Conflit hmong

Depuis 1975, le conflit hmong est un conflit entre les gouvernements communistes au pouvoir au Laos (incluant des Hmongs) et au Viêt Nam, et les royalistes Hmong réfugiés dans la jungle et les montagnes du Laos, notamment dans l'ex-zone spéciale de Xaysomboun. Les rares journalistes ayant réussi à se rendre sur place, ainsi que des ONG de défense des droits de l'homme, ont mis en lumière la situation désastreuse de la population Hmong[2].

Conflit hmong

Informations générales
Date 3 décembre 1975 - en cours
(45 ans, 9 mois et 7 jours)
Lieu Laos et Viêt Nam
Issue En cours
Belligérants
Laos
Viêt Nam
Hmongs pro-gouvernementaux

Soutien :
Union soviétique
Hmongs royalistes (Front national de libération lao)

Soutiens :
République populaire de Chine (jusqu'en 1988)[1]
États-Unis (jusqu'en 1990)
Thaïlande
Khmers rouges
Kampuchéa démocratique (1981-1990)
Parti du Kampuchéa démocratique

Contexte historique

Les royalistes du peuple Hmong ont été l'allié des Français sous l'Indochine française (1940 — 1944), pendant le régime de Vichy (1940 – 1944), puis pendant la guerre d'Indochine (1946 — 1954).

Le chef Hmong Faydang Lobliayao (1910-1986) forme les Hmong rouge, communistes, qui prendront le pouvoir lors de l'établissement de la République démocratique populaire lao en 1949. Il n'est pas inscrit au parti communiste, mais est une figure importante du Pathet Lao[3]. Il devient alors vice-président de l'assemblée nationale[4].

Peu après la défaite de Diên Biên Phu en 1954 et le retrait des troupes françaises, le chef Hmong Vang Pao s'engage ensuite aux côtés des États-Unis durant la guerre du Viêt Nam, dont la guerre civile laotienne constitue un conflit annexe. Dans un contexte où les deux premiers producteurs d'opium, l'Iran et la Chine, ont interdit la production d'opium. La production dans le monde se retrouve alors principalement dans le triangle d'Or. En Birmanie, elle est produite par des montagnards, dans les zones contrôlées par le parti nationaliste chinois (Kuomintang). Les États-Unis tentent à ce moment de reprendre le territoire chinois en 1951-52. En Thaïlande, de nombreux Meo participent à sa production. Enfin, sur la plaine des Jarres, les Meo sous le contrôle de Vang Pao, depuis Long Tieng, en produisent également. À partir de 1965, il envoie par avion, via Air America, l'opium à Vientiane, capitale du Laos[5].

Le chef Hmong continue la culture de l'opium, commencée sous l'Indochine française, avec l'aide des compagnies aériennes corses[5], permettant ainsi de financer le trafic d'armes, opéré par la CIA (services de renseignements américains)[6]. Les techniques de production de l'héroïne sont ensuite introduites depuis Hong Kong (alors sous contrôle britannique) et les Hmongs commencent cette production, avec un laboratoire installé à Long Tieng en 1970 et qui sera par la suite fermé, avec l'abandon de la base en 1975, lors de la victoire des communistes[7]. La raffinerie de Ban Houei Tap, près de Ban Houei Sai est la plus importante du triangle d'or en 1971, avec 100 kg d'opium par jour[8].

Pendant la guerre, les populations hmongs souffrent du manque de nourriture. Les États-Unis distribuent une aide alimentaire, mais celle-ci est généralement réservée aux familles dont des membres servent dans l'armée ou l'administration pro-américaine, ce qui oblige de nombreux individus à collaborer. Les chercheurs Jean Michaud et Christian Culas expliquent que « cette forme de collaboration indirecte toucha pratiquement toutes les familles, bien au-delà de leur volonté, parfois farouche, de ne pas entrer dans le conflit entre les partisans communistes et les défenseurs de l'ancienne royauté laotienne soutenue par les Américains. Dans les "zones libérés" du Nord, le pouvoir communiste voyait, lui aussi, d'un très mauvais œil le pacifisme de certains. Ne pas prendre part au conflit, c'était toujours être soupçonné de sympathie pour l'ennemi »[9].

En 1975, le retrait des troupes américaines consacre la victoire du parti indépendantiste et communiste Pathet Lao. La fin de la guerre amène ainsi un gouvernement communiste au pouvoir qui voit d'un mauvais œil une partie des populations Hmongs, considérées comme des « traîtres » pour avoir collaboré avec l'ennemi français et américain.

Dans ce climat, environ 300 000 Hmongs fuient le Laos entre 1975 et 1985[10]. Parmi ceux qui sont restés dans le pays, plusieurs milliers d'entre eux sont envoyés dans des "séminaires". Ce sont dans les faits des camps de rééducation[11]. Beaucoup n'en reviendront jamais. Plusieurs milliers d'anciens soldats Hmongs décident de partir avec leurs familles dans les forêts reculées, pour monter une résistance armée contre le nouveau gouvernement. La résistance a été rapidement balayée par l'armée laotienne, appuyée par les troupes vietnamiennes. Depuis trente ans, malgré quelques attaques sporadiques venant de groupes rebelles, les communautés Hmongs ne représenteraient plus aucun danger pour la sécurité du pays et celle du gouvernement. Il ne s'agirait que de familles tentant de survivre, sans aucune velléité guerrière, en se cachant dans la jungle et fuyant les troupes laotiennes et vietnamiennes toujours présentes aujourd'hui[2],[12].

En 2006, le Laos reste le 3e producteur mondial d'opium, avec une explosion de la production en Afghanistan, pendant l'invasion américaine et de l'OTAN (2001 — 2021), passant de 70 % de la production mondiale en 2000 à 90 % en 2006. Tandis que le second, la Birmanie a considérablement réduit la production en passant de 23 à 7 % et la Laos de 5 à 0,3 %. Le Laos a donc drastiquement réduit la production en passant de 200 tonnes en 1990 à 14 tonnes en 2005, soit une réduction de 93 % d'après l'ONUDC[13].

La survie dans la jungle

Le fait que les Hmongs se réfugient dans des zones isolées difficilement accessibles et que le gouvernement laotien empêche l'accès aux observateurs et journalistes étrangers rend délicate l'évaluation de la situation. Néanmoins, plusieurs journalistes occidentaux ont réussi à rencontrer clandestinement les communautés Hmongs. Les reportages de Philip Blenkinsop en 2002, de Vincent Reynaud et Thierry Falise en 2003[14], de Grégoire Deniau et Cyril Payen en 2005[15],[16], et de l'Américain Roger Arnold en septembre 2006[17] ont montré la situation désastreuse et désespérée des Hmong dans la forêt laotienne. Leur situation est toujours critique, ils sont toujours traqués et tués par l'armée laotienne en 2010[18].

Les estimations de la population Hmong survivant dans la jungle sont très variables. Sur 30 000 en 1975, ils ne seraient plus que quelques milliers selon le rapport d'Amnesty International de mars 2007[2]. Le même rapport indique que les communautés sont victimes d'attaques meurtrières régulières de l'armée laotienne et vietnamienne. La plupart du temps, ces attaques ont lieu lors des expéditions quotidiennes visant à collecter de la nourriture, et touchent également les femmes et les enfants.

À titre d'illustration, le 19 mai 2004, un groupe de 5 enfants de 14 à 16 ans a été attaqué par des soldats laotiens pendant qu'ils cherchaient de la nourriture à proximité de leur camp[19]. Non armés, ils ont été brutalement mutilés et tués. Les 4 filles ont apparemment été violées avant d’être tuées, l'une d'entre elles a été retrouvée éventrée.

Pour éviter les confrontations avec les soldats du gouvernement, les habitants sont obligés de se déplacer en permanence. Cela les prive d'un abri décent et les empêche de pratiquer l'agriculture. La recherche de nourriture est une activité qui prend généralement entre 12 et 18 heures par jour selon Amnesty International, pour arriver à récolter des racines et des feuilles. Ce régime entraîne un niveau de sous-nutrition et malnutrition avancé, qui se traduit par les ventres gonflés des jeunes enfants.

L'état de destitution et de dénuement avancé de la population engendre en outre des maladies souvent fatales, en raison de l'absence de soins. Les plaies liées aux balles et éclats d'obus ne peuvent également être soignées. Ce type de blessure semble très répandu, sur une grande communauté de 800 Hmongs, 30 % d'entre eux ont été touchés par ce type d'arme[2].

La question du génocide

Le conflit entre les Hmongs et les soldats laotiens et vietnamiens est parfois considéré comme une guérilla, parfois présenté comme un génocide. Si à l'origine, les Hmongs réfugiés dans la montagne étaient en véritable conflit armé avec le pouvoir communiste, leurs capacités militaires ont très vite été balayées dans les toutes première années après 1975[2]. Malgré la persistance de quelques attaques sporadiques les années suivantes, les différents reportages précités montrent que les Hmongs ont à peine les moyens de protéger leurs familles, en raison d'armes obsolètes et du manque de munitions. Il apparait clairement que les armes portées servent uniquement dans un but défensif.

En outre, les Hmongs qui sont tués directement par balle le sont généralement lors des expéditions pour rechercher des racines pour se nourrir, et non pas lors de combats. Les tirs de l'armée visent aussi les femmes et les enfants[2]. Par ailleurs, le gouvernement du Laos interdit tout contact avec ces populations ainsi que toute aide alimentaire et médicale.

L'appel au secours

Le documentaire de Grégoire Deniau et Cyril Payen diffusé sur l'émission Envoyé spécial en 2005 montre les conditions de survie alarmantes des Hmong[15]. On peut également y voir, de la part des populations désespérées, des appels au secours notamment adressés à la France, en raison de l'aide apportée par les Hmongs à l'armée française lors de la guerre d'Indochine. La diffusion du reportage a provoqué une vive émotion auprès de l'opinion publique française et d'un certain nombre de parlementaires. Cependant, aucune action concrète ne semble avoir été prise par le gouvernement français[16].

Lors de la visite des deux journalistes français, le chef Hmong Moua Toua Ther leur a remis une lettre destinée aux responsables politiques des États-Unis, de la France et des Nations unies. La lettre a été retranscrite dans le livre de Cyril Payen en 2007[16], qui relate en détail l'expédition dans la jungle. Elle est signée au nom du groupe CIA numéro trois, du nom de leur ancien employeur durant la guerre du Vietnam.

Objet : Requête pour la survie

Parce que nous avons participé aux côtés des Américains à la guerre du Vietnam,

Parce que nous avons aidé les Français en leur temps,

Et parce que nous avons suivi notre chef le général Vang Pao,

Nous supportons encore, en cette année 2005, le fardeau de tous ces tourments du passé.

Nous sommes à bout de forces. Nous mourons de faim. Nous sommes sans défense face à cette tuerie.

Ainsi, je donne procuration à Cyril et Grégoire pour délivrer, en notre nom, ces deux requêtes auprès des gouvernements concernés.

Premièrement : acheminer des vêtements des vivres et faire pression sur le gouvernement laotien pour obtenir un cessez-le-feu.

Deuxièmement : procéder à notre transfert vers d'autres pays.

Nous sommes les victimes des guerres passées.

Merci. Signé groupe CIA numéro trois

Les autorités concernées par l'appel au secours n'ont acheminé ni vêtements, ni vivres, et n'ont entrepris aucune démarche de rapatriement des populations vers d'autres pays[16]. Aujourd'hui, l'extermination des Hmongs par la faim, les maladies et les armes, se poursuit toujours[18].

Les expulsions vers le Laos

Le 28 décembre 2009, la Thaïlande a expulsé 4 689 réfugiés Hmongs vers le Laos[20]. Cet acte a été largement condamné par la communauté internationale. L'Union européenne estime qu'il s'agit d'une contravention au droit international[21]. Étant donnés les risques de persécutions de la part du gouvernement communiste laotien, la diplomatie américaine dénonce une "grave violation des principes humanitaires internationaux".

Annexes

Notes et références

  1. Edward C. O'Dowd, Chinese Military Strategy in the Third Indochina War: The Last Maoist War, Routledge, , 186– p. (ISBN 978-1-134-12268-4, lire en ligne[archive du ])
  2. (en) Lao People's Democratic Republic: Hiding in the jungle - Hmong under threat, Rapport Amnesty International ASA 26/003/2007, 23 mars 2007.
  3. Kou 2000.
  4. (Willem 1980, p. 238)
  5. (Bruneau 1981)
  6. (Journoud 2010)
  7. Bruneau 1981, p. 130.
  8. Bruneau 1981, p. 131.
  9. Hélène Ferrarini, « Les Hmong, «nos» Harkis d'Indochine », sur Slate.fr,
  10. (en) The State of the World’s Refugees, UNHCR, 2000, p. 98
  11. (en)« http://www.cal.org/co/hmong/hhist.html »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?)Cultural Orientation Resource Center.
  12. Arnaud Dubus, « Laos : les rebelles hmongs piégés par l'Histoire »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?), Libération,
  13. Ducourtieux, Doligez et Sacklokham 2008.
  14. Thierry Falise et Vincent Reynaud ont été condamnés à quinze ans de prison par les autorités laotiennes pour avoir tenté d'effectuer un reportage sur la situation des Hmongs, avant d'être libérés sous les pressions internationales. (fr) http://www.redac.info/?communique=22491
  15. (fr) Guerre secrète au Laos; Dailymotion, reportage diffusé dans Envoyé Spécial le 16 juin 2005
  16. Cyril Payen. Laos, la guerre oubliée, Robert Lafont, 2007.
  17. (en) Laos, still a secret war, Roger Arnold, Worldpress, 19 janvier 2007.
  18. (en) The secret army still fighting Vietnam war, William Lloyd George, The Independant, 17 février 2010.
  19. « Amnesty International : déclaration du 13 septembre 2004 »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?)
  20. (en) « Old wars never die : The unhappy fate of the Hmong », The Economist,
  21. « Thaïlande : 4 400 Hmong expulsés vers le Laos », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )

Bibliographie

  • Michel Bruneau, « La drogue en Asie du Sud-Est : Une analyse géographique du Triangle d'Or », Hérodote, Paris, F. Maspero, La Découverte, nos 21/35 F — Asie du Sud-Est, , p. 116-145 (p=126) (lire en ligne)
  • Pierre Journoud, « La CAT/Air America dans les guerres d'Indochine, ou le rôle d'une compagnie aérienne privée secrètement détenue par la CIA (1950-1975) », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 238, , p. 129-150 (DOI 10.3917/gmcc.238.0129, lire en ligne)
  • Olivier Ducourtieux, François Doligez et Silinthone Sacklokham, « L'éradication de l'opium au Laos : les politiques et leurs effets sur l'économie villageoise », Revue Tiers Monde, no 193, , p. 145-168 (DOI 10.3917/rtm.193.0145, lire en ligne)
  • Jean-Pierre Willem, Les naufragés de la liberté : le dernier exode des Méos, Paris, S.O.S., (notice BnF no FRBNF34666995, lire en ligne)
  • (en) Kou Yang, « The passing of a Hmong Pioneer: Nhiavu Lobliayao (Nyiaj Vws Lauj Npliaj Yob), 1915-1999 », Hmong Studies, vol. 3, (lire en ligne)
  • Jean-Pierre Barbier, « Objectifs et résultats de l'aide économique au Laos : une évaluation difficile. », Tiers-Monde, t. 16, no 62, , p. 333-353 (DOI 10.3406/tiers.1975.2551, lire en ligne)

Articles connexes

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