Cordon sanitaire (politique)

Le « cordon sanitaire » est une pratique politique belge[1] instaurée en deux étapes en 1989 et 1992 entre les partis politiques flamands, à l'initiative du dirigeant écologiste flamand Jos Geysels, visant à exclure les partis politiques d'extrême droite de toute majorité politique.

Pour les articles homonymes, voir Cordon sanitaire (homonymie).

L'expression est parfois employée par les commentateurs pour décrire des situations analogues dans d'autres pays, où des partis rivaux se réunissent contre des partis qui menacent l'ordre libéral, généralement néo-fascistes ou staliniens.

Chronologie

Concrètement, le premier accord interpartis flamands (écologistes d'Agalev, sociaux-chrétiens du CVP, socialistes du SP, libéraux du PVV et nationalistes de la Volksunie) a été signé le , mais a été dénoncé quelques semaines plus tard par Jaak Gabriels, président de la Volksunie, bientôt suivi par le CVP et le PVV[2].

Le deuxième a été concrétisé par une motion du Conseil régional flamand le , déposée par Marc Van Peel (CVP), Lode Hancké (nl) (SP), Edward Beysen (PVV), Jos Geysels (Agalev) et Jan Decorte (ROSSEM (nl))[3], condamnant le programme de 70 points du Vlaams Blok (VB) comme contraire à la Convention européenne des droits de l'homme, « Le Conseil flamand constate que certaines de ses (le programme de 70 points) propositions sont empruntées au programme en 50 points du du Front national et ont pour objet d'isoler les immigrés en un groupe à la manière de l'apartheid et de les bannir progressivement de la vie sociale, de la même façon qu'à partir de 1933 les concitoyens juifs ont été traités dans l'Allemagne nazie »[4].

Un troisième accord, la Charte pour la démocratie, a été adopté avant les élections communales et provinciales belges de 2000[2].

Conceptions flamande et francophone

En Flandre, cette pratique se limite à un accord entre partis démocratiques[réf. nécessaire][pas clair] pour ne pas conclure de coalition avec le VB, alors qu'en Belgique francophone elle a été étendue à certains médias, en particulier au service public (Radio-télévision belge de la Communauté française). Cette pratique est contestée par certains partis et politiciens flamands de droite, mais aussi par des analystes politiques qui l'estiment contre-productive car plaçant ces partis dans une éternelle position de victimes et d'opposants, sans que leurs électeurs puissent juger de leur capacité à gérer.

Ce dispositif est mis en place en deux grands volets :

  1. le volet « politique » : il n'est basé sur aucun texte législatif, seuls des accords entre partis le maintiennent. Il consiste, pour les partis démocratiques, à éviter toute discussion ou coalition avec un parti extrémiste et à le maintenir dans l'opposition ;
  2. le volet « médiatique » : les médias doivent éviter de parler des partis extrémistes en termes positifs, ne pas donner la parole aux chefs de partis extrémistes et mettre l'accent sur les éventuelles décisions judiciaires à leur encontre.

Le « cordon sanitaire » a ses partisans pour qui ce dispositif évite de faire de la publicité à ces partis, partant du principe que certains d'entre eux sont déjà de suffisamment bons « communicants ». Une des mesures préconisées par les partisans de cette formule est d'ailleurs la suppression de la dotation publique des partis « liberticides ». D'autre part, cela enverrait un message au corps électoral sur l’inutilité du vote pour un parti d'extrême droite, qui ne pourrait jamais accéder aux responsabilités[5]. Pour les opposants au cordon sanitaire, la censure qu'exercent les médias vis-a-vis de ces partis politiques est une atteinte à la liberté d'expression et de pensée.

Selon Jean-Marie Dedecker, le cordon sanitaire a l'effet pervers de victimiser l'extrême droite et par conséquent de la rendre plus populaire.

Cordon politique

Le cordon sanitaire a été rompu pour voter la loi de compétence universelle du [6].

Après les élections régionales et communautaires de 2004, le CD&V consulte dans le cadre de la formation d'une coalition gouvernementale tous les groupes parlementaires, dont le Vlaams Belang qui était le deuxième en sièges, pour prouver aux électeurs que ce parti avait un programme incompatible avec ceux des partis démocratiques. Cet épisode se situe deux ans après la formation du Cabinet Balkenende I aux Pays-Bas, qui incluait la Liste Pim Fortuyn, mouvement de droite populiste, et un an après de nouvelles élections législatives néerlandaises qui avaient vu la LPF électoralement laminée.

En , la Chambre fédérale a voté par 77 voix (tous les partis flamands) contre 51 (les francophones), le président de la Chambre, le libéral flamand Herman De Croo s'abstenant, la prise en considération d'une résolution du Vlaams Belang demandant « de préparer le démembrement de la Belgique », ce qui a été considéré par les francophones comme une rupture du cordon sanitaire alors que les chefs de groupe socialiste et libéral flamands déclaraient que « tous les textes introduits par les parlementaires devaient au moins être pris en considération, sans préjuger sur la suite à leur donner par après »[7].

En , dans la commune de Schoten, des libéraux flamands (VLD) ainsi que le CD&V (chrétiens-démocrates) ont affirmé ne pas refuser de gouverner avec le Vlaams Belang si cela s'avérait nécessaire pour conserver le poste de bourgmestre[8].

Cordon médiatique

Mais ce « cordon » a aussi ses opposants pour qui c'est un déni de démocratie (car cela revient selon eux à ne pas écouter les électeurs qui votent pour ces partis) de même qu'une diabolisation de ces mêmes partis.

Le « cordon sanitaire » envers l'extrême droite est très présent dans le paysage médiatique et politique francophone, alors que la Communauté flamande a choisi de ne pas appliquer ce système sur le plan médiatique. Toutefois, la situation politique est totalement différente dans la mesure où le Vlaams Blok/Belang est, depuis 1991, un parti doté d'un groupe parlementaire[9] ce qui, de par le Pacte culturel[10], lui assure automatiquement une représentation dans les conseils d'administration des organismes publics, que ce soit à la Radio-télévision publique flamande (VRT) ou à l'Université de Gand. Côté francophone, le Front national et le Front nouveau de Belgique sont toujours restés très faibles sur le plan électoral[11] et n'ont jamais disposé d'un groupe parlementaire qui aurait pu leur permettre de bénéficier du Pacte culturel.

Un exemple concret du cordon sanitaire tel qu'appliqué dans les médias francophones : « Notre série consacrée aux élus liégeois du Parlement wallon s'arrête aujourd'hui, après vingt-deux interviews-portraits qui ont permis de mieux cerner les personnalités de nos représentants. Il existe un vingt-troisième député, qui n'a pas figuré parmi nos invités estivaux. Il s'agit de Charles Pire, parlementaire du Front national (FN), exclu en vertu du cordon sanitaire médiatique que notre journal, comme beaucoup d'autres, applique à son parti. »[1]

L'annulation d'un débat électoral sur la télévision de service public francophone RTBF en 2010 au nom du « cordon sanitaire » a été condamnée par l'association Reporters sans frontières[12].

En , dans un numéro consacré à la Seconde Guerre mondiale, Wilfried Magazine donne pour la première fois la parole à Tom Van Grieken, dirigeant du Vlaams Belang, brisant ainsi le cordon médiatique[13].

Exemples internationaux

Notes et sources

  1. En néerlandais, le terme français est également utilisé, plutôt que schutskring.
  2. néerlandais : Myriam Stoffen et Hugo Gysels, "Petite histoire du Cordon Sanitaire", sur le site de Charta 91.
  3. à l'époque, le Conseil flamand était composé des parlementaires nationaux, les premières élections régionales n'ont eu lieu que trois ans plus tard.
  4. néerlandais : « De Vlaamse Raad stelt vast dat sommige voorstellen ervan ontleend zijn aan het programma in 50 punten van 16 november 1991 van het Front National en als oogmerk hebben de migranten in een apartheidsgroep af te zonderen en stapsgewijs uit het maatschappelijk leven te verbannen, op dezelfde wijze als van in 1933 af in nazi-Duitsland de Joodse medeburgers werden behandeld. », 1Oe vergadering Donderdag 19 november 1992 Morgenvergadering[PDF], Conseil flamand, .
  5. Pascal Delwit, La vie politique en Belgique de 1830 à nos jours, Bruxelles : Éditions de l'Université de Bruxelles, 2010 (2e édition), p. 311.
  6. Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles réduit la compétence universelle de sa justice, Le Monde,  ; « Pour arriver à leurs fins, les partis libéraux ont dû rechercher le soutien de l'opposition sociale-chrétienne flamande et des extrémistes de droite du Vlaams Blok (VB), une formation qu'un « cordon sanitaire » tentait, depuis des années, d'isoler. »
  7. Christian Laporte, Le cordon saute sur un vote anti-belge, La Libre Belgique, .
  8. Christian Laporte, Un cordon de plus en plus élastique, La Libre Belgique, .
  9. voir ses résultats électoraux de 1978 à 2004(nl) (nl).
  10. voir Pilarisation et Lottizzazione politica(it) (it).
  11. voir : les résultats électoraux (1985-2010) du FN.
  12. Reporters sans frontières, Annulation d’un débat politique sur la RTBF en pleine période électorale, .
  13. Jean-Pierre Stroobants, « En Belgique, face à l’extrême droite, le « cordon médiatique » a sauté », sur lemonde.fr, (consulté le ).
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