Dialectes hongrois

Les dialectes hongrois sont nombreux mais la langue hongroise est tout de même unitaire[1], c’est-à-dire que la compréhension mutuelle est en général possible entre locuteurs des différents dialectes, même lorsqu’ils ne parlent pas la langue commune. Cela est dû au fait qu’ils sont concentrés sur un territoire relativement restreint du bassin des Carpates (300 000 km2 environ). Les dialectes csángós constituent toutefois une exception, surtout une partie de ceux-ci, plus archaïques, que les autres locuteurs de hongrois comprennent difficilement.

Les dialectes voisins qui présentent une série de traits semblables forment des groupes de dialectes et plusieurs de ces groupes – des régions dialectales[2]. On considère généralement qu’elles sont au nombre de dix[3]. Beaucoup de caractéristiques sont communes à plusieurs groupes de dialectes, surtout s’ils sont voisins. De plus, l’existence de ce continuum linguistique ne permet pas de délimiter nettement les groupes de dialectes voisins. Les différences entre régions dialectales sont surtout phonétiques, mais il y en a aussi des lexicales, les différences grammaticales étant les moins nombreuses. Entre les dialectes de Hongrie d’une part et ceux des pays voisins d’autre part, ainsi qu’entre ceux-ci et la langue commune, les différences sont plus grandes que celles qui distinguent les dialectes de Hongrie entre eux et leur ensemble par rapport à la langue commune.

À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, l’utilisation des dialectes se restreint de plus en plus, à la faveur de la langue commune, mais la parole des provinciaux, de ceux des campagnes surtout, présente encore des traits dialectaux, notamment en dehors de la Hongrie et particulièrement en Moldavie.

Historique de l’étude des dialectes hongrois

Dialecte hongrois

La langue hongroise peut être divisée en 10 dialectes:

  1. Dialecte transdanubien occidental
  2. Dialecte transdanubien central
  3. Dialecte transdanubien méridional
  4. Dialecte de la Grande plaine du Sud
  5. Dialecte palóc de la région du Nord
  6. dialecte du nord-est
  7. dialectale du comté de Tisza-Kriş
  8. dialecte Szekler
  9. dialecte moldave

L’attention des lettrés se dirigea vers les dialectes dès la période de l’histoire du hongrois appelée période du hongrois moderne. Dans la première moitié du XIXe siècle, dans le sillage du mouvement appelé du « renouveau de la langue », qui avait pour but, entre autres, d’éliminer les emprunts du latin et de l’allemand, l’une des sources de mots nouveaux pour la langue littéraire en cours de standardisation fut le lexique des dialectes. C’est à cette époque que remonte la parution du premier dictionnaire dialectal hongrois (Magyar Tájszótár), publié par les soins de l’Académie Hongroise des Sciences.

Le premier ouvrage scientifique d’envergure sur les dialectes hongrois, qui prend en compte de façon détaillée les aspects diachroniques de la langue, est celui d’Antal Horger, A magyar nyelvjárások (Les dialectes hongrois), Budapest, Kókay, 1934.

L’ouvrage de référence de la dialectologie hongroise fut réalisé par l’intégration à l’étude des principes de la géographie linguistique, sous la forme de l’atlas des dialectes hongrois (A magyar nyelvjárások atlasza), rédigé par László Deme et Samu Imre, paru en six volumes, entre 1968 et 1977. Cependant, la partie concernant les dialectes de Roumanie y était déficitaire. Cette lacune fut comblée par la publication de l’atlas des dialectes hongrois de Roumanie (A romániai magyar nyelvjárások atlasza), constitué avec les données recueillies par László Murádin et rédigé par Dezső Juhász, paru en neuf volumes entre 1995 et 2004, sous l’égide de la Société Linguistique Hongroise.

Régions dialectales

Région de Transdanubie occidentale

Dans la région de Transdanubie située à la frontière occidentale du pays il y a cinq groupes de dialectes : celui du nord-ouest, celui de Vas, celui de Zala, celui de Őrség et celui d’une petite contrée voisine, Hetés. Le sud-est de cette région inclut une partie limitrophe de la Slovénie, et sa partie occidentale – le Burgenland d’Autriche, territoires où il y a des minorités hongroises[2],[4].

Caractéristiques phonétiques :

PhénomèneRégion de Transdanubie occidentaleHongrois standardTraduction
parfois [e] au lieu de [ε]en position accentuée: lëhet[5]lehetpeut être
en position non accentuée: embëremberhomme (être humain)
prononciation en diphtongue ascendante des voyelles longues [oː], [øː] et [eː]szu͜ó[6]szómot
͜őtirer (au fusil)
ki͜ézkézmain
raccourcissement de [uː], [yː] et [iː]kutkútpuits
tüztűzfeu
vizvízeau
[ø] au lieu de [ε] après consonne labialeföstfestil/elle peint
bötübetűlettre
[o] au lieu de [ɒ] en syllabe suivant une syllabe avec [aː]lábomlábamma jambe
[l] au lieu de [j] transcrit ly[7]folikfolyikil/elle coule
consonne palatalisée au lieu de [j] après consonnebornyuborjuveau
kalaptyakalapjason chapeau

Dans le domaine de la morphologie, il est à remarquer dans cette région les suffixes de compléments de lieu -bu/-bü, -ru/-rü et -tu/-tü au lieu des suffixes standard -ból/-ből « de (l’intérieur de) », -ról/-ről « de (la surface de) » et -tól/-től « de (la proximité de) » respectivement. Exemples : a házbu jön « il/elle vient de la maison », leesett a tetőrü « il/elle est tombé(e) du toit », elmegy az ablaktu « il/elle s’en va de la fenêtre ». De même, le suffixe de l’infinitif est ici -nyi au lieu de -ni: sietnyi vs. sietni « se dépêcher ».

Région de Transdanubie centrale-Kisalföld

La Transdanubie centrale et le Kisalföld comprennent le groupe de dialectes des environs du lac Balaton, celui de la Transdanubie du nord, celui du Danube du nord et celui de Csallóköz (en Slovaquie) et Szigetköz. Ce sont des dialectes plus proches de la langue commune que ceux de la Transdanubie occidentale[8],[9].

Caractéristiques phonétiques[10] :

PhénomèneRégion de Transdanubie centrale-KisalföldHongrois standardTraduction
parfois [e] au lieu de [ε]gyerëkgyerekenfant
raccourcissement de [uː], [yː] et [iː]huszhúszvingt
füzfűzsaule
tiztízdix
[iː] au lieu de [eː][11]szípszépbeau
[o] au lieu de [ɒ] en syllabe suivant une syllabe avec [aː]lábomlábamma jambe
[j] au lieu de [l] dans une grande partie de la régionjánylányfille

Dans cette région aussi, le suffixe de l’infinitif devient -nyi (írnyi vs. írni « écrire ») et les suffixes de compléments de lieu perdent leur l, leur voyelle se fermant mais restant longue : a házbú vs. a házból « de la maison », a tetőrű vs. a tetőről « du toit », az annyátú vs. az anyjától « de chez sa mère » ou « de la part de sa mère ». Le suffixe -val/-vel du complément instrumental et sociatif perd lui aussi son l et sa voyelle s’allonge : hajóvā[12] vs. hajóval « en bateau », a tehénnē vs. a tehénnel « avec la vache ».

Région de Transdanubie méridionale

Dans cette région il y a deux groupes de dialectes dans le comitat de Somogy (central et du sud) et deux dans le comitat de Baranya (du nord et du sud). Dans le dernier sont inclus les dialectes hongrois de Slavonie (Croatie) aussi[8],[13].

Caractéristiques phonétiques :

PhénomèneRégion de Transdanubie méridionaleHongrois standardTraduction
[ø] au lieu de [ɛ] dans de nombreux caskendörkenderchanvre
löhetlehetpeut être
parfois [e] au lieu de [ɛ]dëszkadeszkaplanche
[eː] au lieu de [iː] accentuékésérkíséril/elle accompagne
[l] au lieu de [j] transcrit lyfolikfolyikil/elle coule
gólagólyacigogne

Dans cette région aussi, le suffixe de l’infinitif est -nyi mais il y a d’autres particularités dans la morphologie du verbe en Baranya et en Slavonie :

  • La forme de la 1re personne du pluriel de l’indicatif présent, conjugaison objective, est identique à celle de la forme à la conjugaison subjective : kinyitunk a kaput vs. kinyitjuk a kaput « nous ouvrons la porte ».
  • À la 3e personne du singulier de l’indicatif présent, le suffixe personnel à la conjugaison objective est spécifique : láti vs. látja il/elle le/la/les voit ».
  • Le suffixe personnel possessif de la 3e personne du pluriel est également spécifique : lovik vs. lovuk « leur cheval », kertyik vs. kertjük « leur jardin ».

Région de la Grande Plaine méridionale

La Grande Plaine méridionale comprend le groupe de dialectes des environs de la ville de Baja, celui des environs de Szeged et celui de Kiskunság. Les dialectes hongrois de Voïvodine (Serbie) et des județe roumains d’Arad et de Timiș font également partie de cette région[8],[14].

Particularités de prononciation :

PhénomèneRégion de la Grande Plaine méridionaleHongrois standardTraduction
[ø] au lieu de [ɛ] (caractéristique principale)emböremberhomme (être humain)
mögvöttemegvetteil/elle l’/les a achté(e)(s)
körösztkeresztcroix
[ɒː] au lieu de [ɒl]āsóalsód’en bas
[ɛː] au lieu de [ɛl]ēső[15]elsőpremier
fermeture de [oː]rúzsarózsarose
fermeture de [øː]il/elle tire (au fusil)

Dans cette région, les suffixes -hoz/-hez/-höz « à » et -szor/-szer/-ször « … fois » perdent leur consonne finale, et leur voyelle s’allonge : a ház vs. a házhoz « à/vers la maison », ötsző vs. ötször « cinq fois ». Comme dans la région de Transdanubie centrale, les suffixes standard -ból/-ből, -ról/-ről, -tól/-től deviennent -bú/-bű, -rú/-rű et -tú/-tű respectivement.

Région palóc

Cette région située au nord de la Hongrie et au sud de la Slovaquie est celle du groupe ethnique des Palócs. Elle est la plus diverse du point de vue dialectal, comprenant huit groupes de dialectes : occidental, du nord-ouest, de la vallée de l’Ipeľ, méridional, des environs de la ville d’Eger, central, oriental et de la vallée de la rivière Hornád[16],[17].

Caractéristiques phonétiques :

PhénomèneRégion palócHongrois standardTraduction
[a] (bref) au lieu de [ɒ]ȧlmȧ[18]almapomme
[ɒː] (long) au lieu de [aː]ȧnyāmanyámma mère
conservation de la consonne [ʎ][foʎoː]folyó [fojoː]rivière
[goʎoː]golyó [gojoː]bille, balle
[ʎuk]lyuk [juk]trou
parfois [e] au lieu de [ɛ]gyëngegyengefaible
[i] au lieu de [y]kilsőkülsőextérieur
pispëkpüspökévêque
[e] au lieu de [ø]sërsörbière
diphtongue [oːw] au lieu de [ol]͜utamvoltamj’ai été
diphtongue [øːw] au lieu de [øː]első͜üelsőpremier
en général, palatalisation des consonnes devant [i]gyinnyedinnyepastèque
szeretyiszeretiil/elle l’/les aime

Quelques particularités morphologiques du nom :

  • Le [ɛ] est constant dans les noms dont la racine présente en hongrois standard l’alternance [ɛ] ~ [eː] : tehen ~ tehenek vs. tehén ~ tehenek « vache ~ vaches ».
  • Le suffixe du complément instrumental-sociatif, -val/-vel, garde une forme archaïque, sans assimilation avec la consonne qui le précède : szekervel vs. szekérrel « avec la carriole ».
  • Il existe des suffixes spécifiques de compléments de lieu, utilisées seulement avec des noms qui expriment des familles : Sāndornó / Sāndoréknó vs. Sándoréktól « de chez la famille de Sándor ».

Les verbes ayant la racine terminée en t ont la forme de l’indicatif passé plus brève que celle du hongrois standard : süttem vs. sütöttem « j’ai fait cuire (au four) ».

Dans le domaine de la syntaxe, on remarque quelques cas de désaccord[19]:

  • verbe au singulier avec sujet au pluriel : elmúlt az ünnepek vs. elmúltak az ünnepek « les fêtes ont passé » ;
  • adjectif démonstratif au singulier avec nom au pluriel : el kellene fűrészelni azt a gallyfákat vs. … azokat a gallyfákat « il faudrait scier ces branches ».

Région de Tisza-Körös

Les groupes de dialectes de la région de Tisza-Körös sont celui de Hajdú-Bihar, celui de la partie centrale de la région à l’est de la Tisza et celui de l’ouest du Pays de Călata (Roumanie)[16],[20].

Traits phonétiques :

PhénomèneRégion de Tisza-KörösHongrois standardTraduction
parfois [e] au lieu de [ɛ]gyerëkgyerekenfant
diphtongues descendantes au lieu de [oː], [øː] et [eː]͜uneige
sző͜ükeszőkeblond
ké͜iskéscouteau
[iː] au lieu de [eː]níznézil/elle regarde
pízpénzargent (moyen de paiement)
fílszfélsztu as peur
allongement des voyelles devant les consonnes [l], [r] et [j] fermant la syllabebórnyuborjúveau
ökőrökörbœuf
allongement de [u] et [y]kútatkutatpuits (accusatif)
fűvesfüvesherbeux

Certaines particularités sont à remanquer dans le domaine du verbe :

  • À la 3e personne du singulier de l’indicatif présent, on utilise une forme avec le suffixe personnel -n dans le cas de certains verbes dont la forme standard est sans suffixe personnel. Ainsi, megy « il/elle va », lesz « il/elle sera », tesz « il/elle met » et vesz « il/elle prend » deviennent mëgyën, lëszën, tëszën et vëszën respectivement.
  • Pour les verbes dont la racine se termine en v, le standard prévoit que celui-ci soit présent à la 3e personne du singulier de l’indicatif présent, mais dans ces dialectes il tombe : vs. hív « il/elle appelle ».
  • À l’indicatif présent, conjugaison objective, il y a des formes à part comme tarcsa vs. tartja « il/elle le/la/les tient », lássa vs. látja « il/elle le/la/les voit ».

Région du nord-est

Géographiquement c’est la zone du cours supérieur de la Tisza, y compris l’oblast de Transcarpatie en Ukraine et le nord-ouest de la Roumanie. On y trouve le groupe de dialectes de Szabolcs-Szatmár-Bereg, celui d’entre les villes Moukatchevo et Khoust et celui des environs de la ville d’Oujhorod, avec les dialectes du territoire slovaque limitrophe[21],[22].

Caractéristiques phonétiques :

PhénomèneRégion du nord-estHongrois standardTraduction
réalisation en diphtongues descendantes de [oː], [øː] et [eː]͜ubon
͜üil/elle tire (au fusil)
͜izkézmain
réalisation en diphtongue ascendante du [eː] qui dans d’autres dialectes devient [iː]vi͜érvérsang
raccourcissement fréquent de [uː], [yː] et [iː]buzabúzablé
szürszűril/elle filtre
vizvízeau
allongement des voyelles devant [l], [r] et [j]kólbászkolbászsaucisse
kőrtekörtepoire
hājlikhajlikil/elle se plie

Comme dans la région Tisza-Körös, il existe là aussi la forme à suffixe personnel des verbes megy « il/elle va », lesz « il/elle sera », tesz « il/elle met » et vesz « il/elle prend »: megyen, leszen, teszen et veszen, respectivement.

Dans certaines zones, à la 3e personne du singulier de l’impératif, utilisée dans la relation de vouvoiement, le suffixe personnel est -ík au lieu de -en: ne mennyík el! vs. ne menjen el! « ne partez pas ! », vegyík! vs. vegyen! « prenez ! ».

Une autre particularité de cette région est l’utilisation du mot elfele (traduction littérale « vers ailleurs ») pour exprimer le caractère progressif de l’action : az öregek beszélték ezt elfele « c’est les vieux qui disaient ça ».

Région de Mezőség

Dans la région de Mezőség, en Transylvanie (en roumain Câmpia Transilvaniei « Plaine de Transylvanie », un plateau au centre de cette province) il y a quatre groupes de dialectes hongrois : celui du centre, celui de la vallée de l’Arieș, celui de la vallée du Mureș et celui de la vallée de la Târnava[21],[23].

Caractéristiques phonétiques :

PhénomèneRégion de MezőségHongrois standardTraduction
raccourcissement fréquent des voyelles longuesházbolházbólde la maison
kesztyükesztyűgant
ouverture de [o] vers [ɒ]en position accentuée : bagárbogárinsecte
en position non accentuée : malammalommoulin
[ε] au lieu de [ø] non accentué dans des îlôts dialectaux archaïquesördegördögdiable
réalisation [β] de /v/ initial de mot[βoːt]voltil/elle a été
[t͡ʃ] au lieu de [c] dans des îlôts archaïqueskucsakutyachien
[d͡ʒ] au lieu de [ɟ] dans des îlôts archaïquesdzserekgyerekenfant

Là aussi, comme dans la région palóc, il y a des suffixes de compléments de lieu pour les noms exprimant des familles : Sándorni vs. Sándorékhoz « (vers) chez la famille de Sándor », Sándornott vs. Sándoréknál « chez la famille de Sándor », Sándornól vs. Sándoréktól « de chez la famille de Sándor ». De même, comme dans la région de Tisza-Körös, on y trouve les formes verbales megyen, leszen, teszen et veszen.

Région sicule

La région sicule comprend géographiquement les județe de Mureș, de Harghita et de Covasna, avec cinq groupes de dialectes : celui de Udvarhelyszék, celui de Háromszék, celui de Csíkszék, celui de Gyergyószék et celui de Marosszék [24],[25].

Les particularités de prononciation de la région sicule par rapport au phonétisme standard se retrouvent dans d’autres régions dialectales. La voyelle [e] brève y est présente comme dans plusieurs autres régions, ainsi que l’allongement des voyelles devant [l], [r] et [j]. La prononciation [ø] au lieu de [ɛ] de Udvarhelyszék est semblable à celle de Baranya (en Transdanubie méridionale). Les dialectes sicules occidentaux sont proches de ceux de Mezőség, par exemple quant au traitement de la voyelle [o] (remplacée par [ɒ]). Dans les dialectes sicules orientaux on réalise [oː], [øː] et [eː] en diphtongues ascendantes, comme dans les dialectes transdanubiens occidentaux. En tant que traits phonétiques propres aux dialectes sicules, on peut mentionner :

PhénomèneRégion siculeHongrois standardTraduction
parfois [o] au lieu de [ɒ]hovashavasenneigé(e)
ouverture de [ɛ] vers [æ]ästä[26]estesoir

Certains traits morphologiques des dialectes sicules sont également communs avec d’autres dialectes, par exemple la forme brève du passé de l’indicatif des verbes ayant la racine en t [süttem vs. sütöttem « j’ai fait cuire (au four) »], les suffixes de compléments de lieu pour les noms exprimant des familles ou l’absence de l’alternance [ɛ] ~ [eː]. Par contre, d’autres phénomènes sont spécifiques pour les dialectes sicules :

  • Y sont conservées à l’indicatif les formes temporelles ayant la valeur du passé simple (mene « il/elle alla », kére « il/elle demanda ») et du plus-que-parfait [ment vala « il/elle était allé(e), kért vala « il/elle avait demandé »], alors qu’en hongrois standard il n’y a plus qu’une seule forme d’indicatif passé. Il y a aussi une forme de passé qui exprime la durée longue de l’action : az imént jár vala nálunk « il/elle est passé(e) chez nous tout à l’heure [et il/elle y est resté(e) longtemps] ».
  • Au conditionnel présent, 1re personne du pluriel, on utilise d’autres suffixes personnels que dans la langue standard : tudnók vs. tudnánk « nous saurions », kérnők vs. kérnénk « nous demanderions ».
  • Il y a une riche série de suffixes exprimant le fait que l’action est effectuée de temps en temps et/ou de manière superficielle, ou bien répétée à de brefs intervalles : pipákol vs. pipázgat « il fume sa pipe », nyiszitel vs. nyiszál « il/elle taillade », ugráncsol vs. ugrándozik « il/elle sautille ».
  • Le suffixe réfléchi -ódik/-ődik a souvent un sens passif : elhozódott a fa (littéralement « le bois s’est apporté ») vs. elhozták a fát (littéralement « ils/elles ont apporté le bois »), en français correct « on a apporté le bois ».

Ce qui est le plus spécifique pour les dialectes sicules consiste en son lexique, en leurs expressions figurées, en leur caractère expressif en général, bien illustré par la poésie (notamment les ballades), les chansons et les contes folkloriques, ainsi que par les écrivains qui s’en sont inspirés.

Exemples de mots et expressions sicules :

Dialectes siculesTraduction littéraleHongrois standardTraduction
ádámbűz[27]puanteur d’Adama házhoz nem tartozó ember szagaodeur d’homme étranger à la maison
ahajt[28]ottlà-bas
gürüzdölés / görözdölés[27]köszörülésaiguisage
kacsiba / kacsuba / kacsuka[27]csámpásdifforme
lacsik a kutya[29]iszik a kutyale chien lappe
odaül valahol[27]il/elle s’assied quelque partsokáig tartózkodik valaholil/elle reste longtemps quelque part
olló[27]gidabiquet
ollózik[27]ellik (kecske)elle met bas (chèvre)
összebüszüdik[27]megromlik, megbüdösödikil/elle s’altère, s’empuantit

Comme les dialectes hongrois de Roumanie en général, les sicules aussi ont emprunté beaucoup de mots roumains, certains il y a longtemps, par exemple dans le domaine de l’élevage. Exemples : berbécs (< berbec) vs. kos « bélier », esztena (< stână) vs. juhszállás « bergerie »[27], cáp (< țap) vs. bakkecske « bouc »[30], mióra (< mioară) vs. fiatal juh « jeune brebis »[31].

Région de Moldavie

En Moldavie, dans les județe de Bacău, de Neamț, de Iași et de Vrancea, il y a trois groupes de dialectes hongrois : csángó du nord, csángó du sud et sicule moldave. Les dialectes du nord sont plus archaïques que les autres, conservant des éléments de la langue du Moyen Âge. Les deux autres groupes sont proches des dialectes sicules de Háromszék et de Csíkszék.

Le phonétisme de cette région présente des ressemblances avec celui d’autres régions, par exemple le [e] bref, comme dans plusieurs autres régions, ou le passage de [o] à [ɒ], comme dans le Mezőség. On y trouve également la réalisation [β] de /v/, mais en position intervocalique aussi : nem βot vs. nem volt « il/elle n’a pas été », kicsi βultál vs. kicsi voltál « tu étais petit(e) ». Dans le groupe du nord, [t͡ʃ] remplace [c], [d͡ʒ] – [ɟ] et [ε] – [ø] non accentué, comme dans les îlôts dialectaux archaïques de Mezőség. Le passage de [ɒ] à [o], comme dans les dialectes sicules y est présent également[32]. Il y a aussi des traits phonétiques spécifiques pour les dialectes de Moldavie[33] :

PhénomèneRégion de MoldavieHongrois standardTraduction
consonne proche de [s] au lieu de [ʃ] dans le nordlásszuklássukvoyons-le/la/les
allongement des consonnes finalesrákkrákécrevisse
métathèsefetekefeketenoir(e)
hiatus au lieu de [v]hüesszhűvösfrais/fraîche [non chaud(e)]
agglutination de l’article défini az au mot suivant et chute de azemberaz emberl’homme

En morphologie, il convient de mentionner une série d’archaïsmes, surtout dans le domaine du verbe[34]:

  • u final de racine au lieu de v pour certains verbes: hiu vs. hív « il/elle appelle » ;
  • absence de l’alternance racine complète ~ incomplète pour certains verbes : aluszik, alugyam vs. alszik ~ aludjam « il/elle dort, que je dorme » ;
  • absence du suffixe -ik de la 3e personne du singulier de l’indicatif présent dans des verbes qui ont ce suffixe dans le standard : es vs. esik « il/elle tombe », foly vs. folyik « il/elle coule », mász vs. mászik « il/elle rampe » ;
  • absence de j à la 1re personne du pluriel de l’indicatif présent, conjugaison objective : váruk vs. várjuk « nous l’/les attendons » ;
  • différence de suffixe personnel à la 1re personne du pluriel du conditionnel présent : várnuk vs. várnánk « nous attendrions », őrölnük vs. őrölnénk « nous moudrions » ;
  • plusieurs formes de passé à l’indicatif, comme dans les dialectes sicules, par rapport à une seule dans le standard: láta « il/elle vit » (valeurs du passé simple), ettem vala « j’ai mangé » (valeur du passé composé), ettem vót « j’avais mangé » (valeur du plus-que-parfait) vs. láttam, ettem ;
  • une forme de passé spécifique à l’indicatif, 3e personne du singulier, conjugaison objective : ittand vs. itta « il/elle le/la/les buvait », ettend vs. ette « il/elle le/la/les mangeait ».

Quelques particularités syntaxiques[35] :

PhénomèneDialectes csangós du nordHongrois standardTraduction
omission du verbe « être »Arra a kecke a heden.Arra van a kecske a hegyen.La chèvre est par là, sur la colline.
omission de l’article défini dans certains casFeredik a búza napba.Fürdik a búza a napban.Les blés se baignent dans le soleil.
l’indicatif au lieu du conditionnelMintha úszik búzába.Mintha úszna a búzában.Comme s’il/elle nageait dans les blés.

Le lexique de Moldavie se caractérise par l’absence des mots entrés dans la langue hongroise à l’époque de « renouveau de la langue » (XIXe siècle), par la présence de beaucoup de mots formés sur le terrain des dialectes et par de nombreux emprunts au roumain. Ce lexique est difficilement compris par les autres locuteurs de hongrois, même s’ils connaissent le roumain, parce qu’il contient beaucoup d’archaïsmes hongrois en général, mais aussi des mots dialectaux spécifiques[36] :

Dialectes csángósHongrois standardTraduction
cenkkutyakölyökchiot
csáncsinálil/elle fait
csukmonytojásœuf
filyesznyúllièvre
hi͜évforróbrûlant(e)
szi͜érikfájcela fait mal
szebesszsavanyúaigre
szültüfurulyaflûte

Le lexique de Moldavie, notamment celui des dialectes du nord, est le plus fortement influencé par le roumain, les mots empruntés appartenant aux domaines les plus divers : Exemples[37] :

Dialectes csángósRoumainHongrois standardTraduction
bosztánbostantökcitrouille
dáltadaltăvésőciseau
frikoszfricosfélőspeureux
kálendárcalendarnaptárcalendrier
kozonákcozonackalácsbrioche
kozsokcojocbundapelisse
kumnátacumnatăsógornőbelle-sœur (sœur de l’époux/se)
kurkacurcăpulykadinde
odájeodaieszobachambre
sztomákstomacgyomorestomac

Un autre trait lexical spécifique est l’abondance des suffixes diminutifs, certains propres aux dialectes de Moldavie. De plus, leur utilisation est fréquente, ces suffixes étant appliqués non seulement à des noms (de personnes, d’animaux et aussi d’objets), mais également à des adjectifs et adverbes. Exemples : lányikó vs. lányka « fillette », botóka vs. botocska « petit bâton », hosszu (sans équivalent en hongrois standard ni en français) « long », könnyüd (sans équivalent en hongrois standard ni en français) « léger »[38]. Le suffixe diminutif -ka/-ke est même devenu la marque du féminin pour les ethnonymes, alors qu’en hongrois standard on ajoute le mot signifiant « femme » ou « fille » pour l’exprimer : magyarka vs. magyar nő « Hongroise »[35].

Notes et références

  1. Kiss 2006, p. 517.
  2. Kiss 2006, p. 520.
  3. Cf. Kiss 2006, carte de la p. 521, reproduite dans Antalné-Szabó et Raátz 2011, p. 107.
  4. Antalné-Szabó et Raátz 2011, p. 107-108.
  5. La lettre ë note le [e] bref dans la dialectologie hongroise.
  6. Les lettres voyelles liées par le signe  ͜    notent les diphtongues dans la dialectologie hongroise.
  7. Le digramme ly transcrivait à l’origine la consonne [ʎ] ([l] palatalisée), mais dans la langue actuelle il se prononce [j], comme la lettre j.
  8. Kiss 2006, p. 522.
  9. Antalné-Szabó et Raátz 2011, p. 108.
  10. Pour le phonétisme du hongrois standard, voir Phonologie du hongrois.
  11. Sauf dans les environs du Balaton.
  12. La lettre ā note le [ɒː] (long) dans la dialectologie hongroise.
  13. Antalné-Szabó et Raátz 2011, p. 108-109.
  14. Antalné-Szabó et Raátz 2011, p. 109.
  15. La lettre ē note [ɛː] (long) dans la dialectologie hongroise.
  16. Kiss 2006, p. 523.
  17. Antalné-Szabó et Raátz 2011, p. 109-110.
  18. La lettre ȧ note le [a] bref dans la dialectologie hongroise.
  19. Kiss 2006, p. 530.
  20. Antalné-Szabó et Raátz 2011, p. 110.
  21. Kiss 2006, p. 524.
  22. Antalné-Szabó et Raátz 2011, pp. 110-111.
  23. Antalné-Szabó et Raátz 2011, p. 111.
  24. Kiss 2006, pp. 524-525.
  25. Antalné-Szabó et Raátz 2011, pp. 111-112.
  26. La lettre ä note le [æ] dans la dialectologie hongroise.
  27. ÚMTsz, cité par SzSzK.
  28. Kriza 1926, p. 12.
  29. Kriza 1926, p. 59.
  30. Kriza 1926, p. 22.
  31. Kriza 1926, p. 66.
  32. Antalné-Szabó et Raátz 2011, p. 112-113.
  33. Kiss 2006, p. 525.
  34. Juhász 2012, p. 103-104.
  35. Piro.
  36. Juhász 2012, p. 105-106.
  37. Juhász 2012, p. 106-107.
  38. Juhász 2012, p. 105.

Sources bibliographiques

  • (hu) Antalné-Szabó, Ágnes et Raátz, Judit, Magyar nyelv és kommunikáció 10 Langue hongroise et communication 10 »], Nemzedékek Tudása Tankönyvkiadó, 2011, (ISBN 9789631969580), p. 106-113, chapitre A nyelvjárások] (Les dialectes).
  • (hu) B. Lőrinczy, Éva et Hosszú, Ferenc, (dir.), Új magyar tájszótár Nouveau dictionnaire dialectal hongrois »] (ÚMTsz), vol. I-V. Budapest, Akadémiai Kiadó, 1979-2010.
  • (hu) Balázsi-Pál, Előd (redacteur) A székelyek szavai és kifejezései (SzSzK) [« Mots et expressions des Sicules »], dernière mise à jour le (consulté le ).
  • (en) Juhász, Dezső, The types and main characteristics of the Hungarian dialects of Moldavia, Peti, Lehel et Táncos, Vilmos (dir.) Language Use, Attitudes, Strategies. Linguistic Identity and Ethnicity in the Moldavian Csángó Villages Usage de la langue, attitudes, stratégies. Identité linguistique et ethnicité dans les villages csángós de Moldavie »], Cluj-Napoca, Editura Institutului pentru Studierea Problemelor Minorităților Naționale, 2012, p. 97-109, (ISBN 978-606-8377-01-8) (consulté le ).
  • (hu) Kiss, Jenő, Nyelvjárások, regionális nyelvváltozatok [« Dialectes, variétés linguistiques régionales »], Kiefer, Ferenc (dir.), Magyar nyelv (La langue hongroise), Budapest, Akadémiai Kiadó, 2006, p. 517-548.
  • (hu) Kriza, János, Erdélyi tájszótár Dictionnaire dialectal transylvain »], Budapest, Révai, 1926 (consulté le ).
  • (hu) Piro, Krisztina, A moldvai csángó nyelvjárásról Sur le dialecte csángó de Moldavie »] (chemin : page principale → Tanulmány → A moldvai csángó nyelvjárásról és az északi csángó archaikus imák szókészletéről) (consulté le ).

Bibliographie supplémentaire

  • (hu) Balassa, Iván et Ortutay, Gyula, Magyar néprajz Ethnographie hongroise »], Budapest, Corvina, 1980, 3e partie, Szellemi műveltség (Culture spirituelle), chapitre A szellemi műveltség kifejezésének eszközei (Moyens d’expression de la culture spirituelle), sous-chapitre A magyar nyelvjárások (Les dialectes hongrois) (consulté le ).
  • (hu) Benkő, Loránd, Magyar nyelvjárástörténet Histoire des dialectes hongrois »], Budapest, Tankönyvkiadó, 1957.
  • (hu) Gálffy, Mózes et Márton, Gyula, Székely nyelvföldrajzi szótár Dictionnaire géo-linguistique sicule »], Budapest, Akadémiai Kiadó, 1987.
  • (hu) Gálffy, Mózes ; Márton, Gyula ; Szabó T. Attila (dir.), A moldvai csángó nyelvjárás atlasza Atlas du dialecte csangó de Moldavie »], vol. 1-2, Budapest, Magyar Nyelvtudományi Társaság, 1991.
  • (hu) Kálmán, Béla, Nyelvjárásaink Nos dialectes »], 5e édition, Budapest, Tankönyvkiadó, 1989.
  • (hu) Végh, József, Őrségi és hetési nyelvatlasz Atlas linguistique de Őrség et de Hetés »], Budapest, Akadémiai Kiadó, 1959.

Lien externe

Voir aussi

  • Portail des langues
  • Portail de la Hongrie
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.