Critiques du capitalisme

Les critiques du capitalisme se séparent en trois parties principales, communes à toutes :

  • la critique dite « individualiste » ou « artiste » ;
  • la critique sociale ;
  • la critique environnementale.

Outre cette subdivision, plusieurs formes de critiques ont été menées au cours du temps par autant d'écoles philosophiques dont la dominante reste tout de même, de par son envergure et son opposition totale à ce système économique réellement existant, le marxisme. Ses adeptes maintiennent que le capitalisme est éloigné du libéralisme originel, établi au siècle des Lumières et auquel ils ne sont donc pas foncièrement hostiles. En effet, ils pensent que, si le capitalisme est manifestement compatible avec certaines formes de libertés individuelles et/ou collectives, il ne coïncide pas nécessairement avec un libéralisme politique, social et moral (voire donc économique, ceci étant une application directe de cette philosophie au domaine économique)[1].

Mais la critique anti-libérale vers laquelle tend tout de même en pratique la critique anti-capitaliste (en raison notamment de la disparition de l'école « classique » au profit de la plus critiquée école « néo-classique »), sans donc pour autant s'y apparenter, se rapproche d'un antimodernisme (philosophie peu revendiquée dans l'Histoire). Mais, selon certains, le libéralisme étant trop intimement lié à la modernité pour pouvoir la contourner radicalement, ou la contester totalement, l'anti-libéralisme est une position nécessairement ambiguë, qui ne peut trouver de réelle cohérence que dans une position au moins partiellement anti-moderne, contrairement au marxisme, tant s'en faut, moderniste[1].

Néanmoins, des auteurs comme George Orwell ou Milton Friedman écrivent que la disparition de la liberté économique entraîne la perte de la liberté politique ou intellectuelle[2],[3].

De plus, ces critiques peuvent avoir également un aspect ou radical ou réformiste à l’encontre du capitalisme. Les radicaux se donnant comme but la mort du capitalisme, les réformistes son aménagement. Ceci étant notamment dû aux bienfaits de la critique qui, parce qu'elle est continue et sans fin (à mettre en relation avec l'existentialisme, symbolisé par le supplice de Sisyphe) même si cela ne veut pas tout de même dire qu’il n’y a que la critique qui fasse évoluer le capitalisme (théorie de la régulation, etc.…) mais cela signifie pourtant qu’elle peut jouer un rôle non négligeable dans ces évolutions. Bref, il existe réellement des relations complexes et dialectiques qu’entretiennent le capitalisme, l’esprit du capitalisme (ou libéralisme économique) et la critique du capitalisme, d'où son importance[1].

Les différentes formes de critique du capitalisme

Critique individualiste ou artiste

Elle se développe à partir de deux thèmes essentiels :

  • Le capitalisme est une sorte de désenchantement et d'inauthenticité des personnes, des sentiments, des objets, des éléments, des animaux, etc. et des modes de vie qui leur sont associés (concepts d'écologie, respect, compassion, etc.). Il entraîne la perte des sens du Beau, du Grand et du Sublime.
  • Le capitalisme est une source d'oppression de l'individu, supprimant ses libertés, son autonomie, sa créativité (voir : harcèlement, etc.)[1]. Par exemple, dans The Tyranny of Utility (2011), l'économiste français Gilles Saint-Paul dénonce certains excès dans l'application de la philosophie utilitariste à l'économie (la critique ne se veut donc pas une attaque en règle contre l'ensemble du capitalisme), et en particulier la tendance à vouloir modifier les préférences des agents i.e. leurs goûts et leurs manières de penser. Cette tendance résulte de certaines thèses psychologiques s'insérant dans le cadre de l'économie comportementale, qui offrent des arguments légitimant l'intervention étatique sous prétexte de « l'irrationalité » de certains agents économiques, afin de leur permettre de maximiser leur utilité. Pour Gilles Saint-Paul, cette nouvelle forme d'interventionnisme ouvre la voie, sinon aux dérives liberticides, du moins à un interventionnisme trop « paternaliste » qui ne se soucie pas assez de développer la capacité des agents à l'autonomie.

La critique artiste se rapproche de l'antimodernisme de plusieurs manières. Elle peut conduire à une remise en cause du mythe du progrès (fondateur de la modernité), car on ne peut être considéré comme moderne en ne voyant dans le progrès que la production d'éléments superficiels éloignant le Beau, le Sublime et l'authenticité, comme pour des auteurs comme Max Weber, pour qui ce qu'il appelle le désenchantement du monde est dû à l'avènement de la science moderne et entraîne la vacance des sens. Mais plus simplement, et de par le fondement même de la critique artiste qui consiste à placer l'Homme au centre de toutes les décisions politiques, elle peut devenir totalement antimoderne[4],[5],[6],[7],[8].

Critique sociale

La critique sociale est apparue avec la question sociale au XIXe siècle, dès la phase de révolution industrielle.

Elle se développe également autour de deux thèmes principaux :

  • Le capitalisme est une source de misère pour les travailleurs[réf. nécessaire] et est la cause d’inégalités sociales.
  • Le capitalisme est la consécration de l'opportunisme et de l'égoïsme s'il n'en est pas la source, ainsi contribue-t-il à détruire les solidarités et les liens sociaux[1].

Critique environnementale

La critique environnementale est apparue beaucoup plus tardivement que la critique sociale, à la suite de l'émergence de la crise écologique dans les années 1970.

Selon Bruno Boidin, il existe trois fondements théoriques de la critique écologique du capitalisme :

  • le premier a pour objet l’impact de la technique sur la structuration de la société : non seulement les techniques modifieraient les rapports sociaux, mais leur développement se ferait au détriment d’une utilisation économe de la nature (point de vue soutenu par Jacques Ellul et Nicholas Georgescu-Roegen) ;
  • le deuxième concerne le rôle négatif joué par les institutions : celles-ci sont un ensemble de règles édictées d’en haut par des experts ayant intérêt à les imposer aux acteurs démunis de leur savoir-faire ou de leurs compétences propres ;
  • le troisième est la remise en cause de l’hégémonie et de l’extension du domaine marchand au détriment du domaine non marchand[9].

Naomi Klein affirme dans son livre Tout peut changer que le modèle capitaliste occidental est en guerre contre la vie sur Terre. Plus que d'un problème d'émissions de gaz à effet de serre, c'est le mode de vie occidental qui est en cause et qui risque de mener l'humanité à sa perte. Pour elle, la crise climatique ne peut être résolue dans un système néolibéral et capitaliste prônant le laissez-faire, qui encourage la consommation démesurée et a conduit à des méga-fusions et des accords commerciaux hostiles à la santé de l'environnement. Elle soutient que cette crise pourrait bien ouvrir la voie à une transformation radicale susceptible de faire advenir un monde non seulement habitable, mais aussi plus juste[10].

Compatibilité de ces critiques

Ceci étant dit, de certaines manières, ces deux formes de critiques ne sont pas spontanément compatibles, bien que pouvant naturellement se rejoindre au travers d'un même combat, d'un même plaidoyer: William Morris, socialiste britannique du XIXe siècle lie considérations artistique et socio-économique[11].

Néanmoins, les deux critiques restent souvent isolées du fait du rapport de chacune à la modernité :

  • La critique artiste consiste en la défense des autonomies, de l'originalité de chacun et peut alors entrer en contradiction avec la modernité de la critique sociale, qui peut vouloir fonder le progrès social et l’égalité des individus à partir du progrès économique.
  • La critique artiste est anti-moderne et donc opposée à la critique sociale lorsqu’elle cherche à retrouver la voie du Beau ou du Sublime (modèle de l’Antiquité) en remettant en cause la standardisation de la production et la consommation de masse[1].

Les différentes écoles de pensées critiques du capitalisme

Le marxisme, critique dominante

La critique de Marx tourne autour de la notion de plus-value. En effet, il s'approprie la notion de valeur-travail développée par Ricardo : la valeur d'un bien, d'une marchandise réside dans la quantité de travail nécessaire à son élaboration ; c'est d'ailleurs cette théorie qui permet d'expliquer ce qu'est la valeur d'échange dans le paradoxe de l'eau et du diamant développé par Adam Smith. Ainsi, si la valeur d'un bien réside dans le travail, comment expliquer que le capitaliste reçoive une rémunération ? L'ouvrier travaille pour donner de la valeur à un bien, la plus-value correspond à la différence entre la rémunération du travailleur et le montant du bien vendu. Cette plus-value correspond à ce que Marx perçoit comme un « surtravail » au cœur même de l'« exploitation capitaliste ».

D'autre part, Marx théorise également la baisse tendancielle du taux de profit. Les capitalistes tirent leur profit du surtravail en payant les ouvriers au salaire de subsistance. Or, le progrès technique et l'appât du gain font que le capitaliste achète de plus en plus de machines : son capital fixe augmente donc ; et par conséquent, son capital circulant diminue. Dès lors, ne pouvant exploiter que les hommes et non les machines, son profit diminue. Deux solutions s'ouvrent alors au capitaliste : accepter sa perte ou diminuer la rémunération des travailleurs. Toutefois, ces derniers étant rémunérés au minimum mesurable - le salaire de subsistance nécessaire à la restauration de la force travail - une baisse de cette rémunération entraînerait une révolte. Néanmoins, près de 150 ans après la parution du livre 1 du Capital, il est possible de remettre en question l'analyse marxiste, cette dernière sous-estimant sûrement les gains de productivité extrêmement importants engendrés par le progrès technique.

Critique anarchiste

L’une des critiques anarchistes du capitalisme consiste à le considérer comme un système d’oppression à l’instar du patriarcat, du militarisme industriel du nationalisme et racisme. Cette critique considère que le système capitaliste produit à lui seul de l’oppression mais renforce également les autres oppressions. Cela signifie concrètement que le système capitaliste crée un différentiel de pouvoir entre les bourgeois et les autres, travailleuses, chômeuses, précaires, sans-papiers, handicapés, etc. et par conséquent diminue la liberté des personnes n’ayant pas ce pouvoir, ce qui se traduit par une difficulté pour ces personnes à vivre dans des conditions décentes (mal-logement, malnutrition, etc.). De plus, toujours selon cette critique, le système d’oppression capitaliste serait intimement lié aux autres systèmes d’oppression, les renforçant et étant renforcé par eux. Ainsi il ne serait pas possible de lutter efficacement contre le racisme ou le sexisme sans lutter parallèlement contre le capitalisme[réf. nécessaire].

La critique du capitalisme au service du capitalisme

Si l'on assimile capitalisme et libéralisme économique et que l'on définit le libéralisme économique comme la doctrine prônant l'instauration du libre jeu marchand dans l'ensemble de l'économie, alors une critique du capitalisme au service du capitalisme consiste à introduire une part d'intervention étatique dans l'économie afin de garantir, en dehors de cette intervention étatique, les conditions d'un marché libéral. C'est le cas, en particulier, pour remédier aux défaillances du marché (asymétrie d'information, externalités, biens publics…), où l'intervention de l’État est légitimée mais de manière seconde, uniquement pour pallier les insuffisances d'une économie libérale[réf. nécessaire].

Références

  1. Luc Boltanski & Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Ed. Gallimard, 1999.
  2. « Précédemment on n'avait jamais imaginé que la disparition de la liberté économique pourrait affecter la liberté intellectuelle. On pensait d'ordinaire que le socialisme était une sorte de libéralisme augmenté d'une morale. L'État allait prendre votre vie économique en charge et vous libérerait de la crainte de la pauvreté, du chômage, etc., mais il n'aurait nul besoin de s'immiscer dans votre vie intellectuelle privée. Maintenant la preuve a été faite que ces vues étaient fausses. », George Orwell, Literature and Totalitarianism
  3. « La liberté humaine et politique n'a jamais existé et ne peut pas exister sans une large dose de liberté économique. » (Milton Friedman, Free to Choose, "The Power of Market")
  4. Catherine Colliot-Thélène, Max Weber et l'histoire, PUF, 1990, p. 66.
  5. Georges Sorel, Les illusions du progrès, préface et illustrations d'Yves Guchet, éd. L'Âge d'Homme, coll. Classique de la pensée politique, 2007, 315 p., (ISBN 2825119709).
  6. Hannah Arendt, Crise de la culture, chap. 1
  7. Yann Toma et Rose-Marie Barrientos (dir.), Les entreprises critiques : La critique artiste à l'ère de l'économie globalisée, éd. Cité du design, coll. Chaire de recherche en création et créativité, 2008, 469 p., (ISBN 2912808146).
  8. Michael Löwy et Robert Sayre, Révolte et mélancolie : le romantisme à contre-courant de la modernité, éd. Payot, coll. Critique de la politique, 1992, 306 p.
  9. Bruno Boidin, « Quelle transition vers un capitalisme soutenable ? Limites des actions volontaires et rôle des acteurs publics », n°8 de la Revue française de socio-économie, 2011, lire en ligne
  10. Naomi Klein, Tout peut changer, capitalisme et changement climatique, Actes Sud, 2015
  11. « Mais c'est perdre son temps que de vouloir exprimer l'étendue du mépris que peuvent inspirer les productions de cet âge bon marché dont on vante tellement les mérites. Il suffira de dire que le style bon marché est inhérent au système d'exploitation sur lequel est fondé l'industrie moderne. Autrement dit, notre société comprend une masse énorme d'esclaves, qui doivent être nourris, vêtus, logés et divertis en tant qu'esclaves, et que leurs besoins quotidiens obligent à produire les denrées serviles dont l'usage garantit la perpétuation de leur asservissement » ; William Morris (trad. de l'anglais), La civilisation et le travail, Neuvy-en-Champagne, Le Passager clandestin (éditions), , 144 pages p. (ISBN 978-2-36935-001-9)

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

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