Cléomène III

Issu de la famille des Agiades, Cléomène III est le fils de Léonidas II. On peut considérer Cléomène III comme le dernier roi d'envergure de Sparte. Acquis à l'idée d'une réforme radicale de la société lacédémonienne, il s'est efforcé de lui rendre sa grandeur passée en cherchant à restaurer le projet social et politique de Lycurgue. Dans un premier temps, Cléomène cherche à obtenir des succès militaires face à la Ligue achéenne pour que, dans un deuxième temps, il puisse bénéficier d’un prestige suffisant afin de mettre en place sa politique de réformes. De retour à Sparte après une expédition en Arcadie, il réussit un coup d’État en 227 av. J.-C. qui se conclut par des réformes radicales du système politique afin de restaurer la puissance spartiate. Fidèle à l’esprit réactionnaire de son époque, Cléomène cherche à revenir à la constitution originelle de Lycurgue. Pour ce faire, Cléomène supprime l'éphorat, fait exécuter les éphores titulaires, avant d'annoncer la restauration des institutions traditionnelles spartiates comme les syssities ou l'agogè. Cléomène procède également à un partage des terres et à une abolition des dettes. Il confère la citoyenneté à 4 000 Périèques, ce qui permet de renforcer les effectifs militaires qui s'étaient progressivement effondrés. Dans la continuité, il fait équiper la phalange spartiate à la macédonienne.

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Cléomène III

Tétradrachme d'argent représentant Cléomène III portant un diadème.
Titre
Co-roi de Sparte
Prédécesseur Léonidas II
Biographie
Dynastie Agiades
Date de naissance
Lieu de naissance Sparte
Date de décès
Lieu de décès Alexandrie
Père Léonidas II
Mère Cratésicleia
Religion Religion grecque antique

Contrairement à celui d'Agis IV, le règne de Cléomène III est marqué par la guerre de 229 à 222 av. J.-C. Dans la première phase de cette guerre qui est dite cléoménique, son armée fait subir défaite sur défaite à la Ligue achéenne dont le chef, Aratos, après la prise d'Argos puis de Corinthe par Cléomène, n'a d'autre solution que de se tourner vers la Macédoine. Afin de regagner de l’influence dans le Péloponnèse, Antigone III Doson répond favorablement à cette proposition. L'intervention de la Macédoine dans le conflit change la donne. Bien que soutenu par l'Égypte lagide de Ptolémée III Evergète, Cléomène est chassé d'Arcadie. La guerre se termine par la déroute spartiate à Sellasia en juillet 222 av. J.-C. Cette défaite provoque le déclin irrémédiable de Sparte. Cléomène s'enfuit en Égypte où il est reçu par le souverain lagide, son ancien allié. Mais après avoir tenté de soulever le peuple alexandrin contre le jeune Ptolémée IV en 219 av. J.-C., il est arrêté et contraint au suicide.

Jeunesse

Cléomène III (grec ancien, Κλεομένης / Kleoménês), né en 257, forme avec Agis IV le principal réformateur de Sparte de l’époque hellénistique. Né d’une union entre le roi Léonidas II et sa femme perse Cratésicleia, Cléomène a joué un rôle important dans la restauration de la puissance militaire de sa cité seulement.

Aux alentours de 242 av. J.-C., le roi Léonidas II, qui est un partisan de l'oligarchie, s'oppose à son confrère le roi eurypontide Agis IV, qui veut réformer Sparte et adjoindre des Périèques et des Hilotes au corps civique. À cause des volontés réformatrices d’Agis IV, Léonidas doit s’exiler à Tégée. Le beau-frère de Cléomène, Cléombrote, qui était un partisan des réformes d’Agis, devient roi. Peu de temps après qu’Agis ait entamé ses réformes, ce dernier entreprend une campagne militaire loin des terres spartiates, ce qui permet à Léonidas II de revenir au pouvoir. Léonidas dépose rapidement Cléombrote. Quant à Agis IV, il sera exécuté sur l’ordre des éphores.

Après l'exécution d'Agis, Cléomène qui était âgé d'environ dix-huit ans est forcé par son père Léonidas d'épouser la riche veuve d’Agis : Agiatis. Selon la légende, Cléomène chassait quand son père lui a envoyé un messager lui disant de retourner immédiatement à Sparte. Lorsque Cléomène fut sur place, il constata que la ville était décorée pour un mariage ; et lorsqu’il demande à son père qui était en train de se marier, son père lui répliqua qu’il s’agissait de lui. Il semble que Cléomène fut quelque peu sceptique sur l’opportunité de ce mariage alors c’est son propre père qui a tué le précédent mari d’Agiatis. Cependant le mariage fonctionne et Agiatis se montre bonne et affectueuse tout en apprenant à Cléomène les desseins et les ambitions de son précédent mari.

À la mort de son père en 235, Cléomène monte sur le trône, inspiré très largement par les réformes d’Agis IV grâce à l’influence de sa femme Agiatis, reprend le programme de celui-ci mais en allant beaucoup plus loin dans le projet, un point sur lequel Agis IV a échoué très rapidement.

Il existe plusieurs parallèles entre la vie de Cléomène et Agis IV : premièrement, l’influence extrêmement importante des femmes dans leur existence. Agis IV avec Agiatis, Cléomène III accompagné des deux femmes les plus riches de Sparte ; sa femme qui est la veuve d’Agis IV et sa mère Cratésicleia. Une autre similitude entre ces deux rois réformateurs est leur inspiration par la philosophie stoïcienne de la période hellénistique. Plutarque mentionne un certain Sphairos de Borysthène, également appelé Sphéros du Bosphore, dans l’éducation des deux rois. C’est un philosophe stoïcien qui a été le disciple de grands maîtres tels que Zénon de Kition ou encore de Cléanthe à Athènes. C’est un personnage important qui a joué un rôle essentiel dans la vie de Cléomène puisqu'il l'avait formé dans sa jeunesse par le biais de l’éducation mais aussi à la suite du coup d’État, en apportant son aide dans les mesures prises par Cléomène. Par exemple, c'est Sphairos qui rédige le règlement des gymnases fréquentés par les « neoi », ce qui permet d'espérer la possibilité d'intégrer de nouveaux citoyens dans la cité grâce à l’ordre et à la discipline qui y régnait.

Lutte contre les Achéens et première phase de la guerre cléoménique (229-227)

Le royaume de Philippe V vers 200 av. J.-C.

En ce qui concerne la situation diplomatique et militaire, on sait que pendant son règne, la Ligue des Achéens qui est sous le commandement d'Aratos de Sicyone essaye d’unifier politiquement le Péloponnèse. Dans ce contexte, la volonté primordiale de Cléomène est de renforcer Sparte pour triompher des Achéens et recouvrer l’hégémonie sur le Péloponnèse.

Dans la première phase de sa lutte contre les Achéens, de 229 à 227 av. J.-C., Cléomène remporte ses premières victoires en Arcadie. Les hostilités débutent au moment où Aratos cherche à attaquer les villes d'Arcadie qui bordent les territoires de l'Achaïe. Plutarque explique qu'Aratos s’autorise ces manœuvres militaires notamment parce qu’il méprise Cléomène pour sa jeunesse et son inexpérience. En 228 av. J.-C., Cléomène entre en conflit avec les Achéens afin d’obtenir un prestige militaire qui lui permette de réformer la société spartiate avec plus de facilité.

Cléomène commence par s’emparer de Tégée, de Mantinée et d’Orchomène. Puis les éphores envoient Cléomène s’emparer de l’Athénaion de Belbina. Cléomène s'empare de cette position qui est une des portes de la Laconie et la fortifie. En représailles à cette fortification, Aratos fait une incursion de nuit pour attaquer Tégée et Orchomène mais quand il constate que ses partisans à l’intérieur de ces cités ne lui sont d’aucune aide, il se retire, persuadé qu’il n’a pas été vu. Cléomène découvre la tentative d’attaque de nuit et envoie un message à Aratos en lui demandant le but de cette expédition. Ce dernier répond qu’il avait l’intention d'empêcher Cléomène de fortifier Belbina dans le cadre d’une initiative diplomatique. Cléomène répond ironiquement à cela en disant: « Je suis persuadé que tu dis vrai, mais les flambeaux et les échelles, apprends-nous, si cela ne t’ennuie pas, pourquoi ils te suivaient »[1].

Cléomène avance en Arcadie avant d'être rappelé par les éphores qui, selon Plutarque, craignent la guerre. Cependant, lorsqu'Aratos prend la cité de Caphyes, les éphores envoient de nouveau Cléomène en expédition. Cléomène ravage le territoire d'Argos avec une armée de 5 000 hommes avant d'être confronté au nouveau stratège de la Ligue achéenne, Aristomachos. Bien que son armée fût composée de 20 000 fantassins et de 1 000 cavaliers, Aratos ne permet pas à son stratège de courir le risque du combat. Il aurait affirmé que 20 000 Achéens n'étaient pas de taille pour 5 000 spartiates. Cléomène harangue ses soldats en citant un des anciens rois : « les Spartiates ne s’inquiètent pas de savoir combien sont les ennemis, mais seulement où ils sont »[1].

Ce succès encourage Cléomène. Lorsqu’il entend qu'Aratos est en train d’attaquer son allié, la cité d’Élis, il part pour se confronter à eux. L’armée spartiate tombe sur l’armée achéenne près du mont Lycée. Les spartiates mettent en déroute l’armée adverse mais Aratos prend ensuite l’avantage grâce à une rumeur disant qu’il a été tué dans la bataille. Cette ruse lui permet de prendre par surprise la cité de Mantinée et d’y établir une garnison. Cette manœuvre déconcerte l’esprit guerrier des Spartiates qui commencent à s’opposer aux efforts de guerre voulus par Cléomène.

Pendant ce temps là, le roi eurypondite de Sparte Eudamidas III, qui était le fils d'Agis IV et d'Agiatis, meurt. Cléomène rappelle l’oncle d’Agis, Archidamos, qui avait fui à Messène après l’exécution d’Agis IV, afin de monter sur le trône et de remplacer Eudamidas. Cependant, aussitôt qu'Archidamos est de retour à Sparte, il est assassiné. La responsabilité de Cléomène dans cet assassinat est inconnue. On constate que les auteurs de l’époque sont en désaccord.

Dans la continuité, Cléomène corrompt les éphores pour lui permettre de continuer la campagne militaire. Cléomène avance à l’intérieur du territoire de Mégalopolis et commence à assiéger la cité de Leuctres. Comme Sparte assiège la ville, une armée achéenne placée sous le commandement d'Aratos attaque les Spartiates. Lors de cette première attaque, on constate que les Spartiates sont repoussés. Cependant, Lydiadas de Mégalopolis, le commandant de cavalerie achéenne, désobéit à l'ordre d'Aratos de ne pas poursuivre les Spartiates. Cela a pour conséquence que la cavalerie achéenne se retrouve sur un terrain plein d’embûches, ce qui permet à la phalange de Cléomène de prendre l’avantage. Encouragés par cette contre-attaque, les Spartiates chargent le cœur de l’armée achéenne et la mettent en déroute. C'est ainsi que Cléomène est vainqueur de la Ligue achéenne à l'automne 227. Si Cléomène réussit à vaincre et à tuer Lydiadas, on constate néanmoins que le conflit reste localisé.

De la royauté à la tyrannie

Le coup d'État de 227

Buste supposé de Plutarque.

Les succès qu’il remporte en été 227 lui fournissent l’occasion d'accéder au pouvoir, et surtout d'en avoir suffisamment aux yeux du peuple pour réaliser un coup d’état à Sparte en 227 ; un renversement de pouvoir qui est rapporté en détail dans les Vies d'Agis et de Cléomène de Plutarque.

Dans la politique qu'il mène, il est essentiel de noter le soutien important apporté par les amis de Cléomène ainsi que par les membres de sa famille. Il dispose d’une source importante auprès de lui, son épouse Agiatis, qui est la veuve d’Agis et qui lui a permis de s’instruire sur le sort d’Agis et de ses erreurs ; c'est ce qui explique en partie sa volonté d'imposer des réformes par force. L'autre grand soutien provient de son beau-père Mégistonous : Cléomène a réussi à convaincre sa mère d’épouser ce personnage qui va lui être d’une grande aide dans le financement de ses projets par la mise en commun des propriétés.

Néanmoins, Cléomène entreprend son coup d’État très progressivement. Il profite en 227 du fait que les citoyens qui s’opposaient à lui soient en expédition militaire pour revenir avec des mercenaires et assassiner les éphores ainsi qu'une dizaine de leurs partisans. En effet, celui-ci avait dû corrompre les éphores pour qu’on lui vote une expédition en achetant leur décision puisque ces derniers étaient responsables de l'envoi de l'armée. Les éphores sont des magistrats annuels chargés d'assurer le gouvernement et l'ordre public ainsi que de surveiller l'éducation des enfants mais également les agissements des rois.

Quatre des éphores ont été tués, sur un nombre initial de cinq, Cléomène se réserve le cinquième pour traiter les affaires et surtout en tant que symbole de son pouvoir. Cependant, une anecdote rapportée par Plutarque raconte que lorsque l’éphorie est abolie en 227, l’un des cinq éphores du nom de Agylaios parvient à s’échapper et à trouver refuge dans le sanctuaire de Phobos (Peur) tout proche de la salle de réunion des éphores. Dans le même temps, Cléomène procède à l’exil de quatre-vingt citoyens, ce qui est considérable sachant que dans les années 240, Sparte comptait en tout 700 citoyens et que ces proscrits s’apparentaient aux élites sociales, donc composées principalement de gérontes.

La suppression de l’éphorat est un événement majeur dans la Sparte traditionnelle, car malgré des attaques envers les titulaires de cette charge, elle n'avait jamais été abolie auparavant. Ainsi le pouvoir royal fut rehaussé par leur suppression mais aussi en raison du sort des gérontes dont beaucoup furent exilés et auxquels Cléomène imposa leur élection annuelle : cette institution très puissante s’est ainsi affaiblie au profit de la royauté. D'après Pausanias, l'affaiblissement des gérontes se fait au profit de la création d'une nouvelle institution qui vient remplacer en quelque sorte celle-ci, celle des patronomes.

Finalement, au IIIe siècle lors du coup d'État de Cléomène III, une première transformation profonde voit le jour dans l'organisation politique, avec un affaiblissement général des institutions. Avant le coup d'État, on avait affaire à trois entités majeures : la Gérousie qui est un conseil de trente sages, avec d'une part vingt-huit hommes de plus de soixante ans qui ont des pouvoirs judiciaires, politiques et sont élus à vie par l'ecclésia, et d'autre part deux rois issus pour l'un de la famille des Agiades, l'autre des Eurypontides et qui sont prêtres et chefs militaires à la fois. Ensuite, on a dans un niveau inférieur aux rois mais supérieur à la Gérousie ce qu'on appelle les Ephores constitués de cinq magistrats qui ont le pouvoir de contrôler les rois et qui proposent des motions à l'Ecclésia qui les élisent pour un an. À la fin de la pyramide, se trouve l'Ecclésia, soit l'Assemblée des citoyens qui vote les lois proposées par les rois, la guerre et la paix.

Origine des éphores

Cléomène mentionne l’ancienneté de l’éphorat. Néanmoins, s’il veut montrer par là que celle-ci n’est pas l’œuvre de Lycurgue, il n’attribue pas clairement l’éphorie à Théopompe qui semble être son créateur. Les éphores furent donc créés afin de remplacer les rois pour rendre la justice pendant la guerre contre les Messéniens. Les rois les désignèrent et les déléguèrent eux-mêmes auprès des citoyens.

D’après le discours de Cléomène III, l’obligation faite aux rois de répondre au troisième appel qui leur est adressé pourrait avoir eu pour auteur Astéropos, qui aurait fortifié et étendu le pouvoir des éphores « de nombreuses générations » après l’établissement de l’éphorat, fixé par Cléomène au temps de la guerre de Messénie. On peut se demander si la venue des rois auprès des éphores seulement à leur troisième convocation était jusqu’à 227 une procédure habituelle. Le principe qui est énoncé par Cléomène III semble empreint d’une nature au moins en partie religieuse car l’usage d’appels par trois fois se retrouve ailleurs dans les pratiques grecques, notamment dans le domaine religieux.

Restauration de la grandeur de Sparte

Référence à Lycurgue

Marbre des Dioscures / Les jumeaux Castor et Pollux, figures de la double monarchie spartiate.

Les conséquences de la politique radicale sont assez lourdes, avec une violence particulière qui nécessite une justification. Contraint de se justifier devant l’Assemblée, Cléomène va alors dénoncer dans un discours l’usurpation des éphores, pour cela il invoque le père de la Constitution spartiate Lycurgue.

Les relations entre les rois et les éphores étaient assez complexes, Cléomène dans un discours prononcé lors de son coup d’État critique le pouvoir usurpé de l’éphorat, qui peut aller jusqu’à chasser des rois et à en tuer d’autres sans jugement ; la mort d’Agis IV reflète bien cette violence engendrée par les éphores à l’égard des rois. Pour Agis IV, les deux rois unis l’emportaient sur eux, tandis que pour Cléomène, les éphores ne sont que des rois subordonnés. En effet, étant donné que c’était une création royale par laquelle les rois ont délégué une partie de leur pouvoir, il leur revient à bon droit de pouvoir supprimer ces délégués. La principale justification apportée par celui-ci concernant la suppression de l’éphorat est qu’ils sont la cause de la perte de la constitution ancestrale de Lycurgue que tous les citoyens admirent. Une affirmation qui est à nuancer puisque la cause réelle , selon Jean Marie Bernard, est « qu’il représentait les intérêts de l’oligarchie foncière et qu’il n’avait cessé de faire de l’opposition à Cléomène »[réf. nécessaire]. De plus, selon l’historien Polybe, c’est Cléomène qui avait « détruit le régime ancestral et changé en tyrannie la royauté fondée sur la loi ».[réf. nécessaire]

L’emploi de la force et de la violence est justifié principalement par la mention de Lycurgue, qui est très importante du fait que l’ancien prime toujours sur la société durant l’Antiquité, et cela face à n'importe quelle situation. Ainsi, des éléments la vie de Lycurgue sont utilisés par le réformateur afin d'attester qu'il est assez difficile de changer de régime sans violence.

Selon (Geneviève Hoffmann), citer le nom de Lycurgue visait à faire référence à la concorde (eunomia) et à l’ordre (kosmos), qui sont les fondements d’une partie supérieurement heureuse. À noter que le bonheur est toujours un thème à la mode chez les réformateurs et les révolutionnaires dont Cléomène fait partie.

Malgré une mention excessive de Lycurgue par Cléomène, un des critères majeurs qui n’est pas rempli dans le règne de Cléomène III est le principe de la collégialité royale, c'est-à-dire deux rois exerçant ensemble des pouvoirs militaires et religieux dont l’un représenterait la famille des Agiades et l’autre celle des Eurypontides. Le règne de Cléomène se présente comme étant la seule occasion où les Spartiates eurent simultanément deux rois de la même lignée ; mais même s'il est fait mention de deux souverains, on sait que son frère Eucleidas n'a pas joué un rôle et que Cléomène le désigna dans le but de pouvoir gouverner seul ; cette situation n'est pas inédite dans la Sparte de cette époque, du fait que la dualité royale n'était plus régulièrement respectée depuis longtemps.

Des réformes traditionnelles

La révolution politique doit permettre de transformer la société spartiate « en mettant les biens au milieu (en mesoi) pour les citoyens et en rendant Sparte égale » comme le dit Plutarque.[réf. nécessaire]

Cléomène donna ainsi l'exemple en remettant à la masse tous ses biens ; il fut suivi par son beau-père, par ses amis, puis par tous les citoyens « et l'on partagea le territoire  ». Chacun reçut un kléros, même les exilés, que le roi « promit de rappeler dès que la tranquillité serait assurée ». Le kléros est un lot de terre étymologiquement attribué par le sort au moment d’un partage. Le sort des biens mobiliers n'est pas clair. Agis IV avait offert tous ses biens, y compris 6000 talents monnayés, et Cléomène est censé faire de même, puisqu'il remet ses biens et il aurait été suivi par tous les autres. Mais il est difficile de partager équitablement des biens non apparents et donc facilement dissimulables et l'on évoque uniquement la distribution des terres. Aussi est-il peu probable que l'exemple d'Agis et de Cléomène ait été suivi par tous. Quant à la remise des dettes, elle n'est que passagèrement évoquée : Cléomène se contente d'annoncer à la fin de son discours justificatif qu'il « libère les débiteurs de leurs dettes  ».

Révolution sociale

Élargissement du corps civique

En 227 av.J-C, il y a un élargissement du corps civique par l’admission de nouveaux citoyens que Geneviève Hoffmann désigne par le terme d’anaplèrôsis ; une intégration qui répond à une situation d’urgence militaire qui existe depuis un certain temps à Sparte, qui correspond donc au manque d’hommes autrement dit l'oliganthropie.

Cléomène III entreprend l'adjonction de Périèques : « Ceux du pourtour ». Ce sont les habitants de Laconie et de Messénie soumis à Sparte qui ont le droit de posséder des terres et de faire partie de l’armée civique de Sparte et d'Hilotes : "Populations autochtones de Laconie et de Messénie réduites en esclavage par les Spartiates au IXe – VIIIe siècle av. J.-C." pour finalement constituer une force de 4000 hoplites environ.

Ce phénomène n'est pas propre à Cléomène III ; en effet, les rois réformateurs ont tendance à faire appel aux Périèques et même à des étrangers, décision assez courante et reproduite par Cléomène III. Le roi élargit ainsi le corps des citoyens à 4000 hommes, (9000 pour Lycurgue et 4500 pour Agis IV)  auxquels il leur alloue des terres et des esclaves afin qu’ils puissent s’occuper pleinement du métier des armes. Une formation selon les méthodes de la phalange macédonienne se met alors en place.

Les quatre mille Périèques, Hilotes et étrangers reçurent des lots de terres taillés dans des grands domaines confisqués à des riches Spartiates, qui leur assurerait un ancrage dans la cité et les dettes furent supprimées. De plus, les étrangers sont soumis à une enquête et un examen ; les plus capables réussissant ces derniers disposent ensuite de la possibilité de devenir spartiates afin de contribuer au salut de la cité par les armes. Quant aux personnes qu'il avait contraintes à l'exil, il promet de les faire rentrer quand le calme sera revenu. Finalement, ce sont des situations complexes qui expliquent l'urgence de l'oliganthropie,

Intégration par l'agôgè

L’agôgè était une règle de vie qui consistait à conduire l’ ensemble des citoyens à accepter les principes que la cité devait estimer justes pour maintenir la concorde, par fidélité à Lycurgue.

Ce rétablissement de la discipline passait précisément par la participation aux repas en commun et par un retour à l’ordre dans les gymnases. L’entraînement physique est privilégié pour créer un esprit de corps. Quant aux repas en commun, ils devaient permettre d’initier les nouvelles recrues à l’art de la plaisanterie, de la raillerie et de la brièveté, qui est le mode de communication préféré des Spartiates quand le silence ne leur est pas imposé. Et surtout maintenir une espèce de régime militaire.

Le rétablissement de la discipline ancestrale était un argument politique pour convaincre les Spartiates d’une intégration possible des nouveaux citoyens dans la cité. Sparte réutilisait ainsi « l’invention de la tradition » pour instaurer une série d’innovations hellénistiques. Dans cette perspective, imposer l’agôgè, c’était non seulement reprendre en mains les jeunes spartiates, mais contraindre les nouveaux citoyens à accepter une discipline ancestrale qui en ferait des semblables et permettrait d’aligner une force militaire non négligeable.

« Avoir part à l’agôgè », c’était s’entraîner, participer aux syssities et se conduire avec modestie et réserve. C’était partager la culture des Spartiates, qui consistait en l’acceptation d’une discipline et d’un mode de comportement fondés sur l’aidôs et la maîtrise du langage.

À en croire Plutarque, les rois ont vu dans l’agôgè la clef possible du retour à la Sparte d’antan. Se voulant exemplaires, ils ont modelé leur comportement et leur représentation du pouvoir sur cette notion de discipline. En remettant à l’honneur Lycurgue et un passé revivifié, ils ont voulu donner des gages à la cité pour ne pas apparaître comme des tyrans.

Seconde phase de la guerre cléoménique (226-222)

La guerre de Cléomène, 228-222 av. J.-C.

Après le coup d’État de 227, Cléomène n’est plus contraint de se soumettre aux ordres des éphores. Il reprend les opérations militaires en 226 et soumet l’Arcadie au point que les Achéens sont prêts à lui accorder le commandement en chef de la ligue. Cette initiative se cristallise sur le fait que Cléomène doit rendre les prisonniers ainsi que les cités conquises. Mais Cléomène renonce à cause d’une maladie passagère, ce à quoi il faut ajouter les intrigues d’Aratos.

Les mesures révolutionnaires prises par Cléomène à Sparte inquiètent les oligarques des cités voisines. Cette inquiétude se répand rapidement, notamment parce que Cléomène mène une politique agressive dans le Péloponnèse. En 226, Cléomène remporte plusieurs victoires décisives contre la Ligue achéenne, ce qui se traduit par la prise de contrôle de la place stratégique de Corinthe, mais aussi d'Argos et de Phlionte. Ces victoires sont facilitées par le fait que les peuples de ces cités aspirent à être libérés des dettes sur le modèle spartiate. De plus, ils sont nombreux à réclamer un partage des terres. Néanmoins, dans l’espoir d’obtenir le ralliement des Achéens, Cléomène renonce à sa politique révolutionnaire et se montre conciliant à l’égard des oligarques. Mais cette politique de rapprochement n’est pas concluante à cause de l’opposition irréductible de la part d’Aratos de traiter avec Cléomène III.

Aratos choisit de traiter avec la Macédoine, en échange de quoi il cède Corinthe, permettant ainsi à Antigone Doson, roi de Macédoine, d’avoir accès au Péloponnèse. De ce fait, Aratos préfère accepter les conditions macédoniennes plutôt que de laisser le commandement de la Ligue achéenne à Cléomène. Antigone constitue une alliance en 224 avec les Achéens, les Béotiens, les Thessaliens et les Acarnaniens. Antigone se fait nommer (hégémon) à vie et entre en campagne contre Sparte. Dès 224, les Macédoniens arrivent à l’isthme de Corinthe mais Sparte tient toujours cette position et parvient ainsi à prévenir l'invasion du Péloponnèse malgré une infériorité numérique. Cependant Argos, ou le peuple déçu de constater que Cléomène n’a pas aboli les dettes, se rebelle. La révolte d'Argos sur ses arrières contraint Cléomène à abandonner ses positions pour aller réprimer cette sédition.

L'armée macédonienne entre dans le Péloponnèse. Antigone décrète la chasse aux spartiates d'Argos, prend Orchomène et Mantinée, avant d'hiverner à Sicyone. Entre 224 et 223, les deux armées n’accomplissent que des manœuvres secondaires tout en cherchant à éviter la bataille décisive. En 223, Cléomène s’empare de Mégalopolis. Cependant, comme il ne parvient pas à rallier la population à son avantage, il rase la ville. Cléomène revient à des pratiques militaires qui avaient disparu de Grèce depuis le début du IIIe siècle. Cependant, ces succès sont de courte durée car les adversaires de Sparte possèdent une nette supériorité numérique et financière.

Défaite et exil

La Ligue hellénique qui a été constituée par Antigone III contre Cléomène III s'avère très efficace. Dans le même temps, son allié de toujours Ptolémée III retire son aide à Cléomène III.

L’impossibilité d’une possible alliance entre tous les Grecs contre le principal ennemi provoque sa défaite à Sellasie en 222, contre les troupes d’Antigone Doson et de La Ligue hellénique. En effet, en 222, Cléomène est battu à la bataille de Sellasia qui oppose les armées d'Antigone III Doson, roi de Macédoine, à celles de Cléomène III, roi de Sparte. Les forces spartiates sont massacrées. Antigone s'empare de Sparte où il restaure l'ordre antérieur aux réformes de Cléomène. Dans ce contexte, Cléomène est contraint de quitter Sparte et trouve refuge à Alexandrie, en espérant l’assistance de Ptolémée III pour regagner son trône. Cependant quand Ptolémée III meurt, son fils et successeur Ptolémée IV Philopatôr néglige Cléomène et le place en résidence surveillée.

Avec la complicité d’amis, Cléomène s’échappe de sa résidence surveillée en 219 et incite à la révolte contre le souverain lagide. Comme il ne reçoit aucun soutien de la part de la population d’Alexandrie, il se suicide afin d’éviter d’être capturé. Ainsi mourut l'homme qui a conquis presque tout le Péloponnèse et qui est décrit comme le dernier grand roi de Sparte. À la suite de cela, Antigone Dôsôn rétablit les institutions traditionnelles tels que l'éphorat.

Si Cléomène a échoué, c’est en partie à cause de l’opposition irréductible d’Aratos car sans lui, les Achéens auraient préféré l’hégémonie de Sparte au retour des Macédoniens dans le Péloponnèse. Cela est la conséquence du patriotisme d'Aratos qui ne veut pas voir un autre que lui unir le Péloponnèse. De plus pour des raisons sociales, Aratos est hostile à la révolution spartiate. L’autre raison de l’échec de Cléomène, c’est son refus d’exporter sa révolution. Cléomène n’a pas su s’appuyer sur les masses populaires qui désiraient ce genre de réformes. On peut conclure que Cléomène n’est pas un véritable révolutionnaire, il ne voulait pas changer la situation sociale dans le Péloponnèse mais seulement développer la puissance de sa cité.

Postérité

Robespierre, admirateur de Sparte.

Le règne de Cléomène III est marqué par des changements évidents, il est allé plus loin qu'Agis. Les innovations n’ont pas manqué : introduction de la phalange de type macédonien, suppression de l’éphorat, restauration de l’agôgè, octroi de la citoyenneté à des étrangers et à des périèques. On peut dire que l’objectif principal et les objectifs de second plan ont été plus ou moins atteints, mais il connaît rapidement un frein à son expansion. Cléomène n’avait pas les ressources financières lui permettant de résister à la Macédoine. Il tente finalement une révolution à Alexandrie où il s’était réfugié, ce qui cause sa perte puisqu’il se donne la mort par la suite. Son échec sert de leçon à ses successeurs.

L'histoire de Cléomène est connue par Polybe qui lui est pourtant hostile. Les écrits de Polybe ont comme source les Mémoires d'Aratos de Sicyone. Tite-Live voit en Cléomène « le premier tyran de Lacédémone ». Plutarque a écrit sa biographie dans ses Vies parallèles en même temps que celle d'Agis IV. Les deux personnages sont mis en parallèle avec les Gracques. Plutarque est favorable à Cléomène III même si cet auteur utilise Phylarque comme source principale avec une certaine prudence.

On peut dire que les fascistes du XXe siècle ont été fascinés par l'idéal guerrier de Cléomène III ainsi que par sa capacité à régénérer un corps civique malade. Sa politique de violences, notamment celle de son coup d'État en 227, a pu servir de modèle à des acteurs politiques souhaitant s'emparer du pouvoir par la force. En revanche, les théoriciens et les acteurs politiques marxistes n'ont pas su intégrer Cléomène III dans leur corpus idéologique en raison de l'inexistence d'une universalité dans le cadre de sa politique de réformes sociales.

Dans la Vie de Cléomène (3), Plutarque dit : « Il est difficile de changer un régime sans violence et sans terreur ». Cela peut nous interroger sur l’expression « nécessité fait loi ». Lors de la Terreur, Robespierre défendit Sparte qui était pour lui un exemple de cette idée. Ayant lu Rousseau qui exaltait les lois de Lycurgue, Robespierre déclara à l’Assemblée en mai 1794 : « Sparte brille comme un éclair dans des ténèbres immenses ».

Tétradrachmes du règne de Cléomène

Les derniers Agiades

┌────────> Cléonymos x Chilonis 1
│           │ 
│           └────> Léonidas II (régent -259--254 ; roi -254--235 ; déposé -243--241) x Cratésicleia
│                      |
│                      |        ┌──> Eucleidas
│                      |        │    
│                      └───────────> Cléomène III (-235--219) x Agiatis
│                               │
|                               └──> Chilonis 2 x Cléombrotos II (-243--241)
|                                       │
|                                       |        ┌──> Cléomène
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│                                       └────────|
│                                                │    
|                                                └──> Agésipolis
|                                                        │    
|                                                        └──> Agésipolis III (-219--215)
│
Cléomène II (-370 - -309) 
│
|
└────────> Acrotatos
|             │ 
│             └────> Areus (-309--264)
|                     |   
│                     └───────────> Acrotatos (-264--263) x Chilonis 1
|                                       |   
│                                       └───────────> Areus II (décédé en -254)
│                                                       │
|                                                       └──> Cléombrotos II (-243--241) x Chilonis 2
|                                                                 │
|                                                                 |        ┌──> Cléomène
│                                                                 |        │    
│                                                                 └────────|
│                                                                          │    
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|                                                                          │    
|                                                                          └──> Agésipolis III (-219--215)
|
└────────> Archidamia x Eudamidas I

Notes et références

  1. Plutarque [réf. nécessaire].

Annexes

Sources antiques

Bibliographie

  • BRUN Patrice et alii, Guerres et sociétés dans les mondes grecs 490-322, Paris, 1999
  • CABANES Pierre, Nouvelle histoire de l'Antiquité Le monde hellénistique, de la mort d'Alexandre à la paix d'Apamée, 323-188, Paris, 1995
  • CHAPOUTOT Johann, Le national-socialisme et l'Antiquité, Paris, 2008
  • CHRISTIEN Jacqueline et RUZE François, Sparte histoire, mythes, géographie, Malakoff, 2017
  • GANZIN Michel, L'influence de l'Antiquité sur la pensée politique européenne XVIe – XXe siècles, Aix-en-Provence, 1996
  • GOULET Richard, Dictionnaire des philosophes antiques Babélyca d'Argos à Dyscolius, Paris, 1994
  • GRANDJEAN Catherine et alii, Le monde hellénistique, Malakoff, 2017
  • LEVY Edmond, Sparte histoire politique et sociale jusqu'à la conquête romaine, Paris, 2003
  • MALYE Jean, La véritable histoire des héros spartiates, Paris, 2010
  • ORRIEUX Claude et Pauline SCHMITT-PANTEL, Histoire grecque, Paris, 2016
  • PREAUX Claire, Le monde hellénistique La Grèce et l'Orient de la mort d'Alexandre à la conquête romaine de la Grèce 323-146 av. J.-C., Paris, 2002
  • RICHER Nicolas, Les éphores études sur l'histoire et sur l'image de Sparte VIIIe – IIIe siècle avant Jésus-Christ, Paris, 1998
  • RICHER Nicolas, Sparte Cité des arts, des armes et des lois, Paris, 2018
  • SPAWFORTH Anthony and CARTLEDGE Paul, Hellenistic and Roman Sparta a tale of two cities, London, 2002
  • WILL Edouard, Histoire politique du monde hellénistique 323-30 av. J.-C., Paris, 2003

Articles

  • BRUN Patrice, De Xénophon à Hollywood. Le "mirage spartiate"
  • DAMET Aurélie, Drôles de familles !
  • DELAHAYE Adrien, Pas si austères, les Spartiates !
  • DROIT Roger-Pol, Sparte, l’anti-Athènes
  • GRANDJEAN Catherine, Les deipna de Cléomène III de Sparte
  • HODKINSON Stephen, Une cité pas comme les autres ?
  • HOFFMANN Geneviève, Anaplèrôsis et agôgè au temps des rois Agis IV (244-241) et Cléomène III (235-222)
  • RICHER Nicolas, Leuctres : la défaite fatale
  • SARTRE Maurice, Les derniers feux
  • VOUTIRAS Emmanuel, Le cadavre et le serpent, ou l’héroïsation manquée de Cléomène de Sparte

Articles connexes

Liens externes

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