2011 4 octobre Chine

Russie

9-2-4 Condamnation de la répression en Syrie des protestations contre le régime
18 février États-Unis 14-1-0 Arrêt de l'implantation israélienne en Cisjordanie
2010 Pas de veto
2009 15 juin Russie 10-1-4 Extension de la Mission d'observation des Nations unies en Géorgie
2008 11 juillet Chine

Russie

9-2-4 Condamnation des violences du gouvernement au Zimbabwe contre des civils après les élections
2007 12 janvier Chine

Russie

9-2-4 Résolution sur le Myanmar
2006 11 novembre États-Unis 10-1-4 Condamnation des opérations israéliennes à Gaza
13 juillet États-Unis 10-1-4 Sur la libération de prisonniers palestiniens par Israël
2005 Pas de veto
2004 5 octobre États-Unis 11-1-3 Demande d'arrêt des tirs israéliens sur le nord de Gaza
21 avril Russie 14-1-0 Fin de l'intervention de l'UNFICYP à Chypre
25 mars États-Unis 11-1-3 Condamnation de l'assassinat d'Ahmed Yassin leader du Hamas par l'armée israélienne
2003 14 octobre États-Unis 10-1-4 Condamnation de la construction de la Barrière de séparation israélienne en Cisjordanie
16 septembre États-Unis 11-1-3 Décision israélienne de déplacer Yasser Arafat
2002 20 décembre États-Unis 12-1-2 Condamnation de la mort d'employés de l'ONU par Israël et de la destruction du bâtiment du PMA
30 juin États-Unis 13-1-1 Renouvellement de la mission de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine
2001 14 décembre États-Unis 12-1-2 Départ d'Israël du territoire palestinien et condamnation de la violence contre les civils
27 mars États-Unis 9-1-4 Établissement d'une mission d'observation de l'ONU sur la protection des civils palestiniens
2000 Pas de veto
1999 25 février Chine 13-1-1 Extension de la mission de surveillance en Macédoine
1998 Pas de veto
1997 21 mars États-Unis 13-1-1 Demande de la fin de la construction israélienne à Jabal Abu Ghneim à Jérusalem-Est
7 mars États-Unis 14-1-0 Demande à Israël d'arrêt les constructions à Jérusalem-Est
10 janvier Chine 14-1-0 Autorisation du déploiement de 155 observateurs pour vérifier le respect du cessez-le-feu au Guatemala
1996 Pas de veto
1995 17 mai États-Unis 14-1-0 Résolution sur les Territoires palestiniens occupés
1994 2 décembre Russie 13-1-1 Résolution sur la Bosnie-Herzégovine

Notes et références

  1. Francesca Fattori et Charlotte Recoquillon, « Le veto, une arme géopolitique au Conseil de sécurité de l’ONU », sur lemonde.fr, (consulté le ).
  2. Mounia Daoudi, « Veto, mode d’emploi », sur rfi.fr, (consulté le ).
  3. « Conseil de sécurité - Liste des vétos », sur research.un.org (consulté le )
  4. Une fois par la République de Chine et quinze fois par la République populaire de Chine
  5. 59
  6. soit plus de vingt-cinq ans après la création de l'ONU)
  7. Gilles Paris, « Vote à l’ONU sur la colonisation : l’ultime mise en garde d’Obama à Israël », lemonde.fr, (consulté le )
  8. https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/09/09/au-conseil-de-securite-de-l-onu-une-longue-histoire-de-blocages_3473497_3222.html
  9. https://www.lemonde.fr/archives/article/1972/08/28/la-demande-d-admission-du-bangla-desh-aux-nations-unies-a-ete-repoussee_2398586_1819218.html
  10. Historique des veto du 16 février 1946 au 15 juin 2009 Sur le site globalpolicy.org consulté le 5 février 2012

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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